Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’écologie est, bien entendu, l’une des préoccupations principales de mon groupe.
Je me réjouis donc d’engager, pour la première fois dans une assemblée parlementaire, un débat sur un sujet aussi crucial pour l’environnement et pour le consommateur que celui de l’obsolescence programmée.
Sous ce terme complexe, sinon barbare, se cache un stratagème industriel qui a de graves répercussions écologiques et sociales. Je suis fier que notre groupe existe enfin et puisse engager le débat sur cette question, restée trop longtemps taboue.
Permettez-moi, mes chers collègues, pour bien mettre en perspective les termes du débat qui nous occupe aujourd’hui, de dresser rapidement un tableau général de la situation.
Vous le savez, notre planète dispose de ressources finies. Ces ressources, il faut de plus en plus apprendre à s’en passer, à mieux les partager et à les préserver, puisque la population mondiale ne cesse de s’accroître. Aujourd’hui, nous sommes réellement confrontés à une crise systémique qui repose, avant tout, sur une crise écologique : notre système de production et de consommation s’appuie sur des méthodes d’extraction de matières premières, d’exploitation de terres et de ressources qui arrivent à leurs limites. Les impacts ne sont pas uniquement environnementaux ; je ne parle pas là seulement des petites fleurs et des oiseaux, je parle de conflits géopolitiques, de misère humaine, de déclin de civilisation.
Nous entrons, si tant est que nous n’y soyons pas déjà depuis un moment, dans un monde de la rareté, dans lequel la course à l’abondance est chimérique. Désormais, c’est la pénurie qu’il faudra gérer, avec sobriété.
Certes, pendant plus de cinquante ans, les Français, les Européens et les habitants du monde occidental en général ont pu consommer à volonté. Les Trente Glorieuses ont marqué le passage à une consommation de masse, qui s’est traduite par l’équipement progressif des ménages, mais, une fois le marché saturé, la consommation n’a pas pour autant diminué, et l’on est passé à un mode dangereux de surconsommation effrénée. Les achats d’équipements électriques et électroniques ont été multipliés par six depuis le début des années quatre-vingt-dix.
Le revers de la médaille, c’est le rejet de seize à vingt kilogrammes de déchets d’équipements électriques et électroniques – les fameux DEEE – par personne et par an en France. La croissance économique évaluée selon le PIB stagne, mais pas celle des déchets, puisque, chaque année, elle augmente de 2 % à 3 % dans notre pays. Il faut savoir qu’environ 70 % des DEEE finissent incinérés, enfouis ou traités dans des filières informelles.
D’après le Centre européen de la consommation, « les appareils électroménagers nécessitent énormément de terres rares, c’est-à-dire des minerais et métaux difficiles à extraire, qui sont présents dans la plupart des produits électriques ou électroniques en raison de leur propriété magnétique permettant la miniaturisation ». Il est sidérant que les téléphones portables puissent contenir jusqu’à douze métaux différents, représentant 25 % de leur poids total.
Partant des niveaux connus en 1999, l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, affirme que, en retenant un taux de croissance annuel de 2 %, les réserves de cuivre, de plomb, de nickel, d’argent, d’étain et de zinc ne dépasseraient pas trente années de consommation, tandis que celles d’aluminium et de fer s’établiraient entre soixante et quatre-vingts ans de consommation en moyenne.
Ce problème des déchets, une fois encore, n’est pas seulement dramatique pour l’environnement ; c’est aussi un sujet de santé publique. L’incinération, tout comme l’enfouissement, engendre la diffusion dans l’atmosphère et dans les sols de polluants toxiques qui s’accumulent, notamment dans la chaîne alimentaire, sans parler du caractère cancérigène de ces molécules, reconnu depuis 1997 par l’Organisation mondiale de la santé. Nous sommes directement concernés.
Toutefois, les populations du Sud le sont davantage encore que nous. L’empreinte écologique des pays à hauts revenus est cinq fois supérieure à celle des pays à bas revenus. Non seulement nous vivons au-dessus des moyens de la Terre, mais la répartition des fruits récoltés est inéquitable. Les pays du Sud récoltent, eux, les déchets électriques et électroniques envoyés par conteneurs entiers depuis les pays industrialisés.
Loin de moi l’idée de faire du catastrophisme, mais ne tombons pas non plus dans la paresse intellectuelle consistant à ne pas remettre en cause un modèle qui a porté ses fruits pendant longtemps, mais qui ne fonctionne plus, et ne fonctionnera plus. Il faut désormais innover, proposer, prendre ses responsabilités.
Les hommes et les femmes politiques vivent, le plus souvent, dans le temps court d’une élection, ce que l’on peut parfois regretter. En effet, les défis auxquels nous sommes confrontés, les projets de société que nous voulons construire nécessitent une vision à long terme. Les décisions d’aujourd’hui ont une incidence significative sur l’avenir, même si les effets sur le très court terme ou sur des intérêts catégoriels ne sont pas visibles.
Le Sénat est connu pour prendre le temps de la réflexion. Nous sommes donc, à n’en pas douter, dans le lieu idéal pour aborder des questions de fond. Pour autant, les recommandations formulées au sein de la chambre haute ne doivent pas rester entre ses murs ; elles doivent se transformer en actions, c’est pourquoi je suis très heureux de constater l’intérêt de M. le ministre pour ce sujet. Dans la Ve République, on le sait, c’est trop souvent l’exécutif qui possède véritablement le pouvoir de changer les choses, s’il en a la volonté…
Eu égard au diagnostic que je viens de poser, je suis persuadé qu’il est, en effet, urgent d’agir. Ce débat soulève une question simple et précise, mais dont la portée générale est très importante : que fait-on face à l’obsolescence programmée des produits ?
Tout d’abord, rappelons ce que signifie cette expression : l’obsolescence programmée recouvre l’ensemble des techniques visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. Il existe une obsolescence technologique : l’innovation rend les objets rapidement obsolètes, car apparaît un objet plus performant, plus sophistiqué, incompatible avec l’ancien matériel. Il existe également une obsolescence psychologique, ou esthétique, résultant des phénomènes de mode. Il existe enfin une obsolescence technique, liée au fait de concevoir un produit en anticipant sa fin de vie. Les fabricants rendent aussi les produits irréparables : soit parce qu’on ne peut pas les désassembler, soit parce qu’il n’existe plus de pièces détachées ou qu’elles s’avèrent trop coûteuses.
L’obsolescence programmée, c’est l’illustration parfaite du modèle économique insoutenable et défaillant que je vous exposais en introduction. Elle appelle une réflexion sur les modes de surproduction et sur l’impact environnemental de notre modèle de développement. Ces procédés industriels malhonnêtes maintiennent un système économique en déclin sous perfusion artificielle. Le stratagème permet l’écoulement des stocks et le renouvellement illimité des biens.
L’idée a émergé en 1924, car on a vite compris les limites d’un modèle linéaire de consommation. Alors que les ampoules électriques sont conçues pour fonctionner au minimum 2 500 heures, les fabricants, confrontés à la chute des ventes, se sont mis d’accord pour limiter leur durée de vie à 1 000 heures. Cet accord, connu sous le nom de « cartel de Phoebus », est sûrement l’un des exemples les plus parlants d’obsolescence programmée.
Depuis, les cas n’ont cessé de se multiplier. J’évoquerai les bas en nylon, …