Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que certaines organisations non gouvernementales se préoccupent du sujet depuis déjà un certain temps, l’obsolescence programmée a été longtemps perçue comme un fantasme des décroissants, relevant d’une vision complotiste ou policière du fonctionnement de nos industries. De fait, l’obsolescence programmée est une stratégie rarement affichée : les industriels qui la pratiquent préfèrent avancer masqués, mais il n’en s’agit pas moins d’une stratégie de grande ampleur, faisant fi des responsabilités sociales, économiques et environnementales des entreprises.
C’est pourquoi nous devons nous féliciter d’avoir l’occasion de débattre de ce sujet. Pareille à un puzzle dont nous avons à emboîter les pièces, la crise globale que nous traversons, qui se manifeste notamment par l’épuisement des ressources, est d’ordre à la fois environnemental, économique et social. Elle appelle des réponses transversales ; s’attaquer à l’obsolescence programmée en est une.
L’obsolescence programmée est la face cachée de notre société de consommation. En effet, elle est devenue le fer de lance idéal pour stimuler artificiellement la demande, notre cycle économique reposant sur le triptyque production-consommation-croissance. C’est d’ailleurs l’identification de cet enjeu qui a conduit Bernard London à inventer cette expression. Dans les années trente, aux États-Unis, il expliquait déjà que « la technologie moderne et ses applications dans l’économie ont permis d’augmenter la productivité à un niveau tel que l’enjeu économique principal n’est plus de stimuler la production mais d’organiser le comportement des consommateurs ».
Ce type d’emprise sur les comportements des consommateurs ne joue pas en leur faveur : on les trompe en leur donnant à penser que moins cher ils achètent, meilleure est l’affaire ! En réalité, en les flouant sur le rapport qualité-prix, l’obsolescence programmée affecte leur pouvoir d’achat et pèse très lourd, dans la durée, sur les budgets des ménages.
Ces stratégies enclenchent un cercle vicieux : plus les biens ont une vie courte, plus nous consommons, plus nous utilisons de matières premières, d’énergie, et plus nous produisons de rejets polluants et de déchets.
Au regard de la crise écologique, nous savons que ce modèle n’est pas durablement soutenable. Il s’agit donc, comme nous l’a proposé notre collègue Placé, d’agir sur l’allongement de la durée de vie des objets.
Notre système de production s’est longtemps appuyé sur des énergies et des matières premières peu coûteuses et abondantes : elles ne le sont plus aujourd’hui, et nous devons réfléchir à rationaliser nos modes de production et de consommation.
La quasi-gratuité des ressources naturelles a favorisé leur surconsommation et leur épuisement. L’analyse économique ayant prévalu jusqu’à présent est biaisée par des indicateurs dépassés, qui n’intègrent pas le coût des destructions des services éco-systémiques ou celui du non-renouvellement des ressources naturelles.
L’obsolescence programmée découle donc malheureusement de ce système, structuré par l’imprévoyance et l’inconséquence, ainsi que par l’indifférence aux enjeux environnementaux et à aux coûts afférents. Or le législateur, chargé de la gestion des deniers publics, doit toujours avoir à l’esprit que, au bout de la chaîne, ces coûts se reportent sur la collectivité publique, et donc sur le contribuable.
À cet égard, les déchets d’équipements électriques et électroniques fournissent le meilleur exemple : nous sommes dans l’impasse face à cette masse de déchets que nous ne savons pas traiter. Selon le CNIID, ils sont, à hauteur de 70 %, incinérés, enfouis ou traités dans des filières informelles, c’est-à-dire qu’ils échappent à toute taxation, à toute prise en charge collective, et que, finalement, ce sont les collectivités locales qui doivent en assurer l’élimination ou l’éloignement.
En proposant un ensemble de mesures visant à obliger les entreprises à allonger la durée de vie des objets, en promouvant la réparation plutôt que le « tout jetable », en prévoyant des sanctions contre les entreprises mettant en place des stratégies délibérées d’obsolescence programmée, nos collègues du groupe écologiste prennent en compte les nouvelles contraintes environnementales.
Il nous faudra surtout mettre au centre de notre action la fiscalité environnementale, particulièrement celle qui porte sur les déchets, trop souvent oubliée lorsque nous évoquons ce sujet, alors qu’elle pèse aujourd’hui fortement sur les collectivités territoriales. La fiscalité environnementale est un outil majeur pour modifier les comportements et valoriser notre environnement en incorporant à l’ensemble du process production-consommation la valeur des ressources naturelles et celle des services éco-systémiques.
Cependant, construire une économie verte ne se résume pas à imaginer un modèle de développement qui s’adapterait à la rareté des ressources, tout en présentant un impact environnemental limité. Il nous faut aussi nous interroger sur sa finalité. En somme, il s’agit aujourd’hui de nous demander comment produire, mais aussi pourquoi, dans quel but.
Le consumérisme, en créant des besoins artificiels, a imposé dans l’imaginaire collectif l’image d’un bonheur proportionnel au volume de biens consommés et constamment renouvelés. Il nous a rendus dépendants d’un système énergivore et très polluant. En cela, notre système a aussi créé une obsolescence programmée culturelle.
Il nous faut réfléchir davantage, mener une analyse critique plus fine du consumérisme, dont on peut constater les limites non seulement physiques, au travers de l’environnement, mais également morales. Ce modèle de développement a failli à sa promesse en ne généralisant pas le bien-être. Pis encore, il a entretenu un idéal d’abondance, alors qu’il n’est pas généralisable, comme nous pouvons le voir aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, de la globalisation, de la standardisation des modes de vie et des aspirations.
L’abondance n’a été, jusqu’à présent, que le privilège de certains : on estime ainsi que de 20 % à 30 % de la population mondiale consomme entre 70 % et 80 % des ressources tirées chaque année de la biosphère.
L’exploitation massive des ressources est lourde de conséquences pour les populations des pays du Sud. Les mines chinoises fournissent à nos sociétés 95 % de la production mondiale, car l’exploitation y est très rentable du fait de normes environnementales et sociales très faibles. Ainsi, péril écologique et injustice sociale se renforcent mutuellement.
En définitive, il s’agit de passer d’un modèle où la sobriété est vécue comme une frustration à une sobriété choisie, organisée. Nous vivons une époque où le progrès technique échappe au projet politique, alors qu’il doit s’adapter aux défis environnementaux, mais aussi aux besoins sociaux. L’obsolescence programmée dépossède les individus, en particulier les membres de la classe ouvrière, les ouvriers qualifiés, de leur capacité à maîtriser les objets et leur environnement.