Intervention de Alain Milon

Réunion du 23 avril 2013 à 14h30
Débat sur la politique vaccinale de la france

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le récent rapport de notre collègue Georges Labazée nous permet de débattre cet après-midi de la politique vaccinale de la France. Toutefois, avant d’aborder celle-ci en tant que telle, permettez-moi de rappeler le contexte dans lequel elle s’inscrit.

Des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années pour protéger la santé des populations par la prévention vaccinale des maladies infectieuses. Cette amélioration repose sur plusieurs facteurs, que nous connaissons tous : l’amélioration des conditions d’hygiène de vie, l’antibiothérapie et la vaccination. Cependant, force est de constater que la place de la vaccination est sous-estimée, voire contestée, parfois pour des raisons justifiées.

Permettez-moi de rappeler quelques chiffres fournis par l’Organisation mondiale de la santé pour illustrer les enjeux de la vaccination.

La vaccination permet de prévenir, chaque année, entre 2 et 3 millions de décès liés à la diphtérie, au tétanos, à la coqueluche, à la rougeole, aux oreillons et à la rubéole. Elle concerne un plus grand nombre d’enfants qu’auparavant. En 2010, l’OMS estimait à 109 millions le nombre d’enfants de moins d’un an ayant reçu trois doses de vaccin diphtérie-tétanos-coqueluche. Malheureusement, en 2008, encore 1, 7 million d’enfants étaient décédés d’une maladie évitable par la vaccination avant d’avoir atteint leur cinquième anniversaire.

Grâce aux efforts d’éradication de la poliomyélite, plus de 7 millions de personnes marchent aujourd’hui, alors que, sans vaccin, elles seraient paralysées, et l’incidence de cette maladie a reculé de 99, 8 %. L’éradication totale de la poliomyélite permettra d’économiser une somme estimée à 50 milliards de dollars à l’horizon de 2035, pour l’essentiel dans les pays en développement.

Ces chiffres nous rappellent que la France doit continuer à encourager l’accès des pays en voie de développement aux vaccins.

Il y a eu de nombreux rapports sur la politique vaccinale nationale, avec des recommandations précises pour l’améliorer. Je pense notamment au travail que notre ancien collègue Paul Blanc a réalisé au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé, en 2007. Je pense également au dernier document en date, le rapport Labazée : plusieurs des solutions proposées rejoignent en grande partie les recommandations que la Cour des comptes a émises dans son enquête du mois d’octobre 2012. Cela représente un large panel de mesures, couvrant à la fois la couverture vaccinale, la politique de remboursement des produits, la communication et le calendrier vaccinal.

Il faut souligner le caractère paradoxal de notre politique vaccinale. D’une part, la France possède une expertise reconnue en matière de vaccins ; notre pays applique une véritable politique vaccinale avec la mise en place d’un calendrier exigeant pour protéger au mieux la population. D’autre part, et Gilbert Barbier le soulignait, les résultats ne sont pas à la hauteur de ce dispositif : un discours protestataire trouve un écho favorable auprès des Français pour rejeter des vaccins à l’efficacité vérifiée et douter de l’utilité de la vaccination. La situation est inquiétante dans un pays où, chaque année, le tétanos cause encore des décès et où la tuberculose frappe des milliers de personnes.

À titre personnel, j’estime que certaines décisions en matière de vaccination ont été catastrophiques. Selon moi, la suppression de l’obligation de vaccination par le BCG contre la tuberculose a été une grave erreur, même si la mutation du bacille a diminué l’efficacité du vaccin.

Ainsi, malgré la qualité de notre système de santé en la matière, le bilan de notre politique vaccinale est loin d’être satisfaisant. Selon la Cour des comptes, les objectifs vaccinaux établis dans une perspective quinquennale, en annexe de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, ont été définis « de manière trop uniforme » et leur degré de réalisation a été décevant, dans le cadre national comme au regard des comparaisons internationales. L’objectif de couverture de 95 % de la population générale n’a été que « partiellement évaluable ». Mais lorsqu’il est intégralement mesurable, comme pour la vaccination des enfants de deux à six ans, l’objectif n’est que partiellement atteint. Les points noirs sont le très faible taux de vaccination contre l’hépatite B et l’insuffisance des primo-vaccinations contre la rubéole, les oreillons et la rougeole, qui distinguent négativement notre pays dans les comparaisons internationales.

Madame la ministre, le ministère de la santé vient de publier un nouveau calendrier vaccinal simplifié. Vous l’avez précisé dans votre intervention, ce dont je vous remercie.

Par ailleurs, le taux de couverture contre la grippe saisonnière est inférieur dans tous les groupes cibles – ALD, professionnels de santé, plus de soixante-cinq ans – à 75 %. Pouvez-vous nous expliquer comment le Gouvernement entend redéfinir les objectifs spécifiques par type de population fragile ?

Pour illustrer la complexité de la définition et de la mise en œuvre de la politique vaccinale, permettez-moi de revenir sur la campagne de vaccination de 2009 contre la grippe A H1N1.

À l’occasion du bilan de la campagne, j’ai présenté, sous la présidence de François Autain, un rapport d’information sur l’étude de la Cour des comptes, qui était plus particulièrement ciblé sur les fonds utilisés. Cela m’a permis d’analyser les faiblesses de l’organisation de la communication interministérielle. Le plan national « Pandémie grippale » ne prévoyait aucune mesure ni procédure de définition d’une stratégie de communication. Toutefois, la communication centrée sur l’information du public et la promotion des gestes barrières ont été efficaces durant les premières phases de la crise. En revanche, l’absence de fichier des coordonnées téléphoniques ou électroniques des médecins m’est apparue stupéfiante. La Cour avait suggéré que les agences régionales de santé, les ARS, élaborent ce type de fichier. Madame la ministre, y a-t-il eu des mesures en ce sens ?

En outre, nous avons constaté l’insuccès des efforts déployés pour convaincre les Français de se faire vacciner. Le manque de réactivité de la communication gouvernementale, en particulier pour contrer les rumeurs véhiculées sur internet, a accentué ce problème. Il y a eu aussi des maladresses. Tandis que l’on défendait l’innocuité des vaccins adjuvés, on annonçait que les personnes fragiles recevraient des vaccins sans adjuvant.

Je rappelle qu’aucune publication n’a fait état de la dangerosité du vaccin H1N1 pour les populations. Le vaccin a eu quelques répercussions néfastes sur certains rares malades, comme n’importe quel type de médicament. Cependant, nous pouvons penser que, à partir du moment où les Français avaient décidé que la vaccination était inutile, il n’y avait pas grand-chose à faire pour les convaincre du contraire. Il est même à craindre que l’insistance des messages gouvernementaux n’ait contribué à aggraver leur défiance à l’égard de la parole publique. Nous devons impérativement tirer les leçons de cette période pour définir une politique de communication adaptée à ce type de circonstances à l’avenir. Madame la ministre, le Gouvernement a-t-il conçu une politique de communication de crise ?

Enfin, de mon point de vue, le fait d’écarter les médecins de la campagne de vaccination a constitué une erreur fondamentale. L’opinion n’a pas compris cette décision, ce qui a aggravé son échec. Pendant cet épisode, les pouvoirs publics n’ont pas fait confiance à ces praticiens. Résultat : un échec flagrant et une défiance encore plus grande de la population envers la vaccination.

Pour restaurer la confiance des Français envers la vaccination, nous devons commencer par restaurer la place du corps médical dans cette politique de santé. Il n’est qu’à voir a contrario le succès de la vaccination antipneumococcique, recommandée et pratiquée par les médecins. Il est donc urgent de redonner à ces derniers toute leur place dans la politique de santé publique. Le corps médical doit être formé à cela.

Madame la ministre, dans votre intervention, vous avez parlé aussi de délégation de tâches aux infirmiers, aux sages-femmes ou aux pharmaciens. Cet après-midi, nous avons commencé à travailler sur le sujet avec Catherine Génisson. Dans certaines ARS, ces délégations sont appelées « protocoles de coopération ». Cela vient après la prise de conscience d’un souci majeur : la désertification médicale et l’absence de revalorisation de l’acte médical depuis des années.

Je conclurai en remerciant M. le rapporteur d’avoir tenu compte de nos observations en commission des affaires sociales sur l’obligation vaccinale. Le vaccin est un enjeu fondamental de santé publique qui transcende les clivages partisans. Nous devons donc démontrer sa nécessité et convaincre les Français de son efficacité. Nous ne pouvons pas nous permettre des échecs récurrents de notre politique vaccinale, compte tenu des enjeux.

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