Intervention de Nicolas Bériot

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 16 avril 2013 : 1ère réunion
Adaptation au changement climatique — Audition de M. Nicolas Bériot secrétaire général de l'observatoire national sur les effets du réchauffement climatique onerc

Nicolas Bériot, secrétaire général de l'ONERC :

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c'est un honneur pour l'ONERC et pour moi-même d'être entendu aujourd'hui par la commission du développement durable du Sénat. Au nom de notre président, le sénateur Paul Vergès comme en mon nom personnel, je vous en remercie. Je m'exprime aujourd'hui comme secrétaire-général de l'ONERC, mais je suis également responsable du pôle adaptation au changement climatique, au sein de la direction générale de l'énergie et du climat du ministère de l'écologie.

Créé par une loi en 2001, l'ONERC est une institution, dirigée par un conseil d'orientation se réunissant annuellement, où le Sénat est représenté par le président Paul Vergès, et par Ronan Dantec et Marcel Deneux. Inscrivant son action dans la durée, l'ONERC a accumulé au fil des ans un savoir, des données, une image. Il anime le travail d'adaptation au changement climatique en France. Sa production comprend des rapports thématiques annuels. Le rapport de 2012 porte sur les outre-mer face au défi du changement climatique. L'ONERC produit également une lettre trimestrielle intitulée « Le climat change - Agissons », destinée aux élus et aux services des collectivités locales. Le site web, intégré à celui du ministère, devient un site de référence sur l'information climatique et l'adaptation. Notre équipe contribue aux travaux européens d'adaptation, participe à la négociation climatique mondiale, et contribue ponctuellement à des actions de coopération. L'ONERC est également le point focal français du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC. Je représente le Gouvernement Français lors des assemblées plénières annuelles du GIEC. Les moyens de l'ONERC se confondent avec ceux de l'équipe adaptation de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) au ministère. Nous sommes donc cinq fonctionnaires ou contractuels au service de cette double tutelle. Le budget de l'ONERC est partie intégrante du budget de la DGEC.

Selon une définition couramment admise, l'adaptation au changement climatique est l'ajustement des systèmes naturels ou humains en réponse à des stimuli climatiques ou à leurs effets, en vue de réduire les effets néfastes ou d'exploiter des opportunités bénéfiques. Elle consiste en une gestion des conséquences du changement climatique, tandis que l'atténuation traite les causes, par la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La recherche sur le changement climatique est intense depuis les années 1980. La négociation climatique mondiale a débuté en 1992. Dans les années 1990, l'adaptation était souvent ignorée ou écartée, car y accorder une trop grande attention était perçu comme un aveu de défaite devant le défi de l'atténuation. Paul Vergès, lorsqu'il a proposé la création de l'ONERC au tournant du siècle faisait partie des précurseurs, du moins dans les pays développés. Dans les pays en développement, la focalisation sur l'adaptation a commencé à la fin des années 1990 et s'est accentuée depuis, car c'est là l'enjeu prioritaire, pour ces pays, dans la négociation climatique mondiale.

Aujourd'hui, en France et en Europe, les politiques d'adaptation et d'atténuation ne s'opposent pas. Elles sont indispensables et complémentaires. Du seul point de vue économique, l'une comme l'autre se justifient par des questions de coût. De nombreuses études démontrent le gain économique associé à l'anticipation. Différer l'action entraînerait des coûts bien supérieurs, les coûts de l'inaction.

L'adaptation est moins facile à appréhender que l'atténuation. Une mesure de l'adaptation serait une évaluation des dommages évités dans le futur, ce qui est sujet à de nombreuses incertitudes. Les échéances du changement climatique sont en outre plus longues que les échéances économiques courantes, ce qui fait souvent obstacle à leur prise en compte. L'adaptation nécessite des réflexions et des décisions à dimension locale. Certaines collectivités sont en pointe dans ces réflexions à long terme.

La réflexion sur l'adaptation d'une activité économique ou toute autre activité humaine conduit en tout état de cause à se poser une série de questions bénéfiques : mon activité est-elle sensible aux paramètres d'environnement, sensible à leur variabilité annuelle ou interannuelle ? Est-elle sensible aux extrêmes climatiques et lesquels ? Suis-je dépendant de la ressource en eau, de l'accès au littoral, de telle ressource de biodiversité ou ressource naturelle ? S'adapter à un climat futur et à ses différents scénarios passe d'abord par la question : suis-je bien adapté au climat actuel et à sa variabilité présente ? C'est ce qui fonde les mesures dites « sans regret », c'est-à-dire que l'on peut engager même dans l'incertitude quant au climat futur. Cette démarche engage donc une réflexion plus générale sur le développement durable et est en cela utile, pédagogique, voire rentable.

Sur les douze dernières années, onze années comptent parmi les douze années les plus chaudes observées depuis 1850. Rappelons que la hausse de la température moyenne globale a été d'environ 0,8°C depuis le début de l'ère industrielle. Cette différence de 0,8°C peut à première vue sembler minime. Cependant, à titre de comparaison, il faut noter que la différence de température moyenne globale entre une période interglaciaire et une période glaciaire, séparées de 60 000 ans ou davantage, n'est que de 5 à 6°C. Cette hausse est donc plusieurs dizaines de fois plus rapide que ce que la Terre a connu comme variations au cours des dernières centaines de milliers d'années. La hausse des températures atmosphériques est accompagnée d'une hausse des températures océaniques, l'océan emmagasinant d'ailleurs la majeure partie de ce réchauffement anthropique. Les glaciers et la banquise décroissent en surface et en volume. L'autre effet de la hausse des concentrations de CO2 dans l'atmosphère est l'acidification des océans, qui se produit actuellement à une rapidité jamais observée.

Le réchauffement atmosphérique global se traduit par des changements climatiques locaux qui ne sont pas toujours un réchauffement. Par exemple, la diminution de la banquise en Arctique pourrait modifier la circulation atmosphérique dans cette région, favorisant des descentes d'air froid vers l'Europe de l'Ouest et suscitant des périodes particulièrement froides en hiver.

La température croît actuellement au rythme d'environ 0,2°C par décennie. Sur un siècle, selon les scénarios globaux d'émission des gaz à effet de serre, la température pourrait s'élever de 2 à 3°C. Le régime des précipitations serait plus contrasté entre moitié Nord et moitié Sud de la France. Les canicules, les sécheresses ou les fortes pluies deviendraient plus fréquentes. Les durées d'enneigement en moyenne montagne diminueraient. La hausse du niveau marin se poursuivrait pour atteindre 40 à 60 cm voire jusqu'à 1 mètre à la fin du siècle. Je ne décrirai pas ici les évolutions attendues dans les outre-mer, faute de temps pour les décrire précisément, mais des changements importants sont prévus pour ces territoires.

Les travaux des trente dernières années ont permis de bien décrire l'effet de serre anthropique et d'en convaincre une grande partie des décideurs politiques et du public. Le défi scientifique de la connaissance et de la prévision ou projection des impacts est d'un niveau de complexité nettement supérieur. Les cascades d'impacts, les relations entre écosystèmes, les scénarios technico-économiques, et certaines boucles de rétroaction dans le système climatique comprennent une très grande part d'inconnu.

Une politique d'adaptation est une politique d'anticipation, dans un environnement de grande incertitude. Les mesures d'adaptation sont de diverses natures ; elles peuvent être physiques, comme la mise à niveau des digues de protection ; institutionnelles, comme les mécanismes de gestion de crise ou l'instauration de réglementations spécifiques ; stratégiques, comme le choix de déplacement de populations ou la relocalisation d'activités.

L'élaboration du premier plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) a commencé, au premier semestre 2010, par une phase de concertation impliquant les différents collèges que sont l'État, les élus, la société civile, les syndicats d'employeurs et d'employés. Puis les régions outre-mer et le grand public ont été consultés. Un peu plus de deux cents recommandations ont été issues de cette concertation. La production de ce plan en seulement dix-huit mois a été rendue possible par une loi qui imposait cette réalisation avant la fin de 2011. Le plan distingue quatre-vingt-quatre actions réparties dans vingt domaines.

Compte tenu des incertitudes qui existent encore sur l'ampleur des changements, il a été convenu de mettre en oeuvre en priorité certains types de mesures. Des mesures dites « sans regret », bénéfiques même en l'absence de changement climatique, comme la mesure de promotion des économies d'eau dans tous les secteurs, sont d'ores et déjà en cours de mise en oeuvre. Des mesures transversales, comme la prise en compte du changement climatique dans les contrats de service public. Des mesures qui peuvent être ajustées et révisées périodiquement pour les différents acteurs en fonction de l'évolution des connaissances, comme le renforcement des exigences en matière de confort d'été dans les bâtiments. L'adaptation doit être un processus dynamique et révisable.

Chacune des actions du PNACC a un pilote. L'état d'avancement est établi régulièrement par l'ONERC. Dix-huit mois après son lancement, le taux d'engagement des actions est de 95 %. Le budget du PNACC s'élève, pour l'ensemble de la période 2011-2015, à 170 millions d'euros, soit 34 millions d'euros par an en moyenne. Les mesures du PNACC n'échappent cependant pas aux mesures budgétaires communes et les ambitions de certaines actions devront être révisées en conséquence. Une évaluation du plan à mi-parcours est prévue pour fin 2013. Le comité de suivi est en cours de constitution, en cohérence avec le cadre plus général de la transition écologique. Le ministère de l'écologie convoquera une première réunion de ce comité courant 2013.

Les acteurs de l'adaptation en France sont nombreux. L'Union Européenne publiera fin avril 2013 une stratégie européenne d'adaptation et incorporera progressivement l'adaptation dans de nombreux secteurs. L'État pilote et réalise le PNACC. Il soutient aussi la recherche climatique et les infrastructures d'observation de l'environnement. La communauté de recherche climatique française et Météo France développent des modèles et des services climatiques. Les collectivités locales conçoivent et appliquent les schémas régionaux climat-air-énergie et les plans climat-énergie territoriaux. L'ADEME, en liaison avec l'ONERC, développe des outils en soutien des acteurs locaux.

Pour la plupart des entreprises, l'horizon temporel de l'adaptation est bien au-delà des échéances courantes de gestion ou des durées d'amortissement des investissements. Certaines grandes entreprises privées ont toutefois abordé depuis longtemps l'adaptation. Citons par exemple EDF et la SNCF, ou d'autres grands acteurs des secteurs de l'énergie et des infrastructures de transport. L'association de grandes entreprises EpE, entreprises pour l'environnement, travaille sur le thème de l'adaptation et collabore pour cela avec l'ONERC.

Pour certaines entreprises, l'adaptation est l'opportunité de nouveaux produits et services. C'est le cas par exemple dans le secteur du bâtiment. J'ai assisté, dans le cadre de la semaine du développement durable à La Réunion, à l'exposé d'un bureau d'études qui développe des technologies et une offre de bâtiment optimisée pour un climat tropical. Cette entreprise a une activité internationale et entend développer une offre à destination de pays insulaires tropicaux. Une autre entreprise expérimente un concept de serres solaires, avec des serres hautes et couvertes sur 50 % de leur surface par des panneaux solaires, qui traitent conjointement des enjeux de production d'énergie, de gestion de l'eau, de production vivrière, de prix garantis sur des fruits et légumes, et de réinsertion sociale d'anciens détenus. Ces exemples illustrent bien la manière dont certains entrepreneurs relèvent les défis du développement durable.

Autre exemple similaire à l'étranger et à plus grande échelle : les Pays-Bas ont développé une ingénierie de réalisation de digues et de défense contre la hausse du niveau marin qui donne lieu à présent à l'exportation d'ingénierie vers d'autres pays menacés par la montée des eaux.

Un autre type d'activité privée en expansion est celle de bureaux d'études experts dans les questions de climat. Des agences apparaissent dans les territoires pour assister les communes dans la conception et mise en oeuvre de leurs plans climat-énergie.

Le secteur de la finance et des assurances va devenir un moteur de l'adaptation. La Caisse des dépôts et la Fédération française des sociétés d'assurances, par exemple, sont déjà très actives. Les banques et assurances vont progressivement relever le niveau d'exigences quant aux investissements qu'elles soutiendront ou quant aux biens qu'elles assureront. Par ce mécanisme, des particuliers, des entreprises ou des collectivités vont faire de l'adaptation sans le savoir ou sans l'avoir voulu, puisque leur partenaire dans une prise de risque demandera une étude ou une prise en compte des effets du changement climatique dans la conception du projet ou la décision d'achat.

Il faudrait aussi citer de nombreux acteurs de la société civile. Disons seulement que le secteur de l'éducation et de l'enseignement, aura à intégrer aux programmes le thème de l'adaptation. De nombreuses ONG s'investissent dans ce domaine. La compétence se répand très vite.

Le GIEC a produit en 2007 son 4ème rapport d'évaluation, qui est une synthèse des publications scientifiques se rapportant au climat. Rappelons que le GIEC ne produit pas de recommandations, il fait oeuvre de synthèse pour alimenter la décision politique. Le GIEC prépare actuellement son 5ème rapport d'évaluation, qui paraîtra en plusieurs volumes successifs, de septembre 2013 à la fin de l'année 2014. C'est le volume 1, portant sur les éléments physiques du climat qui paraîtra en premier, en septembre prochain.

Ce rapport se distinguera du précédent par une place plus importante donnée à l'océan dans le volume 1, puis des chapitres régionaux dans le volume 2, qui traite des impacts du changement climatique et de l'adaptation. Dans le volume 3, qui traite de l'atténuation du changement climatique, le thème émergent de la géo-ingénierie sera abordé. Il s'agit des techniques d'intervention délibérée et à grande échelle sur les milieux naturels pour réduire le rayonnement solaire incident ou absorber les excès de CO2, un thème à instruire car de grands enjeux de gouvernance s'y attachent.

La France a apporté un soutien constant au GIEC, reconnaissant le caractère indispensable du socle d'informations qu'il élabore au service de la négociation climatique mondiale. La contribution annuelle de la France au budget central du GIEC s'élève à 200 000 euros.

Il est possible que se manifeste une vague de climato-scepticisme à l'occasion de la sortie du 5ème rapport du GIEC. Notre réponse consistera principalement en une communication assertive au sujet des méthodes et des produits du GIEC. Le ministère et l'ONERC s'organisent dès à présent pour cette période de communication qui débutera en septembre 2013.

La période de 2013 à 2015 sera intense quant à la mise en oeuvre des politiques climatiques en France et en Europe. L'adaptation au changement climatique n'est qu'un volet de l'ensemble des politiques de développement durable, mais cette démarche est structurante. Elle induit notamment des réflexions et des actions contribuant à la robustesse, la résilience et la performance d'un grand nombre d'activités. Il est possible d'agir aujourd'hui pour s'adapter, en dépit des incertitudes sur le changement climatique et sur ses impacts. Avec le PNACC, les schémas régionaux et les plans climat-énergie territoriaux, avec les services climatiques de Météo-France et du CNRS, avec le développement d'un réseau de compétences et d'expertise à travers l'ADEME et d'autres structures, la France fait partie des pays les plus avancés dans le domaine de l'adaptation. L'adaptation a vocation à être incorporée dans la plupart des politiques sectorielles. Animer et faire évoluer les politiques climatiques nécessitera toujours un apport scientifique important. A l'échelle de l'histoire humaine, ce n'est que depuis récemment que nous appréhendons l'ensemble de notre planète. Les systèmes d'observation et les moyens de recherche sur l'environnement doivent être défendus et maintenus sans discontinuer et sur le long terme.

Le GIEC est un moyen indispensable au service de la négociation climatique mondiale : il doit être soutenu. Au niveau national, les services et l'expertise climatiques sont amenés à se développer. La transition écologique appelle fortement à l'innovation technique, économique, sociétale. Elle ne constitue pas nécessairement une charge. L'adaptation au changement climatique est l'une des démarches qui stimulent et structurent cette évolution.

Malgré certains aspects positifs de la dynamique que j'ai décrite, l'adaptation est, fondamentalement, la réponse à une modification extrêmement rapide de notre environnement naturel, attribuable à l'activité anthropique depuis deux siècles et assimilable, globalement, à une dégradation. La préservation de la biosphère et de son système climatique reste donc une ardente nécessité.

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