La séance est ouverte à quinze heures.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de trois sénateurs appelés à siéger respectivement au sein du conseil d'administration de la société Radio France, du conseil d'administration de la société France Télévisions et du conseil d'administration de la société Radio France Internationale.
Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires culturelles à présenter une candidature pour chacun de ces organismes extraparlementaires.
Les nominations auront lieu ultérieurement dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport sur l'application de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, conformément à l'article 22 de cette même loi.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des affaires culturelles et sera disponible au bureau de la distribution.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie (no 3, 2005-2006 ; n° 6, 7).
La discussion générale a été close.
Nous allons maintenant entendre la réponse du ministre aux orateurs.
La parole est à M. le ministre délégué.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Je tiens d'abord à remercier toutes celles et tous ceux qui sont intervenus hier au cours de la discussion générale pour défendre leurs arguments.
Au fond, même si beaucoup d'entre eux ont des divergences de vues sur les réponses à apporter, je constate que le diagnostic est commun, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent.
Nous sommes en effet tous conscients des tensions structurelles sur le marché des hydrocarbures et du gaz, de la concentration des approvisionnements sur quelques pays et de la nécessité de mener de grandes politiques en faveur des économies d'énergie et des énergies renouvelables.
On a beau chercher, ce n'est pas en France que l'on trouvera le gaz nécessaire pour notre consommation. La France est donc forcément particulièrement dépendante dans le domaine des hydrocarbures.
Par ailleurs, vous avez tous rappelé le rôle joué actuellement par les collectivités locales et l'importance des responsabilités que nous leur avons confiées. Nous n'avons absolument pas l'intention de les remettre en question.
Notre débat a été particulièrement riche et, au-delà des divergences de vues que je viens d'évoquer, tout le monde a largement constaté que le contexte dans lequel nous vivons nous oblige à évoluer.
Je voudrais remercier tout particulièrement M. le rapporteur, qui a su, en un temps limité, pleinement saisir tous les enjeux et faire des propositions très importantes visant notamment à améliorer la Commission de régulation de l'énergie et la tarification, mais nous y reviendrons lors de l'examen des amendements.
S'agissant du domaine énergétique, je suis convaincu que ce projet de loi répond aux questions que se posent aujourd'hui Gaz de France et nos concitoyens. Certes, je le sais, notre texte est perfectible. Les pistes que vous avez esquissées, monsieur le rapporteur, sont évidemment très intéressantes, et je peux d'ores et déjà vous indiquer que nous les soutiendrons.
Je remercie également le rapporteur pour avis de son exposé très brillant. Il a souligné l'intérêt de ce projet de loi non seulement pour l'État actionnaire - un point qui devait être explicité, car le Gouvernement ne l'avait pas fait dans son exposé liminaire -, mais également pour l'État régulateur, avec l'action spécifique, point sur lequel il propose d'apporter des améliorations. M. Marini a parlé des enjeux de la Commission de régulation de l'énergie et du tarif de retour. Je ne partage pas toutes ses conclusions en la matière, mais je suis persuadé que nous aurons à ce sujet un débat de très grande qualité.
Monsieur Emorine, en tant que président de la commission des affaires économiques, vous avez partagé, depuis plusieurs mois en réalité, nos efforts et nos réflexions, et vous avez montré dans votre exposé quelles étaient les limites des solutions préconisées par les socialistes : il est plus facile de s'opposer que d'agir !
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Nous avons choisi de présenter ce projet de loi, et je vous remercie, monsieur Emorine, d'avoir souligné cette grande différence entre l'opposition et le Gouvernement.
M. Retailleau a été particulièrement brillant dans sa démonstration et dans la synthèse de tous les enjeux de l'énergie qu'il a présentée. Comme lui, je suis convaincu que, face à la situation internationale, les réponses sont notamment dans le nucléaire et le gaz naturel liquéfié. Qui plus est, à la base, se fait sentir un grand besoin d'investissements dans tous les domaines.
J'ai aussi noté son attachement au service public. Nous avons la volonté de faire respecter tous les engagements de service public de Gaz de France.
Monsieur Coquelle, je ne suis pas sur la même longueur d'onde que vous !
Sourires
J'ai évidemment pris bonne note de vos interrogations, mais je suis persuadé que nous aurons l'occasion de les approfondir au cours de la discussion des amendements.
Je veux maintenant revenir sur quelques sujets que vous avez vous-même examinés.
Vous avez tout d'abord déploré une remise en question du service public. Il faut dire que les directives européennes ont déjà fait l'objet d'une transposition dans notre droit interne, notamment dans les lois de 2000, 2003 et 2004, qui précisent très exactement les obligations de service public auxquelles sont soumis les opérateurs, tant EDF que GDF. Par conséquent, ce texte est exactement le contraire d'une remise en cause ; c'est plutôt un approfondissement de leurs obligations de service public, que nous avons déjà fait avec la loi de 2004 et que nous continuons de faire avec ce texte.
Vous pensez que nous voulons la fin des tarifs réglementés. Mais où allez-vous chercher cela ? L'article 4du projet de loi vise justement à permettre la poursuite des tarifs réglementés. Si nous ne transposons pas ces directives européennes, celles-ci s'appliqueront de facto, et elles prévoient ce que l'on appelle « l'éligibilité des consommateurs ». Dans notre droit interne, comme clients éligibles, nous n'avons jusqu'à présent retenu que les consommateurs professionnels. Mais si, aujourd'hui, nous ne faisons rien, les tarifs réglementés disparaîtront le 1er juillet 2007.
C'est pourquoi nous voulons, avec ce projet de loi, maintenir les tarifs réglementés, ...
...tout en proposant l'éligibilité, c'est-à-dire permettre à ceux qui le souhaitent de faire appel à un autre distributeur. Nous faisons donc en sorte que tout le monde puisse continuer de bénéficier des tarifs réglementés. C'est tout le contraire de ce que vous nous reprochez de faire.
Vous indiquez que nous aurions dû au préalable faire un bilan de la situation. Je suis d'accord avec vous.
Mais la Commission européenne, à ce jour, ne l'a toujours pas fait !
Nous avons demandé au Conseil supérieur de l'énergie de faire un bilan en France.
Présidé par Jean-Claude Lenoir, rapporteur sur ce texte de l'Assemblée nationale, et dont le vice-président est votre collègue Henri Revol, ce conseil a réalisé un travail très approfondi pour la préparation de ce texte.
Par ailleurs, vous souhaitez, monsieur le sénateur, défendre les entreprises. Mais, nous aussi, puisque nous mettons en place un tarif transitoire de retour, qui a été adopté par l'Assemblée nationale. Nous aurons l'occasion d'y revenir longuement ultérieurement, car M. le rapporteur a déjà annoncé un excellent amendement sur ce sujet, visant à faire en sorte que nos entreprises puissent bénéficier des meilleurs tarifs possible. Le texte tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée nationale a d'ores et déjà prévu d'inscrire un impératif en la matière, mais je suis persuadé que nous allons encore améliorer sa rédaction.
Enfin, vous nous reprochez de tenter de supprimer la péréquation des tarifs de distribution du gaz. Là encore, je suis surpris, car la péréquation est précisément l'objet de l'article 8 du projet de loi. Par conséquent, je vous invite, monsieur le sénateur, à mieux lire le projet de loi que nous vous avons soumis. Il est vrai que la lecture est compliquée par de fréquentes références à d'autres textes, ...
...mais l'examen des amendements nous donnera sûrement l'occasion d'approfondir cet article.
Monsieur Courteau, bien sûr, je ne suis pas non plus sur la même longueur d'onde que vous ; je le regrette, et je crois très important d'apporter des réponses précises à vos interrogations, et d'abord à vos interrogations sur la « précipitation » et la « remise en cause des engagements de l'État ».
Le marché des hydrocarbures est aujourd'hui marqué par une multiplication des prix de 2, 5 depuis 2004 et par une tension structurelle entre l'offre et la demande, situation qui frappe tout particulièrement le marché du gaz puisque environ 60 % des réserves mondiales de gaz dans le monde sont détenues par trois pays seulement, la Russie, l'Iran et le Qatar.
Dans cette situation, la nécessité d'assurer la sécurité d'approvisionnement de notre pays, en quantités suffisantes et avec une continuité de fourniture, pour tous les consommateurs et notamment pour notre industrie, nous impose de remplir un certain nombre de conditions.
Or, une de ces conditions est notre capacité à accéder à l'amont gazier et à signer de grands contrats à long terme, raison pour laquelle nous devons donner à GDF, dont la taille n'est pas appropriée actuellement, les moyens de s'agrandir, et les moyens de le faire non pas en recourant à des emprunts pour acquérir des sociétés, comme jadis France Télécom avec Orange - et je remercie M. Hérisson d'avoir relaté cet épisode -, mais plutôt par le biais d'augmentations de capital et d'échanges d'actions, ...
...c'est-à-dire sans peser sur ses capacités d'investissement dans les gisements et dans les contrats à long terme.
C'est ce qui a amené le Gouvernement à proposer ce projet de loi au Parlement.
Vous vous êtes inquiété du risque pour EDF d'être, de ce fait, confronté à un nouveau concurrent plus dangereux que les concurrents actuels, mais, monsieur Courteau, EDF a déjà dans Suez un concurrent actif et, d'un autre côté, il est lui-même actif dans le secteur du gaz. La concurrence entre EDF, GDF et Suez est donc déjà une réalité.
Vous supposez par ailleurs que le mariage entre Gaz de France et Suez donnera à ce dernier accès à des informations sur EDF, mais apprendre que l'électricité de pratiquement tous les foyers français leur est livrée par EDF n'aura vraiment rien d'une information extraordinaire pour Suez ! Ce n'est donc pas un changement.
Je le répète, nous attendons de Gaz de France-Suez qu'il porte ses efforts sur la sécurité d'approvisionnement en gaz de notre pays, c'est-à-dire sur l'accès à l'amont gazier, et se montre donc particulièrement performant sur les contrats de long terme de gaz.
Vous craignez par ailleurs que la privatisation de Gaz de France n'entraîne un risque tarifaire : selon vous, si des actionnaires privés détiennent le capital de Gaz de France, l'État ne pourra plus imposer une régulation des tarifs comme il le fait aujourd'hui. D'abord, il y a déjà des actionnaires privés dans Gaz de France. Ensuite, le mécanisme de fixation des prix que vous connaissez continuera à jouer, d'autant que vous allez probablement voter un accroissement des compétences et des responsabilités de la Commission de régulation de l'énergie, qui joue un rôle déterminant dans le dispositif...
...et qui interviendra de manière indépendante dans l'établissement de la politique tarifaire, laquelle sera au contraire renforcée.
Enfin, comme vous, je suis un ardent défenseur de la politique européenne de l'énergie, mais encore faut-il s'entendre sur ce que signifie une politique européenne de l'énergie et sur ce que l'on en attend, sujet sur lequel la discussion des amendements devrait d'ailleurs souvent nous donner l'occasion de revenir.
Première remarque, la politique européenne de l'énergie, aujourd'hui, c'est l'application des directives, et ce projet de loi vous permet de constater que nous veillons à appliquer ces dernières « à la française » : si nous nous contentions de les appliquer, cela ne vous satisferait pas du tout.
Deuxième remarque, nous avons déposé à la Commission et au Conseil un mémorandum sur l'Europe de l'énergie. Ce mémorandum a bien des points communs avec le livre vert de la Commission sur l'énergie, et nous sommes encore en train de franchir de nouvelles étapes dans ce domaine.
À la base, sont nécessaires des politiques communes et des objectifs communs sur les économies d'énergie et les énergies renouvelables ainsi qu'un diagnostic commun sur le « mix énergétique », sur les différentes énergies et leurs vertus, et sont indispensables des investissements.
Par exemple, si la Pologne, qui reçoit presque entièrement son gaz de la Russie, veut être plus indépendante ou plus sûre de son approvisionnement, son intérêt est d'avoir des tuyaux qui lui amènent du gaz d'ailleurs. C'est donc bien un problème d'investissements à réaliser, investissements qui pourront se traduire un jour par un terminal méthanier sur un port polonais ou par des canalisations, des pipes venant d'ailleurs que de la Russie.
Pour l'heure, on peut dresser la liste de ce type de décisions mais il appartiendra à chaque pays ou à chaque entreprise dans ces pays de les mettre en oeuvre.
En matière de politique européenne de l'énergie, il reste beaucoup à faire, ...
...mais soyez certain que la France se montre particulièrement dynamique puisque c'est elle qui présente les propositions à la Commission dans ce domaine.
Monsieur Deneux, vous avez rappelé que la crise de l'énergie que nous connaissons constituait à la fois un problème économique et un problème géopolitique. Le présent projet de loi tente de répondre aux deux enjeux que sont la transposition et la nécessité de donner à Gaz de France la capacité de se battre dans ce contexte.
Vous avez également insisté sur l'attachement européen de l'UDF. Je viens d'évoquer la façon dont la France s'attache à faire avancer la politique européenne de l'énergie. J'ajoute que la transposition des directives n'est pas en elle-même l'alpha et l'oméga de la politique européenne : nous devons les transposer à notre manière, en les respectant mais en faisant en sorte que leur transcription soit conforme à nos intérêts.
Vous avez également proposé, et je vous remercie d'avoir abordé la question, que des discussions soient menées avec nos partenaires sur les prix de l'électricité en tenant compte de l'incorporation, depuis l'année dernière, du coût des quotas de CO2, aucun producteur d'électricité en France n'ayant en fait eu à le supporter. C'est une autre raison de la nécessité du tarif transitoire de retour, qui permet un ajustement par rapport au supplément indûment payé sur le compte des quotas de CO2.
Vous avez parlé de l'ouverture des marchés et de la nécessité d'investir massivement pour les rééquilibrer. Il est vrai que les quotas de CO2 ont leur part dans l'augmentation des prix, mais cette dernière s'explique aussi par les besoins en capacité de production à l'échelon européen, lesquels sont très élevés.
Nous en avons clairement conscience en France. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a soutenu à la fin de l'année dernière la volonté de EDF d'investir 40 milliards d'euros sur cinq ans dans de nouvelles capacités de production et de transport afin de se donner la meilleure position et d'assurer la plus grande sécurité à nos consommateurs dans le domaine de l'électricité.
Je remercie M. Revol de son analyse exhaustive et pertinente du projet de loi, qui prépare en effet avant tout une ouverture maîtrisée des marchés, ce qui est une autre manière de dire que les directives doivent être transposées « à la française ».
M. Revol a insisté sur les avancées essentielles que sont le tarif de retour et le tarif social du gaz pour mieux protéger nos compatriotes démunis.
Il a également souligné la volonté du Gouvernement de préserver le statut de branche du personnel des IEG, les industries électriques et gazières, sur lequel nous avions déjà donné au printemps des assurances aux partenaires sociaux que nous avions rencontrés avant le dépôt du projet de loi. Je veux réaffirmer ici que nos intentions ne sont absolument pas de modifier ce statut.
M. de Montesquiou a rappelé le contexte énergétique mondial et a avancé des raisons supplémentaires de mener une politique indispensable, tout particulièrement pour permettre à Gaz de France d'augmenter la part de l'amont gazier dans son portefeuille d'activités.
Madame Beaufils, vous vous êtes interrogée sur la constitutionnalité du texte, question que les débats nous amèneront souvent à aborder, mais je puis vous dire d'emblée que nous avons, évidemment, pris des précautions au préalable. Nous avons interrogé le Conseil d'État et sa réponse est sans équivoque : la privatisation de Gaz de France est possible.
Bien entendu, nous ne remettons pas en cause les missions de service public ...
Vous avez également craint des hausses de tarifs. J'ai déjà parlé du tarif social du gaz. Je rappelle par ailleurs qu'au début de l'année, alors que Gaz de France demandait à augmenter ses tarifs de 8 % pour tenir compte de la très importante hausse sur le marché à l'achat du gaz, après avoir fait faire une analyse par la CRE et par des experts indépendants, nous avons finalement décidé une augmentation de 5, 8 %, soit moins que ce que nous demandait l'entreprise et même moins que ce que préconisait la CRE, cela afin d'être plus proches du consommateur et de tenir compte de l'ensemble des éléments de la situation de Gaz de France.
Vous avez noté les uns et les autres que Gaz de France avait de bons résultats. Ils sont largement liés à son activité internationale et non pas à une hausse excessive des tarifs.
Madame Luc, le prix international du gaz entre pour à peu près 50 % dans le prix français du gaz. Nous sommes obligés d'en tenir compte !
On verra si la France continuera à être le pays où le gaz est le moins cher !
Madame Beaufils, si, comme vous l'avez rappelé, l'action spécifique n'a pas été acceptée pour certains pays par la Commission européenne, nous avons au contraire un accord du commissaire McCreevy.
D'ailleurs, il y a d'autres actions spécifiques, par exemple celle de la Belgique pour Fluxys et Distrigaz.
Vous verrez cette lettre si vous le souhaitez, mais vous l'avez sans doute déjà lue puisque nous l'avions mise à la disposition des groupes du Sénat.
M. Daniel Raoul se préoccupe de la défense du service public. C'est pourtant le contrat de service public que nous avons mis en avant au travers des lois de 2004 et de 2005.
Dans tous les domaines que vous avez mentionnés, monsieur le sénateur, ce projet de loi apporte des avancées importantes.
Vous avez mentionné le critère de l'équilibre social : nous mettons l'accent sur le tarif social du gaz et nous améliorons le tarif social de l'électricité.
Vous avez mentionné le critère de la qualité : nous faisons figurer dans les obligations de service public de très nombreux critères de qualité qui sont nécessaires pour tous les fournisseurs.
Bref, vous le constatez, nous sommes extrêmement attentifs à tous ces points.
M. Fourcade nous a rappelé les constats dont il fallait partir : transposition des directives européennes, hausse importante des prix, concentration des producteurs entre Gazprom et la Sonatrach.
Il est vrai que l'enjeu porte sur l'accès stratégique aux ressources. C'est pourquoi ce projet de loi permet l'émergence, au sein de la compétition internationale qui fait actuellement rage, d'un groupe qui ne soit pas simplement le distributeur français, mais qui puisse disposer de son propre amont gazier et d'une partie de son approvisionnement.
Tel est l'objectif et pour l'atteindre il faut changer de direction.
Vous avez rappelé que la baisse des prix de l'énergie fossile est une illusion. Il est vrai qu'aujourd'hui nous connaissons les prévisions d'investissement et les prévisions de consommation. Or nous savons que l'écart entre ces deux paramètres fait que les tensions dureront forcément et que le coût d'investissement concernant les nouveaux gisements est tel que le prix de revient sera forcément du même ordre que celui que nous connaissons actuellement.
Contrairement à ce que nous avons connu dans les années soixante-dix, lors de la première crise du pétrole, où un oligopole s'était formé, nous nous trouvons aujourd'hui dans une crise structurelle. Il nous faut donc en tenir compte et tirer toutes les conclusions le plus vite possible.
Monsieur Le Cam, vous nous avez rappelé qu'à la Libération la France avait mis en place une politique de l'énergie. Nos choix pour le nucléaire s'inscrivent dans la continuité de cette politique avec le lancement de l'EPR, l'European pressurised reactor, décidé dans la loi de 2005 et dont l'implantation a été décidée à Flamanville.
Concernant le bouquet énergétique, vous me demandez, monsieur le sénateur, si nous avons bien accordé les moyens nécessaires en faveur des économies d'énergie et du développement des énergies renouvelables.
Effectivement, depuis quelques mois, des arrêtés permettent de garantir le rachat de l'électricité produite par les éoliennes et par les cellules photovoltaïques à un prix qui rentabilise ces éoliennes et ces cellules photovoltaïques. Ces mesures encouragent donc nos concitoyens à installer ce type de matériel.
Nous avons donc affaire à un dispositif très large, qui nous permettra sans doute de changer notre bouquet énergétique. Vous retrouverez tous ces points développés dans la programmation pluriannuelle des investissements que j'ai transmise au Parlement et dans laquelle se trouvent affichés effectivement à la fois des ambitions extrêmement fortes pour le développement de ces énergies renouvelables qui viennent en substitution au pétrole et les moyens correspondants.
Je veux répondre à la question qui a été posée à plusieurs reprises au sujet du projet EDF-GDF. Certes, Thierry Breton ou d'autres avant moi ont déjà parlé longuement de l'expérience du Portugal et des différentes analyses qui ont été faites, et nous aurons sans doute l'occasion d'aborder de nouveau ce sujet lors de l'examen de l'article 10.
Il ne faut pas se bercer d'illusions : imaginer que cette solution est possible est une erreur aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle le texte que je vous présente prévoit de faire grandir GDF en lui offrant la possibilité de se marier avec une entreprise comme Suez.
M. Jean-Michel Baylet a repris beaucoup de ces éléments, et il a notamment insisté sur la nécessité de veiller sur l'emploi. Je profite de cette occasion pour répondre à une interrogation qui s'est fait jour dans la presse pendant les débats à l'Assemblée nationale au sujet de la suppression de 20 000 postes chez EDF-GDF Services.
Tout ça parce qu'un cabinet d'études, Secafi Alpha, a cité une étude d'une banque et que cette étude montre qu'une baisse des effectifs de 10 % augmenterait la rentabilité de l'entreprise ! On en a donc ainsi déduit qu'une baisse de 20 000 effectifs augmenterait la rentabilité et que 20 000 emplois seraient par conséquent supprimés !
Mais il n'y a aucune raison d'imaginer
Vives protestations sur les travées du groupe CRC
EDF-GDF Services est aujourd'hui une entreprise chargée de l'entretien des réseaux. Or ces réseaux d'EDF et de GDF n'ont aucune raison de diminuer, ni en nombre de kilomètres ni en coût d'entretien !
L'expérience a montré que ce sont toujours les salariés qui trinquent !
Il est question d'EDF-GDF Services. Je réponds donc à la question que plusieurs sénateurs m'ont posée, notamment Jean-Michel Baylet.
La tâche d'EDF-GDF services consiste à entretenir les réseaux. La dimension des réseaux n'a aucune raison de diminuer.
Par conséquent la quantité de travail nécessaire restera probablement la même dans ce domaine.
M. Sergent m'a interrogé sur les conséquences qu'aurait ce texte au niveau des réseaux de distribution.
Je veux le rassurer complètement. J'aurai l'occasion de le faire plus précisément lorsque nous examinerons les amendements, mais je peux d'ores et déjà le tranquilliser sur le maintien de l'existant : la propriété des réseaux par les collectivités est réaffirmée dans le projet de loi, le monopole des concessions à GDF est maintenu et GDF aura encore plus de moyens pour entretenir les réseaux, un service commun entre EDF et GDF chargé de la maintenance des réseaux est maintenu - c'est l'article 7 du projet de loi -, le contrat de service public entre l'État et GDF est maintenu, fixant en particulier les objectifs de proximité et de garantie de suivi du service des usagers, la péréquation est maintenue.
Tout cela figure dans le texte du projet de loi.
Il s'agit donc d'inquiétudes injustifiées.
M. Xavier Pintat a fait part de son soutien à ce texte, et je l'en remercie. Il nous a rappelé l'importance de l'échelon de proximité, qui est l'échelon nécessaire pour une organisation efficace. Il propose dans un certain nombre de domaines d'aller plus loin et il a déposé des amendements en ce sens. Grosso modo, je serai favorable à presque tous ces amendements.
L'intervention de M. Jean-Marc Pastor appelle plusieurs mises au point.
On ne peut pas dire, même si cela vous arrange, monsieur Pastor, qu'un rapprochement entre Suez et GDF n'apporte rien sur la maîtrise de l'amont gazier : on crée quand même un des leaders mondiaux du gaz naturel liquéfié !
De plus, il est faux d'affirmer que, ce faisant, on crée un concurrent à EDF, car cette concurrence existe déjà.
L'action spécifique offre une réelle protection, notamment pour toutes les infrastructures essentielles. En tout état de cause, cette action spécifique, dont le principe a été validé par le commissaire McCreevy, donne à l'État le pouvoir de s'opposer aux décisions sur toutes les infrastructures de transport, les infrastructures portuaires et les infrastructures de stockage.
En conséquence, nous avons, d'un côté, une minorité de blocage, qui donne beaucoup de garanties, et, de l'autre, une action spécifique, qui en donne d'autres.
Vous voyez donc que l'État s'est doté d'un certain nombre d'outils extrêmement puissants pour continuer à pouvoir intervenir sur tout ce qui concerne la sécurité de notre approvisionnement.
M. Fouché nous invite à agir avec pragmatisme en ce qui concerne le tarif de retour. La meilleure solution est d'envisager effectivement de mettre en place un tarif transitoire. L'Assemblée nationale a voté un dispositif. Si vous l'améliorez, tant mieux !
Il est indispensable, en effet, que nous soyons à l'écoute de nos consommateurs entreprises : leur facture d'électricité ne doit évidemment pas leur créer de problèmes supplémentaires, car elles en ont déjà assez avec le marché en général.
Madame Khiari, vous opposez le projet industriel de Gaz de France et l'intérêt général. Pensez-vous que seule une entreprise qui est publique peut servir l'intérêt général ?
Pour ma part, je constate très souvent que l'intérêt général peut être servi par des entreprises qui ne sont pas publiques !
C'est même une particularité française que l'on appelle le « partenariat privé-public ».
J'ai énoncé tout à l'heure toutes les obligations de service public que doit assurer GDF, j'ai évoqué la minorité de blocage, j'ai parlé du rôle des actions spécifiques : comment ne pas voir à quel point nous faisons peser sur un Gaz de France fusionné des obligations qui servent une politique de sécurité d'approvisionnement, c'est-à-dire une politique de l'intérêt général ?
Est-ce du patriotisme, du nationalisme ? La solution doit-elle être européenne ? Quoi qu'il en soit, nous sommes guidés par le pragmatisme.
Le projet de loi prévoit la possibilité pour Gaz de France de laisser la part de l'État au niveau de la minorité de blocage. Ainsi, Gaz de France pourra s'allier avec un partenaire sans s'endetter ni obérer sa capacité d'investissement, mais au contraire en ayant une capacité d'investissement beaucoup plus grande.
Cette méthode, qui est pour nous sur le plan économique la plus directe, est néanmoins mise en oeuvre avec tous les outils publics que nous conservons.
Ce projet de loi aidera GDF à se développer et à se constituer en géant gazier, premier fournisseur européen et premier fournisseur mondial de gaz naturel liquéfié, le GNL.
Oui, nous maintiendrons les tarifs réglementés ! Oui, toutes les missions de service public seront maintenues !
Ce sont les mêmes garanties que pour les 70 % de la part du capital public !
Je réponds point par point à toutes les craintes que vous avez exprimées, mais je suis persuadé que l'examen des amendements me donnera l'occasion de revenir sur ces sujets dans le détail.
M. Beaumont a dressé un panorama très complet de la situation énergétique française et internationale.
Je partage évidemment son sentiment sur la place essentielle du nucléaire dans le bouquet énergétique français.
Le nucléaire contribue très largement aujourd'hui au respect des engagements en matière de changements climatiques. Grâce au nucléaire, un Français consomme par an 2 tonnes de CO2 quand un Allemand en consomme 3 tonnes.
L'acquis du nucléaire est très important pour le respect des engagements pris lors du protocole de Kyoto.
Concernant le transport d'énergie par canalisations qui tient particulièrement à coeur à M Beaumont, je souligne le renforcement de la réglementation en matière de sécurité opéré par le Gouvernement. Cela va dans le sens des préoccupations de M. le sénateur, et je suis particulièrement vigilant sur ce point.
Cela dit, nous avons réglé une question de sécurité. Or M. Beaumont pensait également à une question de fiscalité. Cependant, j'ai noté qu'il avait l'intention d'évoquer plus particulièrement ce point lors de l'examen du projet de loi de finances. Je ne m'étendrai donc pas plus sur ce sujet.
M. Desessard nous a interrogés sur les autres solutions que nous pourrions mettre en oeuvre pour faire face à la hausse des prix de l'énergie.
Je lui rappelle que la loi de programme du 13 juillet 2005 fixe les orientations et les moyens pour le développement des économies d'énergie et des énergies renouvelables.
Il y a le tarif de rachat de l'électricité, des crédits d'impôt, des « certificats blancs » : un très grand dispositif se met en place, qui a fait faire des bonds en avant à ces équipements. Les chaudières à condensation, les éoliennes sont en train de prendre une tout autre dimension depuis cette loi de programme du 13 juillet 2005.
M. Desessard a également évoqué la nécessité de soutenir les investissements et d'en réaliser de nombreux. Nous avons soutenu EDF dans sa volonté d'engager 40 milliards d'investissements et une programmation pluriannuelle des investissements détaille les priorités d'ici à 2015. Vous le constatez, monsieur Desessard, nous sommes extrêmement actifs dans le domaine de l'investissement.
M. Pierre Hérisson nous a rappelé l'histoire de France Télécom, et je lui ai déjà rendu hommage tout à l'heure pour cette utile comparaison, qui permet de comprendre l'intérêt d'une diminution de la part de l'État dans le capital de Gaz de France.
En effet, l'objectif de l'État ici est non pas de vendre des actions, mais de permettre à d'autres partenaires d'entrer dans le capital de Gaz de France, afin de donner naissance à un groupe qui serait environ deux fois plus gros que l'entreprise actuelle.
M. Michel Teston a dressé un constat qui concorde pour l'essentiel avec le diagnostic que j'avais établi au début de la discussion générale, et avec lequel nous pouvons être d'accord, me semble-t-il, quelle que soit notre appartenance politique.
Oui, la France est dépendante pour son approvisionnement en gaz ! Oui, les actifs stratégiques de ce secteur doivent être protégés ! Oui, nous devons favoriser l'émergence d'acteurs énergétiques plus puissants ! Oui, une politique européenne est nécessaire dans ce secteur !
Certes, mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition, nous divergerons probablement sur le détail de la politique à mener, mais nous pouvons nous accorder sur ce constat.
M. Longuet a souligné qu'il fallait donner à Gaz de France une grande liberté, afin que le groupe puisse trouver les partenaires nécessaires. Aujourd'hui, la minorité de blocage est prévue en fonction d'une répartition du capital qui correspond à l'hypothèse de la fusion avec Suez. Toutefois, il est exact que d'autres scénarios pourraient se produire. Ainsi, lorsque nous avons ouvert le capital d'Air France, cette entreprise a finalement choisi de s'associer avec KLM, plutôt qu'avec Lufthansa. La préoccupation exprimée par M. Longuet est donc fondée.
Néanmoins, nous avons souhaité conserver une minorité de blocage dans Gaz de France, afin de disposer des moyens de mener la politique énergétique que nous croyons nécessaire.
En effet, s'il n'est pas indispensable, selon nous, de détenir la majorité dans l'entreprise, il nous semble utile de disposer d'une minorité de blocage et d'une action spécifique, car ces outils nous permettront de faire adopter les décisions utiles en matière d'infrastructures énergétiques.
Le tarif de retour fera probablement l'objet de longs débats. Il faut, en effet, réfléchir aux finalités du prix de l'électricité. Celui-ci sert à payer la production annuelle « de base » et « de pointe », mais il permet aussi de financer le démantèlement des installations
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame
À quoi servira le tarif de retour ? Comment devra-il être calculé ? Au cours des travaux de l'Assemblée nationale, un plafonnement à une valeur supérieure de 30 % aux tarifs réglementés de vente a été retenu. Nous aurons sans doute l'occasion d'entrer dans le détail de ce mécanisme au cours de nos débats.
Enfin, vous avez évoqué la situation des DNN, les distributeurs non nationalisés, gaziers et électriques. Une fois encore, je serai tenté de renvoyer cette question à l'examen des articles du texte.
D'ores et déjà, il est clair que les DNN gaziers font débat. Certains sénateurs ont déposé des amendements qui tendent à réduire la part des collectivités locales dans leur capital. Nous verrons dans le détail si une telle évolution est envisageable et si elle ne risque pas de susciter des difficultés
Il faut être très attentif, me semble-t-il, aux aspects juridiques du projet de loi, aux souhaits des collectivités locales et au rôle que nous voulons faire jouer à ces dernières dans ce domaine. Il est entendu d'ailleurs, comme nous l'avons inscrit explicitement dans ce texte, qu'il n'est pas question pour nous de toucher à la détention par les collectivités locales des réseaux de distribution.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà les quelques réponses que je souhaitais apporter aux nombreuses questions que vous avez posées hier soir. Je mesure que je n'ai pu satisfaire toutes les interrogations, mais je suis persuadé que, compte tenu du temps consacré à la discussion de ce projet de loi par l'ordre du jour du Sénat, nous aurons l'occasion d'entrer dans les détails.
A pplaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le ministre, merci d'avoir répondu à tous les orateurs. Je crois qu'ils y ont été sensibles.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des affaires économiques sur la motion (n° 8, 2006-2007) de M. Jean-Pierre Bel, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Marie-Christine Blandin et plusieurs de nos collègues tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de sa réunion de ce matin, la commission des affaires économiques a rejeté, comme je le lui avais proposé, la motion n° 8, présentée par plusieurs membres du groupe socialiste et apparentés et du groupe CRC, tendant à soumettre au référendum le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.
En effet, la majorité de la commission a estimé que le Parlement en général et le Sénat en particulier bénéficiaient de toute la légitimité et l'expertise nécessaires pour débattre de ce texte, et notamment de la privatisation de Gaz de France.
Ainsi que je l'ai souligné hier, les assemblées parlementaires ont, au cours de la présente législature, discuté à quatre reprises de projets de loi ayant trait à l'organisation du secteur énergétique.
Certes, l'objectif principal visé par les défenseurs de cette motion est de soumettre à l'appréciation populaire la question de la privatisation.
Toutefois, mes chers collègues - j'attire votre attention sur ce point -, la motion, si elle était adoptée, aurait pour effet de renvoyer au référendum l'ensemble des dispositions du projet de loi. Or celles-ci sont pour la plupart extrêmement techniques et complexes
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame
Ils ont été capables de comprendre le traité constitutionnel sur l'Union européenne !
Comme M. le ministre vient de nous le rappeler, ces dispositions impliquent aussi une décision rapide, compte tenu de l'échéance de l'ouverture du marché énergétique au 1er juillet 2007.
La démarche de la commission des affaires économiques s'inscrit pleinement dans ce cadre, puisque celle-ci a entendu ces derniers mois un grand nombre de personnalités afin d'éclairer ses travaux. Je crois que nous pouvons en remercier M. Emorine.
En tant que rapporteur de ce projet de loi, ma démarche a été similaire : voilà bientôt plus de trois mois que je travaille sur ce texte, pour lequel j'ai entendu plus de 90 personnes issues des différents secteurs concernés.
Mes chers collègues, j'insiste sur les aspects techniques de ce projet de loi. Ils sont multiples, car se trouvent abordées successivement les problématiques relatives à l'ouverture des marchés énergétiques et au caractère éligible des consommateurs, la pérennisation et la sécurité juridique du système tarifaire, l'obligation de séparer en droit les gestionnaires de réseaux de distribution, ou encore, depuis que le texte a été discuté à l'Assemblée nationale, la réforme de la Commission de régulation de l'énergie et la création d'un tarif de retour.
Autant d'aspects qui, vous en conviendrez avec moi, mes chers collègues, ne se prêtent pas aisément à la procédure référendaire ! Celle-ci, par définition, simplifie à l'extrême toute discussion, puisqu'il est uniquement demandé à nos concitoyens de répondre à une question par oui ou par non.
Mes chers collègues de l'opposition, je m'interroge sincèrement sur votre démarche.
Pourquoi n'avez-vous jamais interrogé les Français par voie référendaire sur des sujets importants, sur lesquels ils avaient un avis, ...
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ...et pour lesquels ils auraient aimé qu'on les consulte ! Je pense, par exemple, aux trente-cinq heures.
Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Les Français ont été consultés dans les entreprises ! Et ils ont approuvé à 80 % ! Votre exemple est mal choisi !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je pense également au PACS ou à la peine de mort. Toutefois, mes chers collègues, vous vous êtes bien gardé d'interroger les Français sur ces questions, et je ne me lancerai pas dans un débat sur les raisons qui vous ont conduits à un tel choix. Or que proposez-vous aujourd'hui ? De demander aux Français leur avis sur un sujet éminemment technique, ...
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le rapporteur, acceptez-vous que M. Dreyfus-Schmidt vous interrompe quelques instants ?
Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous aurez le temps de me répondre plus tard ! En tant que rapporteur, depuis le début de ce débat, je respecte la parole de l'opposition et ne l'interromps jamais. À présent, c'est moi qui prends la parole. Que chacun s'exprime à tour de rôle me semble une bonne règle du jeu !
À l'extrême limite, la privatisation de Gaz de France aurait pu faire l'objet d'une procédure de référendum, puisqu'elle se prête à ce genre de question binaire - et encore ! on peut en discuter compte tenu des nombreux aspects techniques de l'opération. Je pense, notamment, à la minorité de blocage ou à l'action spécifique, qui constituent des modalités de la privatisation dont les paramètres pouvaient varier.
Toutefois, pour toutes les autres dispositions du projet de loi, la procédure référendaire est évidemment impossible.
La preuve en est, mes chers collègues de l'opposition, que vous-mêmes - tout comme nous - nourrissez certaines interrogations à propos de ce texte. Cela vous a conduits à déposer plus de 600 amendements - ce qui d'ailleurs me semble normal dans le cadre du bon fonctionnement démocratique de nos travaux.
En tout cas, je m'explique mal que vous suggériez indirectement de faire adopter par les Français, en l'état et sans modification, le texte qui vous est proposé et qui vous inspire, à juste titre peut-être, certaines réserves.
Sourires sur les travées du groupe socialiste.
Plus profondément, une telle proposition reviendrait, en quelque sorte, à nier le principe même de la démocratie représentative...
...dont le fondement est le mandat que nos concitoyens nous accordent, pour une période donnée, d'examiner des propositions politiques et techniques et d'en débattre.
Or du point de vue de la commission des affaires économiques et de la commission des finances, notre assemblée dispose de toute la légitimité nécessaire pour discuter de ce projet de loi.
Mes chers collègues de l'opposition, je note au passage que le référendum est un instrument sur lequel vous aviez émis certaines réserves dans le passé.
Sourires sur les travées de l'UMP.
Je me réjouis que ceux qui étaient réservés hier aient envie, aujourd'hui, d'utiliser plus fréquemment le référendum.
Ce sont les plébiscites que nous avons critiqués, pas les référendums !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Au-delà de ces considérations générales, si je me réfère au texte même de la motion, je puis affirmer, sans trop m'avancer, que nous aurons largement l'occasion de revenir sur toutes les questions que vous évoquez, et pas plus tard que cet après-midi, lors de l'examen des autres motions, si d'aventure nous n'adoptions pas celle-là.
Souriressur les travées de l'UMP.
Mes chers collègues de l'opposition, vous contestez la constitutionnalité du projet de loi. Nous reviendrons sur cette question quand nous discuterons de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, et je vous démontrerai, je l'espère, que ce texte respecte tout à fait la Constitution.
En outre, vous affirmez que ce projet de loi démantèle, pour des raisons idéologiques, les fondements du service public de l'énergie. Là encore, il s'agit d'une contrevérité, comme M. le ministre vient de le démontrer brillamment.
Enfin, vous affirmez que l'État se dessaisit de ses responsabilités dans le domaine de l'énergie, ce qui est totalement inexact au regard du volumineux corpus juridique national encadrant ce secteur.
En définitive, après en avoir délibéré ce matin, votre commission a rejeté la motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui. Elle invite donc la Haute assemblée à faire de même.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes à quelques mois d'une échéance démocratique majeure dans la vie politique de notre pays.
C'est à l'occasion de l'élection présidentielle, en effet, que s'ouvre un grand débat, le grand débat qui permet de déterminer les grands choix qui conditionneront la politique de la France pour les cinq ans à venir.
C'est ainsi : ce sont les Français, qui, prenant à témoin ceux qui concourent à leurs suffrages, tranchent en dernier ressort avec un moyen simple, le bulletin de vote. Cela s'appelle - depuis les origines de la République et même bien avant elle - la démocratie.
À cinq mois de ce moment fort, à quelques semaines de l'entrée en campagne des différents candidats, seul importe de connaître les grands sujets sur lesquels l'élection à venir apportera des éclaircissements. Certes, si tous les points de vue sont légitimes, rien ne serait pire que de cacher la réalité aux Français, en occultant les problèmes ou en essayant de les régler à la sauvette, en catimini.
Alors, répondons à une question simple. L'avenir du secteur énergétique fait-il partie de ces grands sujets, et l'énergie constitue-t-elle réellement un enjeu stratégique majeur pour notre indépendance nationale ? Il nous semble, à nous, membres du groupe socialiste et Verts, comme au groupe CRC, que la question contient déjà la réponse, laquelle, bien entendu, est affirmative.
S'il manquait un seul argument à la longue liste qui plaide en ce sens, j'ajouterais qu'il y va aussi de l'honnêteté et du respect que tout homme public, a fortiori un ministre d'État, doit au pays et au peuple français.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Pour tous ceux qui sont attachés à la revalorisation de l'action publique, à la crédibilité des représentants de la nation, la nécessité de mettre sa parole en adéquation avec ses actes est impérieuse. S'il doit y avoir rupture avec ce qui a été annoncé ou promis, seul le recours au référendum peut valider un changement de cap.
Pourtant, monsieur le ministre, ce n'est pas la voie que le Gouvernement semble prendre.
C'est pourquoi, mes chers collègues, en tant que parlementaires, nous avons, nous, l'obligation de faire usage de ce qui est notre loi commune, la Constitution. Celle-ci prévoit depuis 1995, dans son article 11, que peuvent être soumises à référendum les « réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent ».
J'aurais également pu me référer au neuvième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris dans celui de la Constitution de 1958, qui précise : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »
Nous affirmons donc solennellement que les Français auraient dû être saisis d'une telle décision à l'occasion de l'élection présidentielle.
Cet enjeu devrait être au coeur des grands choix politiques de 2007. Chacun en connaît les données : le réchauffement de la planète, qui pose la question de notre propre modèle de développement ; la fin des énergies fossiles, qui nous oblige à préparer - dès aujourd'hui - une société sans pétrole ; la sécurité des approvisionnements dans un monde marqué par les désordres et les conflits ; l'égal accès de tous à l'énergie dans un contexte de hausse continue des prix des matières premières.
Au lieu de prendre la mesure de ces défis, le projet de loi a pour seul objet de démanteler, pour des raisons idéologiques, les fondements du service public de l'énergie.
Il n'est pas possible, à la veille d'une échéance décisive, de changer les fondements de notre politique énergétique, de modifier la nature des opérateurs, et de décider des regroupements d'entreprises qui vont engager la France pour longtemps.
Le Parlement ne peut délibérer en fin de législature d'un choix aussi lourd pour notre pays. La majorité élue en 2002 n'a pas reçu de mandat des Français pour cela et le Président de la République n'avait fait aucune référence dans son programme à la privatisation de GDF, contrairement à la gauche, monsieur le ministre, qui, en 1997, s'était engagée à entreprendre la réforme sur les 35 heures et sur la réduction du temps de travail.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - Mme Hélène Luc applaudit également.
De surcroît, en 2004, lors de l'examen du projet de loi d'orientation sur l'énergie, Nicolas Sarkozy, alors ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, s'était solennellement engagé à préserver un seuil minimal de titres pour l'État de 70 % dans le capital de GDF.
En conséquence, l'examen du présent projet de loi, sous la pression d'opérateurs privés et d'intérêts financiers non identifiés à ce jour, constitue un mépris de l'opinion publique, hostile dans sa très grande majorité à la privatisation de notre secteur énergétique.
Pourquoi proposer de soumettre ce projet de loi à référendum ? Cinq raisons simples le justifient. Les Français sont certainement plus futés que vous ne l'imaginez, monsieur le rapporteur : ils sont capables de comprendre les questions, si elles leur sont posées clairement.
Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Premièrement, les Français doivent dire s'ils acceptent le reniement de la parole donnée.
Deuxièmement, les Français doivent dire si le secteur énergétique français a un caractère stratégique.
Troisièmement, les Français doivent dire s'ils acceptent la mise en péril de GDF, et même d'EDF, entraînée par cette privatisation.
Quatrièmement, les Français doivent dire s'ils acceptent que le prix du gaz dépende des intérêts financiers d'actionnaires privés.
Cinquièmement, les Français doivent dire s'ils considèrent que GDF doit demeurer dans le patrimoine national.
Premièrement, les Français doivent dire s'ils acceptent le reniement de la parole donnée.
Par trois fois, en effet, monsieur le ministre, votre majorité s'est engagée à ne pas privatiser GDF.
La loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières relève, dans son article 1er, « les objectifs et les modalités de mise en oeuvre des missions de service public qui sont assignées à Électricité de France et à Gaz de France ».
La loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique du 13 juillet 2005 réaffirme, dans son article 1er, le nécessaire « développement d'entreprises publiques nationales et locales » pour l'avenir énergétique français.
Le ministre d'État, ministre de l'économie et des finances et de l'industrie, de l'époque a donné la parole de l'État...
...en ces termes : « Je l'affirme parce que c'est un engagement de l'État : EDF et GDF ne seront pas privatisées. Le Président de la République l'a rappelé solennellement lors du conseil des ministres au cours duquel fut adopté le projet : il ne peut être question de privatiser EDF et GDF. » Il avait même précisé : « Qu'est-ce qui nous garantit que la loi ne permettra pas de privatiser plus tard ? Eh bien, la parole de l'État : il n'y aura pas de privatisation, parce que EDF et GDF sont un service public. »
Le 29 avril 2004, le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie persiste : il écrit aux syndicats pour confirmer que « ces sociétés resteront publiques et ne seront en aucun cas privatisées compte tenu de leur caractère déterminant pour les intérêts de la France et pour la sécurité de nos approvisionnements. Leur capital restera majoritairement public ».
Le moment venu, les Français jugeront de la valeur de la parole de l'État, et de la capacité de celui qui aspire aux plus hautes responsabilités à les exercer !
Deuxièmement, les Français doivent dire si le secteur énergétique français a un caractère stratégique.
Nous pensons que l'intérêt stratégique du secteur énergétique pour la nation, son économie et le niveau de vie des citoyens est incompatible avec un transfert au secteur privé. En effet, cela entraîne une perte de souveraineté nationale et une privatisation à la fois des actifs industriels - réseaux et stockages - et de leur opérateur exploitant.
Qu'il s'agisse de la minorité de blocage - 34 % -, dont vous avez parlé, monsieur le rapporteur, et qui n'est pas encore acquise, ou d'une action spécifique, dont l'efficacité reste à démontrer, la puissance publique ne sera plus en mesure d'exercer, au sein de Suez-Gaz de France, un véritable pouvoir de contrôle.
Tout actionnaire qui achèterait 55 % des actions de Suez-Gaz de France disponibles en bourse détiendrait de fait les rênes du nouvel ensemble.
Ces 55 % du capital, qui représentent 35 milliards à 40 milliards d'euros, seront à la portée de concurrents comme Enel, E.ON ou Gazprom.
Une fois l'entreprise Gaz de France sortie du secteur public, aucune disposition législative ne pourra figer la part de l'État, qui sera de fait soumise aux aléas du marché. L'État pourrait ainsi à tout moment être dilué, car il serait incapable, sur le plan financier, de suivre d'ultérieures augmentations de capital. Plus rien alors ne lui permettra de conserver le contrôle opérationnel du groupe.
Troisièmement, les Français doivent dire s'ils acceptent la mise en péril de GDF, et même d'EDF, entraînée par cette privatisation.
Nous pensons que la privatisation de Gaz de France, qui impose le déclassement du service public national Gaz de France, remet de fait en cause la pérennité de la propriété de Gaz de France du réseau de transport, ainsi que le monopole des concessions dont bénéficie Gaz de France sur son territoire de desserte. La privatisation entraînera donc pour l'entreprise Gaz de France un risque majeur de désintégration : sortie et maintien sous contrôle public du réseau de transport, mise en concurrence des concessions de distribution.
La fin du service public national du gaz issu de la loi de 1946 et la sortie de Gaz de France du secteur public conduiront à la mise en concurrence des concessions et à sa fragilisation évidente. Elles présentent des risques sérieux pour l'avenir d'EDF, opérateur historique, qui sera soumis à la concurrence de ce nouvel ensemble. Certes, aujourd'hui EDF a des concurrents, mais elle sera demain dans une nouvelle configuration, et ce sera l'État qui en aura été responsable. Elles conduiront aussi à la déstabilisation d'EDF par la fin du service public mixte de distribution, auquel les clients et les élus sont attachés - ils l'ont montré à plusieurs occasions, lors des tempêtes de 1999, par exemple -, et qui n'a jamais failli depuis soixante ans.
Quatrièmement, les Français doivent dire - ils pourraient le faire par référendum - s'ils acceptent que le prix du gaz dépende des intérêts financiers d'actionnaires privés.
Cotée en bourse, Suez-Gaz de France répondra avant tout aux attentes de ses actionnaires.
Ceux-ci, qui seront majoritairement privés et répondront à une logique propre aux marchés financiers, risquent de privilégier la distribution de dividendes et la valorisation boursière au détriment de l'intérêt général.
Or le secteur des énergies de réseaux - électricité et gaz - tient plus du monopole naturel que d'un marché pleinement concurrentiel. La privatisation des entreprises dans le secteur de l'énergie oppose alors la défense de l'intérêt général et de l'intérêt des clients, notamment des particuliers, à celui de l'intérêt financier de ses actionnaires. On voit bien où peut conduire la satisfaction d'intérêts financiers en situation de monopole privé : elle ne peut qu'être défavorable à l'intérêt des clients.
Cinquièmement, les Français doivent dire s'ils considèrent que GDF doit demeurer dans le patrimoine national.
Pour vous, monsieur le ministre, pour le Gouvernement comme pour votre majorité, et d'après le rapport de la commission des affaires économiques, « le caractère public ou privé n'a, en définitive, pas d'impact sur les obligations de service public qui s'imposent en tout état de cause à tous les opérateurs. De ce point de vue, il n'est donc pas possible d'affirmer que la privatisation de GDF se traduira par l'affaiblissement des missions de service public, qui restent déterminées par la loi ».
Pour notre part, nous pensons le contraire : le caractère public de l'entreprise chargée du service public de l'électricité ou du gaz constitue une garantie indispensable à la préservation de l'indépendance nationale.
D'après le préambule de la Constitution de 1946, il s'agit d'une seconde restriction, après celle du monopole de fait, qui empêche le législateur de considérer qu'une activité n'est plus un service public national.
Le respect de l'indépendance nationale exige, en effet, que des précautions soient prises pour empêcher la mainmise d'intérêts extérieurs sur des entreprises dont dépendent non seulement le développement de l'économie du pays mais également son libre choix stratégique.
C'est incontestablement le cas de l'énergie.
Ce fut la position de François Mitterrand lorsqu'il refusa de signer l'ordonnance de privatisation en 1986, parce qu'il estimait que les précautions prises pour sauvegarder les intérêts nationaux étaient insuffisantes.
Il considérait ainsi, le 14 juillet 1986, qu'il n'était pas acceptable que « des biens qui appartiennent à la nation soient vendus de telle sorte que demain, on puisse retrouver des biens nécessaires à l'indépendance nationale dans les mains d'étrangers ».
L'action spécifique que détiendrait le Gouvernement pour protéger ces intérêts nationaux n'est en réalité qu'une digue de papier, malgré ce que vous venez de nous dire, monsieur le ministre.
Sur ce plan également, la constitutionnalité du projet de loi, et tout particulièrement de son article 10, au regard du préambule de 1946, est plus que douteuse.
En résumé, nous pensons que ce projet de fusion-privatisation, très politique et financier, mérite une vraie confrontation, un large débat et doit s'inscrire dans le respect des valeurs d'intérêt général qui ont présidé à la création de Gaz de France en 1946.
Le montage actuel, qui consiste à transférer des actifs publics - le transport -, des monopoles publics - les concessions - dans le secteur privé, est illusoire. Aucune entreprise européenne privée, y compris Suez, ne dispose de monopole. Elles sont toutes, comme l'exige le droit privé, soumises aux règles de la concurrence.
Pour notre part, nous refusons cette évolution dangereuse.
L'avenir de Gaz de France doit être envisagé avec le sérieux et la transparence qui s'imposent et qui, jusqu'à présent, ont permis sa réussite depuis 1946. Aucune préoccupation électorale ne saurait occulter le nécessaire débat politique et public qu'il convient d'avoir sur l'avenir des entreprises du secteur énergétique français et sur le rôle de la puissance publique.
L'énergie est à la fois un bien vital pour l'économie et pour les citoyens, mais aussi un secteur dont les récentes crises, telles la crise du gaz russe ou les tensions en Iran, ont démontré le caractère géostratégique.
Nous pensons que l'on ne peut priver les Français d'une véritable clarification sur les évolutions projetées des entreprises du secteur énergétique français, sur l'avenir de Gaz de France, sur le rôle et les modes d'intervention de la puissance publique dans le secteur énergétique, sur la nécessaire construction politique de l'Europe de l'énergie.
Monsieur le ministre, vous avez tous les pouvoirs depuis près de cinq ans, vous êtes aux responsabilités depuis cinquante-deux mois, si je ne me trompe, et à six mois de l'élection d'un nouveau président de la République, vous prétendez imposer à la France, à la hussarde, aux forceps, un projet qui reconfigure totalement le secteur de l'énergie.
Il y a là un déni de démocratie. C'est pourquoi j'invite le Sénat à demander l'organisation d'un référendum sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme Jean-Pierre Bel, c'est avec gravité que je prends la parole pour soutenir cette motion référendaire visant à soumettre au peuple français ce projet de loi relatif au secteur de l'énergie, qu'il faut appeler par son nom : « projet de loi de privatisation de GDF, entraînant le démantèlement du secteur public de l'énergie ». C'est en effet l'ensemble de ces dispositions qu'il faut soumettre à nos concitoyens !
Cette motion n'est pas un artifice de procédure. Les puissances d'argent, avec un gouvernement qui leur est acquis et soumis, s'attaquent aujourd'hui à un bien collectif inestimable : l'énergie.
Notre peuple doit être consulté. Monsieur le ministre, vous me rétorquerez probablement qu'il sera consulté en 2007. Je vous réponds donc, par avance : retirez votre projet !
Le Conseil national de la Résistance avait perçu le caractère essentiel du contrôle public de ce secteur, pour l'indépendance nationale et pour la justice sociale. C'est pour cette raison qu'il l'avait inscrit prioritairement dans son programme.
Dès le 12 septembre 1944, le général de Gaulle annonçait « le retour à la nation des principales sources d'énergie ».
C'est donc en toute logique que les constituants incluaient dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 l'alinéa suivant : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » A fortiori, cette propriété ne peut pas lui être retirée sans que le peuple se prononce.
Monsieur le ministre, c'est en effet le bien public que vous vous apprêtez à piller, au seul profit d'actionnaires qui, tel M. Albert Frère, premier actionnaire de Suez, guettent la bonne affaire.
Il est inacceptable, du point de vue démocratique, qu'une majorité contestée dans les urnes, poussée au recul par la rue, persévère dans sa fuite en avant libérale, à quelques mois d'échéances électorales majeures, en décidant de brader, de manière parfaitement anticonstitutionnelle, un service public national, protégé par les textes fondateurs de la République.
Puisque ni la majorité de droite de l'Assemblée nationale, ni la majorité de droite du Sénat n'ont l'intention de faire respecter la Constitution, puisqu'elles s'apprêtent l'une et l'autre à la violer, il faut donner la possibilité au peuple de rappeler à l'ordre les apprentis sorciers du libéralisme.
L'opposition sénatoriale n'est pas la seule à souligner cette mise en cause flagrante du préambule de la Constitution de 1946 qui, je le rappelle, fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité, au même titre que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et la Constitution de 1958.
Comme vous le savez, mes chers collègues, un titre du journal Les Echos fut : « De sérieux problèmes de conformité avec la Constitution ». L'auteur de l'article en question livrait cette analyse : « En clair, dès lors qu'une entreprise est en charge d'un service public, elle doit appartenir à l'État. C'est donc dans l'esprit de la Constitution, le service de l'intérêt général qui impose la participation majoritaire de l'État et non la participation de l'État qui créerait de fait un service public. La question est au coeur de tous les débats de privatisation. Bizarrement, cette fois, les parlementaires concentrés sur l'article 10 du projet qui abaisse la participation de l'État dans le capital du gazier sont passés à côté. »
L'autre quotidien économique, La Tribune, s'interrogeait également dans son édition du 9 octobre dernier : « Peut-on privatiser un service public national ? »
Monsieur Poniatowski, vous indiquiez alors dans ce journal que GDF n'est pas un service public national. Cette opinion, que vous venez de rappeler, n'est pas surprenante. Mais, dans le même article, M. Gérard Quiot, juriste, vous répondait en ces termes : « Il est certain que le préambule de la Constitution de 1946 qui est toujours partie intégrante de notre Constitution ne permet pas de privatiser une activité que les autorités publiques considèrent comme étant d'intérêt général, ce qui est le cas de Gaz de France. En droit, un service public national est une activité soumise à des obligations visant à garantir l'égalité des citoyens devant le service rendu, sa continuité et la capacité de l'opérateur à fournir la meilleure prestation en toutes circonstances. De surcroît, son intérêt est commun à l'ensemble de la collectivité. Dans le cas précis du gaz, la péréquation tarifaire, comme le maintien de l'obligation faite à GDF de fournir du gaz aux Français à un prix fixé par les autorités publiques, qualifie bel et bien l'entreprise comme étant un service public national. Que les opérateurs privés soient soumis à la péréquation tarifaire ne change rien. »
Je poursuis cette citation : « Le Gouvernement ne peut, d'un côté, conserver à GDF ses missions de service public en réaffirmant son attachement au maintien de ses missions et, de l'autre, sortir l'entreprise du secteur public, sans être en contradiction avec notre Constitution. Si le législateur considère qu'aujourd'hui les exigences du secteur privé sont conciliables avec celles du secteur public - ce que les auteurs du préambule de la Constitution de 1946 jugeaient comme étant parfaitement incompatibles -, il doit être cohérent et modifier la Constitution. »
Monsieur le ministre, qui pourrait, aujourd'hui, nier de bonne foi que l'exploitation de notre secteur énergétique relève d'un service public national, ne serait-ce que parce qu'il doit garantir notre indépendance énergétique ? Le fait que l'avenir du marché du gaz soit au centre des dernières conversations entre MM. Chirac, Poutine et Mme Merkel montre bien, n'en déplaise à M. Poniatowski, qu'il s'agit d'un enjeu national européen, et même planétaire.
C'est afin de respecter le préambule de notre Constitution que la forme juridique d'établissement public à caractère industriel et commercial avait été retenue par la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, introduisant dans notre droit un type de propriété des entreprises publiques sans capital social, ni actions ; l'État ne dispose pas de la propriété du capital de l'établissement public à caractère industriel et commercial, l'EPIC, qui est inaliénable et indivisible. La loi de 2004 a changé le statut des deux entreprises, mais n'a pas modifié leur rapport à la nation.
L'article 16 de la loi du 8 avril 1946 établissait, sans ambiguïté, que « ce capital appartient à la nation. Il est inaliénable ». Dès 2004 et plus encore aujourd'hui, une modification de la Constitution aurait dû précéder l'élaboration de ces projets de loi.
En l'absence d'une telle modification, ces textes sont manifestement anticonstitutionnels. Notre appel au peuple se fonde donc sur une atteinte grave à la Constitution. La conséquence de cette agression, c'est la mise en cause de l'indépendance énergétique de notre pays, c'est la certitude d'une augmentation forte des tarifs, source d'injustice sociale et d'inégalités.
Machiavel conseillait au prince de devenir « grand simulateur et dissimulateur », d'apprendre à manoeuvrer « par ruse [...] la cervelle des gens ». Et il rappelait souvent que « qui trompe, trouvera toujours qui se laisse tromper ».
Notre peuple a fréquemment montré pourtant qu'il ne se laissait pas tromper, pour peu qu'il soit informé.
Monsieur le ministre, vous, vous reniez la parole donnée. Nous vous l'avons dit hier, mon collègue vient de le rappeler, et nous le répétons parce que vos réponses nous donnent raison.
Vous aviez toutes les cartes en main en 2004. Or c'est le 15 juin 2004 que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, déclarait, la main sur le coeur : « Je l'affirme parce que c'est un engagement du Gouvernement, EDF et Gaz de France ne seront pas privatisés. » Il citait alors le Président de la République. Et il poursuivait ainsi : « Mieux, le Gouvernement acceptera l'amendement du rapporteur général prévoyant de porter de 50 % à 70 % le taux minimum de détention du capital d'EDF et de Gaz de France. »
Monsieur Poniatowski, vous n'étiez pas en reste ! Que déclariez-vous avec un certain agacement, il y a deux ans ? « La sociétisation est-elle une étape vers la privatisation ? C'est décourageant de le rappeler. J'ai rencontré les représentants des différents syndicats, j'ai participé à des débats télévisés et radiophoniques, je l'ai écrit dans des journaux et je ne sais plus à quel temps il faut le conjuguer : il est évident que l'ouverture du capital ne signifie en aucun cas la privatisation. »
Tout aurait changé depuis ?
La mondialisation ? L'Europe ? Les directives européennes ? Tout était sur la table en 2004 !
Toujours en 2004, M. Revol, exprimant la position du groupe UMP du Sénat, disait : « On a quelque peine à comprendre le discours revendicatif tenu par certains hommes politiques qui ont brandi le spectre de la privatisation. »
Et si vous m'y autorisez, monsieur Poniatowski, je reprendrai à mon compte une formulation que vous utilisez avec bonheur dans votre rapport, à savoir, qu'il s'agit « d'un fantôme à laisser au placard. Je le répète, nous n'envisageons aucune privatisation. » Mon cher collègue, le fantôme est sorti du placard !
Sourires
M. Lenoir, votre homologue à l'Assemblée nationale, était encore plus convaincant pour défendre le service public. Il affirmait ainsi : « Il est en revanche hors de question que cette évolution - le changement de forme juridique - entraîne la perte de contrôle de l'État sur ces entreprises, compte tenu du caractère éminemment stratégique de leurs activités. »
Le retournement de M. Lenoir est surprenant, puisque le caractère stratégique des activités s'est renforcé du fait de la crise pétrolière actuelle. Qu'est-ce qui a changé ? Ces activités ne seraient plus stratégiques ? Si, elles ont d'autant plus ce caractère !
Enfin, je citerai M. Devedjian : « S'il apparaissait que les engagements pris avec les formations syndicales ont été empreints d'une certaine duplicité ou si nous nous révélions incapables de les tenir, c'est toute la politique de réforme que nous voulons conduire qui pourrait être mise en cause. Il faut que les partenaires sociaux sachent que le Gouvernement fait tout pour respecter sa parole et qu'il demande à sa majorité de l'y aider. »
M. Devedjian répondait à l'impatience de M. Marini, qui proposait alors d'abaisser le capital de GDF à 51 %.
Effectivement, M. Marini peut se vanter d'être immuable dans ses convictions. Il est peut-être d'ailleurs le seul parmi vous ! Prié de retirer son amendement, il avait conclu, sachant qu'il faut être patient : « À chaque jour suffit sa peine. »
Aujourd'hui, il veut privatiser les établissements locaux de distribution de l'énergie. L'Assemblée nationale a rejeté une proposition similaire. M. Marini sait qu'il pourra compter voir la sienne adoptée prochainement, puisque même si, cette fois-ci, on va évidemment lui répondre « Non, pas encore ! », il sait par expérience qu'une réponse positive lui sera finalement faite.
Vous trompez le Parlement. Vous trompez le peuple. Celui-ci vous donne pourtant beaucoup de signes de son mécontentement : votre échec électoral en 2004, votre échec au référendum du 29 mai 2005, votre échec spectaculaire avec le CPE...
Vous poursuivez cependant droit dans vos bottes votre mission : installer l'ordre libéral dans notre pays, détruire notre modèle social. Vous serez sanctionné, mais nous voulons éviter que vous ne cassiez tout avant.
Mme Bariza Khiari et M. Jean-Luc Mélenchon applaudissent
Le 25 février dernier, M. de Villepin a légitimé la privatisation au nom du patriotisme économique. C'est le monde à l'envers !
De quel patriotisme économique parlez-vous ? La menace d'OPA d'ENEL n'a jamais existé, tout le montre aujourd'hui. Ce qui apparaît, en revanche, - et vous le dites ! - c'est que GDF et Suez négociaient leur fusion depuis de nombreux mois, voire de nombreuses années, avant 2004, nous a-t-on dit. L'argument de patriotisme économique visait uniquement à valider une opération minutieusement préparée. C'était une manoeuvre grossière.
De quel patriotisme économique parle-t-on, alors que le patrimoine industriel, le bien public est livré aux appétits financiers français et européens, voire - qui pourrait en douter ? - russes un jour, Gazprom étant à l'affût ?
La fusion GDF-Suez rend le futur groupe opéable. Seule la maîtrise publique peut empêcher les requins de la finance d'agir. C'est donc l'antithèse du patriotisme économique que vous défendez.
De quel patriotisme parle-t-on, alors que c'est la Commission européenne, plus précisément l'ultralibérale commissaire européenne Mme Nelly Kroes, qui est aux commandes pour décider des conditions de la fusion future ?
Le 28 septembre dernier, cette nouvelle « dame de fer » s'est déclarée prête à ouvrir le secteur de l'énergie « de force ».
Cette dame, l'UMP et le Gouvernement ont-ils oublié le 29 mai 2005 ? Ce jour-là, une forte majorité a, malgré une pression médiatique intense, rejeté les bases libérales de l'Europe et condamné le déficit démocratique qui caractérise le fonctionnement de l'Union européenne. Voilà ce qui a changé depuis 2004, monsieur le rapporteur !
Au lendemain du référendum, - je ne vais pas reprendre mon carnet de citations, je vous en fais grâce ! - tout un chacun soulignait la nécessité de restaurer le lien démocratique entre l'Europe et les peuples.
Ces belles paroles, comme d'autres, sont déjà oubliées. Le Gouvernement livre la maison GDF, et, bientôt, EDF, à ces agents des intérêts financiers européens que sont les commissaires de Bruxelles.
En effet, de quel patriotisme économique nous parle-t-on, alors que les députés communistes et socialistes ont dû batailler afin de pouvoir parcourir, dans des conditions difficiles, la lettre de griefs adressée par la Commission à GDF et à Suez ? Et encore, dans le texte mis à disposition, dans une salle où même les téléphones portables étaient interdits, des passages entiers avaient été noircis !
Je regrette une nouvelle fois que la commission des affaires économiques, en particulier le président Emorine, n'ait pas daigné insister pour auditionner Mme Kroes. L'avenir de GDF ne justifiait-il pas une telle insistance et un changement d'agenda ?
La question européenne est une nouvelle fois au centre des débats, que vous le vouliez ou non, messieurs les ministres, mesdames, messieurs de la majorité.
En 2004, M. Poniatowski insistait sur le caractère irréversible du processus de libéralisation de l'énergie. Mais au nom de quel principe politique ou philosophique des décisions seraient-elles irréversibles ? C'est qui, c'est quoi, l'Europe, si ce n'est des gouvernements ?
Le traité constitutionnel était une évidence incontournable. Le repousser menait l'Europe au cataclysme, à l'effondrement. L'irréversibilité du processus était là aussi invoquée.
J'estime, pour ma part, que la démocratie exige la réversibilité. Rien n'est gravé dans le marbre. Les directives européennes en matière de libéralisation de l'énergie doivent pouvoir être renégociées.
Ce sera un objectif important d'une gauche à nouveau au pouvoir. En tout cas, c'est ce que je souhaite.
Il s'agit d'une question de volonté politique. Ce sera difficile, mais c'est possible, en s'appuyant sur notre peuple, sur les peuples qui subissent cette Europe non démocratique et dont les objectifs sont essentiellement financiers.
Écouter le 29 mai 2005 sans le diaboliser, c'est entendre cette aspiration au débat à la vraie politique, fondée sur le bilan et sur la poursuite de l'intérêt commun.
Écouter le 29 mai 2005, c'est en tirer les leçons en se rendant à Bruxelles avec un mandat : plus de démocratie, plus de justice sociale et la remise en cause des directives d'inspiration strictement libérale, au premier rang desquelles celles qui sont relatives aux services publics, auxquels notre peuple est attaché, comme, d'ailleurs, beaucoup d'autres peuples européens.
Le 29 mai 2005 a, en effet, été également un moment de l'expression d'un fort attachement au service public. N'oubliez pas, messieurs les ministres, qu'au-delà des 94 % du personnel de Gaz de France qui ont repoussé le démantèlement de leur entreprise, c'est le peuple qui refuse la privatisation de ses biens.
Votre mandat, après le 29 mai 2005, était non pas d'enfoncer le clou libéral, mais de prendre à contre-pied les politiques européennes de l'énergie mises en oeuvre jusqu'à présent.
Décidément, parler de patriotisme économique dans ces conditions relève de la provocation, alors que nous assistons à une liquidation en règle du bien public de deux piliers de notre société démocratique.
Tout justifie le recours au référendum. Le peuple doit pouvoir se prononcer pour le respect du droit à l'énergie dans notre pays.
Avec ce texte, messieurs les ministres, vous foulez aux pieds ce droit élémentaire à se chauffer, à être éclairé, à se déplacer. Le droit à l'énergie est indissociable de l'idée même de justice sociale, d'égalité.
Vous avez tenté de masquer la déréglementation massive, la casse de l'outil public par de bien modestes mesures en matière de tarifications sociales, qui seront rapidement réduites à néant par le pilonnage du marché et les exigences de rentabilités des actionnaires.
L'augmentation des tarifs est inéluctable. Chacun le sait, mais seule l'opposition le dit. Vous refusez de livrer un bilan détaillé, honnête, des premiers effets de la libéralisation.
Or, de très nombreuses PME cherchent à rejoindre le secteur réglementé de l'énergie, écrasées par les augmentations de tarifs dans le secteur libéralisé.
L'appétit des actionnaires n'est pas la seule cause de l'augmentation future des tarifs. Les exigences de la Commission européenne en matière de réduction, voire de mise en cause des contrats d'approvisionnement à long terme, alimenteront la tension sur les prix. L'augmentation des tarifs sera sans nul doute l'une des premières conséquences de la privatisation.
Cependant, comme je l'ai évoqué voilà un instant, EDF est directement menacée par ce projet de loi. En effet, séparée de son partenaire gazier, elle sera face à un nouveau concurrent à l'offre plus importante. Du fait de cette fusion, Suez va en effet disposer du listing des onze millions de clients de GDF à qui le nouveau groupe pourra proposer une offre intégrée incluant gaz et électricité. Il s'en frottait d'ailleurs les mains dès le départ.
La concurrence à outrance entre ces deux groupes, EDF d'un côté, GDF-Suez de l'autre, se fera au détriment de l'investissement à long terme en matière de recherche pour diversifier les sources d'énergie, et en matière de sécurité pour la gestion du parc nucléaire.
N'est-il pas inquiétant, d'ailleurs, d'observer la manière dont Suez, sur les sommations de la Commission européenne, cherche à se débarrasser de ses centrales nucléaires belges ?
Sur ce point, j'ouvre une brève parenthèse : n'est-il pas effrayant de constater la course entamée par EDF pour s'implanter sur le marché du gaz et par le futur groupe GDF-Suez pour s'implanter sur le marché électrique ?
Toute personne, qu'elle soit ou non spécialiste des questions économiques, pourra constater une situation « abracadabrantesque » : alors que la France disposait de deux entreprises publiques de renommée mondiale, d'une puissance reconnue, à l'abri des appétits financiers, agissant en cohérence et pour le bien commun, outils d'une lutte décisive pour l'environnement et la recherche pour les énergies du futur, les libéraux, ce gouvernement, détruisent d'un coup de pied le fruit de décennies de labeur. Vous jouez, messieurs les ministres, contre votre camp, vous jouez contre le progrès, pour la seule satisfaction, immédiate et sans lendemain, du capital.
Vous allez réussir à mettre en concurrence et, je le crains, à lancer dans une guerre fratricide deux entités industrielles remarquables.
Bien entendu, tout cela est une question de point de vue. Je vous parle d'incohérence, car je me situe sur le plan de l'intérêt général.
Du point de vue des futurs actionnaires, la cohérence est évidente : ils n'ont que faire de la satisfaction de la plus grande masse tant que leur porte-monnaie se remplit.
Notre appel au peuple se fonde également sur cette urgence, la défense de l'intérêt général, la lutte contre ces intérêts particuliers d'une élite financière qui sape notre modèle social et peut-être notre démocratie.
Cependant, les atermoiements de ces derniers mois, des dernières semaines, des derniers jours sont surprenants, inquiétants.
Pouvez-vous aujourd'hui, messieurs les ministres, dresser pour la représentation nationale un tableau de l'état des négociations entre Suez et GDF d'une part, entre le futur groupe et la Commission européenne d'autre part ? Pouvez-vous nous donner votre opinion sur l'avenir d'EDF dans ce cadre ? Jusqu'à présent, vous ne l'avez pas fait.
Je connais votre opinion, que vous avez maintes fois répétée : les parlementaires sont là pour discuter de l'ouverture du marché à la concurrence, de son principe, et certainement pas pour s'occuper des affaires des actionnaires. « Circulez, il n'y a rien à voir ! », en quelque sorte.
Cette conception du Parlement ne me semble pas conforme à une vision républicaine de nos institutions : tout ce qui concerne l'intérêt général, l'intérêt national, doit être débattu au Parlement, quels que soient les intérêts privés mis en oeuvre. Si des secrets doivent être préservés, des procédures existent, comme la réunion du Sénat en comité secret.
Il me semble que les parlementaires doivent être pleinement informés des tractations en cours. Nous constatons que la réponse de GDF à la lettre de griefs a été communiquée aujourd'hui seulement. Quelles recommandations la Commission européenne s'apprête-t-elle à formuler ? Quelles seront les conséquences sur l'emploi ? Comment répondez-vous, messieurs les ministres, à cet audit indépendant qui estime que 20 000 emplois seront supprimés dans les années à venir à GDF ? Vous prétendez que ce n'est pas vrai. Piètre réponse !
Les informations de ces derniers jours sur le devenir des centrales nucléaires belges détenues par Suez sont inquiétantes : on joue manifestement avec la sécurité, ces centrales changent de main chaque jour, tout cela pour permettre de parvenir coûte que coûte à cette fusion dont vous n'avez pas prouvé l'utilité publique.
Est-il vrai, messieurs les ministres, que EDF pourrait racheter certaines de ces centrales ? Ce serait un comble ! Les fonds publics, une nouvelle fois, permettraient à une opération de privatisation de se réaliser. C'est EDF qui financerait partiellement le démantèlement de son entente historique avec GDF. On croit rêver !
Vous ne voulez pas parler de la fusion entre Suez et GDF car, selon vous, ce ne sont pas les affaires du Parlement.
Or, M. Lenoir lui-même, rapporteur de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, n'avait-il pas envisagé un plan B qui maintenait la maîtrise publique sur des activités essentielles de GDF ? Il a même présenté sa proposition devant ladite commission le 26 juillet dernier. M. Poniatowski avait d'ailleurs alors déclaré que cette proposition méritait d'être étudiée. M. Devedjian lui-même n'a-t-il pas présenté un plan C ?
Enfin, comment ne pas rappeler la proposition de loi présentée par M. Daubresse et des parlementaires de l'UMP, qui prônaient la fusion entre EDF et GDF dans un cadre public ? Votre réponse est consternante : « Trop tard ! », « Bruxelles n'en voudrait pas ! »
Je me permets de formuler trois objections. D'abord, la Commission, pour donner son avis, devrait déjà être saisie. Ensuite, aujourd'hui, les directives sont contestées par l'Allemagne, le Portugal et l'Espagne, qui s'engagent dans des projets de fusion entre leurs opérateurs nationaux ; si la France s'engageait dans cette voie, cela aurait du poids. Enfin, avant de dire que Bruxelles n'en veut pas, battez-vous pour y arriver !
La fusion entre EDF et GDF est naturelle. La constitution d'un pôle public de l'énergie s'impose. La France serait bien le seul pays où l'État se désengage en matière énergétique. Il faut en débattre en levant le préalable un peu facile des oppositions de la Commission européenne.
Examinons d'abord ce qui est bon pour notre peuple, pour les peuples européens, et nous parlerons avec Mme Kroes ensuite !
Un grand débat national doit donc s'engager, messieurs les ministres, sur l'avenir du secteur de l'énergie. Tous les arguments doivent être présentés et les différentes stratégies confrontées dans la clarté. La dissimulation que j'évoquais ne doit plus être de mise. Ce grand débat national doit avoir pour conclusion la consultation populaire, c'est-à-dire le référendum.
Pour ceux qui l'auraient oublié, je rappelle à mon tour que c'est en 1995 que le champ du référendum a été élargi au service public. M. Jacques Toubon, alors garde des sceaux, avait justifié cette modification de la Constitution devant le Sénat, le 24 juillet 1995. À ses yeux, il importait effectivement que le référendum puisse englober les instruments de mise en oeuvre de la politique économique et sociale que constituent les services publics.
Si cela n'est pas considéré comme un sujet de référendum, je ne sais vraiment pas ce qui pourrait l'être !
M. Toubon avait également indiqué : « Les priorités que le Président de la République a assignées au Gouvernement pour les années à venir sont économiques et sociales. L'extension du champ du référendum à ces matières doit permettre de conduire des politiques audacieuses et consensuelles. »
Aïe, aïe, aïe, messieurs les ministres ! À l'évidence, les politiques de privatisation entrent dans un tel cadre, et la demande de référendum que nous formulons aujourd'hui est donc pleinement fondée constitutionnellement.
Avant 1995, un référendum sur les questions économiques et sociales n'était pas possible. C'est désormais envisageable. Le Président de la République, qui a voulu la réforme, devrait se saisir de cette opportunité.
En plus d'être pleinement fondée, notre proposition met en lumière une promesse non tenue de M. Chirac - une de plus ! -, celle de consulter régulièrement le peuple sur les questions économiques et sociales. Aujourd'hui, nous demandons simplement que le Sénat mette en application une révision constitutionnelle votée il y a onze ans, sur la demande de M. Chirac, sans avoir jamais été appliquée depuis.
Je le répète, si elle n'est pas appliquée pour l'énergie, elle ne le sera jamais !
Les signataires de cette motion référendaire et moi-même souhaitons placer ce débat fondamental entre les mains de nos concitoyens, entre les mains du peuple. Celle-ci prévoit la mise en oeuvre par le Parlement, sur son initiative, de l'article 11 de la Constitution, qui organise le référendum et dont je viens de mentionner la modification en 1995.
Pour mémoire, selon cet article, le recours au référendum est décidé par le chef de l'État, sur proposition conjointe des deux assemblées, publiée au Journal officiel. La motion, si le Sénat venait à l'adopter, devrait donc être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées.
La majorité sénatoriale a, par le passé, voté par trois fois une motion de ce type : le 5 juillet 1984, sur le projet de loi relatif à l'enseignement privé ; le 19 juin 1985, sur le projet de loi instituant la proportionnelle pour les élections législatives, et le 18 décembre 1997, sur le projet de loi relatif à la nationalité. Le 5 mars 2003, sur le projet de loi relatif à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen, la motion référendaire a été rejetée.
M. Gélard, pour défendre la motion de 1997, déclarait avec insistance : « Notre extrême timidité à l'égard du référendum législatif, contrairement à certains de nos voisins [...] semble démontrer une méfiance [...] à l'égard de la capacité de légiférer du peuple français. » Messieurs les ministres, mes chers collègues, quelle indignation sincère ! Serez-vous aussi timides aujourd'hui, alors qu'il s'agit de l'avenir de notre secteur énergétique, de notre indépendance et de notre sécurité ?
Le Sénat doit prendre cet après-midi une décision importante. Il en a les moyens. Certes, beaucoup dépendra de l'attitude des membres du groupe de l'Union centriste-UDF. Je fais donc appel à vous, chers collègues, puisque M. Bayrou s'est opposé à ce projet de loi et que le groupe Union pour la démocratie française a voté contre à l'Assemblée nationale.
Sachez que nous serons attentifs à votre choix !
Le vote de cette motion référendaire permettra de mettre un terme à la précipitation actuelle et à la confusion ambiante. N'oublions pas que nous légiférons sans même connaître la réponse de la Commission européenne sur l'offre de fusion entre Suez et GDF.
Soumettre ce projet de loi au référendum doit permettre au peuple de décider de l'avenir énergétique du pays, en se substituant à un gouvernement et à une majorité qui ont pratiqué la dissimulation dans un seul but : satisfaire des intérêts privés, au détriment de l'intérêt général.
L'avis de la commission des affaires économiques du Sénat sur la motion référendaire est consternant. Selon elle, le texte est trop complexe et trop technique pour être soumis au référendum ! Oserez-vous défendre publiquement que le QI moyen du peuple français est inférieur à celui des parlementaires ?
Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - Mme Bariza Khiari applaudit également.
Vous aviez dit la même chose sur le traité constitutionnel européen. Le Président de la République a fait le choix d'un référendum. Et c'est bien parce que le peuple a bien perçu le contenu de ce texte qu'il l'a refusé !
Un sénateur UMP, dont je tairai le nom, a alors eu cette explication : « Les Français répondent toujours à côté de la plaque quand on leur propose un référendum ! » Je n'ose penser que la majorité des sénateurs puisse déclarer publiquement qu'ils sont pour l'abolition du suffrage universel !
Sourires et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
M. Chirac, Président de la République, déclarait le 19 mai 2004, en conseil des ministres : « EDF et GDF sont des grands services publics. Elles le resteront, ce qui signifie qu'elles ne seront pas privatisées. » Que je sache, M. Chirac est toujours Président de la République !
Laissons le peuple confirmer de telles paroles, laissons le peuple défendre son bien contre les « affairistes », laissons le peuple sauver EDF et GDF !
Applaudissemen ts prolongés sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
M. René Beaumont. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je ferai miens les arguments exposés par Ladislas Poniatowski au début de la discussion générale sur cette motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.
Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Cela m'évitera beaucoup de redites. Nous sommes de ceux qui, de ce point de vue, sont dans la concision et dans la précision, et non dans la longueur et la répétition.
Mon cher collègue, cela commence comme vous et vos amis avez commencé ! Cela continuera sans doute un peu de même, mais beaucoup plus rapidement, je vous le promets !
Le règlement de nos deux assemblées parlementaires donne à l'opposition de nombreux moyens pour manifester solennellement sa réprobation à l'égard d'une position de la majorité.
Il s'agit de l'exception d'irrecevabilité, de la question préalable et de la motion tendant au renvoi à la commission.
Aujourd'hui, nous vivons un moment solennel, mais vous ne vous en êtes peut-être pas aperçus !
En effet, c'est la première fois qu'une telle disposition est utilisée au Parlement français, bien qu'elle ait été introduite il y a déjà bien longtemps. Si elle n'a pas été appliquée jusqu'à présent, c'est parce que, à mon sens, tous ceux qui ont peut-être été tentés de le faire se sont aperçus qu'elle était particulièrement délicate à manoeuvrer.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, qui vient de me précéder à cette tribune, a affirmé que cette motion référendaire était fondée. Pour ma part, je vais essayer, très respectueusement et très poliment, de lui démontrer que c'est tout le contraire et qu'elle pose en réalité une vraie difficulté technique.
Certes, je le reconnais moi-même bien volontiers, cette initiative est évidemment tout à fait compatible avec l'article 11 de notre règlement.
Effectivement, mon cher collègue. Je vous remercie de cette rectification, comme quoi les grands juristes sont toujours utiles dans cette assemblée, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent !
Aux termes de l'article 11 de la Constitution, le Président de la République, sur proposition conjointe - j'insiste sur ce terme - des deux assemblées, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent. Notre collègue Jean-Pierre Bel l'avait déjà souligné, mais je tenais à faire de même, pour que tout soit bien clair aux yeux de chacun.
Cela étant dit, cette motion nous place devant une impossibilité technique tout à fait évidente.
Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
...je relève tout simplement une impossibilité technique.
Ainsi, il faudrait bien sûr que l'Assemblée nationale adopte la motion dans les mêmes termes. Or, elle s'est déjà prononcée sur ce texte il y a quelques jours. Il serait donc surprenant qu'elle tranche différemment.
En définitive, si vous aviez vraiment voulu utiliser une telle disposition en toute légitimité, vous auriez dû déposer cette motion à l'Assemblée nationale juste au début de la discussion du texte.
D'ailleurs, si la motion était adoptée, quel texte serait soumis au référendum ? Le projet de loi initial ? La petite loi issue des travaux de l'Assemblée nationale ? Celle que le Sénat va adopter ? Ou bien le texte adopté définitivement résultant des travaux de la commission mixte paritaire ?
(Mais non ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Visiblement, c'est un point sur lequel vous n'aviez pas tout à fait réfléchi.
Exclamations sur les mêmes travées.
Mon cher collègue, après avoir écouté les explications de Ladislas Poniatowski tout à l'heure, je serais tenté de faire comme lui, car chacun a le temps de s'exprimer. Mais, exceptionnellement, je veux bien accepter de vous laisser, très brièvement, la parole.
Cher collègue Beaumont, vous tirez des conclusions hâtives par rapport à notre attitude dans cet hémicycle. Vous soulevez un prétendu problème, en affirmant que nous n'y avons pas réfléchi. Dans ces conditions, vous devez nous laisser la possibilité de vous présenter nos propres arguments.
M. René Beaumont. Monsieur Bel, j'ai simplement dit que, jusqu'à présent, je n'avais pas entendu de précisions de votre part sur ce point. Vous pourrez me répondre après, si du moins vous en avez l'autorisation. Pour l'instant c'est moi qui ai la parole, et moi seul. C'est tout ; c'est ainsi que cela se passe.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Après l'impossibilité technique, je souhaite soulever une autre contradiction, tout aussi intéressante : c'est l'incohérence de votre position, et de la nôtre, d'ailleurs, face à ce texte.
De ce point de vue, nous sommes à égalité.
Chers collègues de l'opposition, ce qui serait soumis au référendum, c'est bien la totalité du texte. J'ai bien compris que vous étiez notamment tout à fait opposés à l'article 10, c'est-à-dire à la diminution du capital de l'État dans Gaz de France - et, à mes yeux, il ne s'agit pas d'une privatisation.
C'est sur ce fondement que, en cas de référendum, vous voteriez « non ». Comme vous n'auriez droit qu'à une réponse, par voie de conséquence, vous diriez donc également « non » aux protections prévues dans ce texte en faveur des consommateurs, qu'il s'agisse des particuliers ou des industriels. Pire, vous diriez encore « non » à la création du tarif social pour la distribution du gaz.
Nous ne manquerons pas, de notre côté, d'utiliser politiquement vos contradictions, car votre attitude paraîtra alors pour le moins bizarre : même si vous n'avez pas le monopole du coeur, vous vous prétendez plus volontiers que d'autres porteurs de l'action sociale. Comment vous justifierez-vous d'avoir voté contre des dispositions qui sont, à l'évidence, très sociales ?
Au 1er juillet de l'année prochaine, lorsque les contribuables constateront que vous avez voté contre le tarif social du gaz, quand les plus défavorisés d'entre eux s'apercevront qu'ils devront payer plein tarif, vous aurez beaucoup de difficultés à assumer vos choix !
Votre incohérence est tout à fait évidente. Nous le savons bien, pour qu'une motion référendaire soit recevable, il faut que les questions soulevées soient particulièrement simples et précises.
Monsieur Bel, je vous ai écouté avec attention tout à l'heure : vous avez affirmé qu'il y avait cinq raisons essentielles justifiant de soumettre ce texte au référendum et au choix du peuple français. En définitive, cela rejoint la démonstration que je suis en train de faire. Je n'ai pas voulu vous interrompre, bien sûr, mais avec un collègue, nous vous avons dit, à voix basse car nous ne voulions pas vous interrompre, que cela représenterait cinq référendums, car vous ne pouvez pas poser à la fois cinq questions au peuple. En effet, très peu de personnes sont susceptibles de donner une seule réponse à cinq questions.
C'est toute l'incohérence du référendum tel qu'il est proposé !
Enfin, mes chers collègues, je ne résiste pas au plaisir de vous demander, comme Ladislas Poniatowski, mais en citant d'autres exemples, pourquoi vous n'avez pas organisé de référendum, alors que cette procédure existe depuis onze ans déjà, à l'occasion de l'ouverture du capital de France Télécom, en 1997, et de Thomson Multimédia, en 1998, à l'occasion de la privatisation du CIC, en 1998, de celle du groupe GAN, de la CNP, de la Société Marseillaise de Crédit, de RMC.
Je citerai également, en 1999, la privatisation du Crédit Lyonnais, d'Aérospatiale Matra, l'ouverture du capital d'Air France et la poursuite de celle de France Télécom.
Pourquoi de même ne pas avoir organisé de référendum en 2000, pour la poursuite de l'ouverture du capital de Thomson Multimédia et l'ouverture de celui d'EADS, ...
... en 2001, pour la privatisation de la Banque Hervet ou, en 2002, pour celle des Autoroutes du Sud de la France et du réseau de transport de Gaz du Sud-Ouest ?
Vous aviez alors oublié d'organiser des référendums ! Si vous l'aviez fait, nous vous comprendrions sans doute mieux aujourd'hui.
M. René Beaumont. Mes chers collègues, et je m'adresse à l'ensemble des sénateurs ici présents, cette motion représente à mon sens un acte de défiance à l'encontre de l'assemblée sénatoriale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-Pierre Bel s'exclament.
Comment nous, sénateurs, pouvons-nous tolérer une telle motion, alors que l'Assemblée nationale a eu tout le temps de délibérer, tranquillement, longuement, en examinant de très nombreux amendements, ...
M. Thierry Breton, ministre. C'est vous qui le dites !
Sourires
Aujourd'hui, à cause de cette motion, il faudrait d'un seul coup tout arrêter et priver le Sénat d'un vrai débat, débat auquel il a droit, car la Constitution a prévu qu'il puisse y participer. Il s'agit d'un acte de défiance, tout à fait déplacé, à l'encontre du Sénat lui-même.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter les conclusions de la commission tendant au rejet de cette motion.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Mes chers collègues, je voudrais vous faire part de mon émotion à l'annonce de la collision qui est intervenue en fin de matinée entre un train de voyageurs luxembourgeois et un train de marchandises de la SNCF à Zoufftgen, dans le département de la Moselle.
Selon les informations qui viennent de m'être communiquées, cette collision aurait fait une dizaine de victimes. Outre des passagers du train, les deux conducteurs et un agent travaillant sur les voies auraient été tués.
Je pense que le Sénat tout entier souhaitera exprimer en la circonstance sa sympathie aux familles des victimes.
Assentiment.
Nous poursuivons la discussion des conclusions négatives du rapport de la commission des affaires économiques sur la motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
J'emprunterai à ces douloureuses circonstances des raisons supplémentaires de souhaiter le bien de nos compatriotes en leur garantissant les meilleures conditions de fonctionnement des services publics.
Monsieur le président, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, je veux dire combien nous sommes honorés, sans méconnaître l'importance de la contribution de M. le ministre délégué à l'industrie, que M. Breton soit parmi nous en cet instant.
Vous le voyez, monsieur Beaumont, pour qu'il y ait répétition, il faut que les mêmes personnes soient concernées, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence puisque M. Breton n'a pas pu entendre l'intervention du président de notre groupe. Nous le regrettons, car nous aurions aimé que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie réponde à M. Jean-Pierre Bel.
Monsieur Beaumont, les choses sont particulièrement simples et vous semblez torturé par des problèmes qui n'en sont pas.
Vous vous demandez quel texte serait soumis à référendum si cette motion était adoptée. La réponse est simple : ce serait évidemment le texte du Gouvernement ! Que je sache, il ne s'agit pas d'un texte d'initiative parlementaire !
Vous vous êtes demandé ce qu'il adviendrait si nous devions adopter la motion référendaire, dans la mesure où ce projet de loi a été déclaré d'urgence.
Il ne faut pas faire injure à MM. Breton et de Villepin. Il va de soi que, si le Sénat votait cette motion, ils en tireraient toutes les conclusions politiques nécessaires. Il n'y a donc pas de difficulté à cet égard.
Notre président de groupe a invoqué les cinq raisons qui justifient en l'occurrence le recours au référendum. Vous en déduisez qu'il faudrait organiser cinq référendums. Mais alors, si l'on doit vous suivre dans cette logique, il aurait fallu 448 consultations pour que le peuple français statue en connaissance de cause sur les 448 articles du projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe ! Non, vraiment, les Français sont parfaitement capables de comprendre qu'un seul document contienne plusieurs éléments.
À eux, ensuite, de trancher en se prononçant en faveur ou non du texte qui leur est soumis. Cela n'a rien d'extraordinaire.
Vous avez ensuite fait des comparaisons qui n'ont pas lieu d'être.
Entre l'ouverture du capital de certaines entreprises et la cession pure et simple d'une entreprise stratégique, il y a tout de même une énorme différence !
En outre, nous convenons tous ici que nous connaissons actuellement une situation nouvelle, bien différente de celle qui existait voilà dix ans. À cette époque, excepté quelques-uns qui étaient en avance dans la compréhension de ces problèmes de sécurité d'approvisionnement énergétique, la majorité d'entre nous ne voyaient pas les problèmes de cette façon et ne les auraient pas posés ainsi.
La situation et le contexte sont donc différents, mais également la nature de l'entreprise concernée.
Monsieur Beaumont, vous vous êtes donné du mal pour trouver des arguments et vous les avez exposés avec talent, mais c'est en vain, car ils ne sont pas du tout convaincants.
M. Poniatowski lui-même, qui est allé sans doute un peu trop loin, doit être bien embarrassé, dans le secret de sa conscience, d'avoir tenu des propos aussi extravagants que ceux que nous avons entendus, quand il a affirmé que le sujet était trop compliqué pour que les Français puissent se prononcer par référendum.
Je suis certain que vous regrettez ces propos, monsieur le rapporteur.
Dans l'histoire récente, je ne vois que le pape Pie X pour s'être opposé au suffrage universel, dans l'encyclique, en 1906. Ce cas mis à part, chacun s'accorde à penser depuis longtemps que le peuple est capable de trancher sur les problèmes compliqués.
De la même manière, quand vous nous reprochez de ne pas avoir soumis à référendum le projet de loi sur les 35 heures, je pense que vous vous gaussez ! Car les 35 heures constituaient le coeur du programme de la gauche quand elle était candidate au pouvoir. Par conséquent, personne n'a été pris en traître. Réfléchissez-y, monsieur Poniatowski !
À quel moment avez-vous dit - vous, les membres de votre parti, le Président de la République, ou bien les rédacteurs du programme de l'UMP - que vous alliez privatiser Gaz de France au cours de cette législature ?
Dites-nous où cela est écrit, afin que nous puissions apprécier si vous avez fait preuve de la même transparence politique que nous.
Nous, nous avions prévenu les Français, pas vous !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Sur un tout autre sujet, je pense que vous n'avez pas plus de raison d'être contents de vous : solliciteriez-vous réellement, aujourd'hui, un référendum sur la peine de mort ? Vous ne le feriez pas. Il n'y a d'ailleurs que M. Le Pen qui le réclame en France. Et tous les Républicains savent pourquoi ils ne le feront pas, ni aujourd'hui, ni demain, ni jamais.
Mais prenons plutôt le débat à sa racine. Pourquoi le secteur de l'énergie faisait-il l'objet d'un monopole et était-il nationalisé ?
Ce n'est pas parce que notre génération n'a connu que la paix et ses bienfaits que nous devons dédaigner les débats de nos aînés.
Pourquoi ceux-ci avaient-ils nationalisé ?
Il ne s'agissait pas d'une nationalisation de circonstance. Tout à l'heure, quelqu'un a évoqué le cas de Renault. Mais si l'on a nationalisé Renault, c'est pour la punir de sa collaboration avec l'occupant nazi. On aurait d'ailleurs pu en nationaliser beaucoup d'autres car, dans ces milieux, pour ce qui était de la collaboration, ça y allait !
Propos très inutiles !
Le cas est tout différent pour ce qui concerne l'énergie : ce n'était pas une nationalisation de circonstance, et ce n'était pas non plus une nationalisation idéologique, au sens où la droite et la gauche se seraient opposées sur le fond du dossier car, à cette époque, nous étions tous unis pour vouloir cette mesure. Pourquoi ? Parce que nous pensions tous alors que l'intérêt général était en cause. Quel intérêt général ? Celui dont la défense s'imposait face aux trafics constatés avant-guerre, menés par de grands fournisseurs qui mettaient ainsi en cause la sécurité de l'approvisionnement du pays et son indépendance.
Précisément, que signifie l'indépendance nationale ? Ce n'est pas une marque de nationalisme, mais ce que l'on se doit entre citoyens vivant au sein d'une même communauté légale : la protection mutuelle, donc aussi les moyens de l'assurer.
L'indépendance, que l'on va qualifier de nationale, est donc en réalité la souveraineté civique : les Français décident de se garantir un certain nombre d'avantages et s'en donnent les moyens.
M. Bel et d'autres ont rappelé les dispositions de la Constitution de 1946 concernant les entreprises dont l'exploitation a ou acquiert un caractère de monopole.
Ces dispositions ne constituent pas le seul fondement de la nationalisation. Il en existe un autre. Dans une société civilisée, et au fur et à meure qu'elle se civilise, un certain nombre de droits de base sont garantis par la collectivité.
Si cela ne va pas de soi dans les sociétés qui n'en ont pas les moyens, en revanche, dans un grand pays riche comme le nôtre, c'est possible, notamment en ce qui concerne l'approvisionnement en énergie.
Et pourquoi s'agissant singulièrement du secteur de l'énergie ? Tout simplement parce que, dans ce domaine, il n'y a pas d'alternative possible.
En effet, dans de nombreuses activités qui relèvent de la production privée, il existe une alternative, car on peut se passer du service fourni. Mais comment se passer du service de l'approvisionnement en énergie ? C'est impossible ! Il n'y a pas d'alternative, car personne ne peut se passer d'énergie.
Par conséquent, la garantie apportée par la collectivité est très importante et doit être assurée par l'État, la volonté nationale et dans le respect de la primauté de l'intérêt général.
Voilà pourquoi il a été décidé en 1946 non seulement de garantir au pays son indépendance et la maîtrise de son approvisionnement, mais aussi de les garantir à chaque citoyen.
Or qu'est-ce que la souveraineté si celle-ci est entachée du risque qui menace désormais le secteur dont nous parlons ?
En effet, si ardents partisans que vous soyez de la privatisation, vous ne pouvez pas nier que, dorénavant, un double risque existe et pour les particuliers et pour le pays : pour les particuliers, le risque de ne plus pouvoir accéder au service ; pour le pays, le risque de voir ses approvisionnements remis en cause. Double risque, oui, tout au moins si on laisse la libéralisation produire dans notre pays tous les effets qu'elle a pu produire partout où on lui a laissé libre cours, à savoir notamment des ruptures d'approvisionnement et des interruptions de fourniture.
Mes chers collègues, lors de la canicule qui a frappé l'Europe en 2003, et sans qu'il soit besoin de remonter plus loin, la France a été le seul pays où de telles ruptures n'ont pas été constatées. Il y avait bien une raison à cela !
La raison, c'est que nous étions équipés correctement. Et chaque fois que nous avons été menacés de ne plus l'être, c'est précisément parce que l'on a fait valoir un autre principe que l'intérêt général. Alors ?
Entre public et privé, si l'opposition n'existe pas toujours, elle survient quelquefois, voire souvent. Et tout dépend dans quel domaine elle frappe. En l'occurrence, le domaine particulièrement sensible.
Si vous confiez une activité à une entreprise privée, il est normal que ses actionnaires cherchent à faire fructifier leur investissement. On ne leur demande pas de prendre en charge l'intérêt général.
Je prends un exemple : les États-Unis d'Amérique ne possèdent pas plus de gaz que nous. Pouvez-vous nous garantir que, lorsque les tarifs augmenteront, les méthaniers français n'iront pas servir d'abord le marché américain, car les tarifs y seront plus intéressants qu'en France ? Vous ne pouvez pas le garantir s'agissant d'une entreprise privée chargée de l'exploitation et de la fourniture de gaz !
Mais, moi, je peux vous garantir le contraire !
Quand les propres dirigeants de cette entreprise annoncent - c'est d'ailleurs tout ce qu'ils ont promis pour l'instant - que leur objectif sera non pas d'assurer une production de meilleure qualité ou un meilleur service, mais d'augmenter de plus de moitié le rapport des dividendes, nous sommes prévenus, nous savons à l'avance quelles seront leurs règles d'action. Et nous ne pouvons pas leur en vouloir.
Les naïfs, ce sont ceux qui croient autre chose ou qui disposent si facilement d'une entreprise qui a tant coûté au pays, comme l'a dit ma collègue communiste, aussi bien en argent, en intelligence humaine qu'en dévouement, pour qu'elle parvienne à un tel niveau de performance.
S'agissant du réseau national de distribution, je ne m'adresserai pas seulement à mes amis de gauche, dont on connaît la conception de l'organisation de la société, mais aussi à tous ceux qui ont à coeur l'intérêt national.
On ne peut pas imaginer, dans un secteur aussi stratégique, de disjoindre la question de la production de celle des réseaux de transport et de distribution. Or vous allez aussi privatiser la filiale qui gère les réseaux, et vous n'avez aucune garantie qu'elle ne sera pas vendue séparément !
Les Allemands ont tous du gaz, et les réseaux n'appartiennent pas à l'État !
Vous êtes d'accord pour que cela se passe ainsi ? Quelle garantie en attendez-vous ?
Supposons que, par extraordinaire, les dirigeants soient uniquement animés par la volonté d'assurer des approvisionnements corrects. Pouvez-vous garantir ici que les investissements seront réalisés à temps ? Avez-vous un exemple à nous communiquer qui prouve que l'expérience a été faite et que cela s'est bien déjà passé ainsi ? Non, c'est même l'inverse : dans tous les pays qui ont connu la privatisation, celle-ci s'est faite au détriment de l'investissement.
Dans notre propre pays, pour ouvrir au secteur privé le capital d'Électricité de France, on a prolongé la durée d'amortissement des centrales nucléaires de dix ans afin que le rapport financier soit plus intéressant.
Tels sont les débuts auxquels nous avons assisté. Et vous croyez que la suite sera meilleure ? Non, ce n'est pas possible !
Mon intention n'est pas de faire je ne sais quel procès à l'entreprise privée. Je constate simplement que celle-ci agit selon sa propre logique. Et si nous ne voulons pas être assez naïfs pour en attendre autre chose, nous devons regarder cette réalité en face, car notre seul rôle ici est de garantir l'intérêt général.
Telles sont les raisons qui justifient, par leur importance même, une consultation des Français.
Croyez-vous vraiment que nos compatriotes soient incapables de comprendre les défis qui sont les nôtres ? Avez-vous une telle confiance dans les solutions que vous préconisez que vous vous sentiez dispensés de consulter les Français ? Pourtant, nous parviennent de nombreux témoignages du trouble et du doute qui s'emparent de nombre d'entre vous, et pour des raisons qui ne sont pas forcément les mêmes que les nôtres, sur le plan politique.
Non, messieurs les ministres, chers collègues, vous nous demandez d'entrer les yeux fermés dans une logique dont vous ne connaissez même pas l'aboutissement.
Quelles conditions la Commission posera-t-elle ? Vous n'en savez rien ! Que demandera Suez au moment de la fusion avec GDF ? Vous n'en savez rien ! À moins que vous n'en sachiez plus, mais que vous ne nous l'ayez pas dit, à nous qui représentons pourtant le peuple et qui avons tous les droits à cet instant !
À toutes ces questions, nous ignorons donc les réponses.
Lequel d'entre vous, dans la gestion de ses affaires privées, celles de sa commune ou de la collectivité qu'il préside, accepterait de prendre une décision sans en connaître les paramètres les plus importants, ceux qui vont conditionner sa mise en oeuvre ? C'est pourtant ce que l'on nous demande à cette heure !
L'intérêt général n'est pas garanti. Or nous sommes chargés de l'intérêt général s'agissant de l'approvisionnement.
Il ne l'est pas davantage pour le pacte social qui, je l'ai dit tout à l'heure, était au coeur de la décision de nationalisation prise en 1946.
L'entreprise privée va devoir arbitrer entre deux exigences, entre les tarifs et les bénéfices.
Vous voulez faire payer indéfiniment le contribuable ! Et pourquoi n'avez-vous pas organisé un référendum sur le nucléaire ?
Vous nous avez habitués à mieux, monsieur Mélenchon !
Non, bien sûr, ce serait trop dangereux !
Restons-en à l'arbitrage entre tarifs et pouvoir d'achat, question qui, vous en conviendrez, monsieur Longuet, a quelque importance pour l'équilibre général du mode de gouvernement de ce pays.
Vous autorisez que le tarif prenne en compte, outre l'investissement et le prix de revient, les bénéfices, dont la proportion - la question est aussi vieille que le commerce lui-même - se fixe sans contrainte dans un marché où le client, captif, n'a pas le choix. Comment va s'exercer la concurrence ? Partout à la hausse, monsieur Longuet !
... sans exprimer un a priori idéologique. Partout, les tarifs ont augmenté sans discontinuer et sans rapport avec les coûts. J'en veux pour preuve l'exemple de GDF même qui, aujourd'hui, sert plus d'argent à ses actionnaires qu'à ses salariés, réussissant à se faire épingler par la Commission de régulation, laquelle a démontré que GDF avait fixé des tarifs excédant, et de très loin, l'augmentation des coûts d'approvisionnement. Croyez-vous que cela va s'arrêter ? Et pour quelles raisons, d'ailleurs, ce mouvement s'arrêterait-t-il ?
L'entreprise, qui doit nécessairement faire appel à ses actionnaires, s'emploie à rendre attractif cet apport de capital. Elle ne fait qu'obéir à sa logique. Par conséquent, entre tarifs et pouvoir d'achat, elle arbitrera toujours dans le même sens.
Alors, vous pourrez bien réunir une table ronde sur l'augmentation du pouvoir d'achat des travailleurs, il suffira qu'une entité que vous ne connaîtrez même pas décide, peut-être depuis l'autre bout de la planète, d'augmenter le tarif d'une fourniture de base pour que, en quelques instants, tout soit renversé, pour que tout ce que vous avez imaginé pour votre patrie et pour vos concitoyens soit ruiné, pour que tous les efforts que vous aurez accomplis au titre du dialogue social soient anéantis. Voilà ! Ce sont les faits que l'on voit partout !
Sans oublier, monsieur Longuet, puisque vous m'avez cherché sur ce plan, qu'il reviendra aux ménages, et à personne d'autre, de mettre la main à la poche pour équilibrer le retour au tarif d'origine ! Cela aussi, c'est une réalité !
Messieurs les ministres, chers collègues, j'ai tenté de vous présenter des arguments autres que les simples raisons pour lesquelles un socialiste, un communiste, voire un écologiste, peuvent être contre la privatisation du service de l'énergie.
Mes arguments, je les ai tous ramenés à l'intérêt général. Quoi que l'on pense par ailleurs du nucléaire, croyez-vous que les décisions prises en la matière, conformes à l'idée que les gouvernements d'alors se faisaient de l'intérêt général et qu'ils étaient légitimement en droit d'imposer s'agissant d'un grand pays comme le nôtre, croyez-vous que ces décisions-là auraient pu être prises par des entreprises privées ? Et, demain, pour répondre à la crise écologique, à qui donnerez-vous des ordres ? Aux actionnaires privés ? Bien sûr que non !
Vous ne pouvez le faire qu'avec un outil public, seul capable de gérer le long terme, d'accumuler, de prévoir, de vouloir avec assez de constance et de durée.
Si nous n'avions pas agi de la sorte, nous n'aurions pas préservé notre indépendance énergétique. Et, pour prendre des sujets peut-être moins délicats, mais qui sont d'actualité, nous n'aurions pas eu la fusée Ariane, qui est une pure décision politique dont on mesure maintenant l'ampleur de l'impact technologique.
L'intérêt général n'est pas garanti pour l'approvisionnement. Il ne l'est pas pour le pacte social. Il ne l'est pas davantage pour la souveraineté civique.
Vous savez comme moi que les grands contrats dans le domaine de l'énergie sont négociés par les États, seuls en mesure de créer des rapports de force intéressants. §Et, demain, nous irions négocier avec tel ou tel pays en demandant au passage, outre les fournitures, la part qui reviendrait aux actionnaires privés, bénéficiaires de ces négociations ? Voilà qui ne serait pas bien nouveau et qui rappellerait des images du passé !
En outre, quoi qu'on nous ait dit tout à l'heure, vous ne pouvez pas nier qu'à l'instar de ce qui s'est passé dans le monde entier sur de tels sujets, la privatisation amènera des restrictions de personnels. Et ces restrictions se feront selon des normes qui vous échapperont, à vous, comme à nous.
Or l'intelligence humaine et le savoir-faire sont cruciaux en ces domaines. Vous savez comme moi que le service qui garantit conjointement, pour l'électricité et le gaz, la maintenance des réseaux est menacé...
...et pas seulement par un rapport d'une société travaillant pour une autre société et qui se répand dans la presse, comme nous l'a dit M. le ministre délégué à l'industrie. C'est ainsi partout dans le monde.
Tout le reste a déjà été excellemment dit. Nous vous en régalerons bientôt de nouveau, article par article, amendement par amendement.
Pour conclure, je vous demande pourquoi vous ne voulez pas de ce référendum. Supposez que vous soyez assurés d'une réponse positive : mesdames, messieurs, mes chers collègues, tous debout et d'un seul mouvement, vous adopteriez cette motion, car rien ne vous ferait plus chaud au coeur qu'un petit « oui » avant le vote de 2007 !
Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Il n'y a aucune impossibilité physique à l'organiser. En vérité, si vous n'en voulez pas, c'est parce que vous connaissez la réponse.
Les Français répondraient non. Eux, qu'on ne croit pas très malins, comprendraient en deux temps, trois mouvements, ce que je viens de vous expliquer. Il leur suffirait de se pencher sur leur contrat, de lire un journal ou de se tenir vaguement au courant de ce qui se passe dans le monde. Ils verraient bien que tous les autres pays sont en train de reprendre la main sur leurs services de l'énergie. Et nous, les Français, qui cumulons les bizarreries depuis quelques années, ...
... disons depuis cinq ans, nous sommes les seuls à décider tout à coup que mieux vaut confier nos intérêts à un Belge qu'à un Français ! Voilà ce que nous décidons en ce moment !
Si vous ne voulez pas de ce référendum, c'est parce que vous savez que la réponse serait non. Et si vous le savez, alors, vous êtes déjà en train de violer et l'intérêt général et la souveraineté populaire !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Je serai très bref. Tout à l'heure, j'ai demandé à interrompre M. le rapporteur avec la courtoisie habituelle dans cette assemblée, celle qui a toujours présidé à nos relations. Or, j'ai eu le vif regret de me l'entendre refuser.
Mais il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas. Et je me suis inscrit dans cette discussion générale pour pouvoir vous répondre ce que je voulais vous répondre, monsieur le rapporteur.
J'entendais le faire avec amabilité et courtoisie. Le ton risque maintenant d'être un peu plus sévère.
Sourires
Vous l'avez en effet mérité en refusant de me laisser vous interrompre.
Vous avez expliqué que nous aurions dû et que nous aurions pu demander nous-mêmes ces référendums plus tôt. C'est vrai que nous pouvions le faire. Mais c'est vrai aussi que M le Président de la République, qui nous a fait nous déplacer au mois d'août à Versailles pour modifier la Constitution en vue d'étendre le champ du référendum à des questions de société, en particulier en matière économique et sociale, ne l'a jamais fait. Et vous le savez parfaitement.
Lui qui, j'en suis sûr, écoute nos débats avec beaucoup d'intérêt
Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC
, est en train de se dire qu'après tout c'est pour lui la dernière occasion d'interroger les Français.
Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.
Mon ami Jean-Luc Mélenchon vient d'avancer que, si vous ne voulez de cette consultation, c'est parce que vous savez que vous la perdriez. Ce n'est pas cela qui devrait arrêter le Président de la République !
Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, j'apprécie la courtoisie dont vous faites preuve. Pour moi, le débat consiste à parler les uns après les autres. C'est la seule raison pour laquelle je me suis permis tout à l'heure de vous refuser de m'interrompre.
Je ne crois pas avoir la réputation d'être mal élevé. Je suis, au contraire, assez respectueux du bon fonctionnement de la démocratie et des droits de l'opposition.
M'avez-vous entendu une seule fois hier, l'après-midi ou le soir, interrompre d'une manière ou d'une autre l'un des orateurs, de la majorité ou de l'opposition ? C'est la raison pour laquelle j'ai refusé, certes un peu vivement, que vous m'interrompiez. En revanche, je trouve très bien que nous puissions débattre en exposant nos arguments respectifs l'un après l'autre.
Bien sûr, l'exemple que j'ai pris ne vous a pas plu. J'ai simplement voulu faire une comparaison en expliquant qu'il y avait d'autres sujets qui aurait pu être soumis à référendum. Cela ne veut d'ailleurs pas dire que j'y aurais été favorable.
Je pense, tout à fait comme M. Mélenchon, que, sur certains sujets, il est bon que la représentation nationale assume sa responsabilité en prenant des décisions, tout en sachant pertinemment que l'opinion publique se prononcerait dans le sens contraire, comme ce fut le cas pour l'abolition de la peine de mort.
Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne souscrit évidemment pas à la proposition qui est faite. La raison en est assez simple : voici que le Parlement, représentant du peuple, se trouve au centre des discussions. Et voici que les parlementaires sont appelés à prendre leurs responsabilités. Laissons donc se poursuivre le débat.
Une chose m'a beaucoup étonné dans ce que je viens d'entendre. Le Parlement s'est exprimé dans la première chambre saisie, l'Assemblée nationale, où se sont tenus de longs débats au cours desquels chacun a pu prendre la parole et poser ses questions. Aux interrogations des uns et des autres, le Gouvernement a répondu en permanence, et je tiens ici à rendre hommage à François Loos.
Ce débat, qui, conformément à la vocation du Parlement, a permis d'enrichir le texte, se poursuit désormais devant la Haute Assemblée.
De quoi avez-vous peur, pour ne pas vouloir débattre ?
Le débat a lieu pour que vous puissiez vous faire entendre et dire éventuellement non si vous n'êtes pas d'accord. Après quoi, cette assemblée votera, et chacun se prononcera en son âme et conscience.
Or les arguments que j'ai entendus me semblent très éloignés de la réalité.
En effet, aujourd'hui, entre quinze heures et seize heures, je n'étais pas parmi vous, car j'assistais à la séance de questions d'actualité de l'Assemblée nationale, comme il est de ma responsabilité en tant que membre du Gouvernement. Pendant ce temps, M. Loos était évidemment présent dans cette enceinte, attentif à vos arguments, pour que nous préparions ensemble la réponse du Gouvernement.
Certains considèrent que Gaz de France exerce un monopole de fait. C'est inexact. Les activités de production et de transport sont ouvertes à tout opérateur, privé le cas échéant. Total en est un exemple.
Il en va de même pour les activités de stockage et pour le secteur du gaz naturel liquéfié. Ainsi, un opérateur privé, Poweo, va entreprendre la construction d'un terminal de GNL à Antifer.
Gaz de France ne dispose pas non plus d'un monopole national sur la distribution. N'oublions pas en effet que les distributeurs non nationalisés peuvent soumissionner les appels d'offres. Ils peuvent, autant que Gaz de France, bénéficier de délégations de service public, lesquelles font aujourd'hui référence.
Enfin, le monopole de GDF sur la fourniture de gaz aux clients domestiques sera supprimé à compter du 1er juillet 2007, lors de l'ouverture totale du marché.
Vous oubliez que votre refus de tout débat aurait pour conséquence immédiate d'empêcher que la directive « Énergie » ne soit transposée. Peut-être est-ce ce que vous souhaitez. Votre attitude est certes respectable et vous avez parfaitement le droit de vous en tenir à cette position. Mais vous seriez responsables devant les consommateurs français, qui en sortiraient perdants, de votre refus de fait de transposer la directive « Énergie ».
Nous estimons pour notre part qu'il est indispensable de poursuivre sereinement ce débat. Soyez assurés que le Gouvernement jouera pleinement son rôle et veillera à la qualité de nos travaux.
Monsieur le président, le Gouvernement est disposé à ce que ce débat suive le rythme que lui imprimera la Haute Assemblée, bien que certains des arguments - des arguties - que j'ai entendus soient d'un autre âge. Je dis cela sans esprit de polémique.
M. Thierry Breton, ministre. Ces arguments ignorent les évolutions du monde tel qu'il est et ne prennent pas en considération les intérêts des Françaises et des Français.
Protestations sur les travées du groupe CRC.
Autant je respecte toutes les opinions qui se sont exprimées sur ces travées, autant j'estime qu'il est de l'intérêt des consommateurs et de nos compatriotes que cette directive soit transposée, afin de nous permettre de préserver les tarifs réglementés et de proposer un tarif social pour le gaz. Il ne s'agit pas de privatiser Gaz de France pour le plaisir de privatiser - encore des considérations d'un autre âge -, il s'agit bien plutôt de lui donner la possibilité d'aller de l'avant
M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.
Monsieur Mélenchon, vous étiez absent hier. Aussi n'avez-vous peut-être pas saisi qu'à partir du 1er juillet 2007, à la suite de la décision prise en 2002 à l'unanimité des gouvernements réunis à Barcelone d'ouvrir les marchés de l'énergie - indépendamment des directives ultérieures, que je ne méconnais pas -, n'importe quel fournisseur pourra utiliser les tuyaux de Gaz de France pour vendre directement son gaz aux consommateurs français.
M. Thierry Breton, ministre. Voilà ce à quoi il faut se préparer !
M. Jean-Luc Mélenchon proteste.
Vous ne réalisez pas que, 'à partir du 1er juillet 2007, Gaz de France aura l'obligation de mettre ses propres tuyaux à la disposition de ses concurrents afin de leur permettre de vendre directement leur gaz aux consommateurs français.
Nous voulons donner à Gaz de France la possibilité de se battre à armes égales.
Vous ne voulez pas voir l'évolution qui, désormais, appartient à notre héritage commun. Vous remontez à 1945. Moi, je remonte à 2002.
Enfin, si lyriques soient certaines de vos envolées sur l'énergie et sur la protection de notre approvisionnement, je constate que, dans l'histoire, vous avez toujours dit non, même si je reconnais que cela n'a pas toujours été le cas dans cette assemblée. Je vise les sénateurs du groupe socialiste, plutôt que ceux du groupe communiste. Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe socialiste, vous avez toujours refusé toute évolution dans le domaine de l'énergie, en particulier s'agissant du nucléaire.
Vous refusez toute avancée. Nous sommes habitués à vos discours.
Ainsi, vous vous êtes opposés à la décision prise par Pierre Messmer, alors Premier ministre, poursuivant l'oeuvre du général de Gaulle, de lancer la construction de seize centrales nucléaires.
Vous avez toujours dit non. Nous avons de la mémoire, les Français aussi !
Monsieur Mélenchon, nous sommes habitués à vos envolées. Nous savons votre sentiment sur ces questions, et nous le respectons. Mais, avec vous, c'est toujours non ! Laissons donc s'exprimer ceux qui veulent dire oui pour les Français.
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires économiques tendant au rejet de la motion de renvoi au référendum, je donne la parole à M. Jean-Marc Pastor, pour explication de vote.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon propos est non pas de classer les parlementaires selon leurs vertus démocratiques, mais à attirer l'attention sur un changement profond, sur un tournant historique. La France démocratique et républicaine amorce un virage qui, à la veille d'une échéance politique fondamentale, n'est pas dénué de sens.
Cette spécificité d'une république vieillissante pour certains, mais identifiée par son histoire, ses racines, son pacte social et mutualiste, disparaît sous le modernisme et la banalisation de l'organisation de la société en raison du choix d'un capitalisme rayonnant dans le monde.
S'agissant de modernisation, j'aurais préféré que l'on se préoccupât davantage du rôle des représentants du peuple, des parlementaires sous la Ve République, afin de rendre la politique plus proche du citoyen.
Ce n'est pas le choix qu'a fait la majorité. J'en veux pour preuve la manière dont a été traité ici même ce sujet de fond- à la hussarde. Faute de permettre au Parlement d'effectuer ce travail de fond auquel nous étions habitués, oui, l'avis du peuple de France doit être sollicité pour combler cette carence.
Une seule nuit entre l'adoption du texte par l'Assemblée nationale et le début des réflexions au Sénat : ce ne sont pas des conditions normales.
Cessez de bafouer la République comme vous le faites ! À tant scier la branche sur laquelle nous sommes assis, elle pourrait bien tomber.
Cessez de prendre de haut le citoyen sous prétexte qu'il serait incompétent pour apprécier ce problème technique ! Là commencent les dérapages politiques.
Cessez de nous tromper ! En effet, en demandant au Parlement d'autoriser une privatisation avant même de connaître l'importance des activités dont Bruxelles réclame la cession - nous n'en serons informés qu'au mois de novembre, c'est-à-dire après le vote -, vous lui faites signer un chèque en blanc.
Les Français méritent mieux ; ils méritent d'être consultés.
Comment pouvez-vous admettre la privatisation de GDF sans qu'on connaisse bien son avenir ? Que pensent les actionnaires de Suez de tout cela ? Cessez enfin de nous tromper !
Monsieur le ministre, l'accord de Barcelone, auquel vous faisiez allusion, conclu avant l'élection présidentielle de 2002, prévoyait l'ouverture du marché de l'énergie aux entreprises, non pas aux ménages.
Surtout, deux conditions étaient posées : d'une part, la réalisation d'une étude d'impact sur le marché ; d'autre part, l'adoption d'une directive-cadre sur les services d'intérêt économique généraux. Faute de quoi, l'ouverture ne pouvait avoir lieu.
Or, dès novembre 2002, soit quelques semaines plus tard, vous avez accepté l'ouverture pour tous les ménages, sans directive-cadre, sans véritable préparation.
Oui, le citoyen français doit être impliqué dans ces choix stratégiques afin qu'on n'abuse plus de lui.
GDF n'appartient pas qu'aux seuls actionnaires. Le considérer, ce serait remettre en cause le principe même du service public. Ce concept vieux de soixante ans serait ainsi balayé.
J'ai du mal à concevoir qu'une poignée d'individus puissent ainsi démanteler ce patrimoine national, propriété de tous, qui a fait l'honneur de la France. Oui, cet ensemble est bien la propriété intellectuelle de tous les Français.
Alors, ayons le courage de leur poser la question. L'énergie, c'est la vie. La vie est un bien individuel. L'énergie doit rester un bien collectif, pour l'intérêt de chacun. Il revient maintenant aux Français de se prononcer sur ce bien indivis, propriété de tous. En paraphrasant notre illustre prédécesseur, Victor Hugo, je dirai que la France gouvernée par le privé seulement serait l'océan gouverné par un ouragan.
Voilà pourquoi nous demandons que le Sénat rejette les conclusions négatives de la commission et adopte cette motion afin de permettre au peuple de se prononcer sur cet ouragan !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout a été dit, ou presque.
Injustement, vous nous reprochez de refuser le débat, alors même que nous voulons le porter dans l'ensemble du pays.
Arguments et arguties, dites-vous. Quel mépris à l'égard du Sénat, des sénatrices et des sénateurs ! Être élu, monsieur le ministre, c'est respecter le peuple.
Considérations d'un autre âge, dites-vous encore. Ce qui est d'un autre âge, monsieur le ministre, c'est la mondialisation, qui oppose les peuples, ce sont les règles européennes de la concurrence, qui fabriquent des nains économiques, telle la règle des deux tiers, face à une mondialisation qui laisse se former à côté de nous des géants économiques mondiaux. Ce qui est d'un autre âge, ce sont les directives, qui livrent l'ensemble des grands services publics aux appétits financiers des actionnaires et des fonds de pension.
Monsieur le ministre, l'énergie française a une longue histoire, depuis la lampe à huile en passant par les réverbères à gaz, qui devaient faire de Paris la Ville lumière. En 1946, dans un pays ruiné et exsangue, des hommes ont su jeter pour des décennies les bases d'une société plus juste, plus égalitaire.
La mondialisation n'est pas la fin de l'histoire. L'Europe ultralibérale ne l'est pas davantage. L'histoire s'écrit ici, aujourd'hui. Le Sénat vous donne l'occasion unique de sortir par le haut de ce mauvais pas dans lequel vous vous enferrez.
Vous persistez dans cette voie, vous disant qu'il en restera toujours quelque chose. Vous avez tort, du moins je l'espère. Donner la parole au peuple de France sur un sujet somme toute beaucoup plus simple que ne l'était celui de la Constitution européenne me semble aujourd'hui être un impératif démocratique.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, personnellement, je suis assez dubitatif sur cette affaire. Je comprends parfaitement les raisons qui justifient le dépôt de cette motion, mais je ne suis pas totalement convaincu qu'un référendum soit la meilleure réponse. Après tout, il incombe au Parlement de prendre ces décisions.
Cependant, au-delà des différentes sensibilités politiques, j'estime que le Parlement serait bien inspiré de refuser ces privatisations.
Monsieur le ministre, je ne mets en doute ni votre volonté ni vos convictions lorsque vous affirmez que c'est aller de l'avant que de s'engager dans la voie de la privatisation. §Mais, en la matière, vous me paraissez un prince de l'utopie : l'exemple très récent de la privatisation des autoroutes en est l'illustration.
Jusqu'à il y a peu encore, ces autoroutes étaient particulièrement bien entretenues, et les bas-côtés, régulièrement fauchés. Aujourd'hui, sur toutes les autoroutes de France, on voit des herbes folles pousser au milieu des voies. Il en va de même pour les plantations, hier superbes. Il n'est que de citer les dix millions d'arbres plantés au bord des autoroutes du sud de la France : ils sont devenus, hormis les abords des échangeurs, de véritables ronciers !
Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Au-delà de l'aspect esthétique - les visiteurs n'auront sans doute pas une très bonne image de notre pays -, il faut évoquer la sécurité : cette végétation sauvage, qui ôte une grande partie de la visibilité, présente un danger pour les automobilistes.
Messieurs les ministres, je me demande quelle sera demain la portée du contrôle et des sanctions des commissions que vous mettez en place. Vous savez très bien que, dans un capitalisme sauvage, débridé, ces mesures resteront lettre morte.
Par ailleurs, je m'interroge sur l'état des réseaux dans dix ans. Certes, le problème ne se posera pas lorsque les canalisations auront une certaine taille. Mais l'approvisionnement des quelques villages de 200 ou 300 habitants au coeur des Pyrénées ou du Massif central risque, lui, de poser problème. Ces réseaux seront complètement abandonnés et vous savez très bien que, à ce moment-là, la puissance publique ne pourra rien contre les puissances de l'argent !
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je rappelle que, en application de l'article 68 du règlement, l'adoption par le Sénat d'une motion concluant au référendum suspend, si elle est commencée, la discussion du projet de loi.
Je mets aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin a lieu.
Il est procédé au comptage des votes.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 5 :
Les conclusions négatives de la commission des affaires économiques sont adoptées.
En conséquence, la motion de renvoi au référendum est rejetée et le Sénat va poursuivre la discussion du projet de loi relatif au secteur de l'énergie.
J'informe le Sénat que le groupe socialiste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la mission commune d'information sur la notion de centre de décision économique et les conséquences qui s'attachent, dans ce domaine, à l'attractivité du territoire national, en remplacement de Pierre-Yvon Trémel, décédé.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.
Mes chers collègues, pour permettre à ceux - ils sont nombreux - qui doivent être présents à la conférence des présidents d'y assister, nous allons interrompre nos travaux.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Roland du Luart.