Intervention de Georges Labazée

Réunion du 23 avril 2013 à 14h30
Débat sur la politique vaccinale de la france

Photo de Georges LabazéeGeorges Labazée, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la vaccination est, avec l’hygiène, la première arme de prévention et de lutte contre les maladies infectieuses. C’est un médicament nécessaire et moderne et un secteur de recherche particulièrement prometteur.

Face à cette conviction, la commission des affaires sociales a dû faire un double constat inquiétant. D’une part, la remise en cause incessante du vaccin et de la vaccination par des groupes divers dont certains, à tendance sectaire, sont relayés par internet. D’autre part, une certaine réticence au sein de la population : en 2012, le nombre de vaccins vendus paraît avoir baissé, malgré l’action des médecins et des services de la protection maternelle et infantile, la PMI.

C’est pour réaffirmer le besoin d’une politique vaccinale claire que la commission des affaires sociales a demandé à la Cour des comptes un rapport, qui lui a été remis à la fin de l’année dernière.

En complément des propositions formulées par la Cour, notre commission en a ajouté d’autres : développer l’accès des populations en situation de précarité au vaccin ; simplifier le paysage institutionnel en matière de détermination de la politique vaccinale afin d’éviter les décisions contradictoires ; assurer rapidement la mise en place d’un carnet de vaccination électronique appuyé sur une base experte permettant d’individualiser des recommandations vaccinales et leur suivi ; mettre en place l’enseignement de la prévention en matière de santé à l’école dans les futures écoles supérieures du professorat et développer celui de la vaccination dans le cursus des professions de santé ; renforcer la recherche publique sur les vaccins et notamment sur leur sécurité ; assurer les conditions d’une solidarité efficace pour l’accès aux vaccins des pays en développement.

Nous souhaitons, madame la ministre, avoir votre avis sur ces propositions, qui viendraient s’ajouter au plan d’action mis en place par la direction générale de la santé.

En France, les maladies infectieuses qui ont durablement marqué les esprits et causé des milliers de morts au XIXe siècle et au XXe siècle, comme la variole, la poliomyélite ou le tétanos, ont été quasiment éradiquées – le nombre de cas de tétanos dans la population générale a été divisé par cinquante depuis 1946 – grâce à la vaccination. Ce résultat a pu laisser penser à certains que la vaccination n’était plus nécessaire.

Certes, le risque lié à certaines maladies infectieuses a considérablement diminué avec la baisse de leur prévalence. Le risque lié à la maladie – j’insiste sur ce point – demeure néanmoins plus important que le risque lié au vaccin lui-même. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Dans un monde sans frontières, l’éradication d’une maladie en France ne procure que l’illusion de la sécurité. Tant qu’une bactérie ou un virus demeure présent dans le monde, particulièrement s’il est endémique dans les pays en voie de développement, les épidémies sont susceptibles d’émerger à nouveau rapidement en France, et de manière dévastatrice, si la population n’y est plus protégée par l’immunité induite par le vaccin. La tuberculose ou la rougeole sont de nouveau la cause de nombreux décès. Je sais d’ailleurs que plusieurs de nos collègues interviendront sur ces aspects au cours du débat.

Deux constats découlent de cet état de fait : d’une part, je l’ai dit, la vaccination demeure un outil majeur de prévention ; d’autre part, une politique de prévention nationale implique nécessairement un renforcement de notre solidarité avec les pays en voie de développement afin d’améliorer leur situation sanitaire.

Pour autant, la vaccination doit être utilisée à bon escient. Elle n’est pas toujours la stratégie la plus efficace pour lutter contre une maladie infectieuse. Comme l’indique le rapport de la Cour des comptes, c’est contre les virus que les vaccins se révèlent particulièrement nécessaires, l’action des antiviraux étant limitée. Mais même pour la protection contre les virus, l’étude du rapport coût-efficacité conduit parfois à privilégier d’autres stratégies thérapeutiques.

De fait, la couverture générale de la population n’est plus recommandée pour la plupart des vaccins. Les indications varient en fonction des situations épidémiologiques – le vaccin contre le papillomavirus ne protège pas contre les souches présentes en Guyane – et des populations les plus à risque.

En dehors des périodes d’émergence de nouveaux virus, dont la gravité et les cibles sont inconnues, les campagnes de vaccination massives sont désormais moins adaptées et moins bien perçues par l’opinion publique. À cet égard, le bilan critique de la campagne de vaccination contre le virus H1N1 effectué par la Cour des comptes est significatif.

Il paraît donc essentiel d’adapter la vaccination aux besoins et aux attentes de la population et d’agir sur les perceptions afin de lutter contre la propagande anti-vaccinale.

Le premier axe d’une politique vaccinale moderne doit être d’aller au plus près des populations dans leur diversité. La commission des affaires sociales recommande ainsi, comme la Cour des comptes, de permettre la vaccination dans les centres de prévention de l’assurance maladie, qui se consacrent désormais au suivi des populations précaires. Nous pourrions d’ailleurs, madame la ministre, si vous en êtes d’accord, déposer une proposition de loi pour recommander la possibilité de vaccination dans les centres de sécurité sociale pour les publics les plus démunis.

Le décalage entre la perception de la vaccination par ceux qui la pratiquent et la population générale a été souligné à maintes reprises. Des études plus poussées en matière de sociologie de la vaccination sont nécessaires afin de permettre de mieux orienter les politiques de santé publique et d’éviter toute politisation excessive des enjeux. Les travaux récents de l’Institut de veille sanitaire, l’InVS, sur l’amélioration du suivi du nombre de vaccinations dans notre pays me paraissent très encourageants. Ils doivent être soutenus.

Pour accompagner les personnes sur la voie de la vaccination, il nous semble également nécessaire de mettre en place un carnet vaccinal électronique au sein de la carte Vitale, qui vienne appuyer les informations données par les professionnels de santé.

Au cours de mes auditions, j’ai été particulièrement intéressé par le projet du professeur Jean-Louis Koeck, médecin des armées, qui a créé avec une équipe comprenant plusieurs autres médecins un carnet de vaccination électronique et un site internet offrant une information experte et personnalisée aux particuliers et aux professionnels de santé. L’enjeu est non pas de disposer d’un simple recueil comptable du nombre de vaccinations, mais bien de permettre à chacun de savoir où il en est de sa vaccination et de pouvoir suivre l’évolution des recommandations vaccinales, dont la fréquence, selon la Cour des comptes, est susceptible de désorienter tant les particuliers que les professionnels de santé.

Ne pas faire ses rappels est en effet particulièrement grave en matière de vaccination, car la couverture immunologique ne peut être garantie. Ainsi, dans le cas du vaccin contre le papillomavirus, dont plus de 14 % des femmes seraient porteuses et qui est responsable du cancer du col de l’utérus, trois doses sont actuellement préconisées afin d’assurer la couverture immunologique. Or, bien que l’assurance maladie ait dépensé 34 millions d’euros pour ce vaccin, comme nous l’ont confirmé ses responsables lors de nos auditions, une part importante des jeunes filles ne va pas au bout du processus. Elles se trouvent ainsi sans protection suffisante et la dépense publique a été effectuée sans efficacité réelle.

Je regrette donc que l’initiative d’intérêt général que constitue le carnet vaccinal électronique, conçu par des professionnels de santé dans l’intérêt des patients et sans financement des laboratoires pharmaceutiques, ne reçoive pas plus d’écho au ministère de la santé. La création, longtemps repoussée, du dossier médical personnel ne semble pas avoir favorisé les initiatives innovantes.

J’ai également été frappé par la grande complexité du processus de prise de décision. Si ce problème est commun à toutes les questions relatives à la santé, il est accentué s’agissant de la vaccination. Ayant auditionné les responsables des principales structures intervenant en ce domaine, j’ai pu constater tant la grande expertise des personnes et la qualité du travail des équipes que la difficulté à délimiter clairement les frontières de compétences en matière vaccinale. De telles difficultés sont quotidiennes.

Il paraît important de distinguer, d’une part, les missions nécessaires à la définition d’une politique sanitaire efficace, qu’il importe de préserver et, d’autre part, les structures, qui, elles, sont susceptibles d’évoluer.

On peut distinguer quatre missions essentielles, qui sont autant d’étapes dans la mise sur le marché d’un vaccin : l’autorisation de mise sur le marché en fonction du rapport bénéfice-risque, la détermination des recommandations d’utilisation et des populations cibles, l’admission au remboursement en fonction de l’amélioration du service médical rendu et la fixation du prix du médicament. Or les structures actuellement en charge de ces missions sont distinctes, ont des statuts très variables – elles vont du simple comité d’expertise à l’autorité administrative indépendante – et des pouvoirs très variés, du simple conseil à l’autorité de police administrative.

À la lumière de ces auditions, j’estime possible – ce n’est qu’une suggestion, madame la ministre – de rattacher à la Haute Autorité de santé le Haut Conseil de la santé publique, le HCSP, dont fait partie le comité technique des vaccinations, le CTV. À condition que celui-ci conserve sa capacité de réponse rapide aux saisines du ministère de la santé, cela permettrait de limiter les possibilités d’avis divergents sans nuire à l’efficacité de la procédure. Cette réforme d’ampleur pourrait être débattue lors de l’examen du prochain projet de loi de santé publique. Pouvez-vous cependant d’ores et déjà nous dire ce que vous en pensez ?

Une formation à la santé dès l’école, non dans le cadre d’un cours magistral, mais sous la forme la plus participative et collective possible, permettant aux enfants de comprendre l’intérêt et l’importance de la vaccination, me semble être un moyen important de lutter contre la désinformation circulant sur internet. L’étude de la situation des pays en développement, où l’accès à la vaccination demeure une question primordiale de survie, devrait elle aussi permettre de rappeler l’importance des enjeux associés à ces questions. De même, une approche du fonctionnement des vaccins dans l’organisme, de leur histoire et de leur mode de fabrication devrait permettre de dissiper une partie des fantasmes circulant dans l’opinion publique.

La mise en place de cet enseignement suppose qu’un temps spécifique soit dégagé dans les programmes. Il implique également la formation des enseignants. Cela sera possible dans les futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation prévues dans le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

De même, il conviendrait de faire en sorte que les médecins et les infirmières, qui sont appelés à pratiquer régulièrement la vaccination, soient eux-mêmes vaccinés. Peu d’entre eux l’étant, ils ont tendance à peu vacciner les personnes qu’ils suivent.

Afin de ne pas trop prolonger mon propos, je serai bref sur la recherche. Permettez-moi juste de rappeler que la recherche française, en raison de son savoir-faire historique et de nos capacités industrielles, est un élément majeur dans nos décisions. Les industriels du secteur s’inquiètent pourtant de ce que la France serait devenue « une puissance du vaccin sans direction » en perte de vitesse par rapport aux pays émergents et aux Anglo-Saxons. Cette crainte est aussi celle de chercheurs. Les instituts de recherche publics ont ainsi décidé de mutualiser leurs efforts au sein du réseau COREVAC, ou consortium de recherches vaccinales, qui vise notamment à fixer des axes de recherche fédérant les travaux des différentes équipes.

La recherche sur les vaccins curatifs ouvre également de nouvelles perspectives : des vaccins pourraient être utilisés contre des maladies dont la prévalence augmente, comme la maladie d’Alzheimer.

Enfin, je ne peux conclure mon propos sans évoquer l’une des raisons ayant justifié l’organisation de ce débat à la demande de la commission des affaires sociales.

Il faut traiter de manière rationnelle et scientifique la question de la sécurité des vaccins, qui inquiète tant l’opinion publique. Nombre d’entre nous ont été alertés sur les risques que ferait peser la présence de l’aluminium dans les adjuvants vaccinaux. À cet égard, nous avons entendu la réponse rassurante du professeur Maraninchi, mais il faut approfondir les recherches sur cette question. Or, madame la ministre, l’Association d’entraide aux malades de myofasciite à macrophages s’inquiète que les études complémentaires sur ce thème n’aient pas encore été mises en chantier. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Un vaccin DT-Polio sans aluminium est également attendu. Savez-vous quand les industriels pourront mettre un vaccin de ce type sur le marché français ? Le principe de précaution doit l’emporter sur tout enjeu industriel ou financier.

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