Intervention de Jean-François Vilotte

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 17 avril 2013 : 2ème réunion
Bilan de l'ouverture des jeux en ligne trois ans après — Table ronde

Jean-François Vilotte, président de l'Arjel :

En 2010, l'objectif du législateur, qui en confia en partie la réalisation à l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), était de faire basculer l'offre illégale qui existait sur Internet vers le secteur légal, sans que cette initiative s'accompagne d'une explosion de la demande, avec les risques d'addiction, de jeu pathologique que cela pouvait entraîner.

Quel bilan tirer, près de trois ans après l'adoption de la loi ? Le marché, ouvert à la concurrence, compte 21 opérateurs, qui gèrent 32 agréments. La situation n'est cependant pas la même sur tous les segments : c'est sur les paris sportifs et le poker que la concurrence est la plus forte. Avant l'ouverture, la Française des jeux et le PMU, qui bénéficiaient d'un monopole, recueillaient 650 millions d'euros de mises, et l'on évaluait à plusieurs milliards d'euros celles qui circulaient sur le marché illégal, sans transparence, régulation ni contrôle. En 2012, le montant des mises enregistrées par les opérateurs légaux, régulés, était passé à 9,5 milliards d'euros. Entre 2011 et 2012, cependant, l'évolution a été faible, le chiffre global, soit 1 % d'augmentation masquant de fortes disparités selon les secteurs : 19 % de progression pour les paris sportifs, 9 % pour les paris hippiques, tandis que le poker en ligne recule - et continue de régresser au premier trimestre, de 13 % par rapport au premier trimestre 2012. L'offre illégale, sur les segments ouverts à la concurrence - car il existe encore des jeux qui ne le sont pas, comme le casino en ligne hors poker - est devenue marginale.

Cette évolution du marché français est comparable à celle qu'ont connue les autres marchés européens ouverts pour les mêmes motifs, jusqu'au niveau des segments, puisque l'on observe par exemple, en Italie, le même recul des mises sur le poker en ligne.

Le comportement des joueurs est raisonnable : la mise moyenne est de 50 euros par mois. Reste cependant une petite population de gros parieurs, puisque 50 % des mises sont le fait de 1 % des joueurs. Il convient, dans un souci de prévention des conduites addictives, d'y porter attention.

Le modèle économique des opérateurs n'est pas encore stabilisé. Les pertes d'exploitation, en 2011, ont été significatives : 183 millions d'euros. En pourcentage de produit brut des jeux (PBJ), c'est sur le secteur des paris sportifs que l'on observe le recul le plus net. Les rentrées fiscales issues des prélèvements sur opérateurs ont été, en 2012, de 327 millions d'euros, à quoi s'ajoutent les 32 millions d'euros de TVA prélevés sur les opérateurs établis en France. Au regard de ces chiffres, la question se pose de l'attractivité de l'offre. Si l'on veut que l'offre légale contre efficacement l'offre illégale, il faudra y être attentif. On peut ainsi se demander, au vu du recul sur le secteur du poker, si les joueurs qui ont quitté les opérateurs légaux n'ont pas retrouvé le chemin des opérateurs illégaux.

Quelles évolutions envisager pour aider le modèle à atteindre son point d'équilibre ? Il ne serait pas inutile, en premier lieu, de procéder à une redéfinition juridique des jeux de hasard, à l'heure des évolutions d'Internet et des réseaux sociaux, et alors que la jurisprudence reste incertaine quant à la qualification de ces jeux - je pense en particulier au récent arrêt de la cour d'appel de Toulouse aux termes duquel le « Texas Hold'em » poker ne serait pas un jeu de hasard. En effet, on voit se développer, sur Internet, de nouvelles offres contournant la régulation : jeux prétendument gratuits, mais qui fonctionnent selon un système d'avances remboursables ; jeux en monnaie virtuelle, laquelle peut se convertir en monnaie réelle sur d'autres sites ; jeux abusivement dits d'adresse, qui sortent du même coup de la définition des jeux de hasard.

Se pose, en deuxième lieu, la question de la pertinence de l'assiette fiscale. Pour le collège de l'Arjel, asseoir la taxe sur le produit brut des jeux, soit le produit des mises moins les gains des joueurs, plutôt que sur les seules mises, serait économiquement plus raisonné. C'est d'ailleurs le choix qu'ont fait la plupart de nos voisins européens.

Il conviendrait, en troisième lieu, de porter attention à la question des liquidités sur le poker. Il s'agirait de donner un contenu opérationnel aux accords internationaux passés entre autorités de régulation et d'autoriser une mutualisation des liquidités des tables de poker de plusieurs pays ouvertes sur des sites régulés, comme cela est le cas pour le pari mutuel hippique.

Sans décliner ici les 33 propositions du rapport de l'Arjel, j'ajouterai encore que pour assurer l'intégrité des compétitions sportives, on ne fera rien seuls. La question mérite un traitement à l'échelle de l'Europe : l'harmonisation des règles de prévention et de détection est la clé de la régulation. Un projet est en cours devant le Conseil de l'Europe, auquel la France participe activement. Il serait bon, cependant, de créer en France une plateforme nationale relative aux paris émis hors de France sur les évènements sportifs se déroulant dans notre pays, car on sait que c'est de l'étranger que peuvent venir les manipulations, tant les réseaux criminels savent jouer de l'immatérialité de l'Internet. Les dispositions relatives au délit pénal de corruption sportive mériteraient aussi d'être complétées par une obligation de déclaration de soupçon, comme cela est le cas pour le blanchiment.

Le risque, pour nous, est de voir, au niveau communautaire, baisser les standards de régulation au motif de fluidifier le marché. C'est un enjeu fort, qui suscite bien des remous autour de la Commission européenne. C'est pourquoi il nous semble aventureux de se faire les promoteurs d'une législation communautaire des droits dérivés, et nous militons plutôt pour le développement d'accords de coopération entre régulateurs.

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