La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.
La séance est reprise.
J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la question orale avec débat n° 4 de M. Jean-Vincent Placé à M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, sur la lutte contre l’obsolescence programmée et pour l’augmentation de la durée de vie des produits.
Cette question est ainsi libellée :
« M. Jean-Vincent Placé attire l’attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, sur la lutte contre l’obsolescence programmée et pour l’augmentation de la durée de vie des produits.
« L’obsolescence programmée des produits, théorisée par Bernard London, a donné lieu à une prise de conscience générale des médias, des économistes, des consommateurs, des associations environnementales et des États.
« Bien que la plupart des entreprises cherchent à proposer des produits de plus en plus fiables et innovants, différentes stratégies sont parfois mises en place pour accélérer artificiellement l’obsolescence des produits, afin de favoriser leur renouvellement. Selon la définition de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, « la notion d’obsolescence programmée dénonce un stratagème par lequel un bien verrait sa durée normative sciemment réduite dès sa conception, limitant ainsi sa durée d’usage pour des raisons de modèle économique ».
« Il semble important d’agir pour lutter contre ce phénomène et pour l’allongement de la durée de vie des produits, pour des raisons à la fois environnementales, économiques et sociales.
« La nécessité de prendre des mesures fortes face à l’urgence écologique s’impose plus que jamais dans nos politiques publiques. La France consomme actuellement 50 % de ressources naturelles de plus qu’il y a 30 ans et la production de déchets n’a jamais été aussi élevée.
« L’abondance de déchets, notamment ceux d’équipements électriques et électroniques, se caractérise par des impacts environnementaux dramatiques. Les populations des pays du Sud, Afrique et Asie surtout, devenus de véritables pays « décharges », sont soumises à de graves problèmes sanitaires à cause de la toxicité des déchets qui arrivent à leurs frontières par conteneurs entiers en provenance des pays développés.
« Les consommateurs, quant à eux, contraints de renouveler l’achat d’un bien sans aucun bénéfice, esthétique ou technologique, subissent une diminution de leur pouvoir d’achat.
« Par ailleurs, la question de l’obsolescence programmée s’inscrit dans une réflexion globale sur un modèle de développement soutenable.
« M. Jean-Vincent Placé fait remarquer que la question fait débat depuis déjà longtemps et que des acteurs se sont déjà mobilisés sur le sujet : plusieurs rapports et contributions ont été publiés sur l’obsolescence programmée, sur la durée de vie des produits ou encore sur la gestion durable des matières premières minérales, tels ceux de l’ADEME, du Centre national d’information indépendante sur les déchets, le CNIID, de Terra Nova et de l’Assemblée nationale. Le Sénat belge a voté, le 2 février 2012, une proposition de résolution en vue de lutter contre l’obsolescence programmée des produits liés à l’énergie, tandis que le Grenelle de l’environnement a consacré l’objectif de rendre accessibles au plus grand nombre les produits et services plus durables.
« Certaines mesures peuvent relever du législateur comme l’allongement de la durée des garanties, la mise à disposition des pièces détachées ou la modulation de l’éco-contribution. Aussi le groupe écologiste du Sénat a-t-il déposé, le 18 mars 2013, une nouvelle proposition de loi n° 429 (2012-2013) visant à lutter contre l’obsolescence et à augmenter la durée de vie des produits.
« D’autres dispositions essentielles relèvent du domaine règlementaire, comme l’application de la transposition de la directive 2006/66/CE du 6 septembre 2006 relative aux piles et accumulateurs ainsi qu’aux déchets de piles et d’accumulateurs et abrogeant la directive 91/157/CEE, ou encore la généralisation du chargeur universel pour téléphone portable, à l’instar de la normalisation européenne émanant du Comité européen de normalisation, le CEN, du Comité européen de normalisation électronique, le CENELEC, et de l’Institut européen des normes de télécommunication, l’ETSI, dont elle a fait l’objet.
« M. Jean-Vincent Placé souhaite connaître les intentions du Gouvernement à l’égard de ce phénomène qui impacte autant l’environnement que le pouvoir d’achat des ménages. »
La parole est à M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’écologie est, bien entendu, l’une des préoccupations principales de mon groupe.
Je me réjouis donc d’engager, pour la première fois dans une assemblée parlementaire, un débat sur un sujet aussi crucial pour l’environnement et pour le consommateur que celui de l’obsolescence programmée.
Sous ce terme complexe, sinon barbare, se cache un stratagème industriel qui a de graves répercussions écologiques et sociales. Je suis fier que notre groupe existe enfin et puisse engager le débat sur cette question, restée trop longtemps taboue.
Permettez-moi, mes chers collègues, pour bien mettre en perspective les termes du débat qui nous occupe aujourd’hui, de dresser rapidement un tableau général de la situation.
Vous le savez, notre planète dispose de ressources finies. Ces ressources, il faut de plus en plus apprendre à s’en passer, à mieux les partager et à les préserver, puisque la population mondiale ne cesse de s’accroître. Aujourd’hui, nous sommes réellement confrontés à une crise systémique qui repose, avant tout, sur une crise écologique : notre système de production et de consommation s’appuie sur des méthodes d’extraction de matières premières, d’exploitation de terres et de ressources qui arrivent à leurs limites. Les impacts ne sont pas uniquement environnementaux ; je ne parle pas là seulement des petites fleurs et des oiseaux, je parle de conflits géopolitiques, de misère humaine, de déclin de civilisation.
Nous entrons, si tant est que nous n’y soyons pas déjà depuis un moment, dans un monde de la rareté, dans lequel la course à l’abondance est chimérique. Désormais, c’est la pénurie qu’il faudra gérer, avec sobriété.
Certes, pendant plus de cinquante ans, les Français, les Européens et les habitants du monde occidental en général ont pu consommer à volonté. Les Trente Glorieuses ont marqué le passage à une consommation de masse, qui s’est traduite par l’équipement progressif des ménages, mais, une fois le marché saturé, la consommation n’a pas pour autant diminué, et l’on est passé à un mode dangereux de surconsommation effrénée. Les achats d’équipements électriques et électroniques ont été multipliés par six depuis le début des années quatre-vingt-dix.
Le revers de la médaille, c’est le rejet de seize à vingt kilogrammes de déchets d’équipements électriques et électroniques – les fameux DEEE – par personne et par an en France. La croissance économique évaluée selon le PIB stagne, mais pas celle des déchets, puisque, chaque année, elle augmente de 2 % à 3 % dans notre pays. Il faut savoir qu’environ 70 % des DEEE finissent incinérés, enfouis ou traités dans des filières informelles.
D’après le Centre européen de la consommation, « les appareils électroménagers nécessitent énormément de terres rares, c’est-à-dire des minerais et métaux difficiles à extraire, qui sont présents dans la plupart des produits électriques ou électroniques en raison de leur propriété magnétique permettant la miniaturisation ». Il est sidérant que les téléphones portables puissent contenir jusqu’à douze métaux différents, représentant 25 % de leur poids total.
Partant des niveaux connus en 1999, l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, affirme que, en retenant un taux de croissance annuel de 2 %, les réserves de cuivre, de plomb, de nickel, d’argent, d’étain et de zinc ne dépasseraient pas trente années de consommation, tandis que celles d’aluminium et de fer s’établiraient entre soixante et quatre-vingts ans de consommation en moyenne.
Ce problème des déchets, une fois encore, n’est pas seulement dramatique pour l’environnement ; c’est aussi un sujet de santé publique. L’incinération, tout comme l’enfouissement, engendre la diffusion dans l’atmosphère et dans les sols de polluants toxiques qui s’accumulent, notamment dans la chaîne alimentaire, sans parler du caractère cancérigène de ces molécules, reconnu depuis 1997 par l’Organisation mondiale de la santé. Nous sommes directement concernés.
Toutefois, les populations du Sud le sont davantage encore que nous. L’empreinte écologique des pays à hauts revenus est cinq fois supérieure à celle des pays à bas revenus. Non seulement nous vivons au-dessus des moyens de la Terre, mais la répartition des fruits récoltés est inéquitable. Les pays du Sud récoltent, eux, les déchets électriques et électroniques envoyés par conteneurs entiers depuis les pays industrialisés.
Loin de moi l’idée de faire du catastrophisme, mais ne tombons pas non plus dans la paresse intellectuelle consistant à ne pas remettre en cause un modèle qui a porté ses fruits pendant longtemps, mais qui ne fonctionne plus, et ne fonctionnera plus. Il faut désormais innover, proposer, prendre ses responsabilités.
Les hommes et les femmes politiques vivent, le plus souvent, dans le temps court d’une élection, ce que l’on peut parfois regretter. En effet, les défis auxquels nous sommes confrontés, les projets de société que nous voulons construire nécessitent une vision à long terme. Les décisions d’aujourd’hui ont une incidence significative sur l’avenir, même si les effets sur le très court terme ou sur des intérêts catégoriels ne sont pas visibles.
Le Sénat est connu pour prendre le temps de la réflexion. Nous sommes donc, à n’en pas douter, dans le lieu idéal pour aborder des questions de fond. Pour autant, les recommandations formulées au sein de la chambre haute ne doivent pas rester entre ses murs ; elles doivent se transformer en actions, c’est pourquoi je suis très heureux de constater l’intérêt de M. le ministre pour ce sujet. Dans la Ve République, on le sait, c’est trop souvent l’exécutif qui possède véritablement le pouvoir de changer les choses, s’il en a la volonté…
Eu égard au diagnostic que je viens de poser, je suis persuadé qu’il est, en effet, urgent d’agir. Ce débat soulève une question simple et précise, mais dont la portée générale est très importante : que fait-on face à l’obsolescence programmée des produits ?
Tout d’abord, rappelons ce que signifie cette expression : l’obsolescence programmée recouvre l’ensemble des techniques visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. Il existe une obsolescence technologique : l’innovation rend les objets rapidement obsolètes, car apparaît un objet plus performant, plus sophistiqué, incompatible avec l’ancien matériel. Il existe également une obsolescence psychologique, ou esthétique, résultant des phénomènes de mode. Il existe enfin une obsolescence technique, liée au fait de concevoir un produit en anticipant sa fin de vie. Les fabricants rendent aussi les produits irréparables : soit parce qu’on ne peut pas les désassembler, soit parce qu’il n’existe plus de pièces détachées ou qu’elles s’avèrent trop coûteuses.
L’obsolescence programmée, c’est l’illustration parfaite du modèle économique insoutenable et défaillant que je vous exposais en introduction. Elle appelle une réflexion sur les modes de surproduction et sur l’impact environnemental de notre modèle de développement. Ces procédés industriels malhonnêtes maintiennent un système économique en déclin sous perfusion artificielle. Le stratagème permet l’écoulement des stocks et le renouvellement illimité des biens.
L’idée a émergé en 1924, car on a vite compris les limites d’un modèle linéaire de consommation. Alors que les ampoules électriques sont conçues pour fonctionner au minimum 2 500 heures, les fabricants, confrontés à la chute des ventes, se sont mis d’accord pour limiter leur durée de vie à 1 000 heures. Cet accord, connu sous le nom de « cartel de Phoebus », est sûrement l’un des exemples les plus parlants d’obsolescence programmée.
Depuis, les cas n’ont cessé de se multiplier. J’évoquerai les bas en nylon, …
… qui filent après quelques utilisations. Je suis certain, mesdames, que vous connaissez le problème mieux que moi ! Personnellement, je suis davantage confronté, comme beaucoup de monde, à l’obsolescence programmée des chargeurs de téléphone, qui diffèrent selon les modèles, pourtant presque identiques, ou encore, au bureau, avec mes collaborateurs, à celle des tambours d’imprimantes, qu’il faut remplacer après 1 000 copies et qui coûtent plus de 100 euros, ou des cartouches d’encre noire à 70 euros, qu’il faut renouveler tous les deux mois…
Bien souvent, les matériels électroménagers comme les chauffe-eau ou les machines à laver subissent également cette obsolescence programmée : tous les ménages l’ont constatée. C’est, par exemple, une petite pièce d’usure qui ne fonctionne plus, mais qui s’avère impossible à changer, car l’ensemble est moulé de façon à ne pas être réparable. Il faut alors acheter un nouvel appareil.
Dans son Livre vert sur une stratégie européenne en matière de déchets plastiques dans l’environnement, la Commission européenne dénonce ces stratagèmes de façon explicite : « Pour assurer la durabilité de la production et de la consommation des produits en matière plastique, et éviter la perte de ressources naturelles non renouvelables, il importe que ces produits soient conçus avec une durabilité optimale. Plusieurs facteurs contrarient la réalisation de cet objectif, tels que l’obsolescence technique ou programmée, et des conceptions rendant la réparation des produits en matière plastique non rentable ou même techniquement impossible. »
Certes, ces exemples sont triés sur le volet, mais le phénomène se développe de plus en plus et affecte le pouvoir d’achat des ménages, dont le budget est déjà assez serré. La crise écologique et économique que nous connaissons aujourd’hui s’accompagne aussi d’une crise sociale. Les Français et les Françaises n’ont plus les moyens de racheter continuellement les mêmes produits parce que les fabricants les y contraignent. Je parle ici non pas de l’obsolescence « esthétique », qui relève d’un choix du consommateur, bien que ce choix soit largement orienté par la publicité et les stratégies marketing, mais bien de l’obsolescence programmée « technique », qui alimente un système inégalitaire opposant les plus aisés aux plus précaires.
Étant donné ses incidences environnementales, sociales et économiques, ce sujet n’a pas manqué d’éveiller la curiosité de nombreux experts, rendant caduque l’affirmation des industriels selon laquelle l’obsolescence programmée serait un mythe. Elle représente malheureusement une réalité bien concrète pour tous les consommateurs qui en sont victimes.
Le Sénat belge s’est emparé de la question et a voté, au mois d’octobre 2011, une proposition de résolution en vue de lutter contre l’obsolescence programmée des produits liés à l’énergie. Tout récemment, le Centre européen de la consommation a publié une étude intitulée « L’obsolescence programmée, dérive de la société de consommation ». L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, quant à elle, analyse le phénomène dans son étude sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques. Terra Nova, grand think tank bien-pensant
M. le ministre s’étonne.
Les médias se sont fait le relais de ces préoccupations citoyennes. Je pense notamment à un célèbre documentaire d’Arte, « Prêt à jeter », ainsi qu’à d’autres reportages, comme « Cash investigation », diffusé sur France 2, sans parler des nombreux articles de presse qui ont achevé de me convaincre qu’il fallait se mobiliser sur le sujet.
Je ne suis d’ailleurs pas seul à m’être engagé dans cette démarche, puisque, en 2010, des membres du groupe socialiste, radical et divers gauche de l’Assemblée nationale, dont l’actuel ministre du redressement productif, avaient déposé un amendement, qui fut malheureusement rejeté, visant à demander l’établissement d’un rapport sur la mise en application du principe d’obsolescence programmée par les entreprises françaises.
Mon collègue Joël Labbé a, quant à lui, déposé, au mois de décembre 2011, un amendement tendant à prévoir l’extension de la garantie jusqu’à cinq ans. Enfin, François Hollande, alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle, a indiqué, en réponse à un questionnaire adressé par le CNIID, vouloir agir sur la durée de vie des produits et s’est engagé à lutter contre l’obsolescence programmée par l’instauration progressive – je vous soumets cette citation, monsieur le ministre, car je sais votre soutien loyal au Président de la République
Sourires.
Ces engagements forts du Président de la République, les divers rapports évoqués et l’impérieuse nécessité d’agir devant l’ampleur des enjeux m’ont conduit à rédiger, avec le soutien de mes collègues du groupe écologiste, une proposition de loi. En tant que consommateurs, citoyens et sénateurs écologistes, nous ne pouvions pas rester inactifs face à une telle situation. Le droit d’utiliser des produits durables, de qualité et réparables doit être garanti pour tous les consommateurs.
J’ai voulu m’engager dans une démarche positive, c’est-à-dire visant à l’allongement de la durée de vie des produits, plutôt qu’à la diabolisation des entreprises. Cette proposition de loi est le fruit d’un long travail de réflexion et d’audition des différents acteurs concernés. Je souhaite vous exposer nos propositions afin de faire avancer ce débat et de mettre en évidence des alternatives possibles qui, j’en suis sûr, ne manqueront pas d’intéresser M. le ministre, notamment au regard de l’élaboration du projet de loi sur la consommation à venir.
Tout d’abord, il faut définir un cadre juridique, afin de sanctionner les pratiques malhonnêtes de certains fabricants et d’offrir un recours aux consommateurs lésés, notamment dans le cadre des class actions, dont nous avons parlé ensemble, monsieur le ministre.
Je vous propose de retenir la définition juridique suivante : « L’obsolescence programmée est l’ensemble des techniques par lesquelles un fabricant ou un importateur de biens vise, notamment par la conception du produit, à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation potentielle de ce produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. »
Ensuite, l’une des mesures phares, c’est l’extension progressive de la durée légale de conformité à cinq ans, au lieu de deux ans actuellement. L’objectif serait même, à terme, de porter cette durée à dix ans, comme le souhaitait le Président de la République. Le fabricant aura ainsi intérêt à produire des biens plus durables, tandis que le consommateur n’aura pas intérêt à renouveler l’achat avant la date d’expiration de la garantie.
La loi française en vigueur résulte de la transposition d’une directive européenne, votée en 1999, aux termes de laquelle la responsabilité du vendeur est engagée lorsqu’un défaut de conformité apparaît dans les deux ans à compter de la vente du bien.
Cette même directive autorise les États qui le souhaitent à adopter des mesures plus strictes, afin d’assurer un niveau de protection plus élevé du consommateur. Les dispositions de notre proposition de loi ne sont donc pas en conflit avec la réglementation européenne, au contraire. D’ailleurs, le Royaume-Uni, l’Irlande et la Finlande proposent des garanties supérieures, respectivement de six ans et de trois ans.
Nous pourrions également allonger de six mois à deux ans la durée de la garantie légale pendant laquelle le consommateur n’a pas à fournir la preuve de la panne, pour une meilleure lisibilité de la garantie et une plus grande protection des consommateurs.
L’augmentation de la durée de vie des produits passe également par la réparation, qui est une importante source d’emplois non délocalisables, devant être étudiée avec la plus grande attention. Ce secteur doit être encouragé par la mise à disposition de pièces détachées essentielles au fonctionnement des produits dans un délai d’un mois, pendant une période de dix ans. De manière générale, il est primordial que les utilisateurs d’équipements électriques et électroniques soient mieux informés sur le réemploi, le recyclage et toutes autres formes de valorisation de ces produits, au travers de la notice d’utilisation, par exemple.
Je propose également de moduler l’éco-contribution, tel un bonus-malus, en fonction de critères permettant un allongement de la durée de vie du produit. Ce point relève du thème plus large de la fiscalité écologique.
Enfin, je souhaite que le Gouvernement présente un rapport sur le développement et les perspectives, en France, de l’économie de la fonctionnalité, forme d’économie complémentaire de l’économie circulaire. En remplaçant la vente du bien par la vente de l’usage de celui-ci, les entreprises sont incitées à concevoir des produits ayant une plus longue durée de vie, sous peine d’avoir à subir des frais de réparation importants.
Dans le même temps, les coûts de production diminuent, grâce à une économie en termes d’utilisation de matières premières. Les entreprises peuvent ainsi profiter de cette baisse pour créer des emplois, diminuer les prix et gagner en compétitivité. Voyez le succès du Vélib’ à Paris ou de la musique en ligne : nos concitoyens n’ont plus nécessairement besoin d’être propriétaires des biens pour être satisfaits.
Mes chers collègues, des solutions alternatives alliant responsabilité écologique, viabilité économique et bénéfice social existent pour répondre au problème de l’obsolescence programmée et, plus généralement, aux enjeux de la conversion écologique de notre économie.
Certains me rétorqueront que l’extension de la garantie va entraîner une augmentation des prix. Mais si, pour une télévision valant 200 euros, les consommateurs doivent dépenser au maximum 20 euros supplémentaires pour obtenir une garantie de cinq ans, ils seront gagnants, surtout lorsque l’on observe les marges impressionnantes réalisées par les distributeurs sur les extensions de garantie payantes.
D’autres alerteront sur le risque de mettre en péril des emplois. Dès que l’on veut mettre en place une mesure sociale ou environnementale, les lobbies industriels agitent toujours la menace de la perte de nombreux emplois. Cela dit, cette question est légitime. Mais, croyez-moi, les créations d’emplois dans le secteur de la réparation et dans toutes les activités de services seront bien plus considérables que les pertes. Sur ce point, il serait cependant intéressant de disposer d’une étude d’impact. Vous le savez bien, mes chers collègues, malgré toute notre bonne volonté et celles de nos collaborateurs, nous, parlementaires, n’avons que peu de moyens pour réaliser de telles études, à la différence du ministre : je souhaiterais donc qu’il y réfléchisse.
Naturellement, je souhaite que ces propositions aient une portée européenne, mais ce n’est pas une raison pour ne pas agir en France. Au contraire, c’est grâce aux différentes initiatives prises en France, avec ma proposition de loi et divers rapports, en Belgique et dans d’autres pays que l’Union européenne se mobilisera ; j’en veux pour preuve l’avis que va rendre prochainement le Conseil économique et social européen.
Le modèle économique que je vous propose a fait ses preuves : une entreprise comme Patagonia, qui vend des vêtements techniques éco-conçus, est particulièrement exemplaire à cet égard, tandis que Miele, Dyson, Ikea ou le constructeur de voitures Kia font la promotion de produits durables, pour lesquels la garantie atteint cinq, sept, voire vingt ans.
Indéniablement, la France a tout à gagner à jouer sur la qualité de ses produits et sur le service aux clients pour se démarquer dans un univers de forte concurrence par les prix. À cet égard, si les voitures allemandes se vendent si bien malgré leur coût plus élevé, c’est parce que leur qualité est reconnue. Loin de moi l’idée d’encourager l’usage de la voiture – je vous invite tous, mes chers collègues, à prendre les transports en commun ou à circuler en vélo –, mais vous aurez compris l’idée que je défends.
Il est vraiment nécessaire de réorienter notre modèle économique dès maintenant. On ne peut plus attendre : l’économie de la qualité, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité sont notre avenir. La Chine, l’Allemagne ou les États-Unis l’ont bien compris et se réorientent vers ces formes novatrices. Qu’attendons-nous pour prendre le leadership sur ce marché ?
Le présent débat me donne l’occasion d’en appeler à l’audace face aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux. L’obsolescence programmée est une aberration, une impasse ; elle nous mène droit dans le mur. Il faut réagir dès à présent en formulant des propositions concrètes, et non en demandant un énième rapport sur le sujet. Nos concitoyens et concitoyennes, qui ne supportent plus de se faire avoir et se tournent, de plus en plus, vers des modèles responsables de consommation et vers la réparation, manifestent une véritable attente.
Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, mon investissement sur ce problème est entier. Je souhaite avoir votre avis sur les propositions que je vous ai présentées. Elles concernent, à tous les égards, la consommation et l’économie sociale et solidaire. Je vous remercie des réponses que vous pourrez nous apporter quant à la stratégie du Gouvernement sur cette question. Je serai très attentif aux interventions des orateurs de l’ensemble des groupes, de la majorité comme de l’opposition. §
Il est difficile de prendre la parole après un orateur aussi enthousiaste que notre collègue Jean-Vincent Placé… Je souhaite néanmoins attirer l’attention sur certains points bien précis et formuler quelques remarques.
Tout d’abord, le concept d’obsolescence programmée évoqué par notre collègue doit être distingué de celui d’obsolescence d’un produit.
L’obsolescence en elle-même, telle que l’on peut la définir, est le fait, pour un produit, d’être technologiquement dépassé et de perdre ainsi une partie de sa valeur. Cette obsolescence concerne également le produit de bonne qualité que le consommateur remplace par un produit neuf tout simplement parce qu’il lui paraît désuet ou démodé.
On a parfois qualifié d’« esthétique » ce type d’obsolescence subjective, le consommateur étant amené à jeter un produit encore fonctionnel pour des raisons psychologiques.
On peut évidemment voir dans cette attitude, aujourd’hui poussée à l’extrême, une dérive de notre société de consommation, qui incite à consommer toujours plus. Mais il s’agit là d’un état d’esprit sur lequel il serait bien difficile, pour le législateur, d’intervenir.
Très différente est l’obsolescence programmée, qui, comme vous l’avez souligné, monsieur Placé, consiste pour un fabricant à utiliser un ensemble de techniques ou de technologies visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement, cela pour des raisons purement économiques. Selon la technique utilisée, on parle d’obsolescence par défaut fonctionnel, d’obsolescence par incompatibilité, d’obsolescence indirecte, d’obsolescence par notification ou encore d’obsolescence par péremption.
Il est bien évident que c’est cette dernière forme d’obsolescence, consistant à programmer, grâce à un éventail de techniques frauduleuses, la durée de vie d’un produit qui doit être dénoncée, d’un point de vue tant économique qu’écologique. Jusque-là, nous sommes d’accord, monsieur Placé.
Du point de vue économique, l’initiative de notre collègue est tout à fait honorable
Ah ! sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.
… puisqu’elle a pour objet de lutter contre cette pratique que l’on peut considérer comme frauduleuse et qui semble pénaliser gravement, sur le plan financier, les ménages, qui doivent acheter des produits de remplacement. Cependant, à mon sens, s’il convient évidemment de mieux protéger les consommateurs, il ne faut pas pour autant réduire leur pouvoir d’achat : les produits visés doivent rester accessibles à tous en termes de prix. Par conséquent, si l’on modifie les règles économiques par des textes législatifs ou réglementaires, il ne faut en aucun cas engendrer, du même coup, une augmentation significative du prix des produits liée à de nouvelles contraintes de fabrication.
Du point de vue écologique, il est évident que la mise en pratique de l’obsolescence programmée par les entreprises privées va dans le sens d’une surconsommation des ressources utilisées pour la fabrication des produits concernés – je vous rejoins également sur ce point, monsieur Placé – et d’une augmentation constante de la masse des déchets. Soulignons que l’obsolescence programmée concerne principalement les produits manufacturés, particulièrement les appareils électriques et électroniques. On peut toutefois recourir à cette pratique pour bien d’autres types d’objets : vêtements, mobilier, etc. Nous y reviendrons, car ce point est vraiment important.
Si nous souhaitons tous limiter le recours à l’obsolescence programmée et donc au renouvellement systématique des produits, il me semble important de prendre en compte deux considérations majeures : premièrement, il faudrait modifier les comportements des entreprises privées, sans pour autant pénaliser celles qui ont déjà créé des filières de recyclage ; deuxièmement, pour les entreprises qui vivent des filières de recyclage, il conviendrait que l’application d’une interdiction rigoureuse de l’obsolescence programmée ne soit pas génératrice de pertes ou d’un manque à gagner.
Sans ces deux préalables, vouloir endiguer la mise en œuvre de l’obsolescence programmée serait voué à l’échec, sauf si les textes législatifs devenaient véritablement contraignants en la matière. Mais, si une telle contrainte était exercée, le risque serait alors que la compétitivité de nos entreprises à l’échelle internationale soit dégradée, et du même coup se poserait la question de leur évolution, voire celle de leur survie.
En effet, notre pays évolue dans un marché réglementé et ne peut donc adopter des mesures qui seraient considérées comme un frein, une entrave aux échanges entre États membres. N’oublions pas que, en outre, la France est membre de l’Union européenne et que le droit interne français découle presque systématiquement du droit communautaire. À ce jour, la France a transposé les deux directives européennes relatives aux DEEE et la directive-cadre « déchets ».
La proposition de loi de Jean-Vincent Placé a le mérite de poser la question de la nécessité d’un texte pour lutter contre l’obsolescence programmée ; pour le moment, aucun texte national ne traite spécifiquement de ce concept. Cette proposition de loi s’inscrit dans la lignée du travail réalisé en Belgique, où une proposition de loi similaire a été déposée en 2011, ou dans des pays du Nord tels les Pays-Bas ou la Finlande qui, sans interdire le recours à l’obsolescence programmée, y apportent des restrictions.
Aujourd’hui, il est important de savoir ce que l’on veut faire et quelle inflexion on entend donner à cette proposition. À la lecture da la question orale de Jean-Vincent Placé, il apparaît que ce texte relève de bonnes intentions
Exclamations ironiques sur les travées du groupe écologiste.
Mme Hélène Masson-Maret. … qu’il va dans le bon sens d’un point de vue tant écologique que social. Toutefois, ne risque-t-il pas de provoquer une véritable levée de boucliers des lobbies et des constructeurs qui mettent sur le marché des produits à durée de vie limitée dans une logique d’obsolescence programmée ?
MM. Ronan Dantec et Joël Labbé s’exclament.
Notons tout d’abord qu’il existe déjà des filières à l’échelon national pour la récupération d’une large partie de ces produits de grande consommation. Force est de constater que le traitement et la récupération des différentes matières premières ayant servi à l’élaboration des produits permettent de les réutiliser et, par conséquent, de réaliser des économies en matière de ressources naturelles.
Je souhaite également attirer votre attention sur le fait que ces filières de recyclage fonctionnent, qu’elles ont été créatrices d’emplois et qu’abonder dans le sens de M. Placé sans faire preuve d’une grande vigilance entraînerait le transfert de certains emplois d’un secteur à un autre. Ce transfert ne se ferait pas sans difficulté, bien au contraire, puisqu’il faudrait en définitive réfléchir sur les fondements de notre système de production actuel, mais aussi sur nos modes de consommation.
Pour étayer cette remarque, je prendrai l’exemple des DEEE, en me fondant sur les chiffres avancés par l’ADEME, même s’ils sont parfois contestés. Selon l’ADEME, en 2010, 434 000 tonnes de DEEE ont été collectées via les collectivités territoriales, les distributeurs, les acteurs de l’économie solidaire ou les producteurs eux-mêmes. En 2010 toujours, 423 600 tonnes de DEEE ont été traitées et 334 600 tonnes recyclées, soit environ 75 % du total.
Par conséquent, même si l’on comprend que la pratique de l’obsolescence programmée, qui tend effectivement à se développer, ait suscité une prise de conscience de Jean-Vincent Placé et qu’il souhaite légiférer sur le sujet, instaurer des sanctions financières mais aussi pénales, il ne faut pas mésestimer totalement les risques d’une telle démarche.
Enfin, sans tomber dans l’amalgame, je tiens à faire une dernière remarque, qui peut avoir son importance.
Un texte de loi interdisant l’obsolescence programmée pourrait avoir un effet pervers pour notre économie, car l’avenir réside peut-être dans les produits programmés pour avoir durée de vie limitée, destinés à être renouvelés si leur coût est bas et s’ils sont biodégradables ou recyclables. En effet, quid des entreprises qui ont eu l’intelligence de créer des sacs plastiques biodégradables, et donc à courte durée de vie ? N’est-ce pas de l’obsolescence programmée ? Mais, dans ce cas, n’est-ce pas de l’obsolescence programmée intelligente ?
Or c’est bien ce type de démarche qui pourrait être touché par une loi trop contraignante.
Aussi me paraît-il fondamental de distinguer l’obsolescence programmée à but mercantile et l’obsolescence programmée à but environnemental. En effet, cette seconde forme d’obsolescence programmée est favorable non seulement à la créativité de nos entreprises, mais également à la défense de l’environnement. Or je constate que le texte de Jean-Vincent Placé n’opère pas cette distinction. Il serait pourtant important de l’introduire afin d’éviter des effets pervers : à défaut, nous risquerions de pénaliser tous les fabricants et toutes les entreprises qui œuvrent pour la défense de l’environnement. Le concept d’obsolescence programmée ne doit pas être réduit au seul champ des équipements électriques et électroniques, car il concerne un grand nombre de produits, et une loi trop stricte pourrait avoir de graves conséquences d’un point de vue tant économique que social. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que certaines organisations non gouvernementales se préoccupent du sujet depuis déjà un certain temps, l’obsolescence programmée a été longtemps perçue comme un fantasme des décroissants, relevant d’une vision complotiste ou policière du fonctionnement de nos industries. De fait, l’obsolescence programmée est une stratégie rarement affichée : les industriels qui la pratiquent préfèrent avancer masqués, mais il n’en s’agit pas moins d’une stratégie de grande ampleur, faisant fi des responsabilités sociales, économiques et environnementales des entreprises.
C’est pourquoi nous devons nous féliciter d’avoir l’occasion de débattre de ce sujet. Pareille à un puzzle dont nous avons à emboîter les pièces, la crise globale que nous traversons, qui se manifeste notamment par l’épuisement des ressources, est d’ordre à la fois environnemental, économique et social. Elle appelle des réponses transversales ; s’attaquer à l’obsolescence programmée en est une.
L’obsolescence programmée est la face cachée de notre société de consommation. En effet, elle est devenue le fer de lance idéal pour stimuler artificiellement la demande, notre cycle économique reposant sur le triptyque production-consommation-croissance. C’est d’ailleurs l’identification de cet enjeu qui a conduit Bernard London à inventer cette expression. Dans les années trente, aux États-Unis, il expliquait déjà que « la technologie moderne et ses applications dans l’économie ont permis d’augmenter la productivité à un niveau tel que l’enjeu économique principal n’est plus de stimuler la production mais d’organiser le comportement des consommateurs ».
Ce type d’emprise sur les comportements des consommateurs ne joue pas en leur faveur : on les trompe en leur donnant à penser que moins cher ils achètent, meilleure est l’affaire ! En réalité, en les flouant sur le rapport qualité-prix, l’obsolescence programmée affecte leur pouvoir d’achat et pèse très lourd, dans la durée, sur les budgets des ménages.
Ces stratégies enclenchent un cercle vicieux : plus les biens ont une vie courte, plus nous consommons, plus nous utilisons de matières premières, d’énergie, et plus nous produisons de rejets polluants et de déchets.
Au regard de la crise écologique, nous savons que ce modèle n’est pas durablement soutenable. Il s’agit donc, comme nous l’a proposé notre collègue Placé, d’agir sur l’allongement de la durée de vie des objets.
Notre système de production s’est longtemps appuyé sur des énergies et des matières premières peu coûteuses et abondantes : elles ne le sont plus aujourd’hui, et nous devons réfléchir à rationaliser nos modes de production et de consommation.
La quasi-gratuité des ressources naturelles a favorisé leur surconsommation et leur épuisement. L’analyse économique ayant prévalu jusqu’à présent est biaisée par des indicateurs dépassés, qui n’intègrent pas le coût des destructions des services éco-systémiques ou celui du non-renouvellement des ressources naturelles.
L’obsolescence programmée découle donc malheureusement de ce système, structuré par l’imprévoyance et l’inconséquence, ainsi que par l’indifférence aux enjeux environnementaux et à aux coûts afférents. Or le législateur, chargé de la gestion des deniers publics, doit toujours avoir à l’esprit que, au bout de la chaîne, ces coûts se reportent sur la collectivité publique, et donc sur le contribuable.
À cet égard, les déchets d’équipements électriques et électroniques fournissent le meilleur exemple : nous sommes dans l’impasse face à cette masse de déchets que nous ne savons pas traiter. Selon le CNIID, ils sont, à hauteur de 70 %, incinérés, enfouis ou traités dans des filières informelles, c’est-à-dire qu’ils échappent à toute taxation, à toute prise en charge collective, et que, finalement, ce sont les collectivités locales qui doivent en assurer l’élimination ou l’éloignement.
En proposant un ensemble de mesures visant à obliger les entreprises à allonger la durée de vie des objets, en promouvant la réparation plutôt que le « tout jetable », en prévoyant des sanctions contre les entreprises mettant en place des stratégies délibérées d’obsolescence programmée, nos collègues du groupe écologiste prennent en compte les nouvelles contraintes environnementales.
Il nous faudra surtout mettre au centre de notre action la fiscalité environnementale, particulièrement celle qui porte sur les déchets, trop souvent oubliée lorsque nous évoquons ce sujet, alors qu’elle pèse aujourd’hui fortement sur les collectivités territoriales. La fiscalité environnementale est un outil majeur pour modifier les comportements et valoriser notre environnement en incorporant à l’ensemble du process production-consommation la valeur des ressources naturelles et celle des services éco-systémiques.
Cependant, construire une économie verte ne se résume pas à imaginer un modèle de développement qui s’adapterait à la rareté des ressources, tout en présentant un impact environnemental limité. Il nous faut aussi nous interroger sur sa finalité. En somme, il s’agit aujourd’hui de nous demander comment produire, mais aussi pourquoi, dans quel but.
Le consumérisme, en créant des besoins artificiels, a imposé dans l’imaginaire collectif l’image d’un bonheur proportionnel au volume de biens consommés et constamment renouvelés. Il nous a rendus dépendants d’un système énergivore et très polluant. En cela, notre système a aussi créé une obsolescence programmée culturelle.
Il nous faut réfléchir davantage, mener une analyse critique plus fine du consumérisme, dont on peut constater les limites non seulement physiques, au travers de l’environnement, mais également morales. Ce modèle de développement a failli à sa promesse en ne généralisant pas le bien-être. Pis encore, il a entretenu un idéal d’abondance, alors qu’il n’est pas généralisable, comme nous pouvons le voir aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, de la globalisation, de la standardisation des modes de vie et des aspirations.
L’abondance n’a été, jusqu’à présent, que le privilège de certains : on estime ainsi que de 20 % à 30 % de la population mondiale consomme entre 70 % et 80 % des ressources tirées chaque année de la biosphère.
L’exploitation massive des ressources est lourde de conséquences pour les populations des pays du Sud. Les mines chinoises fournissent à nos sociétés 95 % de la production mondiale, car l’exploitation y est très rentable du fait de normes environnementales et sociales très faibles. Ainsi, péril écologique et injustice sociale se renforcent mutuellement.
En définitive, il s’agit de passer d’un modèle où la sobriété est vécue comme une frustration à une sobriété choisie, organisée. Nous vivons une époque où le progrès technique échappe au projet politique, alors qu’il doit s’adapter aux défis environnementaux, mais aussi aux besoins sociaux. L’obsolescence programmée dépossède les individus, en particulier les membres de la classe ouvrière, les ouvriers qualifiés, de leur capacité à maîtriser les objets et leur environnement.
Mme Laurence Rossignol. Au temps où un ouvrier savait réparer sa voiture ou les appareils électroménagers, son savoir-faire était reconnu et utilisable dans son propre environnement.
Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Aujourd’hui, même les ouvriers qualifiés ne savent plus réparer les objets qu’on leur a vendus ! De ce point de vue, leur déclassement social se trouve accru et ce phénomène accompagne la désindustrialisation de notre pays.
Notre débat et les propositions avancées contribuent à politiser les notions de consommation et de progrès technique, en préconisant la rédaction d’un rapport sur l’économie de la fonctionnalité ; je m’en réjouis.
En outre, alors que le rôle de l’État dans l’économie a été remis en question par les dogmes néolibéraux, la transition écologique lui redonne sa légitimité.
Les gisements d’emplois nouveaux existent. La France a la chance de pouvoir devenir leader, en termes d’innovation, grâce aux nouvelles possibilités qu’offrent l’économie fonctionnelle et l’économie circulaire. Nous ne pouvons laisser passer ces chances nouvelles, mais je sais, monsieur le ministre, que vous travaillez sur ces sujets et que nous aurons l’occasion d’approfondir la réflexion, afin d’enrichir le projet de loi que vous nous présenterez au mois de juin. §
Je remercie notre collègue Jean-Vincent Placé et le groupe écologiste d’avoir fait inscrire à l’ordre du jour de nos travaux cette question orale portant sur la lutte contre l’obsolescence programmée.
En effet, il s’agit d’une initiative très intéressante, dans la mesure où elle nous permet d’aborder de plain-pied et de manière concrète les dérives du système capitaliste, dont le moteur est la consommation.
Mais revenons à la notion d’obsolescence programmée. Si une découverte, une innovation, un saut technologique frappent d’obsolescence un ordinateur, une cafetière ou un textile, on peut admettre que cela déclenche un renouvellement des produits. C’est la fonction de l’intelligence, du génie humain, et nous l’avons toujours considérée comme un facteur d’émancipation.
Ici, nous parlons d’obsolescence provoquée, prévue, planifiée dans un but mercantile, contraire à l’intérêt général.
L’obsolescence programmée est un terme générique qui recouvre plusieurs moyens destinés à réduire la durabilité d’un objet et à provoquer sa mise au rebut à brève échéance.
Parmi ces moyens, on distingue, tout d’abord, l’obsolescence technique, liée à la défectuosité de pièces ou à l’ajout d’options sur les produits. Elle peut aussi résulter de l’assemblage de pièces aux durées de vie différentes, de telle sorte que la pièce la plus fragile, si possible non disponible en pièce détachée, détermine la mort du produit. Elle peut également être due à l’incompatibilité entre des éléments de générations différentes, obligeant au renouvellement du produit ou rendant toute réparation inaccessible, matériellement ou financièrement. Comment ne pas penser alors que le consommateur est abusé, puisqu’il ne dispose pas de ces informations lors de l’achat du produit ?
Ensuite, il y a l’obsolescence réglementaire, dont on parle moins, mais qui me semble tout aussi efficace, si j’ose dire. Ainsi, le changement et la multiplication des normes ne sont pas totalement étrangers à l’accélération de l’obsolescence. Imposer de nouvelles normes de sécurité ou d’usage, d’une nécessité pas toujours évidente, oblige aussi à renouveler trop rapidement quantité de biens.
Enfin, j’évoquerai l’obsolescence symbolique. Prenons l’exemple des smartphones : les nouveaux modèles sont-ils suffisamment innovants pour justifier l’emballement médiatique dont ils font l’objet, le renouvellement prématuré d’appareils qui n’ont souvent qu’un an ou deux ? Non ! Il s’agit plutôt d’un effet de mode et, surtout, de marketing. Posséder l’appareil dernier cri matérialise l’appartenance à un certain groupe social, le respect de ses codes.
Aujourd’hui, les produits manufacturés sont jetables et non réparables : c’est une autre facette de l’obsolescence programmée. Il y a encore quelques décennies, l’ouvrier qui achetait une voiture pouvait la garder longtemps non seulement parce qu’elle était solide, mais aussi parce qu’il savait réparer les pannes ordinaires. J’ai encore en mémoire mon voisin mécanicien démontant son moteur, pièce par pièce, sur le trottoir, pour changer une bougie, une ampoule, une courroie… Aujourd’hui, c’est impossible ! Autrement dit, comme l’a relevé Mme Rossignol, les gens modestes n’ont plus prise sur ce qu’ils achètent. On a rendu inaccessibles des parties du véhicule et les pièces détachées sont rapidement épuisées. Sans logiciel spécifique, on ne détecte plus les pannes, qui sont d’abord électroniques, et même les garagistes n’arrivent plus à intervenir correctement sur certaines voitures.
L’obsolescence programmée est inhérente à la société de consommation. Elle repose en fait sur la manipulation et la tricherie. Il s’agit d’un des outils les plus pervers dans la course à la consommation, d’un stratagème fondé sur la tromperie. La surconsommation et le surendettement sont les deux mamelles nourricières de cette course folle entretenue et orchestrée par les « fils de pub ».
L’obsolescence programmée est un concept qui affleure dans les médias depuis peu de temps. Le travail d’associations et d’ONG nous a permis de le mettre au jour, mais il faut savoir qu’il est théorisé depuis la fin du XIXe siècle et mis en pratique dans les grandes firmes, depuis cette époque, de manière systématique et volontaire.
Dans les années trente, General Motors établit sa stratégie sur la production régulière de nouveaux modèles démodant les séries précédentes. C’est ainsi que la firme força son concurrent Ford, qui jusqu’alors misait sur la solidité et la longévité de ses produits, à changer de stratégie pour se lancer, lui aussi, dans la course au nouveau modèle. Il semble qu’il s’agisse là du début du système d’obsolescence programmée par l’esthétique et le design, dont la mise en œuvre s’est généralisée aujourd’hui.
L’externalisation des coûts due aux conséquences négatives de cette pratique est un autre volet de cette logique consumériste. Augmentation du volume des déchets, épuisement des ressources, abaissement des coûts du travail, emballement du crédit, surendettement sont les corollaires inévitables de la surconsommation et de l’obsolescence programmée qui en est le bras armé.
Mais si l’accélération de l’obsolescence des biens de consommation relevait seulement de la tromperie, elle ne représenterait pas une question d’ordre systémique, comme c’est le cas aujourd’hui.
Plus que jamais, le marketing est parvenu à créer des besoins, à nourrir des addictions, et pousse sans cesse les consommateurs à renouveler leurs équipements pour disposer du dernier cri, du plus performant, allant même jusqu’à organiser des ventes à minuit, orchestrées comme des ruées vers l’or. Dans quel monde vivons-nous ?
L’obsolescence programmée est aussi le révélateur des principaux dysfonctionnements du marché dans son acception libérale et du mythe de la concurrence libre et non faussée, parce que tous ces mécanismes ne visent qu’un seul et même objectif pour chaque firme : fausser la concurrence, mettre les peuples en compétition et prendre le dessus sur le concurrent.
Aujourd’hui, des citoyens essaient de se libérer de cette emprise. Des marchés de l’occasion voient ainsi le jour : si Internet présente des avantages indéniables, les brocantes, les dépôts-ventes – sources d’emplois, d’ailleurs – ou encore les structures associatives ne sont pas en reste. De même, « système D », échanges, prêts, achats en commun, mutualisation, réparation, frugalité sont des pratiques de consommation alternative qui, si elles ne sortent pas toutes du système, indiquent une volonté de trouver d’autres modes de vie fondés sur l’échange, la confiance et le partage.
Peut-être sommes-nous mûrs pour des remises en cause importantes de nos comportements, préludes à un changement d’époque ? Nous verrons bien !
Quoi qu’il en soit, notre rôle de législateur, aujourd’hui, consiste d’abord à comprendre ce phénomène et à en mesurer l’ampleur et les effets néfastes. Ensuite, il nous appartiendra de trouver des moyens réglementaires et législatifs pour protéger nos concitoyens et, plus particulièrement, les plus faibles d’entre nous. Gardons-nous de penser que le système peut être contrôlé à l’aide de quelques mesures, car l’obsolescence programmée est un pilier dont il ne pourra pas se passer facilement !
Il nous faudra travailler non seulement sur les garanties, sur l’éco-conception, mais aussi sur la sobriété et sur l’économie circulaire ; j’en oublie sans doute. On ne peut plus, aujourd’hui, concevoir un objet manufacturé sans se demander ce qu’il deviendra à terme : l’incinération, l’enfouissement, l’envoi dans les pays en développement pour le faire déconstruire sont des solutions à exclure. Les filières de recyclage doivent être développées, mais il ne s’agit que d’un geste curatif. Or nous devons faire de la prévention, et donc travailler, encore et toujours, sur l’éco-conception. À ce propos, je tiens à rassurer ma collègue Laurence Rossignol : le comité pour la fiscalité écologique s’intéresse aussi aux déchets, puisqu’il a créé un nouveau groupe de travail sur ce sujet.
Remettre en cause le jetable, les normes, les brevets, l’obsolescence programmée, l’abus de crédit, l’appauvrissement et la mise en concurrence des salariés, tous ces facteurs liés entre eux pour faire tourner la machine, demande un retournement des valeurs et une véritable révolution, qui replace l’homme au cœur de notre action. Pour notre part, nous y sommes prêts !
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plus d’un siècle, notre modèle économique repose en grande partie sur la production de masse. Celle-ci fonctionne selon un cycle – extraction de ressources naturelles, consommation d’énergie, production de biens et traitement des déchets – qui s’est progressivement amplifié et a constitué un important moteur de croissance de notre économie.
La systématisation de la production en série a longtemps permis de faire baisser les prix et d’assurer ainsi une forte rotation du cycle d’achat, à discrétion du consommateur. Ce modèle était valable au temps de la prospérité, où l’on n’était pas trop regardant sur les « coulisses », c’est-à-dire l’amont et l’aval de la vie du produit. Mais les temps ont changé !
Considérant, pour reprendre la formule d’un journal américain, qu’« un produit qui ne s’use pas est une tragédie pour les affaires », les industriels ont développé trois armes pour accélérer la rotation du cycle d’achat : tout d’abord, la publicité et le marketing, ensuite, le crédit, et, enfin, l’obsolescence programmée, qui fixe dès le départ la durée de vie d’un produit, avec pour corollaire, d’une part, l’accélération de la consommation de ressources naturelles parfois rares, issues de pays peu développés, et, d’autre part, le retour de celles-ci sous les mêmes latitudes, officiellement comme « articles d’occasion », mais plus prosaïquement sous forme de déchets.
On est ainsi passé successivement d’une logique à une autre : croître pour répondre à un besoin, puis croître pour satisfaire un désir, enfin croître pour croître. Cette évolution est en contradiction avec les objectifs que nous nous sommes fixés : d’abord préserver nos ressources, économiser notre énergie, prévenir la production de déchets – comme nous y invitent les lois Grenelle 1 et Grenelle 2 –, mais aussi préserver le pouvoir d’achat, comme nous le demandent nos concitoyens, plutôt que de subir le « pouvoir de faire racheter » qu’impose le système de l’obsolescence programmée.
Pour dresser un état des lieux et sortir de cette situation, nous disposons de quelques études sur lesquelles nous appuyer, notamment celle de l’ADEME sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques. Nous avons plusieurs outils à développer pour contrecarrer cette tendance au gaspillage.
La mise en place d’un outil juridique, tout d’abord, doit nous amener à travailler sur la garantie des produits mis sur le marché.
Il nous faut étendre les durées des garanties et les caler sur la durée de vie minimale, à fixer de façon normative.
Le candidat Hollande précisait l’an dernier à l’association AMORCE ses préconisations en la matière : « l’instauration progressive d’une garantie longue de cinq ans, puis de dix ans pour les biens de consommation durables et la modulation de l’écotaxe selon la durée de vie garantie du produit ».
Beaucoup de biens ont été techniquement dégradés – je pense, par exemple, à la forte baisse de la durée de vie des ampoules électriques – pour permettre une rotation accélérée de leur vente. Nous qui sommes souvent, par ailleurs, des gestionnaires d’installations de traitement de déchets, nous savons que leur conception et leur construction, outre qu’elles doivent respecter des normes parfaitement justifiées, doivent faire appel aux « meilleures techniques disponibles ». Pourquoi ne pas appliquer cette exigence aux biens de consommation courante et imposer, lors de leur conception, l’utilisation des « meilleures techniques disponibles » pour garantir leur fiabilité dans le temps ?
Nous devons également assurer une concordance de garanties entre produits jumelés. Qui d’entre vous n’a pas été contraint de changer son téléphone dit « intelligent » – intelligent à court terme, peut-être ! –, parce que sa batterie n’était plus fonctionnelle et que les deux étaient indissociables ? Nous faudra-t-il, demain, changer de voiture à la première crevaison d’un pneu ?
Il convient de rendre les produits non seulement durables, mais aussi réparables par des tiers non impliqués dans la vente initiale ni intéressés par une deuxième vente du même produit. Lorsque nous construisons des usines, nous exigeons systématiquement ce que l’on appelle un « dossier d’intervention ultérieure sur l’ouvrage ». Pourquoi ne pas exiger son équivalent pour les biens de consommation courante, sous forme d’un document qui serait lisible et exploitable par tous ? L’essor des sites de vente de produits d’occasion n’est pas un hasard.
Nous devons aussi développer l’outil financier, en travaillant sur l’éco-contribution.
La responsabilité élargie du producteur est depuis peu modulée, pour les emballages, par leur caractère recyclable. Ce qui vaut pour des produits destinés par nature à un usage unique ne peut se transposer à des objets dont la vocation – en tout cas, dans l’esprit de ceux qui les achètent – est de durer. Pourquoi ne pas assurer une modularité en fonction de ce que nous attendons de ces produits ? S’ils sont singuliers et si leurs qualités, leur fonctionnalité, leur design ont justifié que nous les achetions, alors qu’ils soient « normaux » à l’intérieur, durables, réparables et, au final – parce que tout a une deuxième vie –, recyclables.
Une éco-contribution suffisamment élevée pour couvrir les coûts liés à la fin de vie du produit, avec une dégressivité reposant sur l’atteinte de performances techniques garanties, pourrait motiver les industriels à revoir leur modèle de production.
À ceux qui pensent que nous prendrions alors le risque de fragiliser encore plus la croissance, je réponds qu’à l’économie du jetable il faut substituer l’économie du durable, au sens premier du terme. À l’économie linéaire fondée sur le cycle extraction-utilisation-destruction, nous devons préférer l’économie circulaire, comme le promeut l’institut du même nom, lancé en février dernier avec la contribution de notre collègue Chantal Jouanno. Quel industriel, ingénieur ou entrepreneur préférerait être un fabricant de déchets plutôt qu’un fournisseur de nouveaux services ?
Que ceux qui nous expliquent que nous devons nous résigner à sauver nos emplois en gaspillant les ressources des autres entendent que nous souhaitons miser sur l’innovation et créer des emplois nouveaux en valorisant toutes nos ressources, y compris humaines.
Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du groupe écologiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier à mon tour Jean-Vincent Placé de nous offrir aujourd’hui l’occasion de débattre d’une question peu souvent abordée, mais tout à fait essentielle, en particulier dans le contexte actuel de crise économique, écologique et sociale.
L’obsolescence programmée est un sujet complexe, à facettes multiples.
Tout d’abord, elle recouvre des enjeux économiques évidents, en termes d’emploi, de commerce extérieur, de délocalisation de main-d’œuvre, de filières d’insertion, ainsi que de recherche ou d’innovation.
Ensuite, les enjeux environnementaux, liés à l’utilisation des ressources de la planète, à la consommation d’énergie, à l’émission de gaz à effet de serre, à la production de déchets, à la capacité de recycler ou non ces déchets, sont évidemment considérables.
Enfin, les enjeux de société se mesurent à l’échelle planétaire : le modèle désormais universel de fonctionnement de l’économie est celui de la consommation et de la satisfaction de besoins constamment renouvelés, du fait non seulement d’un vrai progrès technologique, mais souvent de simples évolutions très artificielles créées par le marketing ou la publicité.
Comment avons-nous pu, en l’espace de cinquante ou soixante ans, passer de productions de qualité, nécessaires pour répondre aux besoins de consommation « normaux » de l’être humain, à un système fondé sur la création de besoins nouveaux, par le biais d’une forme de marketing inventée dans les années soixante, lorsque l’on s’est rendu compte que c’était la meilleure manière de gagner plus d’argent ?
À titre personnel, je considère que l’obsolescence programmée est née de la concentration du système de distribution. En effet, les fabricants de ces objets obsolescents respectent des cahiers des charges et ils n’inventent pas des produits à durée limitée, non réparables ou dépourvus de pièces de rechange tout à fait par hasard.
J’y vois une volonté de créer des conditions toujours plus difficiles pour le consommateur tout en garantissant l’accroissement du chiffre d’affaires de la grande distribution. On tend à minimiser les conséquences de l’obsolescence programmée des produits en soulignant que ceux-ci peuvent être recyclés, mais qui paie pour le recyclage, sinon le consommateur ? En définitive, il s’agit de faire toujours plus de chiffre d’affaires et de bénéfices. La grande distribution est, à mon sens, l’une des principales responsables de la situation que nous connaissons aujourd’hui.
La réponse n’est pas simple, d’autant que les tenants de ce système économique invoquent volontiers la nécessité de permettre à la planète entière de consommer des produits bon marché. Certes, un tel objectif était noble, il fallait évidemment réduire le coût des produits, mais jusqu’à un certain niveau seulement, sans aller jusqu’à tromper l’acheteur sur la qualité. J’observe que, dans certains cas, la durée de la garantie du produit acheté, par exemple un téléviseur, peut être portée de deux à cinq ans si vous y mettez le prix ! J’y vois une forme…
Cette course sans fin à l’augmentation du chiffre d’affaires et des marges ne me paraît pas compatible avec les enjeux planétaires que j’ai évoqués, puisque, nous le savons, on ne pourra pas tenir la distance, continuer à produire sans prendre en compte les problématiques de la démographie, de l’énergie et des matières premières.
Bien sûr, je souscris aux propos tenus sur l’intérêt de l’économie circulaire, qui a fait l’objet d’initiatives dans la région Midi-Pyrénées, notamment
M. Alain Chatillon acquiesce.
Notre groupe sera très attentif aux mesures qui pourront être élaborées dans cette perspective. Bien entendu, nous sommes disposés à apporter notre contribution pour lutter contre ce qui constitue une sorte de tromperie atteignant aujourd’hui, au travers de la concentration de la distribution, tous les consommateurs. Surtout, il y va de l’avenir de notre planète et de l’humanité. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je me réjouis de l’organisation de ce débat sur l’initiative de notre groupe, et plus précisément de son président, Jean-Vincent Placé. En effet, l’obsolescence programmée est un réel problème. Les machines à laver en panne au bout de cinq ans d’utilisation, les téléviseurs, les ordinateurs, les téléphones ne fonctionnant plus au bout de trois ans, pour ne citer que quelques exemples : ces réalités bien tangibles pèsent lourdement sur les budgets des familles, en particulier celles qui sont le plus en difficulté.
Le problème est également environnemental, car la surproduction de ces appareils conduit à la surexploitation des ressources naturelles et à l’augmentation du volume de déchets, dont certains sont extrêmement toxiques.
La durée de vie des biens s’est manifestement réduite. Le temps où un équipement électroménager fonctionnait pendant vingt ans est révolu, mais il ne s’agit pas là d’une fatalité à laquelle il faudrait se résigner, au prétexte que la plus grande fragilité des produits et leur caractère non réparable seraient la contrepartie de l’amélioration des performances. Nous sommes bien confrontés à une stratégie délibérément mise en œuvre dans plusieurs secteurs industriels pour habituer le consommateur aux produits jetables à usage unique et créer une demande toujours croissante. Une telle démarche est révélatrice d’une société de consommation, d’une société capitaliste qui atteint ses limites.
Nous avons laissé faire, ces dernières décennies, et nous constatons aujourd’hui des dérives : produits indémontables, irréparables, la réparation devenant même un non-sens économique, car il revient souvent plus cher de faire réparer un appareil que d’en acheter un neuf, ce qui est évidemment aussi un non-sens social.
Le Centre européen de la consommation vient de publier une étude intitulée « L’obsolescence programmée, dérive de la société de consommation ». Cette étude plaide pour que le consommateur ait accès à l’information sur la durée de vie des appareils, mais aussi et surtout pour que la durée de la garantie légale de conformité soit allongée en fonction de la durée de vie moyenne des produits. Nous faisons nôtres ces préconisations, qui sont d’ailleurs contenues dans la proposition de loi déposée par Jean-Vincent Placé, président de notre groupe.
En proposant l’extension progressive de la durée de la garantie légale de conformité – il s’agit de préparer une transition, et non d’asphyxier des entreprises, même si la plupart de celles qui pratiquent l’obsolescence programmée n’ont ni leur siège ni l’essentiel de leurs établissements en France, Samsung employant par exemple 190 000 salariés à travers le monde, dont seulement un peu plus de 1 000 en France –, comme je l’avais fait par voie d’amendement lors de l’examen du projet de loi de M. Lefebvre en décembre 2011, on incitera les fabricants à produire des biens plus durables.
Porter cette durée, aujourd’hui de deux ans, à trois ans au 1er janvier 2014, puis à quatre ans au 1er janvier 2015 et à cinq ans au 1er janvier 2016 ouvrira la voie à un nécessaire changement des modes de production pour y intégrer des critères de durabilité et de réparabilité des produits.
L’autre mesure essentielle de cette proposition de loi consiste à favoriser la réparation des appareils en demandant aux constructeurs de tenir à disposition des consommateurs des pièces détachées et des notices de réparation. Par ailleurs, il s’agit également d’inciter les éco-organismes à prélever des pièces détachées sur des équipements usagés qu’ils collectent lorsque la réparation n’est pas possible, en vue de la réparation d’autres produits de même type. Cela permettrait de constituer des stocks de pièces détachées d’occasion.
En effet, la réparation, outre qu’elle permet d’allonger la durée de vie de nos biens, est une réponse sociale concrète. Elle permet de conserver des emplois locaux, des savoir-faire et des compétences dans notre pays. Soutenir les réseaux de réparation français est donc un moyen de maintenir des services dans les territoires, voire de les développer.
Enfin, cette proposition de loi comporte une définition de l’obsolescence programmée et prévoit d’inscrire ce concept dans le code de la consommation en tant que pratique commerciale trompeuse, pour en faire ainsi un délit. Cela est fondamental, car la polémique actuelle est alimentée par cette absence de définition juridique.
Ce texte, tout comme votre projet de loi sur la consommation à venir, monsieur le ministre, doit être un outil destiné à faire cesser des pratiques qui contribuent à la surexploitation des ressources naturelles, mènent à une production excessive de déchets et pèsent gravement, je le répète, sur le budget des ménages.
L’obsolescence programmée va à l’encontre du sens de l’histoire et, pour reprendre l’expression employée tout à l'heure par Jean-Vincent Placé, d’un progrès au service d’un développement durable et soutenable.
Sans une volonté politique forte, il sera impossible d’engager des changements structurels de nos modes de production et de consommation. Cette volonté, nous l’avons et nous devrons l’avoir collectivement. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, les systèmes de production sont amenés à évoluer en vue du développement d’un autre modèle économique. Beaucoup, comme Jeremy Rifkin, appellent de leurs vœux un tel changement, de manière à pouvoir concilier la préservation des ressources naturelles et le développement de l’activité économique.
La question orale sur la lutte contre l’obsolescence programmée déposée par notre collègue Jean-Vincent Placé s’adresse à notre société. Celle-ci doit apporter des réponses et, au-delà, prendre des mesures que l’on retrouvera, je l’espère, dans un prochain projet de loi.
Les différents aspects de ce débat soulèvent de vraies questions, « parce que l’économie circulaire répond mieux aux lois fondamentales de la productivité que les systèmes économiques actuels et qu’elle tient compte de la valeur temporaire », précise le même Jeremy Rifkin. Le fait que des produits deviennent obsolètes en raison de leur caractère non-réparable ou de leur incompatibilité avec d’autres conduit à l’augmentation de la quantité de déchets et à une surexploitation des ressources naturelles.
Chaque année, 62 milliards de tonnes de ressources – minéraux, bois, métaux, combustibles fossiles et biomasse, matériaux de construction – sont prélevées dans le monde. La hausse s’est élevée à 65 % en vingt-cinq ans, alerte l’OCDE dans son dernier rapport sur la gestion des matières premières, publié le 23 novembre dernier. Cela représente une augmentation de 2, 5 % par an en moyenne, directement liée à la hausse du produit intérieur brut mondial.
La situation décrite est forcément grave, d’autant que le recyclage ne suffira pas à résorber les tensions sur les matières premières. Un expert, cité dans l’édition du journal Le Monde du 11 décembre 2012, souligne que, « avec une croissance annuelle de la consommation mondiale de matières premières supérieure à 2 %, l’effet du recyclage est quasiment insignifiant sur le long terme ».
Au regard de la crise qui se développe, légiférer pour lutter contre la faible qualité des produits est devenu urgent. D’autres l’ont fait avant nous, comme l’Allemagne depuis 1994 et le Japon depuis 2000. Il semble qu’un nombre croissant de nos concitoyens, confrontés quotidiennement à des expériences malencontreuses, soient conscients de la nécessité de faire évoluer le modèle de production, de consommation, et donc de développement.
La surabondance des déchets est manifeste s’agissant des DEEE. Une filière de gestion des déchets d’équipements électriques et électroniques a été mise en place dans notre pays en 2006, l’objectif étant de responsabiliser les producteurs. Lors de notre séance publique du 12 février dernier, nous avons dû repousser à 2020 la fin du mécanisme d’éco-participation, en raison du stock très important de DEEE historiques.
Beaucoup d’articles de presse et de reportages dénoncent la conception actuelle des équipements électroménagers. Le modèle de production en grande quantité, souvent dans des pays émergents, a envahi le marché et impose un taux de remplacement plus élevé. Chacun comprend que ce modèle est contestable, puisqu’il pousse à une forme de surconsommation.
En effet, il est de moins en moins possible de remplacer les pièces défectueuses, qui ne sont pas accessibles en raison de la conception du produit ou sont trop coûteuses, ce qui impose un remplacement du matériel dans son ensemble. La durée de vie des équipements est aussi moins longue, ce qui amène à parler d’obsolescence programmée.
Les consommateurs sont doublement pénalisés : ils achètent des produits qui durent moins longtemps, tout en assumant financièrement une partie du coût de leur collecte et de leur recyclage, à travers le paiement d’une éco-participation.
La réparation, au-delà de la prolongation de la durée de vie des produits, permet de conserver des emplois locaux, en particulier dans le secteur de l’économie sociale et solidaire – à laquelle je vous sais très attentif, monsieur le ministre –, des savoir-faire et des compétences dans notre pays. Elle est peu délocalisable, c’est pourquoi il faut inverser le sens de l’évolution actuelle de la consommation.
Revenir à un nouveau modèle de production impose, je le crois, de penser l’éco-conception du produit, du matériel, de telle sorte qu’il puisse être réparé et réutilisé, éventuellement plusieurs fois. L’ambition est donc de passer du « tout jetable » au « tout utile » : c’est bien ce modèle industriel qui doit prévaloir.
Comme beaucoup ici, j’ai connu un temps où les pneumatiques usagés des véhicules étaient, pour une part, réemployés – rechapés, disait-on à l’époque. À ma connaissance, ce modèle a disparu. Pourtant, il permettait de prolonger la durée d’utilisation des pneumatiques en toute sécurité. C’est un exemple parmi d’autres. Nous devons arrêter d’importer des produits à bas prix et de faible qualité. Cela permettra de mettre sur le marché des produits durables et réparables, au final moins chers pour les consommateurs.
Le modèle capitaliste et le marché poussent au gaspillage, à l’utilisation sans contrôle des matières premières et au renouvellement automatique des produits ou des matériels obsolètes. Comme d’habitude, ils ne régulent rien et conduisent au contraire à une forme d’économie aberrante et peu respectueuse de l’environnement. Jeremy Rifkin, beaucoup d’autres experts et les associations environnementales réclament l’instauration d’un autre modèle qui, outre l’éco-conception et son modèle d’écologie industrielle, doit intégrer la fonctionnalité, privilégiant l’usage plutôt que la possession, et le réemploi du produit afin de le remettre dans le circuit économique ou de le modifier pour lui assurer une nouvelle vie. Viennent ensuite la réutilisation et le recyclage des matières premières issues des déchets valorisés.
En fait, c’est tout un mode de vie qui est à revoir, à repenser. On pourrait, par exemple, promouvoir la consommation de l’eau du robinet, supprimer l’utilisation des bouteilles d’eau en plastique pour les remplacer, comme l’ont fait d’autres pays européens, par des bouteilles en verre, lutter contre le gaspillage alimentaire. Des initiatives sont lancées actuellement dans un certain nombre de cantines scolaires ; des chiffres, effrayants, montrent que 30 % des produits alimentaires seraient jetés.
Bien d’autres initiatives peuvent être prises : ne plus fabriquer des produits à usage unique, lutter contre le gaspillage du papier, concevoir un chargeur universel pour les téléphones portables… Surtout, je crois utile de mettre en place des programmes pédagogiques pour montrer aux enfants – les futurs adultes – comment utiliser les bonnes pratiques.
Ce débat, monsieur le ministre, est hautement d’actualité. Il doit déboucher sur des mesures acceptées par nos concitoyens. Je crois beaucoup à ces évolutions qui sont portées depuis plusieurs années, au travers de multiples initiatives, par des particuliers, des associations, des entrepreneurs, des gouvernements et même l’Union européenne. Notre pays ne peut pas être en reste. §
La question orale de notre collègue Jean-Vincent Placé sur la lutte contre l’obsolescence programmée est d’une grande importance, car elle renvoie à l’avenir de notre modèle économique.
Cette notion d’obsolescence programmée, qui a été vulgarisée dans les années cinquante, connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. Médiatisée récemment, elle a aussi fait l’objet de nombreux rapports et études.
Cependant, cette notion revêt plusieurs acceptions. M. Placé a repris celle qu’avait proposée l’ADEME dans une étude publiée en 2012, selon laquelle il s’agit d’un stratagème par lequel un bien verrait sa durée normative sciemment réduite dès sa conception.
Pour d’autres, l’obsolescence programmée consiste également en la dévalorisation de l’image d’un produit auprès du consommateur, notamment par des sauts technologiques ou des effets de mode, ce qui favorise un renouvellement prématuré des produits.
Dans ces deux cas, soit techniquement et a priori, soit subjectivement et a posteriori, il s’agit de réduire artificiellement la durée de vie des produits.
Toutefois, il semble difficile de croire que les fabricants puissent, à une grande échelle, affaiblir techniquement leurs produits ou programmer délibérément leur fin de vie dès leur conception, sans avoir la certitude d’en tirer profit pour leur propre marque. Il est plus logique de penser que la plupart d’entre eux arbitrent en fonction de contraintes de coût, de techniques de fabrication, donc d’efficacité ou de rendement, ou de phénomènes de concurrence.
La durée de vie d’un bien ne peut être dissociée de son coût et les producteurs vont tendre, dans la majorité des cas, à offrir le meilleur rapport qualité-prix dans une optique de production de masse et de consommation optimale.
Le consommateur est assurément placé dans cette même logique lorsqu’il arbitre entre un produit bon marché, mais fragile, et un produit fiable, mais cher.
Les producteurs vont également, pour continuer à vendre sur nos marchés très concurrentiels et déjà suréquipés, inciter le consommateur à renouveler ou à diversifier le plus souvent possible les biens qu’il possède.
Ce système sous-tend toute notre économie industrialisée et, dans cet esprit, l’arrêt de la production de pièces détachées est, cela a été dit, un levier d’action puissant à la disposition des industriels.
Cependant, cette économie de la surconsommation et de la surproduction soulève de graves questions environnementales et pèse sur notre balance commerciale.
Il est certain que notre mode de consommation actuel est facteur de gaspillage des ressources naturelles et génère toujours plus de déchets. Aussi, dans un contexte de raréfaction des matières premières et d’amplification de la pollution, est-il devenu urgent de réguler notre consommation, notamment par un allongement de la durée de vie des produits fabriqués. C’est la raison pour laquelle cette question avait été évoquée par le Président de la République, puis par vous, monsieur le ministre, il y a quelques mois.
Aujourd'hui, tout le monde semble décidé à s’emparer de cette problématique et à proposer des mesures pour lutter contre l’obsolescence programmée. Toutefois, il paraît évident que la mise en place trop brutale de mesures qui ne prendraient pas en compte l’ensemble des paramètres et conduiraient à freiner fortement notre consommation pourrait affecter gravement l’économie nationale, déjà atone. En effet, la priorité, dans le contexte actuel, est de préserver l’emploi.
La société de consommation a bien des défauts, qui sont stigmatisés depuis près de cinquante ans, et l’ont notamment été par les contestataires de 1968.
Ces critiques apparaissaient comme un luxe culturel à la fin des Trente Glorieuses, dans une société de quasi-plein emploi. Nous n’en sommes plus à cette époque, durant laquelle les risques de hausse du chômage étaient faibles. Aujourd'hui, l’emploi constitue le bien le plus précieux. C'est pourquoi les initiatives qui pourraient ralentir la production à l’intérieur de nos frontières ne doivent pas nuire à l’emploi.
En revanche, en ce qui concerne les produits importés qui inondent notre marché à des prix compétitifs, tels le textile chinois ou l’électronique asiatique, cet argument est beaucoup moins pertinent.
Par conséquent, la lutte contre l’obsolescence programmée ne peut concerner notre seul cadre économique hexagonal, mais doit être envisagée, comme l’a souligné Jean-Vincent Placé, à l’échelle de l’Union européenne, afin que tous les États membres soient soumis aux mêmes règles, voire à l’échelon international, bien que cette perspective semble peu réaliste.
M. Placé nous a présenté un certain nombre de dispositions, détaillées plus précisément dans la proposition de loi qu’il a déposée sur le bureau du Sénat. Elles s’inscrivent globalement dans une approche qui vise à modifier radicalement la relation entre les entreprises et leurs clients. À terme, il s’agit de passer d’une économie de consommation à une économie d’usage, dite encore économie de la fonctionnalité, qui implique de remplacer la vente d’un ou de plusieurs biens et services par celle de leur usage.
Je ne débattrai pas ici de ce modèle économique et de ses avantages, mais il est indispensable de faire preuve d’une grande vigilance dans la mise en œuvre de ces mesures qui constituent, à l’évidence, des dispositifs bien plus complexes qu’il n’y paraît.
Comment garantir, en effet, la durée de vie d’un produit qui, bien que de fabrication française, comporte une part importante d’intrants fabriqués hors de notre pays ? A-t-on bien mesuré l’impact des distorsions de concurrence que cela implique ? Quels sont les risques pour nos filières industrielles ? Enfin, quel sera le coût social réel de ces dispositifs ? Autant de questions qui méritent que le débat soit posé de manière réaliste et réfléchie, afin d’écarter les solutions précipitées et inadaptées et d’éviter de s’engager, de fait, dans une impasse.
Je gage que vous saurez, monsieur le ministre, prendre la mesure de tous les enjeux, à la fois économiques et sociaux, et proposer les justes réponses à cette problématique. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous est arrivé à tous d’acheter un article électroménager, par exemple, en nous demandant – du reste, la plupart du temps sans se faire d’illusions – quelle était l’espérance de vie de ce produit. Tel M. Jourdain faisant de la prose sans le savoir, nous avons tous été aux prises, sans toujours nous en rendre compte, avec le phénomène de l’obsolescence prématurée.
L’obsolescence programmée est maintenant une réalité à laquelle chacun est confronté. Il faut également reconnaître que cette prime au gaspillage est banalisée, avec toutes les conséquences que cela emporte, notamment la saturation de l’environnement par la surproduction de déchets toxiques et son corollaire, le coût croissant du retraitement. Des estimations évaluent aujourd’hui ce coût à environ 364 euros par an pour un ménage de quatre personnes en France.
Durant les Trente Glorieuses, on parlait de société de consommation. Depuis, nous avons franchi un palier, mais la situation n’est pas satisfaisante. C’est pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous félicitons de la tenue de ce débat aujourd’hui.
On l’aura compris, on soupçonne de nombreux fabricants de mettre en œuvre une stratégie industrielle et commerciale d’obsolescence programmée, même si sa réalité n’est pas toujours démontrée. Cela nous pousse naturellement à nous interroger.
L’UFC-Que Choisir partage ces interrogations et nous invite à une lecture critique de notre modèle économique. Dans le même temps, cette association de défense des consommateurs nous incite, à juste titre, à ne pas concentrer notre réflexion uniquement sur la conception des matériels soupçonnés de relever d’une logique d’obsolescence programmée. En effet, sur le site internet du magazine Stratégies, l’UFC-Que Choisir explique que des tests ont été menés en laboratoires et qu’ils n’ont pas toujours été probants quant à l’existence d’une telle stratégie. Elle préfère parler d’obsolescence organisée et souligne en outre qu’une association regroupant notamment des entreprises commercialisant des biens électroménagers a indiqué dans une étude que la durée de vie des produits proposés aujourd’hui par ces dernières serait aussi longue que celle des matériels qu’elles vendaient voilà quelques décennies.
Il est donc important de rappeler que le présent débat ne saurait en aucune façon être interprété, d’une manière simpliste, par généralisation abusive, comme une mise en accusation de tous les secteurs industriels.
Le théoricien de la décroissance Serge Latouche a, quant à lui, contribué à ce débat en distinguant une « obsolescence planifiée ». Il cite l’exemple des puces électroniques qui seraient insérées dans les imprimantes afin que ces dernières cessent de fonctionner après avoir produit un certain nombre de copies.
On voit que le problème n’est pas simple, puisqu’émergent au moins trois types d’obsolescence faisant l’objet, pour le meilleur ou pour le pire, d’un débat d’experts.
En ce qui nous concerne, mes chers collègues, il nous revient de nous pencher sur la nature de la société dans laquelle cette problématique est apparue. C’est donc bien selon une perspective sociétale que nous devrons redéfinir, sans doute constamment, notre rapport à la consommation et à la croissance.
Notre société doit-elle s’inscrire dans une forme de fatalité du consumérisme aveugle ? Est-il d’ailleurs impossible d’envisager une éco-conception des produits de consommation tout en préservant la dynamique de nos filières industrielles ? Ce défi, qui mérite à mon sens d’être relevé, concerne bien sûr la relation qui doit exister entre les consommateurs, les distributeurs et les industriels.
Effectivement, il ne s’agit pas uniquement ici de la mise hors service prématurée de biens de consommation dont on suppose qu’ils pourraient servir plus longtemps : il faut aussi évoquer les pannes trop fréquentes, la difficulté à démonter et à réparer les appareils, l’indisponibilité des pièces de rechange et, souvent, l’inefficacité des services après-vente lorsque l’appareil est en panne ou arrive en fin de garantie. La course à l’innovation, les phénomènes de mode, la puissance de la publicité pour imposer des achats sont également à prendre en compte.
Monsieur le ministre, vous avez choisi de saisir à ce propos le Conseil national de la consommation, et il se dit que vous pourriez éventuellement inclure des mesures relatives à la lutte contre l’obsolescence programmée dans la grande loi sur la consommation que vous préparez actuellement avec vos services. On ne peut que se féliciter de cette initiative, témoignant de la prise en compte par le Gouvernement de cette problématique qui ne saurait être réduite à sa dimension de défense de l’environnement et de lutte contre le gaspillage.
Les filières industrielles et la distribution doivent être repensées à l’échelon européen, en ménageant la transition vers un système de production valorisant l’éco-conception, l’efficacité énergétique, le recyclage, et conçu pour laisser toute sa place à un secteur de la réparation susceptible de constituer un énorme gisement d’emplois. Si le secteur de la réparation compte quelque 70 000 entreprises, on peut supposer, sans être démesurément optimiste, que la mise sur le marché de produits réparables pourrait lui donner un sérieux coup d’accélérateur.
En cette période de crise structurelle et massive, il nous appartient de redéfinir notre modèle économique, et donc notre relation à la consommation, qui est l’un de ses piliers, mais aussi l’une de ses fragilités. Cela doit se faire bien sûr avant tout au bénéfice du consommateur. Telle est l’ambition qui nous anime, monsieur le ministre, et je suis certain que vous la partagez !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE . – M. Yves Détraigne applaudit également.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord remercier M. Placé d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour du Sénat de cette question orale sur la lutte contre l’obsolescence programmée. Cela nous offre l’occasion de réfléchir ensemble, loin du tumulte de l’actualité politique, aux modes de consommation et aux modes de production, ainsi qu’à la façon dont nous voulons faire évoluer les uns et les autres.
Ne nous concentrons pas uniquement sur les comportements des consommateurs, qui peuvent évoluer au gré d’un certain nombre de signaux rationnels, comme les prix ; réfléchissons également à la façon dont, au travers de l’évolution des systèmes de valeurs, nous pouvons les inciter à adopter des modes de consommation plus respectueux de l’environnement et plus vertueux sur le plan social.
Pour étayer cette réflexion, je commencerai par évoquer un ouvrage du philosophe Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation.
« Paradoxe », c’est en effet le terme qui définit sans doute le mieux notre époque, où émerge la figure de l’ « hyper-consommateur », mieux informé qu’autrefois et plus libre de ses choix, certes, au sens où il dispose de davantage de produits et est peut-être moins captif des anciennes cultures de classe. Cependant, dans le même temps, le mode de vie, le plaisir sont de plus en plus liés à la possession, au système marchand, aux images et aux valeurs que véhicule la publicité, modèle appelé « expansion du marché de l’âme » par Gilles Lipovetsky, qui résume ainsi ce paradoxe : « plus se déchaînent les appétits d’acquisition et plus se creusent les dissatisfactions individuelles ». En clair, malgré les logiques d’accumulation qui prévalent, le sentiment de frustration reste intact.
L’être humain est fondamentalement un être de comparaison : on est heureux relativement à la situation des autres. Or, selon Daniel Cohen, « cette course-poursuite est vaine, car les autres veulent également vous dépasser ».
L’autre paradoxe, c’est que cette course à l’abondance n’est plus synonyme de croissance et d’emploi dans nos sociétés développées. Au contraire, l’hyperconsommation met en lumière les externalités négatives du modèle productif nécessaire pour assouvir ce désir de consommer.
Ces externalités négatives sont sociales – précarité, baisse des revenus du travail, multiplication des délocalisations – et environnementales, à travers la surconsommation d’énergie, les émissions de gaz à effet de serre ou l’accumulation des déchets.
L’incarnation de ce paradoxe, c’est l’émergence, notamment en Europe, de l’économie low cost, modèle qui peut paraître séduisant en raison du discours de démocratisation, de valorisation de l’achat « malin » qui le sous-tend, mais qui, en réalité, atteint vite ses limites. On en arrive ainsi à des situations ubuesques : à force de demander des prix toujours plus bas, on achète le droit d’être au chômage. En effet, en stimulant la concurrence par la baisse des prix, le consommateur arbitre contre ses propres intérêts de producteur, voire d’assuré social.
Monsieur Placé, je vous remercie de nous inviter à cette réflexion, car la finalité d’un projet politique, qu’il soit de droite ou de gauche d’ailleurs, ne saurait se limiter à proposer à nos concitoyens de consommer, et de consommer toujours plus. Notre société, celle que nous voulons bâtir, ne se résume pas à la société de l’accumulation et de la consommation ; elle doit bien évidemment faire de la place à la solidarité entre les individus et les générations, à la justice, à l’éducation, à la culture et, aujourd'hui, à la préservation de l’environnement et à la transition écologique. Cela nous appelle donc à repenser nos modes de consommation comme nos modes de production.
Pour autant, j’y insiste, ce n’est pas parce que la consommation ou l’hyperconsommation n’est plus aujourd'hui synonyme de croissance et d’emploi qu’une société sans consommation serait souhaitable ou que la baisse de la consommation amènerait l’effet inverse. En réalité, sans consommation, les investissements se tarissent, l’innovation stagne, la croissance se grippe et les emplois en pâtissent.
C’est aussi un révélateur de la fragilité de notre système.
C’est pourquoi, en tant que ministre chargé de la consommation, mais aussi comme membre d’un gouvernement qui travaille à soutenir le pouvoir d’achat des Français, je suis très attentif, dans la période que nous connaissons, aux indicateurs de la consommation, qui sont particulièrement préoccupants.
Pour n’en citer que quelques-uns, la consommation n’a progressé que de 0, 2 % par an depuis 2008, soit dix fois moins vite qu’entre 2000 et 2007, et, en 2012, les dépenses des ménages ont reculé de 0, 1 %, baisse sans doute modeste, mais rarissime dans la France d’après-guerre.
Ces évolutions interviennent dans un contexte où les dépenses contraintes augmentent – je pense par exemple à l’énergie –, tandis que les ventes enregistrées dans plusieurs secteurs au cours du premier trimestre de 2013 sont en baisse par rapport au premier trimestre de 2012 : c’est notamment le cas pour l’électronique grand public, le bricolage, la restauration ou encore l’ameublement.
Nous ne pouvons nous résoudre à voir s’éteindre le moteur de la croissance, après ceux de l’investissement et du commerce extérieur. Le Gouvernement a d’ores et déjà pris des décisions en faveur du pouvoir d’achat, en donnant, par exemple, un coup de pouce au SMIC ou à l’allocation de rentrée scolaire. Nous préparons d’autres mesures importantes en termes de soutien à la consommation, notamment en agissant sur les dépenses contraintes : je pense à la pérennisation de l’encadrement des loyers, dans le cadre du projet de loi de Mme Duflot, à la redistribution aux consommateurs des rentes indues des grandes entreprises par l’action de groupe – j’y reviendrai – ou encore à la possibilité de résilier infra-annuellement son contrat d’assurance pour instaurer davantage de concurrence, les prix des contrats ayant augmenté deux fois plus vite que l’inflation depuis 1998, et même trois fois plus vite ces trois dernières années.
Cela étant, si nous devons soutenir la consommation, cette dernière ne doit plus être aveugle. Il nous appartient de trouver le juste équilibre entre consommation, emplois, échanges commerciaux et transition écologique.
Pardonnez-moi cette lapalissade, mais consommer des biens implique d’en produire. Cela induit ce que l’on désigne désormais des « externalités », tant positives – création d’emplois, services publics associés, savoir-faire et excellence, formation – que négatives : combien de cas médiatisés ont mis en évidence des incidences environnementales, en termes d’utilisation de ressources, d’émissions de gaz à effet de serre ou encore de pollution des milieux naturels par des substances toxiques dont il est complexe d’éliminer les résidus ?
En outre, selon les produits, la consommation peut affecter négativement notre balance commerciale, sans engendrer de grand bénéfice en termes d’emplois.
A contrario, allonger les durées d’usage des produits – en clair, favoriser une conception durable et encourager leur réemploi – présente une triple vertu, en termes de création ou de maintien d’emplois non délocalisables, d’impact environnemental et de balance commerciale.
Favoriser le recyclage et la valorisation des matériaux qui peuvent être réemployés, en structurant des filières ad hoc, c’est favoriser l’économie circulaire en France et nous rendre moins dépendants de ressources naturelles dont nous ne disposons pas sur notre territoire, comme les terres rares. Cela a été entrepris efficacement pour la filière des déchets d’équipements électriques et électroniques, et je souligne que le Gouvernement a récemment prorogé l’affichage de l’éco-contribution pour pérenniser cette filière. Nous venons également d’adopter cette éco-contribution pour la filière du meuble. La responsabilité élargie des producteurs est déterminante, et il nous appartient de veiller à sa bonne mise en œuvre.
C’est dans ce contexte que je place le présent débat sur l’obsolescence programmée. Les ressources ne sont pas inépuisables, notre balance commerciale n’est pas excédentaire – elle est, au contraire, cruellement déficitaire – et la surconsommation de certains produits n’a aucun effet positif en termes d’emploi en France. Dans ces conditions, devrait-on au surplus accepter que les consommateurs soient contraints de renouveler leurs équipements trois fois plus vite qu’attendu ? Formuler la question, c’est y répondre, mais quelles dispositions devons-nous adopter pour y répondre concrètement ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous en sommes tous convaincus, contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire accroire, l’obsolescence programmée n’est pas un concept paranoïde ou complotiste. Ce n’est d’ailleurs pas un concept ; c’est une pratique établie, dont M. Placé a rappelé l’histoire. Souvenons-nous que si les ampoules ont aujourd'hui une durée de vie normée, c’est parce que le juge américain, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, a mis en évidence l’existence d’un cartel réunissant les grands fabricants d’ampoules, le cartel « Phœbus », mis en place entre 1924 et 1939 dans le but de contrôler le marché de la fabrication et de la vente des lampes à incandescence, notamment en en limitant sciemment la durabilité. Des exemples plus récents et médiatisés illustrent la pérennité de cette pratique ; vous les avez cités, je n’y reviendrai pas. Néanmoins, j’observe au passage que plus les marchés sont concentrés dans les mains d’un petit nombre d’opérateurs, plus la pratique est rendue possible.
Au-delà de cette obsolescence « stratagème », l’obsolescence programmée recouvre d’autres types d’obsolescences, évoqués par les uns et les autres. Cela peut être l’obsolescence technique, dès lors que l’on ne dispose plus des pièces nécessaires à la réparation et donc à l’utilisation d’un bien, ou encore l’obsolescence ressentie, subjective, liée au cycle d’innovation, voire au marketing, qui nous amène à renouveler nos biens d’équipement avant la fin de leur durée de vie, au motif qu’ils ne sont plus à la mode ou tout à fait adaptés aux évolutions technologiques les plus récentes.
Quelles dispositions devons-nous donc adopter pour répondre concrètement à cette problématique ?
J’entends votre suggestion, monsieur le sénateur Placé, de faire de l’obsolescence programmée un délit. Encore faut-il alors la définir, ce que vous proposez de faire.
Toutefois, j’observe que l’obsolescence programmée, en tant que stratagème visant à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation potentielle d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement, peut déjà être sanctionnée par le code de la consommation. Si une telle pratique est démontrée, le juge peut la qualifier comme une tromperie sur les qualités substantielles du bien.
Il se trouve que, dans le projet de loi sur la consommation que Pierre Moscovici et moi-même présenterons en conseil des ministres la semaine prochaine, je propose deux réponses très dissuasives.
Premièrement, il est prévu de mettre en place une dissuasion par la sanction. Alors que la sanction, en cas de tromperie économique, est aujourd'hui de 37 500 euros d’amende et de deux ans d’emprisonnement pour une personne physique, je propose de faire passer le montant de l’amende à 300 000 euros pour une personne physique. Toutefois, en rester là serait insuffisant : s’agissant de la personne morale, je propose que le juge puisse prendre en compte le surprofit réalisé par le biais de la tromperie, en infligeant une amende véritablement dissuasive, pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires.
J’évoquerai, à cet égard, un exemple assez simple, qui, du reste, n’a rien à voir avec l’obsolescence programmée. Constatons que, dans l’affaire de la viande de cheval, étant donné le montant des gains indûment perçus, à savoir plus de 500 000 euros, et le plafond de l’amende dont peut être passible une personne morale en cas de tromperie économique, à savoir 187 500 euros, il était assez rationnel pour l’industriel d’arbitrer en faveur de la tromperie plutôt que du respect de la loi. Quand tricher est plus rentable que respecter la loi, cela encourage la tromperie ! Pour l’heure, le montant des pénalités prévues par la loi est en deçà du montant des gains qu’il est possible d’obtenir grâce à la tromperie.
Deuxièmement, au-delà du caractère dissuasif qu’aura l’élévation du niveau des pénalités, nous voulons faire en sorte que les consommateurs puissent mieux se défendre, par l’instauration, en droit français, de l’action de groupe. Les victimes d’une tromperie pourront demain, par le truchement d’une association de consommation, obtenir réparation pleine et entière du préjudice qu’elles ont subi.
Augmentation du niveau des peines, création de l’action de groupe : voilà deux instruments qui seront donnés demain au consommateur pour mieux le protéger de la tromperie économique, en l’occurrence sur la qualité substantielle des biens, par la limitation délibérée de leur durée de vie ; c’est l’obsolescence programmée dont parle M. Placé.
Voilà comment le Gouvernement entend concrètement lutter contre toutes les tromperies dont les consommateurs sont l’objet, en particulier l’obsolescence programmée.
Pour autant, je n’ignore pas la force des symboles. S’il ne m’apparaît pas forcément indispensable ni urgent de définir, en droit, l’obsolescence programmée, je comprends l’impact politique que peut avoir la proposition des membres du groupe écologiste. Nous débattrons de cette question lors de l’examen du projet de loi sur la consommation.
Dans ce domaine, ma conviction n’est pas arrêtée. Il me semble important d’examiner toutes les conséquences juridiques que pourrait emporter votre proposition. Nous en ferons la demande aux services de Bercy.
Lutter contre l’obsolescence programmée, c’est aussi agir au-delà de la seule lutte contre la tromperie économique. Nous devons favoriser l’émergence d’alternatives au « prêt-à-jeter ».
Monsieur Placé, vous proposez d’étendre la garantie légale de conformité de deux à cinq ans, puis de cinq à dix ans. Je suis plus réservé sur cette disposition, dont nous mesurons assez mal les incidences.
On peut objecter d’abord, avec toutes les précautions à prendre quant à ce que ce raisonnement induit, que cela ne ferait pas sens pour tous les produits. Peut-être faudrait-il davantage se focaliser sur ceux dont on peut raisonnablement penser que les consommateurs attendent une durée d’usage de cinq ou dix ans.
Cela dit, je veux moi-même pondérer cet argument. Après avoir évoqué la nécessité de faire évoluer les modes de consommation, il n’est pas non plus absolument absurde d’imaginer que, demain, on attende davantage d’un bien dont on n’espère pas forcément aujourd'hui qu’il ait une durée de vie de cinq à dix ans : un fer à repasser, un grille-pain, une bouilloire… C’est un argument parfaitement audible ; nous y reviendrons sans doute lors de l’examen du projet de loi sur la consommation.
Ensuite, les premières estimations amènent à considérer qu’augmenter d’une année la durée de la garantie légale renchérirait le coût du bien de 7 %. Pour une extension de deux à cinq ans, ce coût connaîtrait donc un renchérissement de 21 %. Il est assez légitime que le Gouvernement s’interroge, dans la période que nous connaissons, sur les tensions, en termes de pouvoir d’achat, que pourrait induire une telle mesure.
J’ajoute enfin que les distributeurs proposent souvent des extensions de garantie contractuelles. Ce sont des assurances payantes. Ainsi, les consommateurs qui le souhaitent peuvent – sur des produits pour lesquels cela fait sens – s’offrir volontairement une extension de garantie. Ce produit assurantiel est aussi une source de valeur importante pour des distributeurs. En effet, ces derniers, en raison de la concurrence de pure players – pardon pour cet anglicisme qui désigne les entreprises œuvrant uniquement sur internet –, vendent souvent quasiment à prix coûtant et créent de la valeur sur les services qu’ils rendent à côté.
Là encore, dans la période que nous connaissons, avec des distributeurs spécialisés qui sont fragilisés par les acteurs d’internet, je crois que nous devons mesurer les répercussions que certains bouleversements auraient sur l’économie du secteur. Sachez que je ne ferme aucune porte. Je demande simplement que l’on embrasse la totalité de la situation, dès lors que l’on pose la question de l’extension de la durée de la garantie légale de conformité, pour voir si cela pourrait entraîner des conséquences importantes en termes d’activité et d’emploi dans un certain nombre de secteurs, notamment celui de la distribution.
Pour autant, le signal prix est important, et nous avons là, sans doute, un levier à notre disposition.
J’entends votre proposition, monsieur le sénateur, de moduler l’éco-contribution selon la durée de vie du bien. Les textes le permettent aujourd’hui, et cela est rendu possible par les statuts des éco-organismes, qui sont chargés de fixer cette éco-contribution. Il faut donc y travailler, et j’ai déjà engagé des discussions avec les différents acteurs de façon à déboucher sur une éco-contribution qui varie en fonction de la durée de vie du bien. Voilà un signal prix parfaitement rationnel, qui peut conduire un certain nombre de consommateurs à préférer un bien durable à un bien moins durable.
Pour en revenir aux garanties, je considère que le consommateur doit d’abord être parfaitement informé de l’existence des garanties légales existantes, ce qui n’est pas le cas.
On distingue, d’une part, la garantie légale de conformité prévue par le code de la consommation, selon laquelle le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance et, d’autre part, la garantie légale des vices cachés prévue par le code civil, en application de laquelle le vendeur est tenu de garantir la chose vendue à raison des défauts cachés qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine.
Le projet de loi relatif à la consommation que je présenterai bientôt prévoit que les consommateurs disposeront d’une information complète sur leurs droits à garantie incluant, en sus de l’information sur la garantie légale de conformité, une information sur la garantie relative aux vices cachés qui sera indiquée tant sur les lieux de vente que dans les conditions générales de vente figurant dans les contrats de consommation. Cette information devra être claire et intelligible, afin de lutter contre des indications trompeuses sur la portée des droits légaux des consommateurs en matière de garantie.
Par ailleurs, je considère que le développement de modes de consommation plus responsables répond non seulement à une nécessité, mais aussi à une demande des consommateurs. En clair, consommer mieux est aussi une démarche citoyenne et volontaire, pour laquelle le consommateur s’érige – à raison ! – en acteur éclairé. Toutefois, trop souvent, des défauts d’information empêchent les consommateurs de faire leurs choix en toute connaissance de cause. Comment consommer de manière plus durable sans savoir si un appareil défectueux peut être simplement réparé au lieu d’être remplacé ? L’application effective des droits des consommateurs en matière de garantie implique un renforcement de l’information qui leur est donnée. Un consommateur que l’on informe est un consommateur auquel on rend sa liberté d’arbitrage, auquel on offre la possibilité d’être un acteur responsable.
Toujours avec le projet de loi relatif à la consommation que je présenterai le 2 mai prochain, je proposerai de renforcer l’information des consommateurs sur l’existence et la disponibilité des pièces détachées nécessaires à la réparation d’un produit. Les vendeurs seront également tenus de fournir aux consommateurs les pièces indispensables à l’utilisation d’un produit pendant la période, indiquée par le fabricant ou l’importateur, durant laquelle ces pièces sont disponibles.
Aujourd’hui, en cas de panne d’un produit, le consommateur peut se retrouver dans l’impossibilité de l’utiliser, parce qu’il ne connaissait pas la période durant laquelle les pièces détachées sont disponibles et que celles-ci ne le sont plus.
Demain, lors de l’achat, le vendeur sera légalement tenu d’indiquer la période de disponibilité des pièces indispensables à l’utilisation du produit et de fournir ces pièces détachées au consommateur qui en fera la demande.
Quelle incidence concrète ? Mieux informé, le consommateur pourra orienter ses achats vers des produits plus durables. Ces mesures feront de la « réparabilité » des produits un critère d’achat des consommateurs. La concurrence entre les fabricants se fera donc également sur cette « réparabilité » des produits.
Ce cercle vertueux profitera aussi au secteur du réemploi. Pour un certain nombre de domaines de la consommation – ceux où la totalité des biens d’équipement achetés par nos concitoyens sont importés, ce qui se fabriquait ici l’étant désormais ailleurs –, nous développerons une filière de la réparation qui permettra, en quelque sorte, de relocaliser une partie des emplois délocalisés hier.
Cette disposition sera particulièrement favorable aux filières de l’économie sociale et solidaire, dont beaucoup d’acteurs sont leaders dans le domaine de l’économie circulaire, de l’économie verte et du recyclage. Ils sont même détenteurs de brevets. Je pense par exemple au recyclage des écrans plasma, qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet par l’association Vitamine T, qui dépend du groupe SOS. Voilà un acteur de l’économie sociale et solidaire qui non seulement insère des publics en difficulté dans l’emploi, mais qui est aussi capable d’innover technologiquement tout en étant utile sur le plan environnemental. Je le répète, favoriser des filières de la réparation sur notre territoire nous permettra de développer des emplois non délocalisables.
Voilà, en quelques mots, les mesures que je porterai très prochainement pour lutter contre l’obsolescence programmée et en faveur d’une croissance plus respectueuse de l’environnement et de nos ressources, qui est un moteur pour l’emploi en France.
Permettez-moi, pour finir, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous remercier de ces échanges et de saluer la qualité de toutes vos interventions, qui présagent de riches débats lors de l’examen du projet de loi sur la consommation, question fondamentale dès lors qu’on aborde le sujet de la transition de notre modèle et donc de nos modes de consommation et de production. Nous devons passer de cette économie du gaspillage – gaspillage humain, gaspillage des ressources naturelles – à une économie du sens et de la tempérance qui promeut d’autres valeurs que la rentabilité à court terme et la surconsommation.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.
Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat sur la lutte contre l’obsolescence programmée et pour l’augmentation de la durée de vie des produits.
L’ordre du jour appelle le débat sur la politique vaccinale de la France, organisé à la demande de la commission des affaires sociales (rapport d’information n° 351) et du groupe socialiste.
La parole est à M. le rapporteur.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la vaccination est, avec l’hygiène, la première arme de prévention et de lutte contre les maladies infectieuses. C’est un médicament nécessaire et moderne et un secteur de recherche particulièrement prometteur.
Face à cette conviction, la commission des affaires sociales a dû faire un double constat inquiétant. D’une part, la remise en cause incessante du vaccin et de la vaccination par des groupes divers dont certains, à tendance sectaire, sont relayés par internet. D’autre part, une certaine réticence au sein de la population : en 2012, le nombre de vaccins vendus paraît avoir baissé, malgré l’action des médecins et des services de la protection maternelle et infantile, la PMI.
C’est pour réaffirmer le besoin d’une politique vaccinale claire que la commission des affaires sociales a demandé à la Cour des comptes un rapport, qui lui a été remis à la fin de l’année dernière.
En complément des propositions formulées par la Cour, notre commission en a ajouté d’autres : développer l’accès des populations en situation de précarité au vaccin ; simplifier le paysage institutionnel en matière de détermination de la politique vaccinale afin d’éviter les décisions contradictoires ; assurer rapidement la mise en place d’un carnet de vaccination électronique appuyé sur une base experte permettant d’individualiser des recommandations vaccinales et leur suivi ; mettre en place l’enseignement de la prévention en matière de santé à l’école dans les futures écoles supérieures du professorat et développer celui de la vaccination dans le cursus des professions de santé ; renforcer la recherche publique sur les vaccins et notamment sur leur sécurité ; assurer les conditions d’une solidarité efficace pour l’accès aux vaccins des pays en développement.
Nous souhaitons, madame la ministre, avoir votre avis sur ces propositions, qui viendraient s’ajouter au plan d’action mis en place par la direction générale de la santé.
En France, les maladies infectieuses qui ont durablement marqué les esprits et causé des milliers de morts au XIXe siècle et au XXe siècle, comme la variole, la poliomyélite ou le tétanos, ont été quasiment éradiquées – le nombre de cas de tétanos dans la population générale a été divisé par cinquante depuis 1946 – grâce à la vaccination. Ce résultat a pu laisser penser à certains que la vaccination n’était plus nécessaire.
Certes, le risque lié à certaines maladies infectieuses a considérablement diminué avec la baisse de leur prévalence. Le risque lié à la maladie – j’insiste sur ce point – demeure néanmoins plus important que le risque lié au vaccin lui-même. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Dans un monde sans frontières, l’éradication d’une maladie en France ne procure que l’illusion de la sécurité. Tant qu’une bactérie ou un virus demeure présent dans le monde, particulièrement s’il est endémique dans les pays en voie de développement, les épidémies sont susceptibles d’émerger à nouveau rapidement en France, et de manière dévastatrice, si la population n’y est plus protégée par l’immunité induite par le vaccin. La tuberculose ou la rougeole sont de nouveau la cause de nombreux décès. Je sais d’ailleurs que plusieurs de nos collègues interviendront sur ces aspects au cours du débat.
Deux constats découlent de cet état de fait : d’une part, je l’ai dit, la vaccination demeure un outil majeur de prévention ; d’autre part, une politique de prévention nationale implique nécessairement un renforcement de notre solidarité avec les pays en voie de développement afin d’améliorer leur situation sanitaire.
Pour autant, la vaccination doit être utilisée à bon escient. Elle n’est pas toujours la stratégie la plus efficace pour lutter contre une maladie infectieuse. Comme l’indique le rapport de la Cour des comptes, c’est contre les virus que les vaccins se révèlent particulièrement nécessaires, l’action des antiviraux étant limitée. Mais même pour la protection contre les virus, l’étude du rapport coût-efficacité conduit parfois à privilégier d’autres stratégies thérapeutiques.
De fait, la couverture générale de la population n’est plus recommandée pour la plupart des vaccins. Les indications varient en fonction des situations épidémiologiques – le vaccin contre le papillomavirus ne protège pas contre les souches présentes en Guyane – et des populations les plus à risque.
En dehors des périodes d’émergence de nouveaux virus, dont la gravité et les cibles sont inconnues, les campagnes de vaccination massives sont désormais moins adaptées et moins bien perçues par l’opinion publique. À cet égard, le bilan critique de la campagne de vaccination contre le virus H1N1 effectué par la Cour des comptes est significatif.
Il paraît donc essentiel d’adapter la vaccination aux besoins et aux attentes de la population et d’agir sur les perceptions afin de lutter contre la propagande anti-vaccinale.
Le premier axe d’une politique vaccinale moderne doit être d’aller au plus près des populations dans leur diversité. La commission des affaires sociales recommande ainsi, comme la Cour des comptes, de permettre la vaccination dans les centres de prévention de l’assurance maladie, qui se consacrent désormais au suivi des populations précaires. Nous pourrions d’ailleurs, madame la ministre, si vous en êtes d’accord, déposer une proposition de loi pour recommander la possibilité de vaccination dans les centres de sécurité sociale pour les publics les plus démunis.
Le décalage entre la perception de la vaccination par ceux qui la pratiquent et la population générale a été souligné à maintes reprises. Des études plus poussées en matière de sociologie de la vaccination sont nécessaires afin de permettre de mieux orienter les politiques de santé publique et d’éviter toute politisation excessive des enjeux. Les travaux récents de l’Institut de veille sanitaire, l’InVS, sur l’amélioration du suivi du nombre de vaccinations dans notre pays me paraissent très encourageants. Ils doivent être soutenus.
Pour accompagner les personnes sur la voie de la vaccination, il nous semble également nécessaire de mettre en place un carnet vaccinal électronique au sein de la carte Vitale, qui vienne appuyer les informations données par les professionnels de santé.
Au cours de mes auditions, j’ai été particulièrement intéressé par le projet du professeur Jean-Louis Koeck, médecin des armées, qui a créé avec une équipe comprenant plusieurs autres médecins un carnet de vaccination électronique et un site internet offrant une information experte et personnalisée aux particuliers et aux professionnels de santé. L’enjeu est non pas de disposer d’un simple recueil comptable du nombre de vaccinations, mais bien de permettre à chacun de savoir où il en est de sa vaccination et de pouvoir suivre l’évolution des recommandations vaccinales, dont la fréquence, selon la Cour des comptes, est susceptible de désorienter tant les particuliers que les professionnels de santé.
Ne pas faire ses rappels est en effet particulièrement grave en matière de vaccination, car la couverture immunologique ne peut être garantie. Ainsi, dans le cas du vaccin contre le papillomavirus, dont plus de 14 % des femmes seraient porteuses et qui est responsable du cancer du col de l’utérus, trois doses sont actuellement préconisées afin d’assurer la couverture immunologique. Or, bien que l’assurance maladie ait dépensé 34 millions d’euros pour ce vaccin, comme nous l’ont confirmé ses responsables lors de nos auditions, une part importante des jeunes filles ne va pas au bout du processus. Elles se trouvent ainsi sans protection suffisante et la dépense publique a été effectuée sans efficacité réelle.
Je regrette donc que l’initiative d’intérêt général que constitue le carnet vaccinal électronique, conçu par des professionnels de santé dans l’intérêt des patients et sans financement des laboratoires pharmaceutiques, ne reçoive pas plus d’écho au ministère de la santé. La création, longtemps repoussée, du dossier médical personnel ne semble pas avoir favorisé les initiatives innovantes.
J’ai également été frappé par la grande complexité du processus de prise de décision. Si ce problème est commun à toutes les questions relatives à la santé, il est accentué s’agissant de la vaccination. Ayant auditionné les responsables des principales structures intervenant en ce domaine, j’ai pu constater tant la grande expertise des personnes et la qualité du travail des équipes que la difficulté à délimiter clairement les frontières de compétences en matière vaccinale. De telles difficultés sont quotidiennes.
Il paraît important de distinguer, d’une part, les missions nécessaires à la définition d’une politique sanitaire efficace, qu’il importe de préserver et, d’autre part, les structures, qui, elles, sont susceptibles d’évoluer.
On peut distinguer quatre missions essentielles, qui sont autant d’étapes dans la mise sur le marché d’un vaccin : l’autorisation de mise sur le marché en fonction du rapport bénéfice-risque, la détermination des recommandations d’utilisation et des populations cibles, l’admission au remboursement en fonction de l’amélioration du service médical rendu et la fixation du prix du médicament. Or les structures actuellement en charge de ces missions sont distinctes, ont des statuts très variables – elles vont du simple comité d’expertise à l’autorité administrative indépendante – et des pouvoirs très variés, du simple conseil à l’autorité de police administrative.
À la lumière de ces auditions, j’estime possible – ce n’est qu’une suggestion, madame la ministre – de rattacher à la Haute Autorité de santé le Haut Conseil de la santé publique, le HCSP, dont fait partie le comité technique des vaccinations, le CTV. À condition que celui-ci conserve sa capacité de réponse rapide aux saisines du ministère de la santé, cela permettrait de limiter les possibilités d’avis divergents sans nuire à l’efficacité de la procédure. Cette réforme d’ampleur pourrait être débattue lors de l’examen du prochain projet de loi de santé publique. Pouvez-vous cependant d’ores et déjà nous dire ce que vous en pensez ?
Une formation à la santé dès l’école, non dans le cadre d’un cours magistral, mais sous la forme la plus participative et collective possible, permettant aux enfants de comprendre l’intérêt et l’importance de la vaccination, me semble être un moyen important de lutter contre la désinformation circulant sur internet. L’étude de la situation des pays en développement, où l’accès à la vaccination demeure une question primordiale de survie, devrait elle aussi permettre de rappeler l’importance des enjeux associés à ces questions. De même, une approche du fonctionnement des vaccins dans l’organisme, de leur histoire et de leur mode de fabrication devrait permettre de dissiper une partie des fantasmes circulant dans l’opinion publique.
La mise en place de cet enseignement suppose qu’un temps spécifique soit dégagé dans les programmes. Il implique également la formation des enseignants. Cela sera possible dans les futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation prévues dans le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
De même, il conviendrait de faire en sorte que les médecins et les infirmières, qui sont appelés à pratiquer régulièrement la vaccination, soient eux-mêmes vaccinés. Peu d’entre eux l’étant, ils ont tendance à peu vacciner les personnes qu’ils suivent.
Afin de ne pas trop prolonger mon propos, je serai bref sur la recherche. Permettez-moi juste de rappeler que la recherche française, en raison de son savoir-faire historique et de nos capacités industrielles, est un élément majeur dans nos décisions. Les industriels du secteur s’inquiètent pourtant de ce que la France serait devenue « une puissance du vaccin sans direction » en perte de vitesse par rapport aux pays émergents et aux Anglo-Saxons. Cette crainte est aussi celle de chercheurs. Les instituts de recherche publics ont ainsi décidé de mutualiser leurs efforts au sein du réseau COREVAC, ou consortium de recherches vaccinales, qui vise notamment à fixer des axes de recherche fédérant les travaux des différentes équipes.
La recherche sur les vaccins curatifs ouvre également de nouvelles perspectives : des vaccins pourraient être utilisés contre des maladies dont la prévalence augmente, comme la maladie d’Alzheimer.
Enfin, je ne peux conclure mon propos sans évoquer l’une des raisons ayant justifié l’organisation de ce débat à la demande de la commission des affaires sociales.
Il faut traiter de manière rationnelle et scientifique la question de la sécurité des vaccins, qui inquiète tant l’opinion publique. Nombre d’entre nous ont été alertés sur les risques que ferait peser la présence de l’aluminium dans les adjuvants vaccinaux. À cet égard, nous avons entendu la réponse rassurante du professeur Maraninchi, mais il faut approfondir les recherches sur cette question. Or, madame la ministre, l’Association d’entraide aux malades de myofasciite à macrophages s’inquiète que les études complémentaires sur ce thème n’aient pas encore été mises en chantier. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Un vaccin DT-Polio sans aluminium est également attendu. Savez-vous quand les industriels pourront mettre un vaccin de ce type sur le marché français ? Le principe de précaution doit l’emporter sur tout enjeu industriel ou financier.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, je tiens à saluer chaleureusement Georges Labazée pour la qualité du rapport qu’il a aujourd’hui présenté. Son contenu riche, documenté, ainsi que l’ensemble de ses recommandations nous permettront, j’en suis certaine, de progresser encore dans le domaine de la politique vaccinale.
La vaccination est sans aucun doute l’une des plus grandes avancées des politiques de santé publique. Ce geste de prévention a permis de sauver des millions de vies. Il a joué un rôle majeur en enrayant la transmission de certaines maladies infectieuses et en participant à leur éradication.
Se vacciner, c’est évidemment d’abord se protéger individuellement : en stimulant le système immunitaire, le vaccin évite une éventuelle contamination dans l’avenir.
Se vacciner, c’est ensuite un acte solidaire : c’est protéger la collectivité dans son ensemble. Chacun d’entre nous porte une responsabilité en matière de santé publique. Chacun d’entre nous est un maillon de la chaîne de transmission.
Se protéger, c’est donc également protéger les autres, en particulier les plus fragiles. Je veux insister sur cette double dimension de la vaccination, qui n’est pas toujours perçue par nos concitoyens. C’est pourquoi une politique vaccinale doit toucher le plus grand nombre pour être efficace. Pour arrêter la transmission, éliminer une pathologie, le taux de couverture de la population doit atteindre un seuil de 80 %, voire de 90 % selon les maladies.
L’histoire vaccinale est intimement liée aux progrès de la santé publique. Les premiers vaccins, au XIXe siècle, ont permis de lutter contre la rage, la fièvre typhoïde, la peste, ces fléaux qui menaçaient autrefois régulièrement les populations. Mais c’est surtout au XXe siècle que les vaccins vont connaître leur plein essor. Ils deviennent une arme de prévention efficace contre la tuberculose, la diphtérie, le tétanos, la fièvre jaune, le typhus, la poliomyélite et la méningite.
Nous ne devons ni oublier ni banaliser les avancées majeures de santé publique qui ont été réalisées grâce à la vaccination. La variole, qui décimait des populations entières, a été éradiquée de la planète. Grâce aux vaccins, les décès par rougeole ont chuté de 71 % à travers le monde entre 2000 et 2011. Aujourd’hui, la diphtérie et la poliomyélite ont disparu de France.
Cette marche en avant n’est pas terminée pour autant. Grâce aux travaux de nos chercheurs, grâce aux avancées de la science, l’espoir de découvrir un vaccin contre la dengue, le paludisme ou le sida n’est plus illusoire. Nous ne savons pas à quel terme ce progrès sera accompli, mais il est aujourd'hui perceptible.
Les progrès de l’immunologie, de la biologie moléculaire et des biotechnologies ouvrent des horizons nouveaux et dessinent ainsi les contours d’une nouvelle révolution vaccinale pour le XXIe siècle. Toutefois, malgré les succès indéniables de la politique vaccinale, malgré les espoirs qui s’offrent à nous, nous devons absolument rester vigilants. C’est là le devoir des pouvoirs publics et des responsables politiques.
Aujourd’hui, les maladies couvertes par un vaccin n’effraient plus la population. Pourtant, contrairement aux idées reçues, certaines d’entre elles n’ont pas disparu. Ce n’est pas parce que les maladies ont régressé qu’elles ont disparu. En France, la rougeole est en nette recrudescence depuis quelques années, en particulier dans certaines régions.
Elle est à l’origine de décès, qui, pour n’être pas massifs, n’en sont pas moins effectifs. Les causes de cette augmentation sont clairement identifiées ; l’une d’entre elles est liée à une trop faible couverture vaccinale. Le sentiment que la maladie a disparu est tel qu’il ne paraît plus nécessaire de se vacciner contre elle. On oublie que, si l’on arrête de se vacciner, la maladie ressurgit parce qu’elle n’a pas disparu par magie !
Dans le même temps, la suspension de l’obligation vaccinale par le BCG, qui a peut-être été mal appréhendée par certains, a pu entraîner des cas graves de tuberculose chez des personnes pour qui la vaccination aurait dû être maintenue et qui n’ont pas été correctement protégées. Il faut noter néanmoins que l’InVS, qui suit cette évolution de près, n’a noté aucune augmentation de méningites tuberculeuses chez les enfants de moins de deux ans. Il n’empêche que des cas ont été identifiés, qui tiennent au fait que les préconisations apportées au moment du changement de la politique vaccinale en juillet 2007 n’ont pas été correctement respectées.
Par ailleurs, rappelons que onze millions d’enfants meurent chaque année de pathologies infectieuses à travers le monde. Plusieurs d’entre elles pourraient être combattues grâce à la vaccination.
Nous avons donc une responsabilité immense, celle de ne pas baisser la garde. Cela ne pourra pas se faire sans l’appui et la mobilisation des professionnels de santé, dont l’action est, évidemment, décisive en matière de politique vaccinale.
Nous devons en outre affronter des défis nouveaux dans le champ des politiques vaccinales.
Il nous faut d’abord faire face aux maladies émergentes, aggravées par la circulation rapide des personnes et des biens, par l’urbanisation, la dynamique démographique et le réchauffement climatique.
Nous sommes aussi confrontés à des cancers qui sont causés par des virus : c’est le cas des lymphomes, des cancers colorectaux, des leucémies ou des cancers du col de l’utérus.
Il nous faut également affronter certaines maladies infectieuses latentes, telles que la varicelle, où le virus survit dans l’organisme, mais menace de se réactiver à chaque instant. Des vaccins ont la capacité de prévenir ces réveils chez les sujets les plus fragiles.
Pour toutes ces raisons, la politique vaccinale est et doit rester une priorité de santé publique pour le Gouvernement.
Notre pays dispose, je le disais, d’une couverture vaccinale de qualité. Néanmoins, il existe de grandes disparités selon le type de vaccin.
La vaccination des nourrissons reste excellente, puisqu’elle dépasse le seuil des 97 % pour la primo-vaccination. Les vaccins les plus anciens sont également bien prescrits. Cependant, la couverture vaccinale tend à diminuer pour les vaccins introduits plus récemment et perçus comme « simplement recommandés », si j’ose dire. C’est le cas, par exemple, du HPV et du méningocoque C. On observe également de grandes différences de taux de couverture entre les jeunes et les adultes : on se vaccine moins au fur et à mesure qu’on avance dans la vie.
En outre, de grandes inégalités sévissent entre nos territoires. Le taux de vaccination pour le ROR – rougeole, oreillons, rubéole – est, par exemple, beaucoup plus élevé dans le nord que dans le sud de la France. De fait, on a vu réapparaître des cas de rougeole dans le sud de notre pays.
Comment expliquer ces dysfonctionnements ?
D’abord, il est indéniable que la réticence aux vaccinations s’amplifie. Elle se fonde sur des raisonnements non scientifiques, voire irrationnels, ou sur l’expérience personnelle. Dans le même temps, les débats qui ont pu accompagner la mise en place de nouvelles vaccinations ont été parfois à l’origine de désinformation. Nous devons donc garantir à nos concitoyens une information de qualité, transparente et objective sur les vaccins et les risques éventuels qui peuvent être liés à la vaccination, tout en rappelant les avantages individuels et collectifs de ces vaccinations.
Ensuite, les recommandations à suivre ne sont pas toujours lisibles. Leur lecture est difficile, autant pour les Français que pour les professionnels de santé, qui sont, au quotidien, confrontés à la nécessité de vacciner ou à la demande de vaccination. Pourquoi une vaccination, qui était jusque-là obligatoire, devient-elle subitement recommandée ? Comment suivre avec certitude et sur le long terme le nombre d’injections à réaliser, avec les phénomènes de rattrapage ? Je ne suis d’ailleurs pas certaine, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous seriez tous capables de dire, si nous procédions à un rapide test, où vous en êtes dans vos rappels de vaccinations, obligatoires ou simplement recommandées.
Sourires.
Je veux donc améliorer la couverture vaccinale des Français. Une stratégie nationale de santé se met en place, qui repose sur une notion essentielle, celle du parcours. En matière de vaccination aussi, il s’agit de rendre plus simple, plus accessible, plus lisible le parcours vaccinal des Français.
Cette politique doit s’articuler autour de plusieurs mesures.
La première, c’est la simplification et la clarification du calendrier vaccinal. C’est chose faite, puisqu’un nouveau calendrier vaccinal a été annoncé voilà quelques jours, qui doit permettre de diminuer le nombre d’injections pour une efficacité équivalente.
S’agissant des nourrissons, la primo-vaccination comportera une injection en moins : elle sera composée de deux doses de vaccin, espacées de deux mois, et d’un rappel, au lieu de trois doses de vaccin et d’un rappel. Pour les enfants et les adolescents, le rappel de vaccination entre seize et dix-huit ans contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite est supprimé. Enfin, les rendez-vous vaccinaux seront fixés pour les adultes à âge fixe et non plus à intervalles fixes, c’est-à-dire à vingt-cinq, à quarante-cinq et à soixante-cinq ans, puis tous les dix ans au-delà de soixante-cinq ans : à soixante-quinze, à quatre-vingt-cinq, à quatre-vingt-quinze ans et, pourquoi pas, à cent cinq ans…
Cette simplification concourra à une meilleure adhésion aux schémas vaccinaux. Ce travail ne s’est pas fait sans les professionnels de santé : ils ont été informés, en amont, des évolutions du calendrier vaccinal et disposent des informations leur permettant de répondre aux questions concrètes de leurs patients, notamment en termes de rattrapage. Si je suis entre deux âges de rappel, dois-je me revacciner tout de suite ou attendre la prochaine échéance ?
Pour sensibiliser nos concitoyens à ces nouveaux changements, la semaine européenne de la vaccination, qui est actuellement en cours, est l’occasion d’informer les Français, dans chaque région, sur les évolutions du calendrier.
La deuxième mesure, c’est d’autoriser les centres d’examens de santé de l’assurance maladie, dans lesquels l’accès aux soins est gratuit, à réaliser des vaccinations. C’est d’ailleurs le sens de l’une de vos propositions, monsieur le rapporteur, à laquelle je suis très favorable. Cependant, dans son avis du 15 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 64 de la loi de financement de la sécurité sociale, considérant que cet article constituait un cavalier législatif.
Ce dispositif n’ayant pas pu entrer en vigueur, nous avons besoin d’un vecteur législatif. Je suis ouverte quant à la démarche législative qu’il convient d’adopter, monsieur le rapporteur : il peut s’agir d’une initiative parlementaire ou d’une disposition dans le projet de loi de santé publique annoncé par le Président de la République. Nous pouvons engager des discussions sur ce point. Cette mesure doit en tout cas permettre d’enrichir encore l’accès à la vaccination, en particulier pour les personnes en situation de précarité.
La troisième mesure à prendre pour améliorer la couverture vaccinale concerne le carnet de vaccination électronique.
Nous devons travailler au suivi des vaccinations et faire en sorte que ce suivi puisse se faire par le biais d’un carnet de vaccination électronique. Nous savons bien que toute la population ne sera pas concernée d’emblée de la même façon ; les parents des tout jeunes enfants sont sans doute aujourd’hui davantage sensibles à cette démarche que les personnes d’âge mûr qui ont déjà réalisé toute une série de vaccinations.
Cette démarche s’inscrit dans la perspective de la mise en place d’un l’outil interprofessionnel constitué par le dossier médical personnel de deuxième génération, sur lequel j’ai eu l’occasion de m’exprimer.
Une piste à expertiser concerne la possibilité d’utiliser, pour le suivi de la vaccination, le dossier pharmaceutique, au moins dans un premier temps. Cet outil, qui permet de suivre les délivrances de médicaments, a été développé, vous le savez, par l’ordre des pharmaciens. Mobiliser cet outil permettrait d’anticiper, sachant qu’il existe d’ores et déjà 23 millions de dossiers pharmaceutiques qui, réglementairement, ont vocation à alimenter le dossier médical personnel.
Enfin, la quatrième mesure vise à élargir le nombre de professionnels pouvant prescrire et réaliser des vaccinations.
Depuis 2008, les infirmières sont autorisées à prescrire la vaccination des personnes âgées contre la grippe saisonnière, à l’exception de la première injection. Il s’agit d’une première avancée.
Par ailleurs, le regroupement des professionnels au sein des maisons de santé pluridisciplinaires permet indiscutablement de fluidifier le parcours vaccinal.
Nous pouvons aller plus loin encore et renforcer les actions de proximité permettant d’augmenter significativement la couverture vaccinale. Plusieurs pistes sont aujourd’hui en cours d’expertise : il s’agirait, par exemple, de permettre aux sages-femmes de prendre en charge la vaccination de l’entourage d’une femme enceinte ou encore d’autoriser une vaccination par un infirmier au sein d’une pharmacie.
Il serait aussi envisageable, comme cela a été préconisé dans un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de juin 2011 sur les pharmacies d’officine, de permettre aux pharmaciens d’effectuer, sur leur propre initiative, des rappels de vaccination chez les patients adultes, comme cela est déjà possible au Portugal depuis plus de cinq ans. Dans ce pays, plus d’une vaccination contre la grippe sur cinq a été réalisée dans les pharmacies et 13 % des patients ainsi vaccinés ne l’avaient pas été par le passé. Naturellement, ces perspectives doivent être étudiées de manière concertée avec l’ensemble des professionnels de santé, médecins et non médecins.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons à garantir la qualité de la vaccination et à réaffirmer la nécessité, en matière de santé publique, de toujours améliorer la couverture vaccinale de notre pays. Raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, je vous renouvelle mes remerciements et mes félicitations tant pour la qualité de votre rapport que pour votre initiative d’engager un débat sur ce sujet crucial.
Bien évidemment, je me tiens prête à répondre à l’ensemble des questions qui me seront posées au cours de ce débat.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a souligné notre collègue Georges Labazée, notre débat fait suite à l’enquête de la Cour des comptes relative à la politique vaccinale de la France, demandée par Annie David.
À mon tour, je tiens à saluer notre rapporteur pour le travail effectué. Il s’agit d’un rapport de qualité, renfermant un certain nombre de recommandations telles que, par exemple, l’instauration d’un carnet de santé électronique permettant un meilleur suivi, et je me réjouis, madame la ministre, que vous en repreniez certaines.
La tenue de ce débat est tout à fait pertinente. En effet, même si l’objectif premier de santé publique peut être largement partagé, il n’en reste pas moins que des questions se posent.
Cela a été dit, la vaccination en France remonte à un peu plus de deux siècles. L’obligation vaccinale, quant à elle, est beaucoup plus récente et, finalement, très restreinte puisqu’elle ne concerne que trois vaccins – diphtérie, tétanos, poliomyélite – essentiellement destinés aux enfants. Elle a été un outil essentiel pour faire disparaître les grandes pandémies du passé. Toutefois, nous assistons aujourd’hui à une recrudescence de certaines maladies que l’on croyait révolues. Je pense moi aussi à la rougeole, dont le taux d’incidence a été très élevé en 2011.
Il s’agit donc de se donner les moyens d’assurer, collectivement et nationalement, une politique constante dans le temps et destinée à tous. L’équation est simple : il faut faire en sorte que chacun participe à la préservation de la santé de tous. Cela suppose la mise en œuvre d’un principe fondamental : l’adhésion de la population. Cette vaccination doit être consentie.
Nos concitoyennes et concitoyens doivent clairement percevoir l’avantage de la vaccination au regard du risque encouru. L’une des questions qui se pose aujourd’hui est celle de savoir comment développer un meilleur dispositif d’information pour faire – ou refaire – prendre conscience de l’intérêt d’une vaccination à tous les âges de la vie, alors même que des politiques de désinformation, clairement anti-vaccins, sont menées.
Bien entendu, dans un monde où le pouvoir de circuler est plus grand que jamais, notre politique ne peut se penser et se mener dans un cadre qui se limiterait à nos frontières. Nous devons prendre en considération les pays en voie de développement qui n’ont pas, eux, les moyens financiers de protéger leur population. Nous ne pouvons apparaître comme ceux qui choisissent la non-vaccination alors que des populations, des enfants, meurent faute de vaccins.
Pour mener une politique de prévention vaccinale ambitieuse et efficace, il faut donc tenir compte des polémiques, du rapport des Français à la vaccination, qui font que la France est aujourd’hui en retard sur ses voisins européens.
Il est évident que le scandale lié à la grippe A H1N1 et à la mauvaise gestion des vaccins, pour ne pas dire au gâchis occasionné, a eu un effet très négatif sur la confiance des Français. Pour mémoire, la France, via la ministre de la santé de l’époque, Roselyne Bachelot, a commandé 94 millions de vaccins – plus 34 millions optionnels – pour 2010 auprès de trois laboratoires : Sanofi Pasteur, GlaxoSmithKline et Novartis.
À l’époque, une véritable campagne médiatique et politique s’est mise en mouvement pour créer et entretenir un climat de peur, voire une menace de pandémie mondiale. La catastrophe sanitaire d’ampleur attendue ne s’est finalement pas produite – c’est heureux ! –, tandis que des mesures disproportionnées étaient prises prétendument au nom du principe de précaution. Au final, moins de 8 % des Français se sont fait vacciner, et nous nous sommes retrouvés avec un nombre élevé de doses de vaccins en surplus. Le coût global de cette campagne de vaccination en France – vaccins et antivirus, communication renforcée, charges des salles réquisitionnées, coût du personnel, ... – a été estimé à 2, 2 milliards d’euros.
Si nos concitoyens ont sans doute eu peur du danger potentiel de ces vaccins mis rapidement sur le marché, je crois surtout qu’ils n’ont pas été dupes de l’intérêt de certains laboratoires à jouer sur les peurs afin de créer un effet de panique, dans lequel la course au vaccin l’emporte sur l’efficacité réelle. Les profits générés ont été colossaux, tant les prix des vaccins, imposés par les laboratoires, ont été exorbitants.
Tout cela a été complètement décrédibilisant. Plus encore en sachant que trois « experts » du comité de lutte contre la grippe, chargé de conseiller le gouvernement, étaient eux-mêmes impliqués dans la fabrication de ces vaccins. Les intérêts financiers ont été clairement privilégiés, soit l’exact contraire de ce qu’il faut faire, comme cela a été très bien rappelé et démontré dans le rapport de la commission d’enquête du Sénat, présidée par notre ancien collègue François Autain.
Ce rapport a mis en lumière le poids des lobbies ainsi que l’acceptation, par les décideurs politiques et administratifs, de contrats commerciaux trop contraignants. II faut donc dénoncer avec la plus grande fermeté ces fameux conflits d’intérêts dans un domaine si sensible de santé publique.
La conclusion que nous pouvons tirer de cette histoire est qu’il est absolument indispensable de lever tous les doutes, aussi bien sur la façon dont est décidée une politique de vaccination, que sur le contenu et l’innocuité des vaccins. Je pense notamment aux actions menées depuis plusieurs années par l’association Réseau vaccin hépatite B, ou REVAHB, qui regroupe les victimes du vaccin de l’hépatite B.
Nous sommes plusieurs parlementaires, notre rapporteur l’a rappelé, à avoir été interpellés par l’association d’entraide aux malades de myofasciite à macrophages, sur les dangers des sels d’aluminium utilisés comme adjuvants dans les vaccins. Les membres de cette association ont alerté l’opinion publique trois mois durant, l’hiver dernier, en entamant notamment des grèves de la faim, en vue de dénoncer des dangers réels désormais connus et reconnus.
L’Académie de médecine elle-même admet depuis juin 2012 que l’aluminium utilisé dans les vaccins atteint le cerveau, ce qu’elle réfutait jusqu’alors. Le Conseil d’État, dans son arrêt du 21 novembre 2012, a reconnu l’imputabilité de la myofasciite à macrophages à l’injection d’un vaccin contre l’hépatite B contenant des adjuvants aluminiques. Le groupe d’études sur la vaccination mis en place par l’Assemblée nationale a recommandé qu’un moratoire soit institué sur l’utilisation des sels d’aluminium dans les vaccins.
Vous-même, madame la ministre, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, reconnaissiez que les familles devaient « également avoir le choix de faire procéder aux vaccinations obligatoires par des vaccins sans sel d’aluminium, d’autant plus que cela était le cas jusqu’en 2008 ». Vous vous êtes depuis engagée, d’une part, à ce que la recherche menée par l’unité INSERM U 955 de l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil, bénéficie en 2013 d’un financement spécifique sur les crédits de l’Agence nationale de sécurité du médicament et, d’autre part, à ce qu’un comité de pilotage se constitue très rapidement.
Pouvez-vous nous préciser le calendrier de mise en place de ce comité de pilotage et du comité scientifique qui s’impose ? Cela semble d’autant plus primordial que les agences sanitaires que vous avez interrogées reconnaissent que les vaccins à base d’aluminium sont à l’origine d’une lésion focale au niveau du point d’injection qui constitue la myofasciite à macrophages, mais que, selon ces mêmes autorités sanitaires, l’expertise scientifique disponible à ce jour n’apporte pas d’arguments pour une atteinte systémique secondaire responsable d’un syndrome clinique identifié. Les travaux attestant du contraire ne manquent pas, et il est donc nécessaire de réunir au plus vite ce comité scientifique.
De même, quelle action comptez-vous prendre vis-à-vis de Sanofi afin que le DT-Polio sans aluminium soit remis en circulation ?
Nous aurions également souhaité que vous nous précisiez – bien que vous ayez déjà quelque peu abordé cette question – quelles mesures faisant partie du programme national d’amélioration de la politique vaccinale 2012-2017 ont déjà été mises en œuvre et quels objectifs chiffrés en matière de santé publique vous en attendez ?
Vous l’aurez compris, pour le groupe CRC, il ne s’agit ni de diaboliser les vaccins ni d’en sous-estimer les potentiels effets nocifs, mais de prendre conscience qu’une politique vaccinale est une politique de santé publique pour laquelle toutes les précautions doivent être prises, de la surveillance épidémiologique à la pharmacovigilance.
Permettez-moi de vous soumettre une proposition : afin d’empêcher les conflits d’intérêts, pourquoi ne pas créer un comité public de la vaccination composé d’élus, d’associations d’usagers, de scientifiques médicaux et non médicaux, bref, une instance indépendante et impartiale ? C’est ainsi que nous redonnerons entièrement confiance à la population.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat intervient en pleine semaine européenne de la vaccination à l’occasion de laquelle l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, a lancé une campagne de sensibilisation à destination des Français. Cette campagne est bienvenue au regard du bilan de la politique vaccinale récemment dressé par la Cour des comptes, qui révèle des résultats plutôt contrastés en matière de couverture vaccinale, comme cela a été évoqué par notre rapporteur.
S’ils sont satisfaisants pour les maladies traditionnelles à vaccination obligatoire, ces résultats sont en revanche alarmants pour la rougeole, comme en témoigne la résurgence de cette maladie entre 2008 et 2011, et très insuffisants en ce qui concerne l’hépatite B et le cancer du col de l’utérus, pour lesquels les objectifs fixés ne sont pas atteints. À cet égard, la comparaison avec les autres pays d’Europe reste peu flatteuse, notamment pour trois groupes dont les taux de couverture n’atteignent pas les minima requis : les catégories défavorisées, les adolescents et les jeunes adultes.
Certaines régions, Mme la ministre l’a évoqué, disposent d’une couverture vaccinale plus faible que d’autres. Cette situation doit d’autant plus nous interpeller que le regard porté par l’opinion publique sur le vaccin a évolué en Europe et en France.
Des réticences idéologiques à la vaccination se sont toujours exprimées, qu’il s’agisse de doctrines naturalistes, hygiénistes ou libertaires, mais il s’agit aujourd’hui d’un mouvement plus large. Au temps des ravages de la tuberculose, on parlait de « défense sanitaire ». Aujourd’hui, le souvenir de ces grandes épidémies s’efface et l’intérêt de la vaccination est moins perceptible. La balance bénéfice-risque est souvent remise en cause, entraînant un manque de confiance croissant.
Les atermoiements lors de la pandémie de grippe A H1NI de 2009 y ont été sans doute pour quelque chose, il faut le reconnaître. Qu’en est-il aujourd’hui de l’arrêt de la vaccination contre l’hépatite B dans les écoles, décision qui jeta la suspicion sur le vaccin ? Que dire enfin du recul insuffisant pris lors du lancement du vaccin contre les papillomavirus, qui ne couvre que quatre génotypes alors qu’il en existe plus d’une centaine ? Voilà qui est propre à nourrir tous les scepticismes, d’autant que le vaccin est recommandé aux très jeunes filles pour prévenir le cancer du col de l’utérus, lequel ne se révélera généralement que vers l’âge de quarante ans. Les niveaux de couverture vaccinale sont beaucoup plus élevés dans les pays qui vaccinent à l’école.
Internet n’est pas non plus étranger à ce phénomène de désaffection, car de nombreuses contrevérités y circulent sans contrôle. La commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, créée sur l’initiative du groupe du RDSE, a révélé que les sites les mieux référencés en matière de vaccination sont ceux de groupes anti-vaccinaux.
Jacques Mézard, le rapporteur de cette commission, s’est étonné à juste titre de l’impunité dont bénéficient ceux qui appellent publiquement à contourner les règles et donnent des adresses de médecins délivrant des certificats de complaisance. Il a surtout regretté l’insuffisante accessibilité de l’information officielle, susceptible d’éclairer les citoyens avec des données objectives. Manifestement, les sectes et les charlatans ont compris, mieux que les pouvoirs publics, tous les enjeux d’un bon référencement sur la toile.
Il faut un discours politique de conviction, des messages d’alerte sur les dérives thérapeutiques et un meilleur contrôle des informations sur les sites certifiés HONcode. Aujourd’hui, la communication publique reste trop intermittente ; l’INPES, a très peu de moyens et laisse, du coup, le champ libre aux campagnes publicitaires privées qui jouissent d’une moindre crédibilité et ne reflètent pas toujours, loin s’en faut, les impératifs de santé publique.
La loi de 2011 encadre et limite la publicité non institutionnelle, mais le Haut Conseil de la santé publique s’y oppose fermement. Quelle est votre position sur ce point, madame la ministre ? Dans le rapport du HCSP sur les maladies émergentes, des anthropologues analysent les résistances des populations à la prévention vaccinale et le chemin qu’elles parcourent jusqu’à l’acceptabilité sociale.
On ne saurait se contenter d’asséner des affirmations sur la nécessité de se faire vacciner. Il faut comprendre les mécanismes du refus, grâce à des recherches menées notamment dans le champ de la sociologie. La France, il faut le reconnaître, est très en retard dans ce domaine.
Notre collègue Georges Labazée a fait un très bon rapport sur la politique vaccinale, dont je partage tout à fait les conclusions. Je l’en félicite !
Il propose, d’abord, de simplifier le paysage institutionnel. La dispersion des acteurs et le manque de coordination sont les principaux défauts de la politique de prévention, comme d’ailleurs, plus généralement, de la politique de santé. Je l’ai souvent dénoncé dans cet hémicycle.
Il propose, ensuite, de renforcer la recherche publique sur les vaccins. L’élu du pays de Pasteur que je suis ne peut oublier l’immense pas en avant que ce personnage à fait faire à la médecine. Aujourd’hui, rien qu’en ce qui concerne les trois principaux fléaux infectieux mondiaux – le paludisme, le sida et la tuberculose –, nous sommes toujours en situation d’échec pour les deux premiers. Pour le dernier, l’efficacité du BCG a été atténuée par la mutation du bacille.
C’est dire le défi qui nous attend, surtout à l’heure des maladies infectieuses émergentes et réémergentes, des cancers et des maladies qui ne sont ni infectieuses ni tumorales, comme la maladie d’Alzheimer.
La France a des atouts. Elle dispose de centres de recherche importants, cela a été souligné par M. le rapporteur, tels l’Institut Pasteur, le biopôle de Lyon et plusieurs universités cotées. Mais, de l’aveu même de ces acteurs, cette recherche souffre d’une trop grande fragmentation, d’un manque de visibilité, d’un financement peu satisfaisant. Il faut sans doute commencer par améliorer les vaccins existants pour les rendre plus efficaces et sûrs, et travailler, je l’ai déjà dit, sur leur acceptabilité.
S’agissant de la sécurité, une meilleure évaluation des risques sanitaires liés à l’utilisation d’adjuvants aluminiques dans les vaccins, ce sujet vient d’être évoqué, mérite d’être mise en place. Existe-t-il des preuves d’une possibilité de toxicité neurologique de l’aluminium vaccinal ? Les nouveaux adjuvants réclament aussi quelques éclaircissements.
Enfin, un programme national d’amélioration de la politique vaccinale a été défini pour la période 2012-2017. Les orientations générales retenues dans le cadre de ce programme consistent le plus souvent en la formulation de vœux, certes louables, en l’énumération de problématiques, du reste très pertinentes, plutôt qu’elles ne forment un véritable programme opérationnel.
Vous avez présenté une réforme du calendrier de vaccination ; elle est une première réponse à la nécessité de sensibiliser aux enjeux, mais elle ne saurait suffire. La Cour des comptes a fait des recommandations, notamment pour rendre plus efficace la communication sur la vaccination et en améliorer la prise en charge. Quelles suites comptez-vous y donner ?
Nous attendons une action vigoureuse témoignant de l’engagement sans faille des pouvoirs publics et des autorités scientifiques en faveur de la vaccination, qui a fait ses preuves pour certaines maladies et qui doit permettre, par l’innovation, de protéger les populations de celles à venir.
Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tenais avant tout à saluer l’excellent rapport de notre collègue Georges Labazée, qui porte sur cette très importante question de santé publique : la politique de vaccination française.
Depuis un peu plus de deux siècles, la vaccination a permis de combattre ou d’éradiquer des maladies très graves et meurtrières.
Comme tout médicament, le vaccin a un effet thérapeutique et permet aux individus de développer une protection immunitaire contre une maladie infectieuse, ce qui comporte, pour eux, un moindre risque que de la contracter. Certaines maladies peuvent ainsi être prévenues et finir par disparaître à l’échelle mondiale.
Dans un monde où les frontières tendent à disparaître, il serait cependant illusoire de penser qu’il est possible d’éradiquer une maladie du territoire français. La vaccination reste donc un outil majeur de prévention. Cela implique le renforcement de notre solidarité avec les pays en voie de développement, afin de les aider à améliorer leur situation sanitaire.
Par ailleurs, la vaccination, notre collègue Georges Labazée le souligne bien dans son rapport, n’est pas toujours la méthode la plus efficace pour lutter contre une maladie infectieuse. En effet, on peut parfois privilégier d’autres stratégies. En outre, les indications de vaccination varient en fonction des situations épidémiologiques et des populations les plus à risque. À ce titre, le bilan critique que la Cour des comptes dresse de la campagne de vaccination contre le virus H1N1 est significatif.
Il est impératif d’être très vigilant à chaque étape de la mise sur le marché d’un vaccin : l’autorisation de mise sur le marché en fonction du rapport bénéfice-risque, la détermination des recommandations d’utilisation et des populations cibles, l’admission au remboursement en fonction de l’amélioration du service médical rendu et la fixation du prix du médicament.
Je ne peux qu’insister sur l’importance des études indépendantes et sur l’attention à porter sur les possibles conflits d’intérêts, notamment au sein du comité technique des vaccinations. À ce sujet, le rapport de la Cour des comptes indique que « […] l’article L. 1421-3-1 du code de la santé publique […] proscrit toute participation aux délibérations et aux votes, aussi bien en cas d’intérêt direct qu’indirect, et sans distinguer selon l’intensité du conflit. L’importance des intérêts en jeu en matière de vaccin exige à cet égard qu’une vigilance toute particulière soit accordée à cette question par le Haut Conseil de santé publique et le CTV ».
La vaccination n’est pas sans risque. En tant que médicament préventif, il s’adresse principalement à une population jeune et en bonne santé, à laquelle il peut faire courir, pour un bénéfice éventuel et différé, un risque immédiat. Les cas de scléroses en plaques contractées à la suite d’une vaccination contre l’hépatite B l’ont bien montré.
Je souhaiterais ici aborder un cas, certes particulier, mais qui a le mérite de nous éclairer sur la nécessité d’être vigilants sur les dangers des adjuvants, notamment ceux induits par les sels d’aluminium.
L’association d’entraide aux malades de myofasciite à macrophages réalise un important travail, qui s’appuie sur l’expérience des malades et sur des études publiées en France et aux États-Unis. Cette pathologie très invalidante est déclenchée par l’hydroxyde d’aluminium. Dans la mesure où une prédisposition génétique est suspectée, il paraît indispensable que toute personne atteinte ainsi que les membres de sa famille utilisent des vaccins sans aluminium.
Selon des chercheurs du MIT, les vaccins adjuvantés sur aluminium pourraient également être impliqués dans la survenue de nombreuses autres pathologies.
L’obligation vaccinale ne concerne désormais plus, en France, que trois vaccins : diphtérie, tétanos, polio. Un enfant n’est pas admis à l’école s’il n’est pas vacciné.
Jusqu’en juin 2008, le vaccin DT-Polio de Sanofi Pasteur MSD ne contenait pas d’adjuvant aluminique. Il correspondait ainsi au besoin des enfants présentant un risque familial de pathologies induites par les sels d’aluminium. Le 12 juin 2008, le laboratoire a décidé de suspendre « temporairement » la distribution de ce vaccin, à la suite d’« une augmentation du nombre de signalements de manifestations allergiques observées jusqu’à 24 heures suivant la vaccination depuis le début de l’année 2008 ».
La suspension fut suivie d’un « arrêt de commercialisation », bien que l’autorisation de mise sur le marché reste encore valide. Néanmoins, les informations lacunaires obtenues par l’association ne permettent pas de comprendre cette décision. Il semble en effet que seuls un à trois cas graves supplémentaires aient été constatés cette année-là, sur un seul lot de vaccins.
On observe, plus largement, que le fabricant a choisi de faire disparaître tous ses vaccins sans sels d’aluminium et de ne plus utiliser que cet adjuvant, sans doute dans le but de rationaliser et de simplifier sa production, en ayant une ligne unique. Les médecins sont donc obligés de pratiquer des vaccinations obligatoires avec des vaccins comportant des sels aluminiques, qui, plus chers, engendrent un surcoût pour la sécurité sociale d’au moins 3 millions d’euros par an. Il nous paraît donc urgent de remettre sur le marché un vaccin alternatif qui ne contienne pas cet adjuvant, dans le cadre, par exemple, d’une commande publique, afin de garantir à chacun l’accès à un vaccin sans adjuvant de sels métalliques. Les produits existent déjà.
Madame la ministre, envisagez-vous une action du Gouvernement sur ce point ? L’équipe qui avait commencé à approfondir la recherche en la matière pourra-t-elle avoir les moyens de poursuivre ses travaux ?
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le récent rapport de notre collègue Georges Labazée nous permet de débattre cet après-midi de la politique vaccinale de la France. Toutefois, avant d’aborder celle-ci en tant que telle, permettez-moi de rappeler le contexte dans lequel elle s’inscrit.
Des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années pour protéger la santé des populations par la prévention vaccinale des maladies infectieuses. Cette amélioration repose sur plusieurs facteurs, que nous connaissons tous : l’amélioration des conditions d’hygiène de vie, l’antibiothérapie et la vaccination. Cependant, force est de constater que la place de la vaccination est sous-estimée, voire contestée, parfois pour des raisons justifiées.
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres fournis par l’Organisation mondiale de la santé pour illustrer les enjeux de la vaccination.
La vaccination permet de prévenir, chaque année, entre 2 et 3 millions de décès liés à la diphtérie, au tétanos, à la coqueluche, à la rougeole, aux oreillons et à la rubéole. Elle concerne un plus grand nombre d’enfants qu’auparavant. En 2010, l’OMS estimait à 109 millions le nombre d’enfants de moins d’un an ayant reçu trois doses de vaccin diphtérie-tétanos-coqueluche. Malheureusement, en 2008, encore 1, 7 million d’enfants étaient décédés d’une maladie évitable par la vaccination avant d’avoir atteint leur cinquième anniversaire.
Grâce aux efforts d’éradication de la poliomyélite, plus de 7 millions de personnes marchent aujourd’hui, alors que, sans vaccin, elles seraient paralysées, et l’incidence de cette maladie a reculé de 99, 8 %. L’éradication totale de la poliomyélite permettra d’économiser une somme estimée à 50 milliards de dollars à l’horizon de 2035, pour l’essentiel dans les pays en développement.
Ces chiffres nous rappellent que la France doit continuer à encourager l’accès des pays en voie de développement aux vaccins.
Il y a eu de nombreux rapports sur la politique vaccinale nationale, avec des recommandations précises pour l’améliorer. Je pense notamment au travail que notre ancien collègue Paul Blanc a réalisé au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé, en 2007. Je pense également au dernier document en date, le rapport Labazée : plusieurs des solutions proposées rejoignent en grande partie les recommandations que la Cour des comptes a émises dans son enquête du mois d’octobre 2012. Cela représente un large panel de mesures, couvrant à la fois la couverture vaccinale, la politique de remboursement des produits, la communication et le calendrier vaccinal.
Il faut souligner le caractère paradoxal de notre politique vaccinale. D’une part, la France possède une expertise reconnue en matière de vaccins ; notre pays applique une véritable politique vaccinale avec la mise en place d’un calendrier exigeant pour protéger au mieux la population. D’autre part, et Gilbert Barbier le soulignait, les résultats ne sont pas à la hauteur de ce dispositif : un discours protestataire trouve un écho favorable auprès des Français pour rejeter des vaccins à l’efficacité vérifiée et douter de l’utilité de la vaccination. La situation est inquiétante dans un pays où, chaque année, le tétanos cause encore des décès et où la tuberculose frappe des milliers de personnes.
À titre personnel, j’estime que certaines décisions en matière de vaccination ont été catastrophiques. Selon moi, la suppression de l’obligation de vaccination par le BCG contre la tuberculose a été une grave erreur, même si la mutation du bacille a diminué l’efficacité du vaccin.
Ainsi, malgré la qualité de notre système de santé en la matière, le bilan de notre politique vaccinale est loin d’être satisfaisant. Selon la Cour des comptes, les objectifs vaccinaux établis dans une perspective quinquennale, en annexe de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, ont été définis « de manière trop uniforme » et leur degré de réalisation a été décevant, dans le cadre national comme au regard des comparaisons internationales. L’objectif de couverture de 95 % de la population générale n’a été que « partiellement évaluable ». Mais lorsqu’il est intégralement mesurable, comme pour la vaccination des enfants de deux à six ans, l’objectif n’est que partiellement atteint. Les points noirs sont le très faible taux de vaccination contre l’hépatite B et l’insuffisance des primo-vaccinations contre la rubéole, les oreillons et la rougeole, qui distinguent négativement notre pays dans les comparaisons internationales.
Madame la ministre, le ministère de la santé vient de publier un nouveau calendrier vaccinal simplifié. Vous l’avez précisé dans votre intervention, ce dont je vous remercie.
Par ailleurs, le taux de couverture contre la grippe saisonnière est inférieur dans tous les groupes cibles – ALD, professionnels de santé, plus de soixante-cinq ans – à 75 %. Pouvez-vous nous expliquer comment le Gouvernement entend redéfinir les objectifs spécifiques par type de population fragile ?
Pour illustrer la complexité de la définition et de la mise en œuvre de la politique vaccinale, permettez-moi de revenir sur la campagne de vaccination de 2009 contre la grippe A H1N1.
À l’occasion du bilan de la campagne, j’ai présenté, sous la présidence de François Autain, un rapport d’information sur l’étude de la Cour des comptes, qui était plus particulièrement ciblé sur les fonds utilisés. Cela m’a permis d’analyser les faiblesses de l’organisation de la communication interministérielle. Le plan national « Pandémie grippale » ne prévoyait aucune mesure ni procédure de définition d’une stratégie de communication. Toutefois, la communication centrée sur l’information du public et la promotion des gestes barrières ont été efficaces durant les premières phases de la crise. En revanche, l’absence de fichier des coordonnées téléphoniques ou électroniques des médecins m’est apparue stupéfiante. La Cour avait suggéré que les agences régionales de santé, les ARS, élaborent ce type de fichier. Madame la ministre, y a-t-il eu des mesures en ce sens ?
En outre, nous avons constaté l’insuccès des efforts déployés pour convaincre les Français de se faire vacciner. Le manque de réactivité de la communication gouvernementale, en particulier pour contrer les rumeurs véhiculées sur internet, a accentué ce problème. Il y a eu aussi des maladresses. Tandis que l’on défendait l’innocuité des vaccins adjuvés, on annonçait que les personnes fragiles recevraient des vaccins sans adjuvant.
Je rappelle qu’aucune publication n’a fait état de la dangerosité du vaccin H1N1 pour les populations. Le vaccin a eu quelques répercussions néfastes sur certains rares malades, comme n’importe quel type de médicament. Cependant, nous pouvons penser que, à partir du moment où les Français avaient décidé que la vaccination était inutile, il n’y avait pas grand-chose à faire pour les convaincre du contraire. Il est même à craindre que l’insistance des messages gouvernementaux n’ait contribué à aggraver leur défiance à l’égard de la parole publique. Nous devons impérativement tirer les leçons de cette période pour définir une politique de communication adaptée à ce type de circonstances à l’avenir. Madame la ministre, le Gouvernement a-t-il conçu une politique de communication de crise ?
Enfin, de mon point de vue, le fait d’écarter les médecins de la campagne de vaccination a constitué une erreur fondamentale. L’opinion n’a pas compris cette décision, ce qui a aggravé son échec. Pendant cet épisode, les pouvoirs publics n’ont pas fait confiance à ces praticiens. Résultat : un échec flagrant et une défiance encore plus grande de la population envers la vaccination.
Pour restaurer la confiance des Français envers la vaccination, nous devons commencer par restaurer la place du corps médical dans cette politique de santé. Il n’est qu’à voir a contrario le succès de la vaccination antipneumococcique, recommandée et pratiquée par les médecins. Il est donc urgent de redonner à ces derniers toute leur place dans la politique de santé publique. Le corps médical doit être formé à cela.
Madame la ministre, dans votre intervention, vous avez parlé aussi de délégation de tâches aux infirmiers, aux sages-femmes ou aux pharmaciens. Cet après-midi, nous avons commencé à travailler sur le sujet avec Catherine Génisson. Dans certaines ARS, ces délégations sont appelées « protocoles de coopération ». Cela vient après la prise de conscience d’un souci majeur : la désertification médicale et l’absence de revalorisation de l’acte médical depuis des années.
Je conclurai en remerciant M. le rapporteur d’avoir tenu compte de nos observations en commission des affaires sociales sur l’obligation vaccinale. Le vaccin est un enjeu fondamental de santé publique qui transcende les clivages partisans. Nous devons donc démontrer sa nécessité et convaincre les Français de son efficacité. Nous ne pouvons pas nous permettre des échecs récurrents de notre politique vaccinale, compte tenu des enjeux.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées du groupe socialiste . – M. Gilbert Barbier applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le constat est sans appel : la politique vaccinale française rencontre des insuffisances importantes et en grand décalage avec les pays voisins.
La première difficulté semble provenir du fait que notre médecine est principalement préoccupée par le soin, et non par la prévention. Or, cela a été rappelé, la vaccination fait partie du champ de la prévention.
Par ailleurs, la crainte de la poliomyélite ou de la tuberculose diminue, car ces maladies sont moins fréquentes ou concernent seulement certains types de population. Globalement, le risque diminue, la vigilance se relâche et l’intérêt du vaccin devient moins évident pour la population. C’est regrettable !
Dans la période où la vaccination était obligatoire et où les prestations familiales étaient liées à la vaccination effective des enfants, la France assurait une bonne couverture vaccinale des enfants. Aujourd’hui, nous sommes dans une politique vaccinale globalement incitative avec quelques obligations liées à la vie en collectivité ou à un déplacement à l’étranger. Pour le reste, chacune et chacun gère sa vaccination comme il peut, et presque comme il veut.
Or le sens même de la vaccination, et les campagnes comme la « semaine européenne de la vaccination », qui se déroule actuellement, sont là pour le rappeler, est que le vaccin protège individuellement et collectivement. Il s’agit de poser un acte individuel en lien avec un risque de contagion collectif. Comment mobiliser la population sur cette double nécessité ? C’est probablement sur ce point que nous devons travailler dans la mesure où nous faisons le choix… du libre choix.
Mais, surtout, la question primordiale de la vaccination est très liée à celle du suivi des vaccinations. Vous avez souligné ce problème, madame la ministre : qui est sûr d’être à jour avec ses dates de vaccins ou de rappels ? Qui ne s’est jamais refait vacciner ne sachant plus où il en était ? Car, il faut bien l’admettre, après la période des inscriptions dans le carnet de santé d’un enfant, il n’y a plus de possibilité d’avoir une vision longitudinale de l’état de ses vaccinations. Parfois, la médecine du travail assure cette vigilance ; parfois, le médecin traitant s’en charge également ; mais, parfois, personne ne s’en occupe ! C’est lors d’un accident ou d’une hospitalisation que la personne est interrogée par rapport au tétanos ou à la tuberculose.
La question du suivi est donc centrale pour mobiliser ou remobiliser les personnels de santé et les citoyennes et les citoyens sur le sujet. Nul doute que l’instauration d’un carnet vaccinal individuel électronique permettrait aux usagers, tout en respectant leur liberté individuelle, de connaître l’état de leur vaccination, d’accéder à des informations et de connaître la date des rappels, voire de recevoir des alertes par exemple. Ce système pourrait être adossé à la carte Vitale et ainsi consultable en pharmacie, chez le médecin ou à domicile.
Le dispositif aurait également pour mérite de permettre une approche statistique fiable et régulière de la situation de notre pays, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, loin s’en faut. Ce n’est pas un sujet mineur : quand on cherche à améliorer la couverture d’une population, encore faut-il connaître la situation de départ et mesurer régulièrement les effets de la politique conduite.
Mais, comme le souligne la Cour des comptes, l’amélioration de la couverture vaccinale suppose la formation et la mobilisation, aujourd’hui insuffisantes, des professions de santé sur l’approche préventive.
Nous devons poser la question de l’engagement des professionnels médicaux, mais aussi paramédicaux – infirmiers, sages-femmes, … – en faveur de la vaccination. Aujourd’hui, en France, 80 % à 90 % des vaccinations sont effectuées par les médecins libéraux, qui y accordent un intérêt tout relatif à en croire les données statistiques. Or, à l’étranger, lorsque la vaccination est confiée aux infirmiers – c’est le cas en Angleterre, en Espagne ou au Québec –, les résultats sont probants. Nous pourrions imaginer en France une collaboration étroite entre le pharmacien, qui délivre le vaccin sur prescription médicale et l’inscrit sur le carnet vaccinal du patient, et l’infirmier exerçant en libéral ou dans un centre de soins, un établissement scolaire ou universitaire, un centre de protection maternelle et infantile ou de médecine du travail, qui assure l’injection et complète le carnet.
J’en viens aux populations dites « à risque ». Il serait également intéressant de procéder aux vaccinations des bébés, voire de leurs mères lors de leur séjour à la maternité. Car la vaccination fait partie des actes simples et les risques sont plutôt bien identifiés. Nombre d’infirmiers gèrent déjà des protocoles de soins nettement plus complexes liés à des pathologies lourdes, comme les diabètes ou les cancers. Ils pourraient se voir confier les vaccinations, sous réserve d’intervenir sur prescriptions médicales et d’être rattachés à un médecin coordonnateur en cas de question ou de difficulté. Une telle option permettrait, me semble-t-il, de gagner en efficacité tout en préservant le budget de la sécurité sociale.
L’ouverture à ce type de professionnels permettrait également de contourner les difficultés des usagers situés dans les secteurs géographiques qualifiés de déserts médicaux. Je souscris à l’idée de lancer des expérimentations en ce sens sur quelques régions de métropole et d’outre-mer à l’occasion de la mise en œuvre du nouveau calendrier vaccinal. Cette approche permettrait également de sensibiliser ces professionnels à la nécessité de se vacciner eux-mêmes, en respect des malades qu’ils accompagnent, car nous ne pouvons que déplorer aujourd’hui leur faible niveau de vaccination.
Enfin, je crois que l’adhésion de la population à la démarche de vaccination se gagne surtout autour des enfants. Protéger les enfants est un souci permanent pour les parents. Une bonne information en période de grossesse et de suivi des enfants jusqu’à l’âge de six ans est, en ce sens, déterminante. Les centres de PMI jouent, à ce titre, un rôle prépondérant, ils le prouvent notamment dans les secteurs géographiques sans pédiatres. Leur intervention en école maternelle leur permet également d’informer les parents en direct.
Il serait intéressant de les associer, en outre, à l’élaboration des supports et messages de communication afin de favoriser la prise de conscience de l’entourage de l’enfant sur la protection apportée à ce dernier par sa propre vaccination, ainsi que celle de ses proches. La perte de vigilance, voire la résistance à la vaccination, se compte en vies humaines. J’en veux pour preuve les enfants qui meurent encore de rougeole ou de coqueluche en France, qui ne sont pas nécessairement toujours issus d'une population précaire.
Je partage l’idée que des campagnes d’information générales ou ciblées, avec retours d’informations sur l’efficacité des vaccins, le rapport risque-efficacité, permettraient de remobiliser les Françaises et les Français sur leur vaccination et de faire évoluer les mentalités en la matière, ce qui est un élément essentiel pour la santé publique.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l’UMP.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi au préalable de remercier M. le rapporteur de sa contribution remarquable à un débat difficile, mais fondamental, que nous retrouverons d’ailleurs dans la future loi de santé publique, à savoir l’appropriation de la vaccination par nos concitoyens. En effet, celle-ci est souvent perçue comme un problème technique et logistique, alors que nombre d’échecs de campagnes de vaccination sont dus à des résistances humaines.
En septembre dernier, deux tiers des Français s’étaient déclarés hostiles à se faire vacciner contre la grippe. Plus de la moitié d’entre eux estimaient même que les vaccins pouvaient être risqués pour leur santé. Dans ces conditions, les conclusions présentées en février dernier par la Cour des comptes sur la politique vaccinale n’ont rien de surprenant. Les résultats sont « médiocres », et la France se situe parmi les mauvais élèves en termes de vaccination par rapport aux pays comparables. Depuis 2008, la vente de vaccins a d’ailleurs baissé de 12 % en unités et de 30 % en valeur.
Les débats qui ont entouré la campagne de vaccination mise en place par les pouvoirs publics dans le cadre de la lutte contre la pandémie de grippe A HIN1 en 2009 ont été illustratifs de l’échec d’un modèle de politique vaccinale : une politique aveugle menée sans l’appui technique des professionnels de santé. C’est même devenu un cas d’école d’absurdité en matière de formation des décideurs publics dans les universités anglo-saxonnes. En effet, il faut intégrer qu’aucune politique de vaccination ne pourra se faire sans les professionnels de santé. C’est ce que nous a montré la gestion publique de cette pandémie.
Dans le cas de la grippe A à l’automne 2009, la politique sanitaire envers cette pandémie avait été conçue et organisée sans que les professionnels de santé soient initialement associés à cette préparation. Cette exclusion résultait alors d’un monopole établi entre les scientifiques, l’administration et les entreprises pharmaceutiques. Les autorités sanitaires justifièrent ce choix en arguant de la pertinence des centres de santé mis en place pour vacciner soixante millions de personnes au plus vite, sous le contrôle des préfets. Nous avions critiqué cette affaire en son temps.
Sur le papier, l’idée pouvait paraître séduisante. Dans les faits, cette décision, unique au regard de nos voisins, allait être source de graves dysfonctionnements. L’administration a considérablement sous-estimé le rôle historique des professionnels de santé auprès des populations. Leurs mises à l’écart ont entraîné de fortes réticences chez nos concitoyens à se faire vacciner, d’autant que certains patients, effrayés par des rumeurs relayées par les médias, exigèrent que les médecins prennent leurs responsabilités.
Ce n’est qu’à partir du 13 janvier 2010 que la ministre de la santé prit acte de son échec : constatant que 8, 5 % de la population était vaccinée pour un objectif initial de 75 %, elle décida de permettre aux médecins généralistes de participer à la vaccination et de mettre fin aux centres de santé dédiés. Malheureusement, il était trop tard, le pic de la pandémie grippale avait été atteint au début de décembre 2009.
Quelques erreurs avaient, en outre, alimenté la contestation : médecins réquisitionnés d’autorité par des gendarmes, mauvaise recommandation du ministère de l’intérieur sur le fractionnement de l’acte de vaccination, centres de vaccination tantôt déserts, tantôt embouteillés, refus de candidats non munis d’un bon, etc.
Enfin, les erreurs du gouvernement d’alors sont apparues ruineuses pour les contribuables : 208 millions d’euros supplémentaires furent déboursés par rapport à l’estimation originellement prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Cela est cher payé quand, un an plus tard, l’Institut de veille sanitaire estima à 312 le nombre de décès liés au virus H1N1 en France, contre 4 000 à 6 000 pour une épidémie de grippe saisonnière classique.
Les acteurs de terrain, eux, ne se sont pas trompés et ont mis en place spontanément une réponse plus adaptée à la réalité de la maladie. Les praticiens libéraux ont ainsi encouragé les personnes à risque à se faire vacciner, tout en soulignant l’inutilité d’une vaccination générale de l’ensemble de la population.
En cela, je partage pleinement le constat émis dans le rapport de M. Labazée, qui s’étonnait que les politiques publiques de santé n’aient pas perçu ou, en tout cas, pas pris en compte le rôle important des médecins de proximité dans la réussite d’une action en matière de vaccination. En effet, le médecin généraliste est souvent le premier interlocuteur, celui qui connaît les problèmes de son malade. Cette proximité lui permet d’anticiper bien des difficultés rencontrées par ceux qui font appel à lui.
Nous pensons, en particulier, à la prévention de la maladie du tétanos. Celui-ci a reculé de façon régulière en France dans la dernière moitié du XXe siècle, passant de trois cents cas par an en 1975 à moins de quatre en 2012. Or aucune communication préventive des pouvoirs publics n’a été faite à ce sujet. Ce sont les médecins généralistes qui ont incité les patients à se faire vacciner.
Inversement, la campagne massive de vaccination contre l’hépatite B déclenchée à partir de 1994 a été menée à grands renforts publicitaires adressés à l’ensemble de la population. Pourtant, la communauté médicale avait alerté, dès le début des années 1970, des conséquences que pouvait avoir cette pratique sur des publics à risque, comme les personnes ayant des antécédents de maladie auto-immune. Elle n’avait pas tort : quinze ans plus tard, le laboratoire GlaxoSmithKline était condamné à verser près de 400 000 euros à une jeune femme vaccinée et atteinte d’une sclérose en plaques.
Récemment, plusieurs professeurs de médecine ont interpellé les pouvoirs publics sur l’utilisation des sels d’aluminium comme adjuvants dans les vaccins. Le rapport en fait état. Ceux-ci sont censés stimuler le pouvoir immunogène de la vaccination et assurer une protection suffisante du receveur. Or plusieurs enquêtes de suivi sur les patients ont montré les risques de formation de myofasciite à macrophages. Plusieurs d’entre eux semblent souffrir d’une importante fatigue chronique, de douleurs très invalidantes et de troubles de la mémoire et du sommeil. Le groupe parlementaire d’études sur la vaccination de l’Assemblée nationale avait ainsi recommandé, en mars 2012, la mise en place d’un moratoire sur l’utilisation de l’aluminium dans les vaccins « en attendant de recueillir davantage de données scientifiques sur ses conséquences éventuelles, en particulier dans les cas de vaccinations d’enfants en bas âge et de vaccinations répétées ». Nous attendons de connaître votre position à ce propos, madame la ministre.
Les trois préconisations du rapport Labazée sont pertinentes en matière d’intégration des médecins dans l’évolution de la politique vaccinale en France. C’est la raison pour laquelle nous les ferons nôtres.
Tout d’abord, pour restaurer la confiance en la vaccination, commençons par réaffirmer la place du corps médical dans cette politique de santé. Selon une enquête récente, 98 % des Français déclarent avoir « confiance » en leur médecin de famille. Pour l’immense majorité des patients, le médecin généraliste est « à leur écoute » et « compétent ». Cette vision idyllique est néanmoins pondérée par « un patient sur deux » qui lui reproche « une connaissance insuffisante de son passé médical ». À cet égard, l’idée d’un carnet vaccinal électronique va dans le bon sens.
Ensuite, deuxième préconisation de ce rapport, faisons mieux connaître la vaccination auprès des professionnels de santé. Celle-ci apparaît en effet fondamentale. Monsieur le rapporteur, vous affirmez que, « au cours des études médicales et d’infirmière, la part faite à la vaccination semble devenue trop peu importante pour susciter l’adhésion […] des jeunes professionnels qui […] se font très peu vacciner et ont dès lors tendance à peu vacciner eux-mêmes ».
Cette assertion est vraie, mais doit être complétée : les vaccins obéissent à une relation bénéfice-risque qui doit être régulièrement réexaminée. Cela est d’ailleurs le cas de tout médicament. Il a fallu attendre plus de quarante ans pour connaître exactement les effets secondaires des vaccins coquelucheux acellulaires, tels que les affections neurologiques – encéphalopathies aiguës, encéphalites et encéphalomyélites – chez de rares patients, il est vrai. C’est donc la formation continue des professionnels de santé qu’il faut repenser dans sa globalité.
Enfin, troisième préconisation, je terminerai sur le libre choix des médecins. Il leur incombe non seulement de faire primer la prévention sur le curatif, mais également – j’y insiste – de leur laisser le choix du produit le mieux adapté à la singularité de leur patient. Les deux sont indissociables. Aussi, il faut certes parler des risques de santé, mais avec lucidité et modération. On ne peut parler seulement des risques. L’aspirine peut tuer, mais pour des millions de Français, ses bénéfices sont indispensables.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaiterais moi aussi remercier notre collègue Georges Labazée pour son intéressant rapport. Alors qu’avec Ronan Kerdraon, nous achevions celui sur la sécurité sociale et la santé des étudiants, il m’a permis de mieux faire le lien avec la problématique de la vaccination des étudiants. C’est d’ailleurs le premier point que je veux aborder.
Au cours des auditions que nous avons effectuées pour notre rapport, les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé, les SUMPPS, ont appelé notre attention sur l’une de leurs activités essentielles, à savoir la vaccination.
Tant que le service militaire existait, la moitié de la population jeune était médicalement suivie. Ce n’est plus le cas. Selon le SUMPPS de Rouen, par exemple, 23 % des étudiants vus n’étaient pas à jour de leur vaccination ou étaient incapables de fournir leur carnet.
Si les étudiants français sont supposés avoir suivi le calendrier vaccinal, ce n’est pas le cas pour leurs camarades étrangers. En effet, il existe deux cas de figure.
Pour les Erasmus, les étudiants provenant de l’espace économique européen, qui n’ont pas besoin de visa, la vérification de leur statut vaccinal peut avoir lieu au cours de la visite médicale « classique », c’est-à-dire parfois après trois années d’études en licence ; pour ceux qui sont inscrits en master et en doctorat, aucune visite n’est obligatoire.
Cela signifie que l’état vaccinal des étudiants étrangers non soumis à une demande de visa n’est que rarement vérifié, alors que plusieurs cas de tuberculose multirésistante en provenance des pays de l’Est ont été signalés. De plus, l’obligation existe dans très peu de pays. Si l’Italie a un régime proche de celui de la France – nos trois vaccinations obligatoires, plus l’hépatite B –, au Portugal, il n’y a aucune obligation pour la poliomyélite, alors que, en Belgique, c’est la seule vaccination obligatoire.
Pour un étudiant soumis à visa, la visite médicale auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, impose une vérification de son statut vaccinal afin que celui-ci soit conforme à la législation française. Cette vérification peut être faite par un SUMPPS conventionné avec l’OFII. Ces étudiants seraient donc mieux suivis, et ce dès leur arrivée, si j’ai bien compris le système qui me paraît très compliqué.
La France est désormais, avec 290 000 étudiants internationaux, le cinquième pays d’accueil dans le monde. La majorité, soit 27 %, est issue du Maghreb, 23 % viennent d’Europe, donc sans visa, 20 % d’Asie et 7 % d’Amérique. L’effectif des étudiants chinois a lui été multiplié par deux en dix ans. Il faut savoir que les ambitions récemment affichées par la ministre de l’enseignement supérieur sont d’accroître le nombre d’étudiants étrangers et de favoriser l’accueil de ceux qui viennent des pays émergents.
Vous avez annoncé, et je m’en réjouis, car cela fait partie des préconisations de notre rapport sénatorial sur la santé des étudiants, que davantage de SUMPPS deviendraient des centres de soins. Ne faut-il pas faire en sorte que le contrôle et la vaccination de tous les étudiants soient obligatoires dès la première année, et peut-être imposer des vaccinations, comme le BCG, pour les étudiants provenant de pays à risque qui peuvent contaminer leurs camarades ?
En 2009 et 2010, les SUMPPS ont vacciné 13 020 étudiants, soit 1 % seulement du nombre d’étudiants relevant des SUMPPS, qui gèrent les seules universités.
La vie étudiante constitue un moment de rupture dans le suivi médical du jeune, tant le Français, qui n’a souvent plus de médecin traitant, que l’étranger.
J’aimerais savoir, madame la ministre, si vous entendez mettre davantage l’accent sur cette population dont ce sera souvent le dernier contact pour assurer le suivi de vaccinations. Pourquoi aussi ne pas proposer, avec la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, lors de l’inscription en faculté, une vérification des vaccinations ? Même sans contrôle du carnet, cela pourrait conduire les étudiants et leurs familles à vérifier où ils en sont.
Cela me conduit à mon deuxième point, la tuberculose, que je croyais, pour ma part, quasiment éradiquée en France.
La tuberculose reste une pathologie infectieuse lourde, parfois mortelle. Sans évoquer les cas très graves d’étrangers atteints de forme de tuberculose multirésistante évoqués dans la presse, je citerai les cas diagnostiqués dans mon département : huit cas dans des lycées et un cas dans une école maternelle, à Choisy-le-Roi. En outre, des dépistages sont organisés régulièrement, comme cet hiver au lycée Maximilien-Perret d’Alfortville.
N’étant pas spécialiste de ces questions, j’aimerais, madame la ministre, vous poser une question : peut-on lier la réapparition de cette maladie au fait que, depuis 2006, le vaccin BCG n’est plus obligatoire en France ? En effet, il fait désormais partie des vaccins « recommandés » uniquement pour les enfants « à risque ».
Si l’on regarde de plus près les chiffres de l’InVS, on constate que, si le nombre de cas augmente peu, la tuberculose ne recule pas. Le taux le plus élevé du pays se situerait en Île-de-France, avec 16, 3 cas pour 100 000 habitants. Cela semble logique, compte tenu de l’importance de la population vivant dans la région et des flux migratoires. Les malades étrangers qui s’ignorent porteurs du bacille sont susceptibles de contaminer de très nombreuses personnes, en particulier dans les transports en commun.
Madame la ministre, les services de santé ont-ils pu vérifier les conséquences de la fin de l’obligation de vaccination BCG sur le nombre de cas de tuberculose, notamment dans les établissements scolaires ?
Il me semble que classer l’Île-de-France en territoire « à risque » et en faire une région de vigilance accrue pour l’évolution de la tuberculose serait pertinent. Le département du Val-de-Marne, dont nous sommes élues avec Laurence Cohen, pourrait servir de département « test » dans lequel des campagnes de vaccinations BCG gratuites seraient menées dans les établissements scolaires, y compris dans les universités. On pourrait ainsi mieux en mesurer l’impact.
Pour que les Français se vaccinent, encore faudrait-il – vous l’avez dit, madame la ministre, ainsi que plusieurs orateurs – que les professionnels de santé consultés par les Franciliens soient vaccinés régulièrement.
Près d’un quart des Français éprouvent de la défiance à l’égard des vaccins. Il faudrait certainement rappeler que la vaccination n’est pas « à la carte », que les vaccins protègent et qu’ils seront aussi prochainement curatifs. Les professionnels de santé sont les plus à même de diffuser ce message ; encore faut-il les en convaincre !
Une étude britannique, publiée bien avant le rapport de Georges Labazée, et portant sur le lien entre les patients et leurs médecins, a ainsi démontré que la moitié des patients d’un médecin vacciné contre la grippe l’étaient eux-mêmes. Si, en France, 90 % des médecins sont bien à jour de leurs vaccins obligatoires, les taux sont nettement plus faibles pour les vaccins recommandés. Il conviendrait donc de rechercher les moyens d’inciter les médecins à montrer l’exemple.
La santé des médecins, notamment libéraux, est rarement ciblée dans les programmes de santé publique. Comptez-vous mener une action en ce sens ? Cela permettrait aussi une meilleure maîtrise des dépenses de santé. Rappelons qu’en 2013, en France, la grippe saisonnière coûtera 40 millions d’euros à l’assurance maladie, qu’elle a touché 3 millions de personnes et en a tué 6 000, plus que les accidents de la route.
La seule solution, nous en sommes convaincus, est la vaccination préventive. Or seulement 11 % des infirmières salariées et 3 % des libérales se sont fait vacciner cette année. Comment les professionnels de santé peuvent-ils alors convaincre les Français de le faire ?
À moyen terme, nous ne pourrons pas faire l’impasse d’un débat sur l’obligation de la vaccination pour les personnels de santé. Là encore, pourquoi ne pas évaluer à titre expérimental sur un département le rapport coût-bénéfice en proposant une vaccination grippale gratuite, quel que soit l’âge ? On pourrait ainsi comparer, l’année suivante, les coûts de prévention avec ceux engendrés par la grippe, comme le préconise la Cour des comptes.
Enfin, il y a de gros progrès à faire chez les futurs professionnels de santé, car ils sont aussi mal vaccinés que ceux qui exercent déjà. Je soutiens donc pleinement la proposition de Georges Labazée de susciter l’adhésion des étudiants et d’augmenter la part consacrée à la vaccination au cours des études.
En conclusion, je crois sincèrement à l’utilité des applications sur internet et smartphone, qui pourraient inciter chacun à mieux se prendre en charge. Ne pourriez-vous, madame la ministre, en attendant de faire des réformes plus importantes, lancer un concours de la meilleure application ? Il en existe déjà, mais l’une d’entre elles pourrait obtenir un label du ministère. Vous inciteriez ainsi les jeunes à suivre leur carnet de vaccination.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier le rapporteur de la commission des affaires sociales, Georges Labazée, pour son excellent rapport. Nombre d’excellentes choses ayant été dites, j’interviendrai de manière cursive.
Le 29 janvier dernier, je posais une question orale sur ce grave problème de l’utilisation des sels d’aluminium comme adjuvants vaccinaux et sur ses conséquences en matière de santé publique. Je rappelais l’arrêt rendu par le Conseil d’État en novembre dernier sur le lien reconnu et établi entre la myofasciite à macrophages et la vaccination. Il faut savoir que cet adjuvant est également mis en cause dans d’autres pathologies graves, comme l’autisme, selon une publication du Massachusetts Institute of Technology.
Dans sa réponse, Mme la ministre chargée des personnes âgées et de l’autonomie faisait part du souhait du Gouvernement « d’engager des travaux supplémentaires de recherche ». C’est bien évidemment avec beaucoup d’espoir que nous avons pris connaissance de la mise en place du comité scientifique de haut niveau chargé de la recherche sur cette question de l’adjuvant vaccinal.
Après cette indispensable première étape, nous souhaiterions savoir dans quels délais le Gouvernement entend répondre à l’attente légitime de très nombreuses familles en droit de pouvoir faire le choix d’une protection vaccinale sans sels d’aluminium.
Jusqu’à la décision de suspension du vaccin DT-Polio sans aluminium en 2008, les familles disposaient d’un tel choix. Les possibilités légales et techniques existent pour la fabrication de ces vaccins. Il s’agit là d’un combat de santé publique destiné à protéger les générations à venir.
Nous connaissons certes les bienfaits de la vaccination, qui a permis de sauver des millions de vies, mais il nous faut aujourd’hui appréhender justement la problématique de l’aluminium, sous deux angles : la recherche doit bénéficier de financements appropriés aux enjeux ; un vaccin sans aluminium doit être mis à disposition des familles qui souhaitent en bénéficier, comme c’était le cas jusqu’en 2008.
Tout en vous assurant de ma confiance, je vous remercie, madame la ministre, de bien vouloir nous donner un éclairage sur les mesures que le Gouvernement compte prendre à cet égard.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je joins également mes félicitations à celles déjà adressées à Georges Labazée pour la qualité de son rapport.
En France, l’arrêt de la transmission, voire l’élimination de certaines maladies ont été possibles grâce au recours à la vaccination, à la fois pour se protéger mais aussi pour protéger les plus fragiles, qui, du fait de leur âge ou de leur état de santé, ne peuvent être vaccinés.
Selon le rapport de la Cour des comptes, communiqué à notre commission en octobre dernier, la politique vaccinale enregistre des résultats contrastés : satisfaisants pour la couverture vaccinale des maladies traditionnelles à vaccination obligatoire, insuffisants pour la rougeole, comme en témoigne la résurgence de cette maladie entre 2008 et 2011, et très insuffisants en ce qui concerne l’hépatite B et le cancer du col de l’utérus, pour lesquels les objectifs fixés ne sont pas atteints.
Malgré un bilan contrasté, la vaccination reste l’un des grands succès des politiques de santé publique. Des millions de vies ont pu être sauvées grâce à un geste, celui de la prévention. C’est pourquoi il apparaît nécessaire d’engager des actions d’envergure à destination du grand public, afin de développer une culture de la prévention. En effet, la réussite des programmes de vaccination et l’amélioration de l’état de santé ne seront efficaces qu’à la condition de trouver une opinion publique réceptive.
Trop souvent, l’opinion publique doute de la sécurité des processus de production et en craint les effets secondaires. On a également vu apparaître, ces dernières années, un questionnement autour de la vaccination ; c’est le cas du rejet du vaccin contre l’hépatite B, propre à la France, en raison des soupçons de déclencheur de la sclérose en plaques qui ont pesé sur lui. Il faut donc combattre les préjugés et redonner confiance.
Par ailleurs, notons que la disparition progressive d’une maladie grâce à son vaccin tend à inverser le rapport bénéfice-risque de la vaccination, qui ne suscite plus alors le même intérêt. Ainsi, la vaccination peut être « victime » de son succès. Cette situation a été observée en Angleterre à la fin des années soixante-dix : la forte diminution de l’incidence de la coqueluche grâce à la mise en œuvre du programme de vaccination a conduit à une diminution progressive du nombre de personnes vaccinées et, de fait, à une recrudescence de la maladie.
Compte tenu de ces premiers éléments, il apparaît nécessaire, dans un objectif de santé publique et d’amélioration de la couverture vaccinale sur le territoire, de convaincre du bien-fondé de la vaccination, d’éduquer à la vaccination et de rassurer. Cela passe par l’amélioration du niveau d’information du grand public, par des actions de communication sur les vaccins, les bienfaits qui en sont attendus, les effets secondaires possibles et l’épidémiologie des maladies contre lesquelles ils protègent. Permettre aux Français de disposer de repères clairs sur les vaccins et ses caractéristiques par la mise en place d’actions d’information, d’éducation pédagogique et de sensibilisation me paraît important.
Comme l’ont souligné les chercheurs auditionnés par notre rapporteur Georges Labazée, il importe d’agir sur la formation des professionnels de santé, notamment les médecins et infirmières qui sont appelés à pratiquer la vaccination.
Il importe également d’agir sur la formation du public. Le rapport de notre collègue insiste également sur ce point.
Une formation à la santé dès l’école sous une forme participative et collective permettant aux enfants de mieux comprendre l’intérêt et l’importance de la vaccination me semble un moyen important de lutter contre la désinformation, notamment celle qui circule sur internet. La mise en place d’un tel enseignement implique aussi une formation des enseignants dédiée à l’éducation à la santé, à la prévention et au vaccin.
Si ces différentes actions de prévention nécessitent d’affecter des moyens supplémentaires, il faut noter qu’une meilleure prévention entraîne des économies. C’est le cas, par exemple, de la diminution du nombre d’arrêts maladie grâce à la vaccination contre la grippe.
La communication est un outil indispensable de la politique vaccinale.
Des campagnes de communication ciblées existent déjà ; je pense à la campagne sur la rougeole réalisée à l’automne 2011. Alors qu’on observait depuis 2009 un triplement annuel des cas de rougeole, une communication réalisée à l’aide de supports divers, tels que des brochures d’information, des annonces radio et diverses interviews, ont provoqué une augmentation significative des ventes de vaccins. Ainsi, 140 000 personnes supplémentaires ont été vaccinées, et un fort recul de la rougeole a pu être constaté en 2012.
Compte tenu des bénéfices observés, il me paraît nécessaire de lancer des actions de communication de manière plus régulière, afin d’informer sur l’intérêt et sur les bienfaits de la vaccination et, ainsi, de restaurer la confiance et les conditions d’un débat apaisé et rationnel.
L’information du public doit également être adaptée aux nouveaux modes de diffusion ; je pense à internet, mais cet outil doit offrir toutes les garanties.
La construction d’une présence pérenne sur internet serait de nature à améliorer la perception des vaccinations dans la population ; c’est d’ailleurs l’une des recommandations de la Cour des comptes, qui a pointé le développement constant d’un discours anti-vaccinal. À titre d’exemple, Doctissimo, le principal site de santé français – il enregistre près de 10 millions de visites par mois –, abrite des forums anti-vaccinaux très actifs.
De même, lorsque l’on tape « info vaccin » sur le moteur de recherche Google, les sites apparaissant les premiers sont ceux de ligues anti-vaccinales françaises, belges et suisses, qui se présentent comme informatives. Aucun site public ne figure en première page. C’est seulement si l’on tape « calendrier vaccinal » que les sites publics apparaissent, mais cette recherche est beaucoup moins intuitive. Les sites publics proposent des informations très institutionnelles, mais peu de réponses pratiques et aucun argumentaire pour contrecarrer la propagande anti-vaccinale n’est disponible. Cette absence de dispositif pérenne pour réagir au discours antivaccinal me paraît particulièrement dommageable.
Pour la Cour des comptes, la mise en œuvre d’une stratégie pluriannuelle de communication sur la vaccination sur Internet et les réseaux sociaux devrait revenir à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES. Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer les suites que vous comptez donner à ces préconisations ?
Par ailleurs, au lieu de créer des mini-sites spécifiques à l’occasion de chaque opération de communication, il serait préférable d’élaborer un site unique, qui permettrait de capitaliser l’audience. À cet égard, l’INPES a précisé à la Cour des comptes qu’elle envisageait la création d’un site grand public dédié à la vaccination. Madame la ministre, pouvez-vous nous faire part de vos intentions en la matière ?
Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la qualité de ce débat atteste de la volonté partagée de faire de la stratégie vaccinale un enjeu majeur de santé publique. Les différentes interventions traduisent une inquiétude, elle aussi partagée, face aux campagnes de désinformation.
Ainsi, madame Deroche, les remarques que vous avez formulées montrent que nous devons aussi savoir adapter nos instruments de diffusion, d’information, de réaction aux technologies modernes. Je pense moins à l’information des Français sur leur smartphone ou sur leur ordinateur qu’à la nécessité de mettre en place sur les réseaux sociaux des stratégies offensives pour valoriser des messages positifs. C’est tout à fait important à mes yeux.
Je souhaite que les pouvoirs publics puissent y travailler, car dans ce domaine, je le reconnais, ils sont en retard et n’ont pas l’agilité requise pour faire face à la propagation de rumeurs, alors que celles-ci peuvent avoir des impacts extrêmement graves.
J’en veux pour preuve ce qui s’est passé au Royaume-Uni. Une rumeur selon laquelle la vaccination contre la rougeole provoquerait l’autisme a enflé. Elle a été attisée par des informations fausses, publiées dans l’une des revues scientifiques les plus connues et les mieux reconnues, que les démentis apportés par cette même revue n’ont pas permis de faire cesser. Cela a entraîné une baisse sensible de la vaccination contre la rougeole et une recrudescence de l’épidémie de rougeole : 800 cas récents ont été enregistrés au seul Pays de Galles ! On le voit bien, il s’agit là d’un débat tout à fait majeur.
Par ailleurs, il nous faut tirer les leçons de ce qui s’est passé au moment de la pandémie de H5N1. Il est certain que nous devons mieux associer les professionnels de santé et les associations d’usagers aux stratégies de vaccination et, de façon plus générale, aux stratégies en matière de santé publique.
Certains d’entre vous m’ont interrogée sur les pistes que le ministère avait dégagées pour la mise en place d’une stratégie de crise. Nous poursuivons notre réflexion sur la meilleure façon d’associer le plus en amont possible à la fois les professionnels et les représentants des patients en cas de crise ou de risque de crise. Nous savons bien que c’est par l’échange et l’information partagée que nous pouvons le mieux réagir. Il faut mettre en place une pédagogie du risque si nous voulons répondre aux enjeux de santé publique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez également interrogée à plusieurs reprises sur la tuberculose. La question est de savoir si la décision de 2007 de remettre en cause l’obligation vaccinale était susceptible d’avoir eu un impact sur l’apparition de cas de tuberculose, en particulier en région parisienne.
Je tiens à l’affirmer de façon très claire : aujourd'hui, nous ne disposons pas d’études permettant de considérer que cette décision a abouti à la recrudescence de la tuberculose. En revanche, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, certaines personnes qui auraient dû faire l’objet d’une vaccination, parce qu’elles présentaient les caractéristiques suffisantes, n’ont pas été identifiées comme telles et n’ont pas été vaccinées. Je pense en particulier à des enfants. On peut donc faire l’hypothèse que certains cas de tuberculose résistante auraient pu être évités.
Pour l’essentiel, nous observons que les cas de tuberculose sont liés à l’immigration de populations venues surtout d’Afrique et d’Europe de l’Est pour des raisons médicales.
Mme Catherine Procaccia acquiesce.
Madame Procaccia, vous me demandez si la concentration de cas en Île-de-France ne devrait pas conduire à l’instauration d’une politique spécifique en direction de la population francilienne, qui serait non pas le rétablissement de l’obligation vaccinale – j’ai bien compris –, mais un suivi plus attentif des populations concernées. Or tel est déjà le cas aujourd'hui.
Ainsi, une enquête menée par l’INSERM et l’INVS en 2010 a montré que les enfants issus d’un milieu socioéconomique défavorisé, ainsi que ceux qui sont issus de l’immigration résidant en Île-de-France, quel que soit le revenu de la famille, étaient bien identifiés comme présentant un risque élevé de tuberculose. En d’autres termes, en Île-de-France, le repérage des enfants, des familles, des populations devant faire l’objet de stratégies vaccinales particulières a bien eu lieu, ce qui est plutôt satisfaisant.
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous évoqué le sujet des adjuvants dans les vaccins et de l’aluminium en particulier. Je veux vous dire que la sécurité des vaccins qui sont administrés à nos concitoyens est une question tout à fait essentielle.
C'est à ce titre d’ailleurs que, en 2008, le vaccin DTP sans aluminium a été suspendu. Des considérations de sécurité sanitaire ont été à l’origine de cette décision. Avait été observée en effet une augmentation des réactions allergiques sévères conduisant à une hospitalisation : dans 75 % des cas, les réactions allergiques sévères avaient conduit à une hospitalisation ou rendu nécessaire un traitement médical. C’est ce constat qui a poussé au retrait de ce vaccin sans aluminium.
Aujourd'hui, il n’existe pas de vaccin contre la diphtérie et le tétanos sans aluminium. J’ai demandé à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, si l’on en trouvait dans les autres pays européens : elle a répondu par la négative. Dans ce contexte, comme vous l’avez souligné, je me suis engagée à ce que la recherche se poursuive. Il est en effet nécessaire que nous puissions réfléchir à des stratégies de remplacement, le cas échéant.
Peut-on dire aujourd'hui que les vaccins contenant de l’aluminium comme adjuvant représentent un danger, un risque pour la santé ?
Certains d’entre vous l’ont souligné, les vaccins sont des médicaments et, comme tout médicament, ils peuvent entraîner des effets secondaires, qui sont parfaitement identifiés et limités. Aujourd'hui, nous savons que l’aluminium contenu dans les vaccins peut être à l’origine d’une lésion focale au niveau du point d’injection, qui constitue la myofasciite à macrophages. L’effectivité de cette réaction possible n’est pas remise en question. Aucun élément scientifique ne permet toutefois d’affirmer que cette atteinte secondaire, ce risque qui existe, serait responsable d’un syndrome clinique identifié et problématique.
Le débat sur les adjuvants reste donc ouvert. Néanmoins, rien n’étaye l’hypothèse selon laquelle l’administration de ces vaccins entraînerait un risque important allant au-delà de la réaction locale momentanée.
Vos questions ont également porté sur le comité de pilotage dont j’avais annoncé la mise en place. Présidé par l’INSERM, il est constitué et tiendra sa première réunion le 27 mai prochain. Les associations concernées, dont l’association E3M, Entraide aux malades de myofasciite à macrophages, seront auditionnées.
C’est en toute transparence que le travail d’échange et d’évaluation collective se mène. Je veux être rassurante sur les effets de cette vaccination. Pour autant, la recherche doit se poursuivre, car, si d’autres perspectives sont envisageables, elles devront évidemment être étudiées, sous l’égide, je le répète, de l’INSERM. L’ensemble des acteurs souhaitant participer à cette réflexion pourront le faire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie encore une fois de la qualité de ce débat et de votre contribution à cette exigence de santé publique que constitue la vaccination.
Applaudissements.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la politique vaccinale de la France.
J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (n° 441, 2012-2013), dont la commission de la culture, de l’éducation et de la communication est saisie au fond est renvoyé pour avis, à leur demande, à la commission des affaires sociales et à la commission des finances.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Charles Guené.