Intervention de Jean-Jacques Mirassou

Réunion du 23 avril 2013 à 14h30
Lutte contre l'obsolescence programmée des produits — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Jacques MirassouJean-Jacques Mirassou :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous est arrivé à tous d’acheter un article électroménager, par exemple, en nous demandant – du reste, la plupart du temps sans se faire d’illusions – quelle était l’espérance de vie de ce produit. Tel M. Jourdain faisant de la prose sans le savoir, nous avons tous été aux prises, sans toujours nous en rendre compte, avec le phénomène de l’obsolescence prématurée.

L’obsolescence programmée est maintenant une réalité à laquelle chacun est confronté. Il faut également reconnaître que cette prime au gaspillage est banalisée, avec toutes les conséquences que cela emporte, notamment la saturation de l’environnement par la surproduction de déchets toxiques et son corollaire, le coût croissant du retraitement. Des estimations évaluent aujourd’hui ce coût à environ 364 euros par an pour un ménage de quatre personnes en France.

Durant les Trente Glorieuses, on parlait de société de consommation. Depuis, nous avons franchi un palier, mais la situation n’est pas satisfaisante. C’est pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous félicitons de la tenue de ce débat aujourd’hui.

On l’aura compris, on soupçonne de nombreux fabricants de mettre en œuvre une stratégie industrielle et commerciale d’obsolescence programmée, même si sa réalité n’est pas toujours démontrée. Cela nous pousse naturellement à nous interroger.

L’UFC-Que Choisir partage ces interrogations et nous invite à une lecture critique de notre modèle économique. Dans le même temps, cette association de défense des consommateurs nous incite, à juste titre, à ne pas concentrer notre réflexion uniquement sur la conception des matériels soupçonnés de relever d’une logique d’obsolescence programmée. En effet, sur le site internet du magazine Stratégies, l’UFC-Que Choisir explique que des tests ont été menés en laboratoires et qu’ils n’ont pas toujours été probants quant à l’existence d’une telle stratégie. Elle préfère parler d’obsolescence organisée et souligne en outre qu’une association regroupant notamment des entreprises commercialisant des biens électroménagers a indiqué dans une étude que la durée de vie des produits proposés aujourd’hui par ces dernières serait aussi longue que celle des matériels qu’elles vendaient voilà quelques décennies.

Il est donc important de rappeler que le présent débat ne saurait en aucune façon être interprété, d’une manière simpliste, par généralisation abusive, comme une mise en accusation de tous les secteurs industriels.

Le théoricien de la décroissance Serge Latouche a, quant à lui, contribué à ce débat en distinguant une « obsolescence planifiée ». Il cite l’exemple des puces électroniques qui seraient insérées dans les imprimantes afin que ces dernières cessent de fonctionner après avoir produit un certain nombre de copies.

On voit que le problème n’est pas simple, puisqu’émergent au moins trois types d’obsolescence faisant l’objet, pour le meilleur ou pour le pire, d’un débat d’experts.

En ce qui nous concerne, mes chers collègues, il nous revient de nous pencher sur la nature de la société dans laquelle cette problématique est apparue. C’est donc bien selon une perspective sociétale que nous devrons redéfinir, sans doute constamment, notre rapport à la consommation et à la croissance.

Notre société doit-elle s’inscrire dans une forme de fatalité du consumérisme aveugle ? Est-il d’ailleurs impossible d’envisager une éco-conception des produits de consommation tout en préservant la dynamique de nos filières industrielles ? Ce défi, qui mérite à mon sens d’être relevé, concerne bien sûr la relation qui doit exister entre les consommateurs, les distributeurs et les industriels.

Effectivement, il ne s’agit pas uniquement ici de la mise hors service prématurée de biens de consommation dont on suppose qu’ils pourraient servir plus longtemps : il faut aussi évoquer les pannes trop fréquentes, la difficulté à démonter et à réparer les appareils, l’indisponibilité des pièces de rechange et, souvent, l’inefficacité des services après-vente lorsque l’appareil est en panne ou arrive en fin de garantie. La course à l’innovation, les phénomènes de mode, la puissance de la publicité pour imposer des achats sont également à prendre en compte.

Monsieur le ministre, vous avez choisi de saisir à ce propos le Conseil national de la consommation, et il se dit que vous pourriez éventuellement inclure des mesures relatives à la lutte contre l’obsolescence programmée dans la grande loi sur la consommation que vous préparez actuellement avec vos services. On ne peut que se féliciter de cette initiative, témoignant de la prise en compte par le Gouvernement de cette problématique qui ne saurait être réduite à sa dimension de défense de l’environnement et de lutte contre le gaspillage.

Les filières industrielles et la distribution doivent être repensées à l’échelon européen, en ménageant la transition vers un système de production valorisant l’éco-conception, l’efficacité énergétique, le recyclage, et conçu pour laisser toute sa place à un secteur de la réparation susceptible de constituer un énorme gisement d’emplois. Si le secteur de la réparation compte quelque 70 000 entreprises, on peut supposer, sans être démesurément optimiste, que la mise sur le marché de produits réparables pourrait lui donner un sérieux coup d’accélérateur.

En cette période de crise structurelle et massive, il nous appartient de redéfinir notre modèle économique, et donc notre relation à la consommation, qui est l’un de ses piliers, mais aussi l’une de ses fragilités. Cela doit se faire bien sûr avant tout au bénéfice du consommateur. Telle est l’ambition qui nous anime, monsieur le ministre, et je suis certain que vous la partagez !

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