Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 11 octobre 2006 à 15h00
Motion référendaire sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie — Discussion des conclusions négatives du rapport d'une commission

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Le 25 février dernier, M. de Villepin a légitimé la privatisation au nom du patriotisme économique. C'est le monde à l'envers !

De quel patriotisme économique parlez-vous ? La menace d'OPA d'ENEL n'a jamais existé, tout le montre aujourd'hui. Ce qui apparaît, en revanche, - et vous le dites ! - c'est que GDF et Suez négociaient leur fusion depuis de nombreux mois, voire de nombreuses années, avant 2004, nous a-t-on dit. L'argument de patriotisme économique visait uniquement à valider une opération minutieusement préparée. C'était une manoeuvre grossière.

De quel patriotisme économique parle-t-on, alors que le patrimoine industriel, le bien public est livré aux appétits financiers français et européens, voire - qui pourrait en douter ? - russes un jour, Gazprom étant à l'affût ?

La fusion GDF-Suez rend le futur groupe opéable. Seule la maîtrise publique peut empêcher les requins de la finance d'agir. C'est donc l'antithèse du patriotisme économique que vous défendez.

De quel patriotisme parle-t-on, alors que c'est la Commission européenne, plus précisément l'ultralibérale commissaire européenne Mme Nelly Kroes, qui est aux commandes pour décider des conditions de la fusion future ?

Le 28 septembre dernier, cette nouvelle « dame de fer » s'est déclarée prête à ouvrir le secteur de l'énergie « de force ».

Cette dame, l'UMP et le Gouvernement ont-ils oublié le 29 mai 2005 ? Ce jour-là, une forte majorité a, malgré une pression médiatique intense, rejeté les bases libérales de l'Europe et condamné le déficit démocratique qui caractérise le fonctionnement de l'Union européenne. Voilà ce qui a changé depuis 2004, monsieur le rapporteur !

Au lendemain du référendum, - je ne vais pas reprendre mon carnet de citations, je vous en fais grâce ! - tout un chacun soulignait la nécessité de restaurer le lien démocratique entre l'Europe et les peuples.

Ces belles paroles, comme d'autres, sont déjà oubliées. Le Gouvernement livre la maison GDF, et, bientôt, EDF, à ces agents des intérêts financiers européens que sont les commissaires de Bruxelles.

En effet, de quel patriotisme économique nous parle-t-on, alors que les députés communistes et socialistes ont dû batailler afin de pouvoir parcourir, dans des conditions difficiles, la lettre de griefs adressée par la Commission à GDF et à Suez ? Et encore, dans le texte mis à disposition, dans une salle où même les téléphones portables étaient interdits, des passages entiers avaient été noircis !

Je regrette une nouvelle fois que la commission des affaires économiques, en particulier le président Emorine, n'ait pas daigné insister pour auditionner Mme Kroes. L'avenir de GDF ne justifiait-il pas une telle insistance et un changement d'agenda ?

La question européenne est une nouvelle fois au centre des débats, que vous le vouliez ou non, messieurs les ministres, mesdames, messieurs de la majorité.

En 2004, M. Poniatowski insistait sur le caractère irréversible du processus de libéralisation de l'énergie. Mais au nom de quel principe politique ou philosophique des décisions seraient-elles irréversibles ? C'est qui, c'est quoi, l'Europe, si ce n'est des gouvernements ?

Le traité constitutionnel était une évidence incontournable. Le repousser menait l'Europe au cataclysme, à l'effondrement. L'irréversibilité du processus était là aussi invoquée.

J'estime, pour ma part, que la démocratie exige la réversibilité. Rien n'est gravé dans le marbre. Les directives européennes en matière de libéralisation de l'énergie doivent pouvoir être renégociées.

Ce sera un objectif important d'une gauche à nouveau au pouvoir. En tout cas, c'est ce que je souhaite.

Il s'agit d'une question de volonté politique. Ce sera difficile, mais c'est possible, en s'appuyant sur notre peuple, sur les peuples qui subissent cette Europe non démocratique et dont les objectifs sont essentiellement financiers.

Écouter le 29 mai 2005 sans le diaboliser, c'est entendre cette aspiration au débat à la vraie politique, fondée sur le bilan et sur la poursuite de l'intérêt commun.

Écouter le 29 mai 2005, c'est en tirer les leçons en se rendant à Bruxelles avec un mandat : plus de démocratie, plus de justice sociale et la remise en cause des directives d'inspiration strictement libérale, au premier rang desquelles celles qui sont relatives aux services publics, auxquels notre peuple est attaché, comme, d'ailleurs, beaucoup d'autres peuples européens.

Le 29 mai 2005 a, en effet, été également un moment de l'expression d'un fort attachement au service public. N'oubliez pas, messieurs les ministres, qu'au-delà des 94 % du personnel de Gaz de France qui ont repoussé le démantèlement de leur entreprise, c'est le peuple qui refuse la privatisation de ses biens.

Votre mandat, après le 29 mai 2005, était non pas d'enfoncer le clou libéral, mais de prendre à contre-pied les politiques européennes de l'énergie mises en oeuvre jusqu'à présent.

Décidément, parler de patriotisme économique dans ces conditions relève de la provocation, alors que nous assistons à une liquidation en règle du bien public de deux piliers de notre société démocratique.

Tout justifie le recours au référendum. Le peuple doit pouvoir se prononcer pour le respect du droit à l'énergie dans notre pays.

Avec ce texte, messieurs les ministres, vous foulez aux pieds ce droit élémentaire à se chauffer, à être éclairé, à se déplacer. Le droit à l'énergie est indissociable de l'idée même de justice sociale, d'égalité.

Vous avez tenté de masquer la déréglementation massive, la casse de l'outil public par de bien modestes mesures en matière de tarifications sociales, qui seront rapidement réduites à néant par le pilonnage du marché et les exigences de rentabilités des actionnaires.

L'augmentation des tarifs est inéluctable. Chacun le sait, mais seule l'opposition le dit. Vous refusez de livrer un bilan détaillé, honnête, des premiers effets de la libéralisation.

Or, de très nombreuses PME cherchent à rejoindre le secteur réglementé de l'énergie, écrasées par les augmentations de tarifs dans le secteur libéralisé.

L'appétit des actionnaires n'est pas la seule cause de l'augmentation future des tarifs. Les exigences de la Commission européenne en matière de réduction, voire de mise en cause des contrats d'approvisionnement à long terme, alimenteront la tension sur les prix. L'augmentation des tarifs sera sans nul doute l'une des premières conséquences de la privatisation.

Cependant, comme je l'ai évoqué voilà un instant, EDF est directement menacée par ce projet de loi. En effet, séparée de son partenaire gazier, elle sera face à un nouveau concurrent à l'offre plus importante. Du fait de cette fusion, Suez va en effet disposer du listing des onze millions de clients de GDF à qui le nouveau groupe pourra proposer une offre intégrée incluant gaz et électricité. Il s'en frottait d'ailleurs les mains dès le départ.

La concurrence à outrance entre ces deux groupes, EDF d'un côté, GDF-Suez de l'autre, se fera au détriment de l'investissement à long terme en matière de recherche pour diversifier les sources d'énergie, et en matière de sécurité pour la gestion du parc nucléaire.

N'est-il pas inquiétant, d'ailleurs, d'observer la manière dont Suez, sur les sommations de la Commission européenne, cherche à se débarrasser de ses centrales nucléaires belges ?

Sur ce point, j'ouvre une brève parenthèse : n'est-il pas effrayant de constater la course entamée par EDF pour s'implanter sur le marché du gaz et par le futur groupe GDF-Suez pour s'implanter sur le marché électrique ?

Toute personne, qu'elle soit ou non spécialiste des questions économiques, pourra constater une situation « abracadabrantesque » : alors que la France disposait de deux entreprises publiques de renommée mondiale, d'une puissance reconnue, à l'abri des appétits financiers, agissant en cohérence et pour le bien commun, outils d'une lutte décisive pour l'environnement et la recherche pour les énergies du futur, les libéraux, ce gouvernement, détruisent d'un coup de pied le fruit de décennies de labeur. Vous jouez, messieurs les ministres, contre votre camp, vous jouez contre le progrès, pour la seule satisfaction, immédiate et sans lendemain, du capital.

Vous allez réussir à mettre en concurrence et, je le crains, à lancer dans une guerre fratricide deux entités industrielles remarquables.

Bien entendu, tout cela est une question de point de vue. Je vous parle d'incohérence, car je me situe sur le plan de l'intérêt général.

Du point de vue des futurs actionnaires, la cohérence est évidente : ils n'ont que faire de la satisfaction de la plus grande masse tant que leur porte-monnaie se remplit.

Notre appel au peuple se fonde également sur cette urgence, la défense de l'intérêt général, la lutte contre ces intérêts particuliers d'une élite financière qui sape notre modèle social et peut-être notre démocratie.

Cependant, les atermoiements de ces derniers mois, des dernières semaines, des derniers jours sont surprenants, inquiétants.

Pouvez-vous aujourd'hui, messieurs les ministres, dresser pour la représentation nationale un tableau de l'état des négociations entre Suez et GDF d'une part, entre le futur groupe et la Commission européenne d'autre part ? Pouvez-vous nous donner votre opinion sur l'avenir d'EDF dans ce cadre ? Jusqu'à présent, vous ne l'avez pas fait.

Je connais votre opinion, que vous avez maintes fois répétée : les parlementaires sont là pour discuter de l'ouverture du marché à la concurrence, de son principe, et certainement pas pour s'occuper des affaires des actionnaires. « Circulez, il n'y a rien à voir ! », en quelque sorte.

Cette conception du Parlement ne me semble pas conforme à une vision républicaine de nos institutions : tout ce qui concerne l'intérêt général, l'intérêt national, doit être débattu au Parlement, quels que soient les intérêts privés mis en oeuvre. Si des secrets doivent être préservés, des procédures existent, comme la réunion du Sénat en comité secret.

Il me semble que les parlementaires doivent être pleinement informés des tractations en cours. Nous constatons que la réponse de GDF à la lettre de griefs a été communiquée aujourd'hui seulement. Quelles recommandations la Commission européenne s'apprête-t-elle à formuler ? Quelles seront les conséquences sur l'emploi ? Comment répondez-vous, messieurs les ministres, à cet audit indépendant qui estime que 20 000 emplois seront supprimés dans les années à venir à GDF ? Vous prétendez que ce n'est pas vrai. Piètre réponse !

Les informations de ces derniers jours sur le devenir des centrales nucléaires belges détenues par Suez sont inquiétantes : on joue manifestement avec la sécurité, ces centrales changent de main chaque jour, tout cela pour permettre de parvenir coûte que coûte à cette fusion dont vous n'avez pas prouvé l'utilité publique.

Est-il vrai, messieurs les ministres, que EDF pourrait racheter certaines de ces centrales ? Ce serait un comble ! Les fonds publics, une nouvelle fois, permettraient à une opération de privatisation de se réaliser. C'est EDF qui financerait partiellement le démantèlement de son entente historique avec GDF. On croit rêver !

Vous ne voulez pas parler de la fusion entre Suez et GDF car, selon vous, ce ne sont pas les affaires du Parlement.

Or, M. Lenoir lui-même, rapporteur de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, n'avait-il pas envisagé un plan B qui maintenait la maîtrise publique sur des activités essentielles de GDF ? Il a même présenté sa proposition devant ladite commission le 26 juillet dernier. M. Poniatowski avait d'ailleurs alors déclaré que cette proposition méritait d'être étudiée. M. Devedjian lui-même n'a-t-il pas présenté un plan C ?

Enfin, comment ne pas rappeler la proposition de loi présentée par M. Daubresse et des parlementaires de l'UMP, qui prônaient la fusion entre EDF et GDF dans un cadre public ? Votre réponse est consternante : « Trop tard ! », « Bruxelles n'en voudrait pas ! »

Je me permets de formuler trois objections. D'abord, la Commission, pour donner son avis, devrait déjà être saisie. Ensuite, aujourd'hui, les directives sont contestées par l'Allemagne, le Portugal et l'Espagne, qui s'engagent dans des projets de fusion entre leurs opérateurs nationaux ; si la France s'engageait dans cette voie, cela aurait du poids. Enfin, avant de dire que Bruxelles n'en veut pas, battez-vous pour y arriver !

La fusion entre EDF et GDF est naturelle. La constitution d'un pôle public de l'énergie s'impose. La France serait bien le seul pays où l'État se désengage en matière énergétique. Il faut en débattre en levant le préalable un peu facile des oppositions de la Commission européenne.

Examinons d'abord ce qui est bon pour notre peuple, pour les peuples européens, et nous parlerons avec Mme Kroes ensuite !

Un grand débat national doit donc s'engager, messieurs les ministres, sur l'avenir du secteur de l'énergie. Tous les arguments doivent être présentés et les différentes stratégies confrontées dans la clarté. La dissimulation que j'évoquais ne doit plus être de mise. Ce grand débat national doit avoir pour conclusion la consultation populaire, c'est-à-dire le référendum.

Pour ceux qui l'auraient oublié, je rappelle à mon tour que c'est en 1995 que le champ du référendum a été élargi au service public. M. Jacques Toubon, alors garde des sceaux, avait justifié cette modification de la Constitution devant le Sénat, le 24 juillet 1995. À ses yeux, il importait effectivement que le référendum puisse englober les instruments de mise en oeuvre de la politique économique et sociale que constituent les services publics.

Si cela n'est pas considéré comme un sujet de référendum, je ne sais vraiment pas ce qui pourrait l'être !

M. Toubon avait également indiqué : « Les priorités que le Président de la République a assignées au Gouvernement pour les années à venir sont économiques et sociales. L'extension du champ du référendum à ces matières doit permettre de conduire des politiques audacieuses et consensuelles. »

Aïe, aïe, aïe, messieurs les ministres ! À l'évidence, les politiques de privatisation entrent dans un tel cadre, et la demande de référendum que nous formulons aujourd'hui est donc pleinement fondée constitutionnellement.

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