Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission procède tout d'abord à l'audition conjointe de MM. Hervé Cacheur, président de JOAONLINE, Xavier Hürstel, directeur général du PMU, François Trucy, président du Comité consultatif des jeux (CCJ), François Vilotte, président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), Gilbert Ysern, directeur général de la Fédération française de tennis (FFT), et Patrick Raude, directeur de la régulation et des affaires européennes de la Française des jeux.
Je remercie les personnes ici présentes d'avoir répondu à notre invitation. Il y a près de trois ans, juste avant la Coupe du monde de football de 2010, que la loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne est entrée en vigueur.
L'examen de ce texte important avait été confié à notre commission, notre collègue François Trucy en avait été le rapporteur. Il s'intéressait d'ailleurs au sujet depuis longtemps et avait publié un rapport parlementaire sur la question des jeux en février 2002. François Trucy a poursuivi sa tâche en faisant un premier bilan de la loi en octobre 2011 et a pris la présidence du Comité consultatif des jeux - c'est à ce titre qu'il se trouve aujourd'hui aux côté des personnalités que nous allons entendre.
La loi de 2010 traitait de sujets aussi divers que nombreux, parfois controversés : lutte contre le jeu illégal, risque d'addiction, risque de trucage des compétitions et, bien sûr, recettes publiques.
Notre commission avait alors a jugé utile de prévoir un bilan de l'application du texte, afin de vérifier si les objectifs que s'étaient assignés le législateur étaient atteints et si, à l'épreuve de la pratique, les règles fixées en 2010 paraissaient toujours les plus adaptées.
Je proposerai donc à chacun d'entre vous, avant de passer aux questions, de faire un point rapide sur ces trois années d'ouverture et de régulation, en nous indiquant, le cas échéant, quelles évolutions vous paraitraient nécessaires.
En 2010, l'objectif du législateur, qui en confia en partie la réalisation à l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), était de faire basculer l'offre illégale qui existait sur Internet vers le secteur légal, sans que cette initiative s'accompagne d'une explosion de la demande, avec les risques d'addiction, de jeu pathologique que cela pouvait entraîner.
Quel bilan tirer, près de trois ans après l'adoption de la loi ? Le marché, ouvert à la concurrence, compte 21 opérateurs, qui gèrent 32 agréments. La situation n'est cependant pas la même sur tous les segments : c'est sur les paris sportifs et le poker que la concurrence est la plus forte. Avant l'ouverture, la Française des jeux et le PMU, qui bénéficiaient d'un monopole, recueillaient 650 millions d'euros de mises, et l'on évaluait à plusieurs milliards d'euros celles qui circulaient sur le marché illégal, sans transparence, régulation ni contrôle. En 2012, le montant des mises enregistrées par les opérateurs légaux, régulés, était passé à 9,5 milliards d'euros. Entre 2011 et 2012, cependant, l'évolution a été faible, le chiffre global, soit 1 % d'augmentation masquant de fortes disparités selon les secteurs : 19 % de progression pour les paris sportifs, 9 % pour les paris hippiques, tandis que le poker en ligne recule - et continue de régresser au premier trimestre, de 13 % par rapport au premier trimestre 2012. L'offre illégale, sur les segments ouverts à la concurrence - car il existe encore des jeux qui ne le sont pas, comme le casino en ligne hors poker - est devenue marginale.
Cette évolution du marché français est comparable à celle qu'ont connue les autres marchés européens ouverts pour les mêmes motifs, jusqu'au niveau des segments, puisque l'on observe par exemple, en Italie, le même recul des mises sur le poker en ligne.
Le comportement des joueurs est raisonnable : la mise moyenne est de 50 euros par mois. Reste cependant une petite population de gros parieurs, puisque 50 % des mises sont le fait de 1 % des joueurs. Il convient, dans un souci de prévention des conduites addictives, d'y porter attention.
Le modèle économique des opérateurs n'est pas encore stabilisé. Les pertes d'exploitation, en 2011, ont été significatives : 183 millions d'euros. En pourcentage de produit brut des jeux (PBJ), c'est sur le secteur des paris sportifs que l'on observe le recul le plus net. Les rentrées fiscales issues des prélèvements sur opérateurs ont été, en 2012, de 327 millions d'euros, à quoi s'ajoutent les 32 millions d'euros de TVA prélevés sur les opérateurs établis en France. Au regard de ces chiffres, la question se pose de l'attractivité de l'offre. Si l'on veut que l'offre légale contre efficacement l'offre illégale, il faudra y être attentif. On peut ainsi se demander, au vu du recul sur le secteur du poker, si les joueurs qui ont quitté les opérateurs légaux n'ont pas retrouvé le chemin des opérateurs illégaux.
Quelles évolutions envisager pour aider le modèle à atteindre son point d'équilibre ? Il ne serait pas inutile, en premier lieu, de procéder à une redéfinition juridique des jeux de hasard, à l'heure des évolutions d'Internet et des réseaux sociaux, et alors que la jurisprudence reste incertaine quant à la qualification de ces jeux - je pense en particulier au récent arrêt de la cour d'appel de Toulouse aux termes duquel le « Texas Hold'em » poker ne serait pas un jeu de hasard. En effet, on voit se développer, sur Internet, de nouvelles offres contournant la régulation : jeux prétendument gratuits, mais qui fonctionnent selon un système d'avances remboursables ; jeux en monnaie virtuelle, laquelle peut se convertir en monnaie réelle sur d'autres sites ; jeux abusivement dits d'adresse, qui sortent du même coup de la définition des jeux de hasard.
Se pose, en deuxième lieu, la question de la pertinence de l'assiette fiscale. Pour le collège de l'Arjel, asseoir la taxe sur le produit brut des jeux, soit le produit des mises moins les gains des joueurs, plutôt que sur les seules mises, serait économiquement plus raisonné. C'est d'ailleurs le choix qu'ont fait la plupart de nos voisins européens.
Il conviendrait, en troisième lieu, de porter attention à la question des liquidités sur le poker. Il s'agirait de donner un contenu opérationnel aux accords internationaux passés entre autorités de régulation et d'autoriser une mutualisation des liquidités des tables de poker de plusieurs pays ouvertes sur des sites régulés, comme cela est le cas pour le pari mutuel hippique.
Sans décliner ici les 33 propositions du rapport de l'Arjel, j'ajouterai encore que pour assurer l'intégrité des compétitions sportives, on ne fera rien seuls. La question mérite un traitement à l'échelle de l'Europe : l'harmonisation des règles de prévention et de détection est la clé de la régulation. Un projet est en cours devant le Conseil de l'Europe, auquel la France participe activement. Il serait bon, cependant, de créer en France une plateforme nationale relative aux paris émis hors de France sur les évènements sportifs se déroulant dans notre pays, car on sait que c'est de l'étranger que peuvent venir les manipulations, tant les réseaux criminels savent jouer de l'immatérialité de l'Internet. Les dispositions relatives au délit pénal de corruption sportive mériteraient aussi d'être complétées par une obligation de déclaration de soupçon, comme cela est le cas pour le blanchiment.
Le risque, pour nous, est de voir, au niveau communautaire, baisser les standards de régulation au motif de fluidifier le marché. C'est un enjeu fort, qui suscite bien des remous autour de la Commission européenne. C'est pourquoi il nous semble aventureux de se faire les promoteurs d'une législation communautaire des droits dérivés, et nous militons plutôt pour le développement d'accords de coopération entre régulateurs.
La loi de 2010, et je rejoins là Jean-François Vilotte, a globalement été un succès. Lors des débats, certains objectaient qu'il était impossible de réguler cette activité en ligne, et que les règles que l'on entendait mettre en place, comme le droit pour les organisations sportives de définir les paris autorisés, ou le retour sur paris que l'on entendait leur accorder, seraient inexportables en Europe. Or, notre modèle a été copié par nos partenaires européens, qui y voient un exemple réussi de loi de régulation de l'Internet. On disait encore que le plafonnement du taux de retour au parieur ne pourrait fonctionner sur le marché des jeux en ligne ; or cela fonctionne bel et bien.
La loi prévoyait, pour s'assurer que le jeu resterait responsable, une forte régulation. Les opérateurs y ont ajouté des mesures personnelles pour éviter le jeu addictif. Le fait est qu'il est plus facile de contrôler sur Internet, dans la mesure où l'on connaît les joueurs et les comptes.
Avant de renforcer encore la régulation, il me semble qu'il convient de dresser un bilan, à mettre en regard de celui établi avant l'ouverture, en 2009-2010. Cela aiderait à légiférer exclusivement dans le sens de la simplification que l'exécutif appelle de ses voeux.
Il n'y a pas de dérive addictive sur Internet. La mise moyenne y est de 50 euros. Avec un taux de retour joueur à 80 %, la perte moyenne est donc de 10 euros par mois, l'équivalent d'une place de cinéma : on reste dans le cadre d'une activité de loisir. Par ailleurs, alors que l'on craignait que le jeu ne se fasse l'auxiliaire des trappes à pauvreté, on constate que les joueurs se situent en moyenne sur une échelle de catégories socioprofessionnelles plus haute que la moyenne française. Reste cependant à faire un vrai bilan de la prévalence.
Pour ce qui concerne la lutte contre la fraude, je partage le constat de Jean-François Vilotte. Il a été mis fin à la plupart des paris illégaux. Bien que la fuite des gros parieurs vers l'illégalité reste une hypothèse plausible, la masse des parieurs est régulée. Il faut veiller à développer une offre attractive pour que les joueurs restent en France.
En matière de lutte contre la fraude sportive, la signature d'accords internationaux a marqué des avancées, et les fédérations sportives ont, de leur côté, réalisé un important travail en interne. La Fédération française de tennis a été précurseur. On peut faire beaucoup par la voie de la pédagogie, au sein des fédérations. Je rejoins, enfin, Jean-François Vilotte au sujet de la plateforme française.
Pour l'avenir, ouvrir davantage l'offre sur certains segments serait une bonne chose. En outre, autoriser les joueurs français à s'asseoir, sur nos sites régulés, à des tables étrangères, ferait gagner le jeu en liquidité, et éviterait que les intéressés ne se détournent de nos sites. C'est une question, aussi, de rentabilité.
Les jeux dits d'adresse ou skill games, restent, juridiquement, en zone grise. Dans la mesure où ils emportent gain monétaire, ils devraient basculer dans la régulation des jeux en ligne. D'autant qu'ils entrent dans le même système commercial et présentent les mêmes risques addictifs que les autres. J'ajoute que ce serait là une source non négligeable de recettes fiscales pour l'État.
La rentabilité des opérateurs est une vraie question. Les chiffres qu'a cités Jean-François Vilmotte sont éloquents : 183 millions de pertes d'exploitation, alors qu'ils s'acquittent de 327 millions de taxes. Il n'y a pas lieu de dicter au législateur le niveau du taux de la taxe, mais l'assiette pourrait être utilement modifiée, en retenant désormais le produit brut des jeux.
Au-delà, les opérateurs ont aussi besoin de trouver des produits à marge, tels les tables de poker internationales ou les skill games, ou encore les paris plus spéculatifs, pour une rentabilité immédiate. Ce serait aussi le moyen de préserver les recettes fiscales, sachant que certains produits s'étiolent avec le temps.
Je partage largement le constat sur la loi de 2010, qui a clairement atteint son but.
La Française des Jeux, dans le cadre de l'agrément donné par l'Arjel, est entrée sur les paris sportifs en ligne et, dans celui de son monopole sur la Loterie nationale, sur la loterie en ligne.
Au moment de la préparation de la loi, sur un marché qui tournait autour de 2 milliards d'euros, la part de la Française des Jeux était de 700 millions sur les paris sportifs, et de 50 millions sur les paris en ligne. Elle est aujourd'hui de plus de 2 milliards sur les premiers, 700 millions sur les seconds.
Les paris sont donc aujourd'hui, pour l'essentiel, légaux, encadrés, taxés. Comme tous les opérateurs, nous sommes soumis à taxation, à hauteur de 127 millions d'euros. A quoi s'ajoutent, comme pour le PMU, des taxes spécifiques.
Nous avons eu le souci de canaliser les pratiques et de trouver un équilibre, afin de ne pas déstabiliser notre réseau de points de vente, qui représente 30 000 emplois, si bien que l'ouverture du marché n'a pas eu d'impact négatif sur notre présence territoriale.
Le plafonnement du taux de retour aux joueurs et l'inclusion des bonus dans ce taux furent de très bonnes choses. La France a eu du mal à convaincre les autorités communautaires sur ce point délicat, mais c'est désormais un acquis.
Peut-on apporter des améliorations au dispositif voté en 2010 ? La question de l'intégrité des compétitions sportives est un sujet majeur, ainsi qu'en témoigne le nombre des poursuites judiciaires en cours. Sur ce sujet complexe, l'Arjel est très active. Etendre le champ de la déclaration de soupçons telle qu'elle est prévue pour le blanchiment aux paris sportifs, et en faire une obligation non seulement pour les opérateurs de jeux, mais aussi pour les organisateurs de compétitions, comme le propose la ministre des sports, irait dans le bon sens.
Seuls les opérateurs légaux peuvent faire de la publicité pour leurs produits : cette disposition de la loi de 2010 a été très efficace. On pourrait aller plus loin encore dans la lutte contre les marchés illégaux, comme l'ont fait certains pays, en chargeant le régulateur de rendre publique une liste noire des opérateurs non agréés actifs dans le pays. L'effet peut être dissuasif pour certains de ces opérateurs, et quant aux autres, le régulateur devrait avoir faculté, à l'image de ce qu'ont retenu deux pays frontaliers de la France, de saisir directement le fournisseur d'accès pour qu'il suspende l'accès au site - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui pour l'Arjel, qui doit passer par une décision de justice.
Pour prévenir les risques d'addiction chez les jeunes, il importe que l'Etat se dote de moyens d'information fiables. Les études de prévalence devraient être régulières, ce que ne permet pas, pour l'heure, la modicité du budget dont dispose l'Observatoire des jeux, placé auprès du Comité consultatif des jeux.
Je reviens en quelques mots sur le plafonnement du taux de retour aux joueurs, qui se situe à 85 % des mises. Il s'applique à l'ensemble du marché des paris sportifs. Or, ce marché se décompose en deux segments, celui des paris avant match et celui du pari en direct, ou live betting, qui représente la moitié du marché. Or, le plafonnement se fait sur une moyenne pondérée, ce qui permet, en pratique d'offrir un taux de retour de 90 % pour le live betting. Cela méritait d'être souligné.
Dans le cadre de la lutte contre la corruption et pour l'intégrité sportive, la France mène, au plan international, des démarches que nous soutenons. La création d'une agence européenne serait, de ce point de vue, une bonne chose. Le législateur avait voulu que la ressource nouvelle née de la loi de 2010 serve à financer la politique d'intégrité ; or ces moyens ne sont pas fléchés. Pour notre part, dans les partenariats que nous nouons avec le monde sportif, nous exigeons que ce souci soit pris en compte.
J'en viens à la question fiscale. Le problème de l'assiette est complexe. Nous n'avons pas d'avis tranché, mais souhaitons que l'assiette qui sera retenue in fine soit solide, pour éviter tout risque de substitution, sachant que la taxation sur les mises qui prévaut aujourd'hui en France et en Allemagne contribue à éviter tout risque d'évasion fiscale.
Je partage assez largement les observations de M. Vilotte.
Troisième opérateur de casinos en France, avec vingt casinos et un chiffre d'affaires de 200 millions d'euros, nous sommes de ceux qui ont sagement attendu la mise en place d'un cadre légal pour démarrer. Depuis 2010, nous avons investi 6 millions d'euros dans l'activité. Mais se pose aujourd'hui pour nous un problème de modèle économique. Notre revenu est consommé pour 56 % par les taxes et prélèvements, pour 20 % par les coûts liés à la régulation, pour 40 à 50 % par les coûts de marketing...
Précisément ! Et je n'ai encore rien dit des salaires.
Voilà qui nous porte à nous interroger sur les conditions économiques du marché et sa pérennité. C'est là un enjeu majeur. Et nos vues sont largement partagées par les autres opérateurs, sachant que notre déficit d'ensemble s'élève, on l'a dit, à 183 millions. Il existe 21 opérateurs sur le marché français ; c'est beaucoup, mais c'est pourtant 40 % de moins qu'avant 2012. Et l'on a vu que 60 % des opérateurs qui ont jeté l'éponge étaient des sociétés françaises, parmi lesquelles le groupe Tranchant, Amaury, Eurosport....
On est en droit s'interroger sur la stagnation d'un marché qui n'a que deux ans d'âge. Avec 700 millions d'euros, l'équivalent du chiffre d'affaire de trois hypermarchés, les paris sportifs en ligne ne représentent pas plus de 10 % du marché des jeux en France, alors que l'on tablait, en 2010, sur un potentiel de 40 à 50 %.
Quelles sont les raisons de ces performances décevantes ? C'est que nous nous heurtons à un vrai problème de compétitivité de l'offre régulée, accessible depuis les sites en « .fr », au regard de nos concurrents internationaux en « .com ». La réglementation limite les types de paris que nous pouvons offrir. Le poids de la fiscalité compte aussi. Autant d'entraves qui limitent notre capacité à capter de nouveaux clients, à conserver les gros parieurs, ces 5 % de joueurs qui représentent 90 % du chiffre d'affaires. Leur évasion a donc de lourdes conséquences. Peut-on se satisfaire d'une absence de croissance ? On peut y voir le signe que les jeux sont maîtrisés... ou que le marché légal ne parvient pas à capter les transactions illégales. Quoi qu'il en soit, si les opérateurs restent déficitaires, ils ne pourront pas durer.
En matière de protection des joueurs et de prévention, en revanche, le bilan est positif. La régulation, avec des outils comme la limite de mise ou l'accompagnement des cas pathologiques, a beaucoup apporté.
Les paris en ligne comptent pour un tiers des jeux d'argent en France. Avant de pousser les feux, il faudrait harmoniser davantage. Les compétitions sportives restent un sujet de préoccupation, et qui dépasse largement les frontières. La régulation a mis en place des outils de prévention et d'alerte efficaces, mais où placer le curseur ? Réduire l'offre n'est pas la solution : ce n'est pas en enlevant les radars sur les routes que l'on fait baisser les excès de vitesse. Il faut trouver le juste équilibre entre deux exigences : réguler et prévenir, d'une part, pérenniser les acteurs économiques, de l'autre. A l'heure actuelle, la balance est en défaveur des opérateurs. Le corollaire du contrôle, c'est la mise en place des conditions de l'équilibre économique. Il faut sortir les opérateurs de leur déficit structurel en allégeant le poids de la fiscalité qui pèse sur eux - un changement d'assiette n'y suffira pas - et en améliorant l'offre.
Surtout, une harmonisation des règles de contrôle et de régulation pour l'ensemble de l'activité sur le marché français s'impose, que cette activité s'exerce en ligne ou non. D'où la nécessité de mettre en place une autorité de régulation unique, en charge de l'ensemble des marchés.
Le tennis est le deuxième support de paris en ligne. De plus, en tant que sport individuel, il est plus exposé à la corruption que les sports collectifs.
A nos yeux, le bilan de la loi de 2010 est globalement favorable. Elle a consacré le droit de propriété des organisateurs et instauré des relations satisfaisantes avec les opérateurs de paris. A l'époque, on a avancé que les revenus générés par les paris pourraient profiter également aux organisateurs d'événements. Nous n'y avions pas cru, et cela ne s'est pas vérifié. Protéger l'intégrité des compétitions a plutôt engendré des coûts supplémentaires pour une fédération comme la nôtre. La corruption préexistait à Internet, mais elle est depuis devenue notre obsession, car le risque s'est accru.
Face à la corruption, nous avons développé d'importants moyens d'investigation. Le tennis est en cette matière très en avance sur les autres disciplines. Au niveau international, une Tennis integrity unit dotée de pouvoirs d'investigation a été créée, qui fédère l'ensemble des acteurs du monde professionnel. Nos règlements internationaux comprennent en outre une obligation de déclaration de soupçon qui s'impose à tout joueur, à tout membre de l'entourage des professionnels. Deux radiations à vie ont déjà été prononcées à la suite de telles investigations.
Les deux grandes compétitions que nous organisons, c'est-à-dire le tournoi de Roland-Garros ou le BNP-Paribas Masters de Paris-Bercy, sont surveillées au moyen d'une vingtaine de dispositifs particuliers, comme l'interdiction de parier et de divulguer des informations faite au personnel badgé - soit près de 20 000 personnes à Roland-Garros -, le suivi de près de 300 sites, ou encore la vigilance accrue exercée sur les membres du personnel placés au bord des courts.
Troisième volet dans la lutte contre la corruption : la sensibilisation et la formation. Un outil de formation en ligne a été mis en place à l'attention des joueurs au niveau international. La fédération française a en outre lancé le 27 mars dernier, à l'occasion de la réunion de l'ensemble de ses conseillers techniques régionaux, un vaste plan de sensibilisation et d'éducation au niveau national. Dans ce cadre, des formations de tous formats seront organisées, afin de doter le réseau de la fédération de formateurs compétents, notamment à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep) et dans les centres d'entraînement. Une vidéo de trente minutes a même été réalisée, dans laquelle de grands témoins du tennis d'hier et d'aujourd'hui font part des pressions qu'ils ont subies pour tricher sur le résultat d'un match.
Plus que le dopage, et notamment depuis l'apparition des paris en ligne, la corruption est le cancer du sport, du nôtre en particulier. L'action efficace de l'Arjel a permis de traiter la partie émergée de l'iceberg. Mais la France seule ne peut rien faire. C'est pourquoi nous appelons de nos voeux une action internationale dans ce domaine. Quant à l'ouverture de l'offre légale pour les parieurs, nous restons partager entre la volonté de défendre les opérateurs légaux français et le souhait que l'offre soit la plus large possible. Nous aidons l'Arjel à trouver l'équilibre entre ces deux exigences contradictoires.
La loi de 2010 n'est pas seulement une loi d'ouverture du marché des jeux en ligne. Au Sénat, elle avait provoqué beaucoup d'inquiétude et de réserves : risque de déstabilisation des opérateurs historiques, risques d'addiction, de dérives délictuelles. Le projet avait d'ailleurs été largement amélioré au Sénat sur ce dernier point.
Son premier objectif était d'attirer dans le secteur légal la plus grande partie des opérateurs. M. Vilotte nous dira quelle part du marché reste dans l'illégalité. Il s'agissait aussi de fiscaliser la majeure partie du marché : c'est fait, bien que nous ayons eu beaucoup de difficultés à obtenir de certains ministères les résultats chiffrés. Le législateur a également souhaité préserver la Française des Jeux et le PMU d'une concurrence trop frontale des opérateurs de jeux en ligne devenus légaux. L'inquiétude était alors partagée par les élus de la majorité et de l'opposition. Reconnaissons aujourd'hui que la réactivité et la capacité d'anticipation de ces deux entreprises ont été remarquables.
Pour dépister et sanctionner les sites de jeux illégaux, des amendements importants ont donné à l'Arjel les moyens de contrôler efficacement le marché.
Nous entendions créer une autorité et lui donner les moyens législatifs et matériels d'assurer sa mission : l'Arjel donne entière satisfaction aux pouvoirs publics, et sert d'exemple aux autres pays européens qui prennent eux aussi le chemin de la libéralisation.
Créer un Comité consultatif des jeux et un Observatoire des jeux n'a pas été facile : les ministères travaillaient alors chacun dans leur secteur - l'agriculture avec les chevaux, Bercy avec la Française des jeux, sa fille chérie... Il a été difficile de rassembler tous les ministères, les experts, cet observatoire, la commission supérieure des jeux, ce comité consultatif dans une instance unique à la disposition du Gouvernement. Il a fallu beaucoup d'effort, voire de malice pour arracher cet instrument au gouvernement de l'époque. Il est toutefois loin de donner la satisfaction que l'on attendait de lui j'y reviendrai.
Enfin, il fallait prévenir l'addiction et soutenir la lutte contre celle-ci. François Marc s'en souvient : nous avions essayé, en séance, d'affecter les recettes tirées de cette nouvelle activité vers cet objectif, mais le Gouvernement nous avait fait valoir l'inopportunité du fléchage en matière budgétaire. J'ai eu toutes les peines du monde, durant la première année de fonctionnement du comité, à obtenir des renseignements sur l'utilisation des recettes nouvelles. Certains ministères sont plus réticents que d'autres à divulguer leurs informations. Cependant, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) ont coopéré de manière satisfaisante, mais les données sont encore incomplètes.
La loi sur les jeux en ligne a étendu cette spécialité à des opérateurs jusqu'alors exclusifs qui n'avaient pas ou très peu exploité cette activité. On voit désormais des grands groupes de casinos diversifier leur activité, ce qui n'est pas une mauvaise chose.
Les gouvernements successifs ont jusqu'à présent prêté plus d'attention à la tonte des moutons qu'au troupeau lui-même. Ils devraient à l'avenir faire porter leurs efforts sur la lutte contre l'addiction. Pour ma part, j'avais demandé que le Comité consultatif des jeux soit sous la tutelle de Matignon, en vain : le Gouvernement, ayant fait déclasser par le Conseil constitutionnel l'article de la loi relatif à cette tutelle, l'a finalement placé auprès du ministère de l'intérieur et de Bercy ! J'indique en outre que je n'arrive pas à réunir pleinement ce comité, censé être présidé alternativement par le Sénat et par l'Assemblée nationale : je n'obtiens notamment pas que les deux députés désignés veuillent bien siéger en même temps que moi. Il n'est pas acceptable de laisser ce comité en friche, à moins de considérer qu'il fait partie des instances amenées à disparaître pour simplifier le paysage administratif français.
La tâche n'est pas achevée. Il est urgent de donner de l'attractivité à ce marché, sous peine de faire perdre des parts de marché à ses principaux acteurs, et donc des recettes à l'Etat.
Je remercie tous les intervenants pour l'éclairage qu'ils apportent sur la réalité des jeux en ligne, et je rends hommage à François Trucy, rapporteur de la loi en 2010, et fortement impliqué dans son suivi. Le chantier n'est pas achevé. Le premier objectif de la loi était de légaliser les jeux en ligne : c'est chose faite. Je souhaiterais en revanche voir plus clair sur un deuxième objectif : celui des rentrées fiscales. Les jeux rapportaient, jusqu'en 2010, 4,7 milliards d'euros de recettes publiques. L'assiette et le taux retenus devaient éviter toute perte de recettes. Les joueurs et les mises ayant augmenté, y a-t-il eu davantage de rentrées fiscales ? La réponse apportée à la question écrite que j'ai adressée au Gouvernement indique qu'elles ont stagné autour de 4,6 milliards d'euros. Le législateur doit être attentif à la préconisation de modération fiscale recommandée par M. Cacheur, mais on ne peut décemment baisser les taux que si l'on est certain qu'au bout du compte, la recette totale ne diminuera pas.
L'opérateur historique semble avoir plutôt bien vécu l'ouverture du secteur à la concurrence. C'est rassurant pour lui, moins pour les nouveaux entrants sur le marché...
Un mot sur les addictions. Chaque Français qui joue dépense 50 à 60 euros par mois. Mais les jeunes joueurs dépensent en moyenne 164 euros mensuels : ce sont précisément les nouveaux joueurs attirés par les jeux en ligne. Les deux tiers des joueurs ont en moyenne trente-six ans, un revenu estimé entre 1 500 et 2 000 euros par mois, un niveau Bac+2, et vivent en concubinage sans enfants. Quelles conséquences l'ouverture du secteur a-t-elle eu sur cette catégorie de joueurs ? Les dispositions adoptées dans la loi destinées à diminuer l'exposition des jeunes publics aux publicités agressives pour les jeux ont-elles été efficaces, lorsque l'on sait par ailleurs que les jeunes passent de plus en plus de temps sur Internet ?
Par ailleurs, la corruption est un problème qui inquiète tout le monde. Nous nous sommes tous émus du scandale déclenché à l'occasion du match de handball Cesson-Montpellier de la saison 2011-2012, ainsi que de celui révélé par l'enquête d'Europol sur les 680 matchs de football truqués. Le dispositif existant, qui s'appuie notamment sur le délit de corruption sportive créé l'année dernière, est-il efficace ? Il apparaît que 90 % des mises sont le fait de 5 % des plus gros joueurs. Cela conforte les soupçons de blanchiment d'argent que l'on peut avoir. La presse a récemment révélé que 30 % des dirigeants sportifs disaient avoir déjà fait l'objet de pressions voire de violences pour modifier un résultat, sans parler des joueurs, encore moins des arbitres... La loi a-t-elle suffisamment pris les devants dans ce domaine ?
En 2010, la France s'est appuyée sur l'expérience italienne. L'Allemagne restait en retrait, comme les États-Unis, réticents à l'idée de modifier leur cadre juridique, même si des contournements de celui-ci ont été rendus possibles. La situation a-t-elle évolué vers une plus grande harmonisation ?
Les pays ayant conservé leur monopole public rencontrent-ils une situation plus difficile que les autres ?
Monsieur Vilotte, vous avez indiqué que seuls 21 opérateurs étaient établis fiscalement en France. Où les autres sont-ils domiciliés ? Cela constitue-t-il une concurrence déloyale ? Y a-t-il, de ce fait, un manque à gagner pour l'Etat ?
Comment fonctionne exactement la manipulation des compétitions ? Passe-t-elle par des intermédiaires entre les organismes de paris et les compétiteurs ou les clubs ?
Les clubs perçoivent-ils une partie des recettes générés par ce nouveau secteur ?
M'adressant au PMU, je voudrais souligner que la lutte contre l'addiction est une noble cause, mais elle entre en contradiction avec les campagnes massives de publicité qui sont lancées sur les jeux en ligne - et qui touchent les jeunes, c'est une évidence.
D'autre part, le problème du PMU réside dans les difficultés de la filière équine et de l'élevage. La TVA a lourdement augmenté, ce qui a mis dans l'embarras de nombreux professionnels. L'ingénierie financière a compensé cette évolution, mais les professionnels sont inquiets. Si l'on ajoute à cela la crise, ne pensez-vous pas que le PMU fait face à de profondes difficultés ?
De quels moyens disposez-vous pour détecter les mises anormales, ou celles qui font peser un risque sur les personnes qui les déposent ?
La filière hippique française représente 45 000 emplois directs ou indirects bien réels, soit à elle seule davantage en termes d'emplois, d'hippodromes et de courses que tous les pays d'Europe réunis. Elle subit d'une part la modification du taux de TVA, d'autre part la menace qui plane sur les ressources affectées par la loi à la filière - charge à cette dernière de les répartir ensuite comme elle l'entend. Le chiffre d'affaires du PMU et les recettes de l'Etat sont menacés car la Commission européenne ne voit pas d'un bon oeil l'exception française. Or il est évidemment nécessaire de protéger la filière, la seule à réellement subsister en Europe.
La publicité pour les jeux en ligne fait déjà l'objet de restrictions, notamment lorsqu'elle est susceptible de toucher les mineurs. Elle a ainsi été bannie des salles de cinéma à certaines heures. Mais Francis Delattre a raison : prévenir l'addiction et faire de la publicité, c'est contradictoire. Les jeux en ligne sont toutefois mieux équipés que les jeux traditionnels pour lutter contre les addictions : les outils informatiques permettent d'écarter les mineurs ou les personnes interdites volontairement de jeu, qui sont aujourd'hui près de 50 000, du fait de la nécessité de s'identifier avant de jouer. Reste que le PMU et la Française des jeux, dans leur réseau en dur, ne peuvent être équipés par ces systèmes : on ne va pas pister les acheteurs de jeux à gratter dans chaque bistrot !
Le périmètre de compétence de l'Arjel ne permet de soumettre à son contrôle que 10 % à 15 % du montant total des mises enregistrées en France. Les jeux en ligne ne représentent d'ailleurs que 8 % du produit brut des jeux dans notre pays. Sur ce secteur désormais ouvert à la concurrence, le marché illégal représente entre 10 % et 15 % de l'offre disponible. A ce jour, 840 sites ont été géo-bloqués par l'Agence, et la procédure de blocage a été engagée pour 80 autres auprès du tribunal de grande instance de Paris. Elle est longue, car le déréférencement, le déshébergement et le blocage des flux financiers qu'encourent les opérateurs sont de nature pénale.
L'Agence vient de délibérer sur le contenu d'un rapport relatif à la protection des publics les plus vulnérables. Les 33 mesures préconisées entendent non pas imposer davantage de contraintes aux opérateurs, mais rendre celles qui existent plus efficaces. Elles concernent le contrôle de la publicité sur Internet, l'adaptation des messages de prévention à l'ensemble des supports de diffusion commerciale, le toilettage de la procédure d'inscription au fichier des interdits de jeu - sans doute adaptées aux joueurs de casino du début du XXe siècle, plus guère aujourd'hui -, ou encore l'ingénierie d'alerte, qui devrait passer par l'obligation d'un contact personnalisé avec le joueur, dans certains cas.
Quant aux jeunes joueurs, ils jouent de moins grosses sommes que leurs aînés. Les statistiques précisent les sommes moyennes par tranche d'âge.
Je les ai : le joueur moyen dépense 50 euros par mois. Une récente enquête du Parisien du 20 mars dernier révèle que les jeunes joueurs parient l'équivalent de 10 % de leur salaire, soit 184 euros par mois.
Le journal a fait une erreur de moyenne. L'étude est en ligne sur le site de l'Arjel, avec l'ensemble des données. Pour simplifier, disons que ceux qui jouent beaucoup et souvent sont plutôt des parieurs hippiques âgés, tandis que les jeunes joueurs parient des sommes plus faibles, moins fréquemment, plus volontiers sur des sites de paris sportifs. Reste que 50 % des mises sont le fait de 1 % des joueurs. C'est à ce niveau qu'il faut agir, notamment par l'obligation de prise de contact personnalisé faite à l'opérateur, lorsqu'il détecte des comportements atypiques.
Nous avons tous été affectés par l'affaire de corruption révélée dans le handball. L'alerte a d'ailleurs été lancée par les réseaux physiques de la Française des Jeux, non par ses moyens numériques. Elle révèle qu'avant 2010, il n'était pas interdit de parier sur les résultats de la compétition à laquelle on participait, sauf dans le tennis. Paradoxalement, l'alerte ainsi déclenchée est une bonne nouvelle : c'est le signe que le système fonctionne.
La corruption reste le fait de réseaux de criminalité organisée qui jouent sur la distance qui sépare le lieu du pari de celui de la compétition. Si des manipulations étaient réalisées en France, elles n'auraient d'ailleurs pas pour source des paris réalisés en France, mais plutôt à l'étranger : en effet, il serait absurde de prendre de tels paris dans l'un des marchés les plus régulés au monde ! A l'occasion du tournoi de Roland-Garros, 13 millions d'euros sont pariés en France, contre 250 millions d'euros au Royaume-Uni, et sans doute un demi-milliard dans le monde. C'est pourquoi l'harmonisation des règles au niveau international serait particulièrement opportune.
En attendant, peut-on faire mieux en France ? D'abord, le droit au pari : il n'est réclamé par les organisateurs d'événements sportifs qu'aux opérateurs agréés en France. A l'Arjel, nous pensons qu'il faudrait l'étendre aux opérateurs agréés à l'étranger. Pour aider les organisateurs d'événements sportifs, le législateur pourrait plus clairement affirmer le caractère de loi de police du droit au pari, en tant qu'il protège la sincérité des compétitions. Cela permettrait de plaider différemment la territorialité de ce droit de propriété auprès des juridictions étrangères. Ensuite, il serait utile de créer une plateforme mutualisée de suivi au bénéfice de l'ensemble des fédérations, comme cela existe pour le football ou le tennis. L'Arjel pourrait créer un tel outil, mais cela excède encore les compétences qui lui ont été confiées.
Un mot sur la situation en Europe. En mai 2010, le marché des jeux était ouvert à la concurrence dans sept pays, fermé dans neuf, monopolistique dans huit, et en cours d'ouverture dans deux. En 2013, treize marchés sont ouverts, plus aucun n'est totalement fermé, trois sont restés monopolistiques, et douze sont en cours d'ouverture. Il n'y a donc pas de modèle français, plutôt un principe de réalité auquel se rallient progressivement tous les Etats, qui veut que la régulation s'adapte à Internet.
Le monopole portugais est le plus emblématique. Les autorités portugaises ont remarqué que leur monopole - conforté par la Cour de justice de l'Union européenne - représente moins de 20 % des paris en ligne enregistrés au Portugal. Le pays s'intéresse donc à l'ouverture de son marché à la concurrence et envisage de confier les missions de régulation à Santa Casa, son opérateur historique, comme l'ont fait les Italiens.
C'est l'analyse communément répandue. Et les grands opérateurs européens ne cachent pas leurs projets de pénétration du marché portugais... Le monopole est toujours contourné. Le vrai sujet, c'est le niveau standard de régulation. Sur ce point, nous n'avons rien concédé.
L'ordre de grandeur serait-il similaire en France si la loi de 2010 n'avait pas été votée ?
Vraisemblablement. La Française des Jeux, alors seul monopole légal, ne représentait en 2010 que 4 % à 5 % du marché des paris en ligne. Les procédures pénales se heurtent à divers obstacles, les opérateurs illégaux ayant un certain tropisme insulaire et le droit communautaire ayant des lacunes... Un principe de cohérence externe devrait prévaloir : un opérateur reconnu illégal sur un territoire ne devrait plus pouvoir exercer ailleurs. Ce principe, et une meilleure entraide pénale, feraient faire d'importants progrès dans ce domaine.
Je voudrais indiquer à M. Bocquet que les 21 opérateurs agréés par l'Arjel ne sont pas nécessairement établis fiscalement en France. La loi les autorise à l'être dans n'importe quel pays de l'Union européenne ou dans les pays de l'Espace économique européen ayant signé des accords de coopération fiscale avec la France. En pratique, seule la moitié est domiciliée fiscalement en France. Toutefois, il n'y a distorsion fiscale que pour l'impôt sur les sociétés et pour la TVA, car l'assiette de la fiscalité propre aux jeux en ligne est constituée des mises, constatées par l'Arjel.
Comment détecte-t-on les mises anormales ? Toutes les transactions entre les opérateurs et les clients sont captées par des dispositifs informatiques, stockées dans des coffres-forts numériques puis exploitées par des logiciels. Lorsque des écarts à la moyenne sont constatés, des comportements atypiques détectés, tel un grand nombre d'ouvertures et de clôtures du compte, une alerte se déclenche. De plus, nous proposons de partager notre ingénierie d'alerte avec les opérateurs afin de prendre contact plus rapidement avec le joueur suspecté de dérive addictive.
Les rentrées fiscales s'élevaient à 154 millions d'euros en 2010, à 307 millions d'euros en 2011 et à 327 millions d'euros en 2012. L'assiette, quant à elle, représentait 9 milliards d'euros en 2012, contre 650 millions d'euros en 2010. Seule l'administration fiscale peut toutefois préciser l'impact des nouveaux taux sur ces volumes de recettes.
S'agissant de la publicité des jeux et de la protection des jeunes, nous respectons scrupuleusement les règlements du CSA. Nous nous soumettons en outre au contrôle de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), qui valide nos campagnes. Celles-ci sont toujours généralistes, jamais ciblées sur les jeunes publics. Nous avons les mêmes chiffres que vous sur le profil du joueur moyen, qui indique l'absence de prévalence de jeu excessif chez les jeunes. Nous savons bien que la consommation Internet des jeunes se réduit essentiellement aux réseaux sociaux.
J'ajoute que l'addiction n'est pas toujours corrélée au montant des mises. Certains se divertissent en pariant tous les jours, après une analyse scientifique des courses, deux euros sur un quinté, comme d'autres boursicotent. L'addiction se définit par d'autres critères, comme l'impact qu'elle a sur la vie privée des personnes.
Un mot sur la fraude sportive : les exemples que vous citez se trouvent en dehors du marché numérique régulé par l'Arjel. Le match de handball mentionné a fait l'objet de paris dans le réseau physique de la Française des Jeux ; quant à l'enquête d'Europol, elle n'a concerné que des opérateurs et des matchs étrangers. Cela ne doit toutefois pas nous faire baisser la garde.
Je partage les analyses de M. Vilotte en matière de suivi des mises. Nous surveillons activement les concentrations anormales d'enjeux, y compris dans notre réseau physique. Nous pratiquons en outre une surveillance financière importante de nos points de vente.
Avec M. Vilotte, nous avons beaucoup débattu de la décision des organisateurs d'événements sportifs et des fédérations de réduire l'éventail des événements offerts au pari notamment pour ce qui concerne les matchs sans enjeu sportif réel. Par exemple, un seul des sept des matchs de la prochaine journée du Top 14 pourra faire l'objet de paris ce qui est quand même très restrictif. Nous acceptons ces décisions, mais croyons davantage dans le succès du suivi, qui passe par la création de cette plateforme d'échange qui permettra de relier la fraude internationale à ce qui se passe en France.
Le droit au pari est reversé aux fédérations, qui ensuite en font ce qu'elles veulent. Certaines financent des systèmes de lutte contre la fraude, mais il n'y a pas de lien direct entre les deux.
Les profits du PMU sont reversés intégralement à la filière hippique et aux 16 000 buralistes qu'il fait vivre. Ce réseau est fragile mais bien vivant, puisqu'un nouveau point de vente s'ouvre chaque jour. Notre métier est d'en livrer le plus possible : nous ambitionnons de conquérir de nouvelles clientèles et de développer notre offre de jeux récréatifs respectueux des règles et de la protection des consommateurs. Notre réflexion stratégique « PMU 2020 » part de l'idée que le pari hippique n'est pas mort. Nous espérons partir davantage à l'export et à l'international, afin d'apporter en retour des ressources nouvelles à la filière hippique.
Ce n'était pas ma question. La filière élevage est en difficulté, et vous me faites une réponse « à la Coluche » : une fois la réponse terminée, on ne comprend plus la question posée !
Si la filière hippique allait mal, le nombre de partants diminuerait, et avec lui les enjeux.
Je me félicite à nouveau de cette réunion car la « clause de revoyure » contenue dans la loi n'a eu que des effets bien pauvres : nous n'avons pas touché au taux de retour aux joueurs, ni à l'assiette des impôts perçus par l'Etat. Le seul résultat a été l'acceptation lente et précautionneuse d'une variante du poker en ligne. Or le marché est considérable, qui représente 100 000 emplois directs ou indirects. Les réseaux du PMU ou de la Française des Jeux ont une caractéristique : ils apportent une ressource complémentaire majeure pour des dizaines de milliers de commerçants locaux.
Les casinos traditionnels perdent de l'argent depuis plus de quatre ans : ils ont détruit des emplois et diminué les ressources de l'Etat et des collectivités territoriales. Les jeux en ligne sont un secteur exposé. Si l'Arjel baissait sa garde, tout le marché disparaîtrait dans l'illégalité. Les gouvernements successifs ont tous montré une certaine inquiétude, et certains ministères plus que d'autres. Il faut donc tenir compte des risques tout en restant positif.
S'agissant de la filière hippique, il reste, à mes yeux, deux sujets cruciaux. D'abord, sortir du débat juridique avec la Commission européenne sur la taxe affectée. On ne sait pas quelle part de marché les jeux en ligne représenteront demain - ils ont pour l'instant un taux de croissance supérieur à celui des réseaux physiques. On ne peut non plus prédire la part des opérateurs alternatifs au PMU. Si cette question n'est pas réglée, le secteur risque de souffrir.
Second sujet : l'augmentation des mises pour les paris hippiques, plus forte sur Internet que dans le réseau physique, atteint 5 % au premier trimestre. Mais elle reste inférieure à l'augmentation de l'offre de courses, notamment à l'étranger, qui atteint 8 %. C'est aussi un sujet important pour la filière hippique.
Enfin, je veux appeler votre attention sur le problème des jeux prétendument gratuits, d'adresse et ceux fondés sur des monnaies virtuelles, qui profitent du développement des réseaux sociaux, et d'une période particulière qui voit fleurir des loteries de toute sorte. Il faut les faire rentrer dans la légalité, pour limiter la concurrence déloyale qu'ils exercent sur les opérateurs du secteur et pour mieux protéger les consommateurs.
Un mot sur les déficits des opérateurs. Schématiquement, les petits opérateurs ont un petit déficit, et les gros opérateurs un gros déficit. Betclic, le leader du pari sportif sur le marché français, est en déficit depuis le début, de plusieurs dizaines de millions d'euros chaque année. Le développement de cette activité ne se traduit donc pas nécessairement par des rentrées fiscales supplémentaires. Et l'on demande aux opérateurs restants, qui perdent environ 200 millions d'euros chaque année, de maintenir leur activité pour collecter une taxe sur un marché de 700 millions d'euros. Je suis conscient que ce n'est sans doute pas le moment le plus facile pour demander de toucher aux taux ou à l'assiette, mais on ne peut éluder la question de savoir si le marché est pérenne. Il faut donc soit modifier l'assiette de l'impôt, soit faire en sorte que le marché se pérennise.
En 2012, la Française des jeux a payé plus de 3 milliards d'euros de taxes, soit 100 millions d'euros de plus qu'en 2011. De plus, le droit au pari que nous avons versé a représenté plus de 4 millions d'euros sur 5,5 millions d'euros. La quasi-totalité, 4,1 millions d'euros, relevait de notre activité de paris sportifs dans le réseau, et seulement 100 000 euros de notre activité de paris sportifs en ligne.
Nous travaillons beaucoup sur le suivi des mises et la détection des mises atypiques. Nous sommes engagés dans un projet international monté avec de nombreuses autres loteries européennes, destinées à partager les informations que détiennent tous les opérateurs sur les variations fortes de mises.
Nous ne faisons pas de publicité dans les cinémas car nous ne pouvons avoir la certitude qu'elles ne seront pas vues par des mineurs. En décembre 2011, le Conseil d'Etat a considéré que le plafonnement des dépenses publicitaires à 1 % de nos mises permettait d'informer correctement les joueurs sur l'existence des jeux sans les inciter exagérément à jouer.
Merci à tous. Nous nous rapprocherons donc de l'administration fiscale pour obtenir les informations complémentaires.
Présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président