Intervention de Benoît Hamon

Réunion du 23 avril 2013 à 14h30
Lutte contre l'obsolescence programmée des produits — Discussion d'une question orale avec débat

Benoît Hamon, ministre délégué :

C’est aussi un révélateur de la fragilité de notre système.

C’est pourquoi, en tant que ministre chargé de la consommation, mais aussi comme membre d’un gouvernement qui travaille à soutenir le pouvoir d’achat des Français, je suis très attentif, dans la période que nous connaissons, aux indicateurs de la consommation, qui sont particulièrement préoccupants.

Pour n’en citer que quelques-uns, la consommation n’a progressé que de 0, 2 % par an depuis 2008, soit dix fois moins vite qu’entre 2000 et 2007, et, en 2012, les dépenses des ménages ont reculé de 0, 1 %, baisse sans doute modeste, mais rarissime dans la France d’après-guerre.

Ces évolutions interviennent dans un contexte où les dépenses contraintes augmentent – je pense par exemple à l’énergie –, tandis que les ventes enregistrées dans plusieurs secteurs au cours du premier trimestre de 2013 sont en baisse par rapport au premier trimestre de 2012 : c’est notamment le cas pour l’électronique grand public, le bricolage, la restauration ou encore l’ameublement.

Nous ne pouvons nous résoudre à voir s’éteindre le moteur de la croissance, après ceux de l’investissement et du commerce extérieur. Le Gouvernement a d’ores et déjà pris des décisions en faveur du pouvoir d’achat, en donnant, par exemple, un coup de pouce au SMIC ou à l’allocation de rentrée scolaire. Nous préparons d’autres mesures importantes en termes de soutien à la consommation, notamment en agissant sur les dépenses contraintes : je pense à la pérennisation de l’encadrement des loyers, dans le cadre du projet de loi de Mme Duflot, à la redistribution aux consommateurs des rentes indues des grandes entreprises par l’action de groupe – j’y reviendrai – ou encore à la possibilité de résilier infra-annuellement son contrat d’assurance pour instaurer davantage de concurrence, les prix des contrats ayant augmenté deux fois plus vite que l’inflation depuis 1998, et même trois fois plus vite ces trois dernières années.

Cela étant, si nous devons soutenir la consommation, cette dernière ne doit plus être aveugle. Il nous appartient de trouver le juste équilibre entre consommation, emplois, échanges commerciaux et transition écologique.

Pardonnez-moi cette lapalissade, mais consommer des biens implique d’en produire. Cela induit ce que l’on désigne désormais des « externalités », tant positives – création d’emplois, services publics associés, savoir-faire et excellence, formation – que négatives : combien de cas médiatisés ont mis en évidence des incidences environnementales, en termes d’utilisation de ressources, d’émissions de gaz à effet de serre ou encore de pollution des milieux naturels par des substances toxiques dont il est complexe d’éliminer les résidus ?

En outre, selon les produits, la consommation peut affecter négativement notre balance commerciale, sans engendrer de grand bénéfice en termes d’emplois.

A contrario, allonger les durées d’usage des produits – en clair, favoriser une conception durable et encourager leur réemploi – présente une triple vertu, en termes de création ou de maintien d’emplois non délocalisables, d’impact environnemental et de balance commerciale.

Favoriser le recyclage et la valorisation des matériaux qui peuvent être réemployés, en structurant des filières ad hoc, c’est favoriser l’économie circulaire en France et nous rendre moins dépendants de ressources naturelles dont nous ne disposons pas sur notre territoire, comme les terres rares. Cela a été entrepris efficacement pour la filière des déchets d’équipements électriques et électroniques, et je souligne que le Gouvernement a récemment prorogé l’affichage de l’éco-contribution pour pérenniser cette filière. Nous venons également d’adopter cette éco-contribution pour la filière du meuble. La responsabilité élargie des producteurs est déterminante, et il nous appartient de veiller à sa bonne mise en œuvre.

C’est dans ce contexte que je place le présent débat sur l’obsolescence programmée. Les ressources ne sont pas inépuisables, notre balance commerciale n’est pas excédentaire – elle est, au contraire, cruellement déficitaire – et la surconsommation de certains produits n’a aucun effet positif en termes d’emploi en France. Dans ces conditions, devrait-on au surplus accepter que les consommateurs soient contraints de renouveler leurs équipements trois fois plus vite qu’attendu ? Formuler la question, c’est y répondre, mais quelles dispositions devons-nous adopter pour y répondre concrètement ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous en sommes tous convaincus, contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire accroire, l’obsolescence programmée n’est pas un concept paranoïde ou complotiste. Ce n’est d’ailleurs pas un concept ; c’est une pratique établie, dont M. Placé a rappelé l’histoire. Souvenons-nous que si les ampoules ont aujourd'hui une durée de vie normée, c’est parce que le juge américain, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, a mis en évidence l’existence d’un cartel réunissant les grands fabricants d’ampoules, le cartel « Phœbus », mis en place entre 1924 et 1939 dans le but de contrôler le marché de la fabrication et de la vente des lampes à incandescence, notamment en en limitant sciemment la durabilité. Des exemples plus récents et médiatisés illustrent la pérennité de cette pratique ; vous les avez cités, je n’y reviendrai pas. Néanmoins, j’observe au passage que plus les marchés sont concentrés dans les mains d’un petit nombre d’opérateurs, plus la pratique est rendue possible.

Au-delà de cette obsolescence « stratagème », l’obsolescence programmée recouvre d’autres types d’obsolescences, évoqués par les uns et les autres. Cela peut être l’obsolescence technique, dès lors que l’on ne dispose plus des pièces nécessaires à la réparation et donc à l’utilisation d’un bien, ou encore l’obsolescence ressentie, subjective, liée au cycle d’innovation, voire au marketing, qui nous amène à renouveler nos biens d’équipement avant la fin de leur durée de vie, au motif qu’ils ne sont plus à la mode ou tout à fait adaptés aux évolutions technologiques les plus récentes.

Quelles dispositions devons-nous donc adopter pour répondre concrètement à cette problématique ?

J’entends votre suggestion, monsieur le sénateur Placé, de faire de l’obsolescence programmée un délit. Encore faut-il alors la définir, ce que vous proposez de faire.

Toutefois, j’observe que l’obsolescence programmée, en tant que stratagème visant à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation potentielle d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement, peut déjà être sanctionnée par le code de la consommation. Si une telle pratique est démontrée, le juge peut la qualifier comme une tromperie sur les qualités substantielles du bien.

Il se trouve que, dans le projet de loi sur la consommation que Pierre Moscovici et moi-même présenterons en conseil des ministres la semaine prochaine, je propose deux réponses très dissuasives.

Premièrement, il est prévu de mettre en place une dissuasion par la sanction. Alors que la sanction, en cas de tromperie économique, est aujourd'hui de 37 500 euros d’amende et de deux ans d’emprisonnement pour une personne physique, je propose de faire passer le montant de l’amende à 300 000 euros pour une personne physique. Toutefois, en rester là serait insuffisant : s’agissant de la personne morale, je propose que le juge puisse prendre en compte le surprofit réalisé par le biais de la tromperie, en infligeant une amende véritablement dissuasive, pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires.

J’évoquerai, à cet égard, un exemple assez simple, qui, du reste, n’a rien à voir avec l’obsolescence programmée. Constatons que, dans l’affaire de la viande de cheval, étant donné le montant des gains indûment perçus, à savoir plus de 500 000 euros, et le plafond de l’amende dont peut être passible une personne morale en cas de tromperie économique, à savoir 187 500 euros, il était assez rationnel pour l’industriel d’arbitrer en faveur de la tromperie plutôt que du respect de la loi. Quand tricher est plus rentable que respecter la loi, cela encourage la tromperie ! Pour l’heure, le montant des pénalités prévues par la loi est en deçà du montant des gains qu’il est possible d’obtenir grâce à la tromperie.

Deuxièmement, au-delà du caractère dissuasif qu’aura l’élévation du niveau des pénalités, nous voulons faire en sorte que les consommateurs puissent mieux se défendre, par l’instauration, en droit français, de l’action de groupe. Les victimes d’une tromperie pourront demain, par le truchement d’une association de consommation, obtenir réparation pleine et entière du préjudice qu’elles ont subi.

Augmentation du niveau des peines, création de l’action de groupe : voilà deux instruments qui seront donnés demain au consommateur pour mieux le protéger de la tromperie économique, en l’occurrence sur la qualité substantielle des biens, par la limitation délibérée de leur durée de vie ; c’est l’obsolescence programmée dont parle M. Placé.

Voilà comment le Gouvernement entend concrètement lutter contre toutes les tromperies dont les consommateurs sont l’objet, en particulier l’obsolescence programmée.

Pour autant, je n’ignore pas la force des symboles. S’il ne m’apparaît pas forcément indispensable ni urgent de définir, en droit, l’obsolescence programmée, je comprends l’impact politique que peut avoir la proposition des membres du groupe écologiste. Nous débattrons de cette question lors de l’examen du projet de loi sur la consommation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion