Intervention de Benoît Thieulin

Commission des affaires économiques — Réunion du 17 avril 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Benoît Thieulin président du conseil national du numérique

Benoît Thieulin :

Les médias ont abordé la problématique de la diversité au sein du CCNum. De mémoire, le Canard enchaîné avait parlé de quatre ou cinq membres connus pour être proches du Parti socialiste, ce qui reste faible sur les 25 membres qu'il compte. Par ailleurs, Marie Ekeland, qui a été une des leaders de la révolte dite des « pigeons », est une excellente membre du CNNum. Je ne crois donc pas qu'il y ait de problème particulier. Je précise que je ne suis pas décisionnaire dans la composition du conseil, c'est la compétence du Gouvernement. Les tours de table montrent en tout cas qu'il y a une vraie diversité de points de vue, ce qui était la priorité recherchée.

Nous devons discuter lors de notre prochaine réunion plénière de la façon dont nous allons travailler avec les neuf membres associés. Dans le décret, c'est sur notre programme de travail que nous souhaiterions avoir un appui. Nous n'avons actuellement qu'un rapporteur et demi, ce qui, pour trois groupes de travail, est assez difficile. Au-delà, le rapport direct avec le Parlement et les associations de collectivités dont nous bénéficions nous permettra de les consulter plus facilement. Plus un point de vue est discuté et enrichi, meilleur il est. Sans doute aurait-ce été le cas pour notre premier avis, si nous avions eu plus que trois semaines pour le rendre.

S'agissant de la neutralité, et du caractère superflu ou peu normatif d'une loi s'y rapportant, cela me paraît discutable. Le « paquet télécoms » donne des moyens aux régulateurs ; il n'est pas dit que l'inscription dans la loi du principe de neutralité ne leur en donnerait pas davantage. Certaines institutions n'interviennent pas autant qu'elles en ont les moyens juridiquement ; la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pourrait se saisir de bien des aspects de la neutralité du Net, ce qu'elle ne fait pas. Légiférer permettrait à notre sens de renforcer la légitimité de ces acteurs à intervenir dans ce domaine.

Si l'on touche ainsi à un principe fondamental d'Internet, il faut bien avoir en tête que le droit est un rapport de force qui ne pourra peser qu'à partir du moment où le sujet fera débat dans la société. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Rien ne vaut un débat au Parlement sur une question aussi importante, afin de faire davantage connaître cette problématique.

A l'échelle européenne, et même internationale, la France a parfois pris des positions délicates pour la communauté numérique. Elle s'honorerait à prendre aujourd'hui la tête du mouvement de défense d'un principe fondateur d'Internet, au-delà de la seule enceinte nationale. Cela nous donnerait par la même occasion une stratégie et un levier d'action pour exercer une influence en matière de fiscalité numérique. Il y a là une opportunité politique pour notre pays, qui nous ferait bénéficier d'une véritable audience sur ces sujets.

S'agissant du « chiffon rouge » que nous aurions agité en faisant allusion à la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, vous avez raison : si c'était à refaire, nous nous limiterions sans doute à indiquer ce à quoi nous souhaiterions conférer valeur législative, sans préciser dans quel texte. Et ce même si nous avions souligné que cette loi n'était qu'un véhicule faisant écran à d'autres textes plus anciens. Des échanges plus nourris avec l'écosystème numérique nous auraient sans doute permis d'éviter cette erreur.

Pour ce qui concerne les infrastructures, je rappelle que le CNNum n'est pas uniquement focalisé sur les usages. Mon propos à ce sujet était simplement de souligner que le haut débit dans notre pays était de meilleure qualité et moins onéreux que, par exemple, aux États-Unis ; cela ne présume en rien d'autres problématiques telles que les zones blanches.

Lorsque l'on fait allusion à l'asphyxie du réseau, on manque de données objectives quant à sa réalité, son coût et ses conséquences : on invoque souvent, par exemple, la nécessité de sanctuariser un haut niveau de bande passante pour la télémédecine alors que la télé-opération reste pour l'instant de la science-fiction ! Nous ne disons pas qu'il n'y a pas de sujet, mais qu'il faut l'objectiver très concrètement. Cela fera peut-être partie de nos futurs travaux.

En ce qui concerne les cas de harcèlement sur les réseaux sociaux, certes dramatiques et semblant se multiplier, il faut se demander si le média Internet ne fait pas que révéler des situations existant indépendamment de lui. Les tweets incriminés pour homophobie ou antisémitisme, auxquels je me suis intéressé, sont issus de populations jeunes et socialement défavorisées. Il faut faire porter l'effort sur l'éducation, notamment à l'école. Les jeunes d'aujourd'hui, les digital natives, n'ont pas le même rapport avec la technologie que leurs aînés, qui ont davantage de distance et font preuve de plus de réflexion. Aux États-Unis, Barack Obama lui-même a participé à une vidéo attirant l'attention des jeunes sur les dangers de l'Internet. Au-delà, je regrette que le monde de la recherche universitaire ne s'intéresse pas suffisamment à ces thématiques, mis à part quelques chercheurs comme Bernard Stiegler ; il faut investir ces champs pour avoir, en aval, davantage de professeurs capables de les évoquer dans les écoles.

Pour ce qui est de la discrimination rural-urbain, les services proposés par Internet sont une réponse à l'éloignement, ce qui rend les connexions dans ces zones reculées aussi cruciales. Pour avoir été récemment au Sénégal, j'ai pu constater que les africains faisaient un saut de la première à la troisième révolution industrielle, en se connectant, avec une borne d'accès alimentée par l'énergie solaire, au plus grand réseau de savoirs qu'est Internet.

L'exclusion des applications de la société App Gratis de l'AppStore - il y a eu d'autres affaires du même type - soulève la question des effets de telles décisions arbitraires et unilatérales sur la pérennité d'entreprises du secteur. Il y a, à mon sens, des différences avec la relation entre Airbus et ses sous-traitants, qui s'établit dans le cadre d'un contrat bilatéral dont le contenu est négocié. Dans le cas des stores, il s'agit de contrats unilatéraux, en réalité de conditions générales d'utilisation qui n'ont pas fait l'objet de discussions et peuvent être modifiées à tout moment sans information préalable.

J'espère que nous aurons l'occasion de rediscuter avec vous, notamment sur la fiscalité du numérique ; je n'avais à ce sujet qu'un calendrier, une méthodologie et un contexte à vous exposer aujourd'hui. Nous travaillerons à une première série de recommandations d'ici le 15 juillet puisque nos réflexions doivent alimenter le projet de loi de finances pour 2014, à la demande du Gouvernement.

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