Je vous remercie de me recevoir. Lorsque j'ai pris mes fonctions, trois volets m'ont été confiés : la fonction publique, la réforme de l'État, que je préfère appeler « modernisation de la vie publique », et la décentralisation. J'en suis ravie, car il existe un lien très étroit entre eux.
Comme vous le savez, le projet de loi initial a été divisé en trois textes, avec des objectifs forts. Je me suis toujours inscrite en faux contre l'image du « mille-feuilles » territorial. On constate des habitudes de travail entre nos communes, nos départements et nos régions, bien plus fortes que dans certains de nos pays voisins, en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Suède. Notre système fonctionne, mais il est perfectible. La question qui se pose est la suivante : comment améliorer le dispositif existant et quelle direction prendre ?
En matière de développement économique et d'emploi, comment entraîner les collectivités territoriales dans la lutte pour le redressement de notre pays ? Quelles missions leur confier vis-à-vis des jeunes ? La formation professionnelle et l'apprentissage sont des sujets importants, qui seront également abordés dans un autre projet de loi. Un rôle nouveau doit être confié aux régions en matière d'orientation des jeunes. Les collectivités doivent aussi pouvoir assumer un rôle en matière de logement étudiant.
La solidarité entre les territoires est également primordiale. Certains maires sont satisfaits de l'assistance technique fournie par les services de l'État pour des raisons de solidarité ou d'aménagement du territoire (ATESAT), d'autres la trouvent insuffisante. Nous avons eu de longues discussions avec l'assemblée des départements de France (ADF) à ce sujet. J'y ai perçu une quasi-unanimité sur la nécessité de confier aux départements cette mission de solidarité entre les territoires, à partir de ce qui existe déjà, qu'il s'agisse des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), des agences d'urbanisme, des agences de développement... Suivant cette logique, le numérique et le tourisme, doivent revenir au département, en tant que composante de l'aménagement du territoire. Leur rôle en matière de solidarité sociale doit quant à lui être conforté.
Je voudrais revenir sur la suppression des départements. En étudiant bien la question, je me suis rendue compte que cette mesure serait très compliquée à mettre en oeuvre : faudrait-il confier l'ensemble des allocations de solidarité à l'État, ce qui supposerait une réécriture des règles fiscales ? Ou plutôt les confier aux agglomérations et communautés de communes rurales ? Sur la base de quel critère ? Le nombre de personnes âgées ou handicapées est un flux, il n'est pas figé. Que ferait-on des collèges ? Faudrait-il les confier aux communes, aux intercommunalités ? L'opération n'est pas si simple, deux ans au moins seraient nécessaires pour sa mise en oeuvre. Une étude réalisée par KPMG pour l'ADF avait estimé le coût de cette mesure à 6,5 milliards d'euros, et évalué à dix ans la période à partir de laquelle on pouvait espérer un retour. Il faudrait en effet recréer des fonctions support, organiser les transferts de personnel, revoir leur régime indemnitaire, etc. C'est la raison pour laquelle, en pleine période de crise, et avec des élus de toutes tendances confondues, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il n'était pas opportun de s'engager sur cette voie. Le rôle du département en matière de solidarité sociale et territoriale est fondamental en période de crise.
En revanche, nous avons souhaité renforcer son rôle en matière d'aménagement du territoire. Certaines régions auraient pu l'assumer entièrement, mais il faut prendre en compte la diversité des territoires : il existe des départements, comme le Gers ou l'Ardèche, qui ont une identité forte, alors que toutes les régions n'en ont pas nécessairement. En parallèle, il faudra à l'avenir repenser les sous-préfectures, en milieu urbain et peut-être même en milieu rural.
La priorité doit être l'accès aux services publics. Le sentiment d'abandon que l'on ressent dans les territoires, les replis identitaires parfois constatés, résultent pour beaucoup de la fermeture des services publics, qu'il s'agisse des écoles, des perceptions, de postes... Les soutiens au projet de référendum alsacien ont été observés dans le département le mieux doté de ce point de vue. Certains ont critiqué le résultat du scrutin. J'en prends acte, les Français n'ont pas à recevoir de leçons. Je place beaucoup d'espoir dans la création de maisons de services publics sur des périmètres départementaux, avec un pool de fonctions support et une organisation commune. L'idée est de promouvoir une action publique plus efficace, moins coûteuse, transparente et démocratique.
Le fait urbain existe, il fallait le reconnaître et y répondre, dans le sens de ce qu'a exprimé le Président de la République le 5 octobre à l'occasion des états généraux de la démocratie territoriale. Ce qui a été entamé en décembre 2010, et s'est soldé par quelques difficultés, doit être réécrit et amélioré. Il faut reconnaître le fait urbain, lui donner la possibilité d'exercer des compétences optionnelles, qui dépendront du débat parlementaire. Nous avons laissé la possibilité de transférer les compétences liées au logement actuellement exercées par le département, et que certains d'entre eux ont déjà transférées, à des villes, comme Strasbourg, mais pas à des unités métropolitaines. Il y a un vrai débat sur ce sujet, compte tenu des disparités d'approches observées dans nos départements. Certains d'entre eux sont volontaires pour les transférer, notamment ceux qui doivent gérer des quartiers en difficulté, d'autres beaucoup moins.
Compétentes en matière de croissance économique et d'attractivité du territoire, les métropoles devront assurer les fonctions suivantes : gestion des CHU, enseignement supérieur, transfert de technologies, recherche et innovation, accueil de sièges sociaux et action à l'international. Le seuil de population nécessaire, aujourd'hui prévu à 400 000 habitants, est très discuté sur les territoires.
Sur la simplification du fait urbain, nous avons pris acte du fait que l'entrepreneur qui habite une grande ville s'adresse d'abord à l'intercommunalité, pour acquérir des terrains, étudier les moyens et liaisons de transport... Dans beaucoup de cas, l'octroi au département de la gestion de l'immobilier d'entreprise pose problème. L'idée de créer un accès unique pour les entreprises revient à faire intégrer les schémas de développement économique mis en place depuis longtemps par les intercommunalités urbaines dans le schéma de cohérence régionale, de mettre en regard le fait urbain et le fait régional en déterminant les chefs de file dans chaque domaine. Il me semble évident que les stratégies de filières, les pôles de compétitivité et de l'innovation doivent revenir aux régions. Je rappelle que si on enlève aux départements la compétence économique, il leur reste la cohésion sociale et la lutte contre les inégalités entre territoires, soit, à mon sens, la plus noble des fonctions politiques. Je voudrais insister sur cet enjeu que constitue l'égalité de nos enfants de France.
Je ne crois pas à la métropolisation sur le modèle de la stratégie de Lisbonne, avec un regroupement des populations et une mise en concurrence des territoires. Tous les espaces interstitiels doivent être bien traités. L'aménagement du territoire passe par tous les territoires de France : la moindre communauté de commune rurale mérite notre attention. La métropole doit s'inscrire dans un polycentrisme, dans un réseau de villes. Ce sujet est fondamental. Les métropoles doivent être conçues comme des têtes de réseau : elles auront de grandes responsabilités vis-à-vis de l'ensemble des territoires de France.
J'en viens aux cas particuliers de Paris, Lyon et Marseille.
Dans la région Île-de-France, nous ne sommes pas allés au bout au niveau de l'intercommunalité. La première couronne a été dispensée de réaliser une carte intercommunale. Ce n'est pas juste, il faut prévoir une égalité de droits. Il y a des communes isolées avec beaucoup de ressources. Un élu s'est récemment plaint de ne pas savoir où placer sa troisième piscine, alors qu'il y a des endroits où il n'y en a aucune et c'est là que réside le problème... D'ici le 1er janvier 2015, il faudra réussir à gérer la solidarité des territoires au sein de la première couronne.
Deux sujets essentiels doivent être abordés dans le cadre de la métropole parisienne ou du Grand Paris - je n'ai pas trouvé de formulation idéale, mais je sais que le Parlement en trouvera une. Les transports, tout d'abord. Il faudra établir un schéma régional des transports au sens de la mobilité durable, en partant de la première couronne. Les contrats de développement territoriaux sont extrêmement intéressants, parce qu'ils ont été faits à partir des gares, permettant de conjuguer transports, logements et services.
Ensuite, le logement. Dans les troisième et quatrième couronnes, beaucoup de craintes ont été exprimées au sujet d'un risque de spéculation immobilière en cas d'implantation d'une autorité organisatrice dans la zone dense. Pour y répondre, nous préconisons un schéma régional de l'habitat, articulé aux transports, avec une autorité organisatrice en zone dense parce qu'il y a de véritables urgences. Un loyer de 600 euros pour la location d'une pièce, ce n'est pas acceptable.
Pour Lyon, nous avions proposé au départ une solution différente de celle qui a été retenue. Deux élus ont mis en avant une autre démarche, en proposant de fusionner une partie du département et Lyon, ce qui aboutirait au maintien d'un département rural de 440 000 habitants, mais celui-ci ne serait pas seul dans ce cas. Il y aura des ajustements à prévoir, notamment au titre des fonctions support, dans un premier temps. Cette proposition a été retenue, à la condition que soit établi un conseil de territoire, incluant les maires de proximité, parce qu'on ne peut pas tout gérer de la métropole.
S'agissant d'Aix Marseille Provence, je rappelle que c'est l'État qui a fait les gros investissements sur ce territoire : l'aéroport, le projet ITER, le port... Il y a aujourd'hui six intercommunalités et dix autorités organisatrices de transport, ce qui est loin d'être optimal et de grosses difficultés sont constatées dans l'organisation des transports. Nous venons de perdre un marché sur le terminal méthanier pour des raisons d'hinterland. Lyon à commencé à passer des accords avec Barcelone, Montpellier et Sète pour avoir une porte sur la Méditerranée par Barcelone, alors que nous avons Marseille. Nous insistons pour qu'il y ait une métropole méditerranéenne. C'est notre engagement, même s'il y a des réticences locales. Ces dernières ont beaucoup évolué, d'un refus total à la piste de la transformation de l'aire métropolitaine en un établissement public opérationnel de coopération (EPOC), mais j'estime qu'il s'agirait là, pour le coup, d'une couche institutionnelle supplémentaire. D'où la proposition que nous faisons, et dont le Parlement débattra.
J'en viens au bloc communal. Il reste, en France, le plus attachant même si quelques régions ont une identité forte, liée à leur langue régionale par exemple. Médiascopie a fait un très bon travail sur les mots de la décentralisation, que je me permets de recommander ici. Il est très intéressant de voir à quel point les gens sont attachés au nom de leur ville, au nom de leur département ou à leur plaque minéralogique. En revanche, ils connaissent moins les institutions. Il ne faut pas négliger cet aspect, lorsqu'on observe les phénomènes de repli sur soi et la montée des discours populistes. Tout cela doit être pris en compte, y compris dans ce projet de loi.
Comment rassurer les maires de France ? C'est le sujet le plus difficile que nous ayons à traiter aujourd'hui. Je rappelle que les maires sont les représentants de la République. Ce ne sont pas les présidents d'intercommunalité, mais les maires. Ils exercent un rôle de citoyenneté, qui est important. Je crois personnellement à la décentralisation à la condition qu'un État fort soit préservé.
Si certaines communes souhaitent fusionner, nous les encouragerons. Si les citoyens veulent les garder telles quelles, elles seront maintenues. Mais il ne faut pas oublier qu'il y a parfois des difficultés à trouver des élus dans toutes ces communes, comme me l'indiquait il y a peu l'Association des maires ruraux de France.
A mon sens, l'intercommunalité reste cependant le moyen de sauver nos communes de France. En matière d'urbanisme, d'accompagnement des agriculteurs, de protection du foncier agricole, je ne vois pas comment on peut avancer sans une intercommunalité qui fonctionne. L'intercommunalité est arrivée à un âge presque mature. Lorsque j'ai proposé, comme d'autres, l'adoption d'un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI), c'est en prenant acte du caractère précieux de trois types de surfaces. Les surfaces agricoles, tout d'abord. Leur recul est dramatique, surtout si l'on tient compte des projections relatives à l'indépendance alimentaire du pays à l'horizon 2050. Il est regrettable qu'y soient construits de nouveaux lotissements, dans des villes-dortoirs, alors que les bourgs-centres, villages et hameaux sont aujourd'hui complètement dépeuplés. Un établissement public foncier régional doit intervenir à ce niveau. Les surfaces industrielles, ensuite, évidemment, et enfin, les surfaces nécessaires à la préservation de l'environnement, qu'il s'agisse des captages d'eau potable, des sites Natura 2000, des zones humides... Je suis persuadée qu'il faudra que la DGF prenne en compte les mètres carrés inconstructibles. On ne juge pas un maire à la croissance du nombre d'habitants de sa commune. Or, parfois, les recettes engendrées par la construction de logements, que ce soit le foncier bâti ou la taxe d'habitation, poussent dans la mauvaise direction. L'élu qui protège les surfaces agricoles n'en tire aucun bénéfice, alors que ce sont elles qui sont importantes à long terme, et non les lotissements.
C'est la raison pour laquelle je suis favorable à un PLUI. Cela créerait de la solidarité entre les maires. Celui qui protège des mètres carrés doit être supporté au premier sens du terme. Je sais que certains maires y sont opposés, d'autres en ont déjà adopté un. Cela signifie qu'il faudra peut être réécrire les schémas de cohérence territoriale (SCoT) d'une manière différente, parce qu'il y a trop de documents à établir. Il faudra que les schémas régionaux soient véritablement des schémas d'aménagement du territoire. Le schéma régional des transports, le schéma régional de développement économique, le schéma régional de la formation professionnelle, le schéma régional des éoliennes, le schéma régional de l'énergie, doivent finir par n'en faire qu'un seul : le schéma régional d'aménagement du territoire partagé.
C'est la raison pour laquelle j'ai proposé de faire confiance aux exécutifs pour s'organiser, en mettant en place des conférences territoriales de l'action publique. Je demande à ce que l'État y soit présent, parce qu'il est le garant de la République, mais aussi pour déléguer une compétence si quelqu'un veut l'exercer. Chez moi, certains élus souhaitent récupérer la compétence de l'eau : pourquoi pas ? Mais il faut que l'État soit à la table pour en discuter les modalités. Après trente ans de décentralisation, l'État doit reconnaître que les exécutifs sont majeurs, matures, et qu'on peut leur faire confiance pour discuter entre eux d'un pacte de gouvernance de leurs compétences.