Ces engagements forts du Président de la République, les divers rapports évoqués et l’impérieuse nécessité d’agir devant l’ampleur des enjeux m’ont conduit à rédiger, avec le soutien de mes collègues du groupe écologiste, une proposition de loi. En tant que consommateurs, citoyens et sénateurs écologistes, nous ne pouvions pas rester inactifs face à une telle situation. Le droit d’utiliser des produits durables, de qualité et réparables doit être garanti pour tous les consommateurs.
J’ai voulu m’engager dans une démarche positive, c’est-à-dire visant à l’allongement de la durée de vie des produits, plutôt qu’à la diabolisation des entreprises. Cette proposition de loi est le fruit d’un long travail de réflexion et d’audition des différents acteurs concernés. Je souhaite vous exposer nos propositions afin de faire avancer ce débat et de mettre en évidence des alternatives possibles qui, j’en suis sûr, ne manqueront pas d’intéresser M. le ministre, notamment au regard de l’élaboration du projet de loi sur la consommation à venir.
Tout d’abord, il faut définir un cadre juridique, afin de sanctionner les pratiques malhonnêtes de certains fabricants et d’offrir un recours aux consommateurs lésés, notamment dans le cadre des class actions, dont nous avons parlé ensemble, monsieur le ministre.
Je vous propose de retenir la définition juridique suivante : « L’obsolescence programmée est l’ensemble des techniques par lesquelles un fabricant ou un importateur de biens vise, notamment par la conception du produit, à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation potentielle de ce produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. »
Ensuite, l’une des mesures phares, c’est l’extension progressive de la durée légale de conformité à cinq ans, au lieu de deux ans actuellement. L’objectif serait même, à terme, de porter cette durée à dix ans, comme le souhaitait le Président de la République. Le fabricant aura ainsi intérêt à produire des biens plus durables, tandis que le consommateur n’aura pas intérêt à renouveler l’achat avant la date d’expiration de la garantie.
La loi française en vigueur résulte de la transposition d’une directive européenne, votée en 1999, aux termes de laquelle la responsabilité du vendeur est engagée lorsqu’un défaut de conformité apparaît dans les deux ans à compter de la vente du bien.
Cette même directive autorise les États qui le souhaitent à adopter des mesures plus strictes, afin d’assurer un niveau de protection plus élevé du consommateur. Les dispositions de notre proposition de loi ne sont donc pas en conflit avec la réglementation européenne, au contraire. D’ailleurs, le Royaume-Uni, l’Irlande et la Finlande proposent des garanties supérieures, respectivement de six ans et de trois ans.
Nous pourrions également allonger de six mois à deux ans la durée de la garantie légale pendant laquelle le consommateur n’a pas à fournir la preuve de la panne, pour une meilleure lisibilité de la garantie et une plus grande protection des consommateurs.
L’augmentation de la durée de vie des produits passe également par la réparation, qui est une importante source d’emplois non délocalisables, devant être étudiée avec la plus grande attention. Ce secteur doit être encouragé par la mise à disposition de pièces détachées essentielles au fonctionnement des produits dans un délai d’un mois, pendant une période de dix ans. De manière générale, il est primordial que les utilisateurs d’équipements électriques et électroniques soient mieux informés sur le réemploi, le recyclage et toutes autres formes de valorisation de ces produits, au travers de la notice d’utilisation, par exemple.
Je propose également de moduler l’éco-contribution, tel un bonus-malus, en fonction de critères permettant un allongement de la durée de vie du produit. Ce point relève du thème plus large de la fiscalité écologique.
Enfin, je souhaite que le Gouvernement présente un rapport sur le développement et les perspectives, en France, de l’économie de la fonctionnalité, forme d’économie complémentaire de l’économie circulaire. En remplaçant la vente du bien par la vente de l’usage de celui-ci, les entreprises sont incitées à concevoir des produits ayant une plus longue durée de vie, sous peine d’avoir à subir des frais de réparation importants.
Dans le même temps, les coûts de production diminuent, grâce à une économie en termes d’utilisation de matières premières. Les entreprises peuvent ainsi profiter de cette baisse pour créer des emplois, diminuer les prix et gagner en compétitivité. Voyez le succès du Vélib’ à Paris ou de la musique en ligne : nos concitoyens n’ont plus nécessairement besoin d’être propriétaires des biens pour être satisfaits.
Mes chers collègues, des solutions alternatives alliant responsabilité écologique, viabilité économique et bénéfice social existent pour répondre au problème de l’obsolescence programmée et, plus généralement, aux enjeux de la conversion écologique de notre économie.
Certains me rétorqueront que l’extension de la garantie va entraîner une augmentation des prix. Mais si, pour une télévision valant 200 euros, les consommateurs doivent dépenser au maximum 20 euros supplémentaires pour obtenir une garantie de cinq ans, ils seront gagnants, surtout lorsque l’on observe les marges impressionnantes réalisées par les distributeurs sur les extensions de garantie payantes.
D’autres alerteront sur le risque de mettre en péril des emplois. Dès que l’on veut mettre en place une mesure sociale ou environnementale, les lobbies industriels agitent toujours la menace de la perte de nombreux emplois. Cela dit, cette question est légitime. Mais, croyez-moi, les créations d’emplois dans le secteur de la réparation et dans toutes les activités de services seront bien plus considérables que les pertes. Sur ce point, il serait cependant intéressant de disposer d’une étude d’impact. Vous le savez bien, mes chers collègues, malgré toute notre bonne volonté et celles de nos collaborateurs, nous, parlementaires, n’avons que peu de moyens pour réaliser de telles études, à la différence du ministre : je souhaiterais donc qu’il y réfléchisse.
Naturellement, je souhaite que ces propositions aient une portée européenne, mais ce n’est pas une raison pour ne pas agir en France. Au contraire, c’est grâce aux différentes initiatives prises en France, avec ma proposition de loi et divers rapports, en Belgique et dans d’autres pays que l’Union européenne se mobilisera ; j’en veux pour preuve l’avis que va rendre prochainement le Conseil économique et social européen.
Le modèle économique que je vous propose a fait ses preuves : une entreprise comme Patagonia, qui vend des vêtements techniques éco-conçus, est particulièrement exemplaire à cet égard, tandis que Miele, Dyson, Ikea ou le constructeur de voitures Kia font la promotion de produits durables, pour lesquels la garantie atteint cinq, sept, voire vingt ans.
Indéniablement, la France a tout à gagner à jouer sur la qualité de ses produits et sur le service aux clients pour se démarquer dans un univers de forte concurrence par les prix. À cet égard, si les voitures allemandes se vendent si bien malgré leur coût plus élevé, c’est parce que leur qualité est reconnue. Loin de moi l’idée d’encourager l’usage de la voiture – je vous invite tous, mes chers collègues, à prendre les transports en commun ou à circuler en vélo –, mais vous aurez compris l’idée que je défends.
Il est vraiment nécessaire de réorienter notre modèle économique dès maintenant. On ne peut plus attendre : l’économie de la qualité, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité sont notre avenir. La Chine, l’Allemagne ou les États-Unis l’ont bien compris et se réorientent vers ces formes novatrices. Qu’attendons-nous pour prendre le leadership sur ce marché ?
Le présent débat me donne l’occasion d’en appeler à l’audace face aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux. L’obsolescence programmée est une aberration, une impasse ; elle nous mène droit dans le mur. Il faut réagir dès à présent en formulant des propositions concrètes, et non en demandant un énième rapport sur le sujet. Nos concitoyens et concitoyennes, qui ne supportent plus de se faire avoir et se tournent, de plus en plus, vers des modèles responsables de consommation et vers la réparation, manifestent une véritable attente.
Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, mon investissement sur ce problème est entier. Je souhaite avoir votre avis sur les propositions que je vous ai présentées. Elles concernent, à tous les égards, la consommation et l’économie sociale et solidaire. Je vous remercie des réponses que vous pourrez nous apporter quant à la stratégie du Gouvernement sur cette question. Je serai très attentif aux interventions des orateurs de l’ensemble des groupes, de la majorité comme de l’opposition. §