Intervention de Benoît Hamon

Réunion du 23 avril 2013 à 14h30
Lutte contre l'obsolescence programmée des produits — Discussion d'une question orale avec débat

Benoît Hamon :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord remercier M. Placé d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour du Sénat de cette question orale sur la lutte contre l’obsolescence programmée. Cela nous offre l’occasion de réfléchir ensemble, loin du tumulte de l’actualité politique, aux modes de consommation et aux modes de production, ainsi qu’à la façon dont nous voulons faire évoluer les uns et les autres.

Ne nous concentrons pas uniquement sur les comportements des consommateurs, qui peuvent évoluer au gré d’un certain nombre de signaux rationnels, comme les prix ; réfléchissons également à la façon dont, au travers de l’évolution des systèmes de valeurs, nous pouvons les inciter à adopter des modes de consommation plus respectueux de l’environnement et plus vertueux sur le plan social.

Pour étayer cette réflexion, je commencerai par évoquer un ouvrage du philosophe Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation.

« Paradoxe », c’est en effet le terme qui définit sans doute le mieux notre époque, où émerge la figure de l’ « hyper-consommateur », mieux informé qu’autrefois et plus libre de ses choix, certes, au sens où il dispose de davantage de produits et est peut-être moins captif des anciennes cultures de classe. Cependant, dans le même temps, le mode de vie, le plaisir sont de plus en plus liés à la possession, au système marchand, aux images et aux valeurs que véhicule la publicité, modèle appelé « expansion du marché de l’âme » par Gilles Lipovetsky, qui résume ainsi ce paradoxe : « plus se déchaînent les appétits d’acquisition et plus se creusent les dissatisfactions individuelles ». En clair, malgré les logiques d’accumulation qui prévalent, le sentiment de frustration reste intact.

L’être humain est fondamentalement un être de comparaison : on est heureux relativement à la situation des autres. Or, selon Daniel Cohen, « cette course-poursuite est vaine, car les autres veulent également vous dépasser ».

L’autre paradoxe, c’est que cette course à l’abondance n’est plus synonyme de croissance et d’emploi dans nos sociétés développées. Au contraire, l’hyperconsommation met en lumière les externalités négatives du modèle productif nécessaire pour assouvir ce désir de consommer.

Ces externalités négatives sont sociales – précarité, baisse des revenus du travail, multiplication des délocalisations – et environnementales, à travers la surconsommation d’énergie, les émissions de gaz à effet de serre ou l’accumulation des déchets.

L’incarnation de ce paradoxe, c’est l’émergence, notamment en Europe, de l’économie low cost, modèle qui peut paraître séduisant en raison du discours de démocratisation, de valorisation de l’achat « malin » qui le sous-tend, mais qui, en réalité, atteint vite ses limites. On en arrive ainsi à des situations ubuesques : à force de demander des prix toujours plus bas, on achète le droit d’être au chômage. En effet, en stimulant la concurrence par la baisse des prix, le consommateur arbitre contre ses propres intérêts de producteur, voire d’assuré social.

Monsieur Placé, je vous remercie de nous inviter à cette réflexion, car la finalité d’un projet politique, qu’il soit de droite ou de gauche d’ailleurs, ne saurait se limiter à proposer à nos concitoyens de consommer, et de consommer toujours plus. Notre société, celle que nous voulons bâtir, ne se résume pas à la société de l’accumulation et de la consommation ; elle doit bien évidemment faire de la place à la solidarité entre les individus et les générations, à la justice, à l’éducation, à la culture et, aujourd'hui, à la préservation de l’environnement et à la transition écologique. Cela nous appelle donc à repenser nos modes de consommation comme nos modes de production.

Pour autant, j’y insiste, ce n’est pas parce que la consommation ou l’hyperconsommation n’est plus aujourd'hui synonyme de croissance et d’emploi qu’une société sans consommation serait souhaitable ou que la baisse de la consommation amènerait l’effet inverse. En réalité, sans consommation, les investissements se tarissent, l’innovation stagne, la croissance se grippe et les emplois en pâtissent.

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