Lutter contre l’obsolescence programmée, c’est aussi agir au-delà de la seule lutte contre la tromperie économique. Nous devons favoriser l’émergence d’alternatives au « prêt-à-jeter ».
Monsieur Placé, vous proposez d’étendre la garantie légale de conformité de deux à cinq ans, puis de cinq à dix ans. Je suis plus réservé sur cette disposition, dont nous mesurons assez mal les incidences.
On peut objecter d’abord, avec toutes les précautions à prendre quant à ce que ce raisonnement induit, que cela ne ferait pas sens pour tous les produits. Peut-être faudrait-il davantage se focaliser sur ceux dont on peut raisonnablement penser que les consommateurs attendent une durée d’usage de cinq ou dix ans.
Cela dit, je veux moi-même pondérer cet argument. Après avoir évoqué la nécessité de faire évoluer les modes de consommation, il n’est pas non plus absolument absurde d’imaginer que, demain, on attende davantage d’un bien dont on n’espère pas forcément aujourd'hui qu’il ait une durée de vie de cinq à dix ans : un fer à repasser, un grille-pain, une bouilloire… C’est un argument parfaitement audible ; nous y reviendrons sans doute lors de l’examen du projet de loi sur la consommation.
Ensuite, les premières estimations amènent à considérer qu’augmenter d’une année la durée de la garantie légale renchérirait le coût du bien de 7 %. Pour une extension de deux à cinq ans, ce coût connaîtrait donc un renchérissement de 21 %. Il est assez légitime que le Gouvernement s’interroge, dans la période que nous connaissons, sur les tensions, en termes de pouvoir d’achat, que pourrait induire une telle mesure.
J’ajoute enfin que les distributeurs proposent souvent des extensions de garantie contractuelles. Ce sont des assurances payantes. Ainsi, les consommateurs qui le souhaitent peuvent – sur des produits pour lesquels cela fait sens – s’offrir volontairement une extension de garantie. Ce produit assurantiel est aussi une source de valeur importante pour des distributeurs. En effet, ces derniers, en raison de la concurrence de pure players – pardon pour cet anglicisme qui désigne les entreprises œuvrant uniquement sur internet –, vendent souvent quasiment à prix coûtant et créent de la valeur sur les services qu’ils rendent à côté.
Là encore, dans la période que nous connaissons, avec des distributeurs spécialisés qui sont fragilisés par les acteurs d’internet, je crois que nous devons mesurer les répercussions que certains bouleversements auraient sur l’économie du secteur. Sachez que je ne ferme aucune porte. Je demande simplement que l’on embrasse la totalité de la situation, dès lors que l’on pose la question de l’extension de la durée de la garantie légale de conformité, pour voir si cela pourrait entraîner des conséquences importantes en termes d’activité et d’emploi dans un certain nombre de secteurs, notamment celui de la distribution.
Pour autant, le signal prix est important, et nous avons là, sans doute, un levier à notre disposition.
J’entends votre proposition, monsieur le sénateur, de moduler l’éco-contribution selon la durée de vie du bien. Les textes le permettent aujourd’hui, et cela est rendu possible par les statuts des éco-organismes, qui sont chargés de fixer cette éco-contribution. Il faut donc y travailler, et j’ai déjà engagé des discussions avec les différents acteurs de façon à déboucher sur une éco-contribution qui varie en fonction de la durée de vie du bien. Voilà un signal prix parfaitement rationnel, qui peut conduire un certain nombre de consommateurs à préférer un bien durable à un bien moins durable.
Pour en revenir aux garanties, je considère que le consommateur doit d’abord être parfaitement informé de l’existence des garanties légales existantes, ce qui n’est pas le cas.
On distingue, d’une part, la garantie légale de conformité prévue par le code de la consommation, selon laquelle le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance et, d’autre part, la garantie légale des vices cachés prévue par le code civil, en application de laquelle le vendeur est tenu de garantir la chose vendue à raison des défauts cachés qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine.
Le projet de loi relatif à la consommation que je présenterai bientôt prévoit que les consommateurs disposeront d’une information complète sur leurs droits à garantie incluant, en sus de l’information sur la garantie légale de conformité, une information sur la garantie relative aux vices cachés qui sera indiquée tant sur les lieux de vente que dans les conditions générales de vente figurant dans les contrats de consommation. Cette information devra être claire et intelligible, afin de lutter contre des indications trompeuses sur la portée des droits légaux des consommateurs en matière de garantie.
Par ailleurs, je considère que le développement de modes de consommation plus responsables répond non seulement à une nécessité, mais aussi à une demande des consommateurs. En clair, consommer mieux est aussi une démarche citoyenne et volontaire, pour laquelle le consommateur s’érige – à raison ! – en acteur éclairé. Toutefois, trop souvent, des défauts d’information empêchent les consommateurs de faire leurs choix en toute connaissance de cause. Comment consommer de manière plus durable sans savoir si un appareil défectueux peut être simplement réparé au lieu d’être remplacé ? L’application effective des droits des consommateurs en matière de garantie implique un renforcement de l’information qui leur est donnée. Un consommateur que l’on informe est un consommateur auquel on rend sa liberté d’arbitrage, auquel on offre la possibilité d’être un acteur responsable.
Toujours avec le projet de loi relatif à la consommation que je présenterai le 2 mai prochain, je proposerai de renforcer l’information des consommateurs sur l’existence et la disponibilité des pièces détachées nécessaires à la réparation d’un produit. Les vendeurs seront également tenus de fournir aux consommateurs les pièces indispensables à l’utilisation d’un produit pendant la période, indiquée par le fabricant ou l’importateur, durant laquelle ces pièces sont disponibles.
Aujourd’hui, en cas de panne d’un produit, le consommateur peut se retrouver dans l’impossibilité de l’utiliser, parce qu’il ne connaissait pas la période durant laquelle les pièces détachées sont disponibles et que celles-ci ne le sont plus.
Demain, lors de l’achat, le vendeur sera légalement tenu d’indiquer la période de disponibilité des pièces indispensables à l’utilisation du produit et de fournir ces pièces détachées au consommateur qui en fera la demande.
Quelle incidence concrète ? Mieux informé, le consommateur pourra orienter ses achats vers des produits plus durables. Ces mesures feront de la « réparabilité » des produits un critère d’achat des consommateurs. La concurrence entre les fabricants se fera donc également sur cette « réparabilité » des produits.
Ce cercle vertueux profitera aussi au secteur du réemploi. Pour un certain nombre de domaines de la consommation – ceux où la totalité des biens d’équipement achetés par nos concitoyens sont importés, ce qui se fabriquait ici l’étant désormais ailleurs –, nous développerons une filière de la réparation qui permettra, en quelque sorte, de relocaliser une partie des emplois délocalisés hier.
Cette disposition sera particulièrement favorable aux filières de l’économie sociale et solidaire, dont beaucoup d’acteurs sont leaders dans le domaine de l’économie circulaire, de l’économie verte et du recyclage. Ils sont même détenteurs de brevets. Je pense par exemple au recyclage des écrans plasma, qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet par l’association Vitamine T, qui dépend du groupe SOS. Voilà un acteur de l’économie sociale et solidaire qui non seulement insère des publics en difficulté dans l’emploi, mais qui est aussi capable d’innover technologiquement tout en étant utile sur le plan environnemental. Je le répète, favoriser des filières de la réparation sur notre territoire nous permettra de développer des emplois non délocalisables.
Voilà, en quelques mots, les mesures que je porterai très prochainement pour lutter contre l’obsolescence programmée et en faveur d’une croissance plus respectueuse de l’environnement et de nos ressources, qui est un moteur pour l’emploi en France.
Permettez-moi, pour finir, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous remercier de ces échanges et de saluer la qualité de toutes vos interventions, qui présagent de riches débats lors de l’examen du projet de loi sur la consommation, question fondamentale dès lors qu’on aborde le sujet de la transition de notre modèle et donc de nos modes de consommation et de production. Nous devons passer de cette économie du gaspillage – gaspillage humain, gaspillage des ressources naturelles – à une économie du sens et de la tempérance qui promeut d’autres valeurs que la rentabilité à court terme et la surconsommation.