Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le constat est sans appel : la politique vaccinale française rencontre des insuffisances importantes et en grand décalage avec les pays voisins.
La première difficulté semble provenir du fait que notre médecine est principalement préoccupée par le soin, et non par la prévention. Or, cela a été rappelé, la vaccination fait partie du champ de la prévention.
Par ailleurs, la crainte de la poliomyélite ou de la tuberculose diminue, car ces maladies sont moins fréquentes ou concernent seulement certains types de population. Globalement, le risque diminue, la vigilance se relâche et l’intérêt du vaccin devient moins évident pour la population. C’est regrettable !
Dans la période où la vaccination était obligatoire et où les prestations familiales étaient liées à la vaccination effective des enfants, la France assurait une bonne couverture vaccinale des enfants. Aujourd’hui, nous sommes dans une politique vaccinale globalement incitative avec quelques obligations liées à la vie en collectivité ou à un déplacement à l’étranger. Pour le reste, chacune et chacun gère sa vaccination comme il peut, et presque comme il veut.
Or le sens même de la vaccination, et les campagnes comme la « semaine européenne de la vaccination », qui se déroule actuellement, sont là pour le rappeler, est que le vaccin protège individuellement et collectivement. Il s’agit de poser un acte individuel en lien avec un risque de contagion collectif. Comment mobiliser la population sur cette double nécessité ? C’est probablement sur ce point que nous devons travailler dans la mesure où nous faisons le choix… du libre choix.
Mais, surtout, la question primordiale de la vaccination est très liée à celle du suivi des vaccinations. Vous avez souligné ce problème, madame la ministre : qui est sûr d’être à jour avec ses dates de vaccins ou de rappels ? Qui ne s’est jamais refait vacciner ne sachant plus où il en était ? Car, il faut bien l’admettre, après la période des inscriptions dans le carnet de santé d’un enfant, il n’y a plus de possibilité d’avoir une vision longitudinale de l’état de ses vaccinations. Parfois, la médecine du travail assure cette vigilance ; parfois, le médecin traitant s’en charge également ; mais, parfois, personne ne s’en occupe ! C’est lors d’un accident ou d’une hospitalisation que la personne est interrogée par rapport au tétanos ou à la tuberculose.
La question du suivi est donc centrale pour mobiliser ou remobiliser les personnels de santé et les citoyennes et les citoyens sur le sujet. Nul doute que l’instauration d’un carnet vaccinal individuel électronique permettrait aux usagers, tout en respectant leur liberté individuelle, de connaître l’état de leur vaccination, d’accéder à des informations et de connaître la date des rappels, voire de recevoir des alertes par exemple. Ce système pourrait être adossé à la carte Vitale et ainsi consultable en pharmacie, chez le médecin ou à domicile.
Le dispositif aurait également pour mérite de permettre une approche statistique fiable et régulière de la situation de notre pays, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, loin s’en faut. Ce n’est pas un sujet mineur : quand on cherche à améliorer la couverture d’une population, encore faut-il connaître la situation de départ et mesurer régulièrement les effets de la politique conduite.
Mais, comme le souligne la Cour des comptes, l’amélioration de la couverture vaccinale suppose la formation et la mobilisation, aujourd’hui insuffisantes, des professions de santé sur l’approche préventive.
Nous devons poser la question de l’engagement des professionnels médicaux, mais aussi paramédicaux – infirmiers, sages-femmes, … – en faveur de la vaccination. Aujourd’hui, en France, 80 % à 90 % des vaccinations sont effectuées par les médecins libéraux, qui y accordent un intérêt tout relatif à en croire les données statistiques. Or, à l’étranger, lorsque la vaccination est confiée aux infirmiers – c’est le cas en Angleterre, en Espagne ou au Québec –, les résultats sont probants. Nous pourrions imaginer en France une collaboration étroite entre le pharmacien, qui délivre le vaccin sur prescription médicale et l’inscrit sur le carnet vaccinal du patient, et l’infirmier exerçant en libéral ou dans un centre de soins, un établissement scolaire ou universitaire, un centre de protection maternelle et infantile ou de médecine du travail, qui assure l’injection et complète le carnet.
J’en viens aux populations dites « à risque ». Il serait également intéressant de procéder aux vaccinations des bébés, voire de leurs mères lors de leur séjour à la maternité. Car la vaccination fait partie des actes simples et les risques sont plutôt bien identifiés. Nombre d’infirmiers gèrent déjà des protocoles de soins nettement plus complexes liés à des pathologies lourdes, comme les diabètes ou les cancers. Ils pourraient se voir confier les vaccinations, sous réserve d’intervenir sur prescriptions médicales et d’être rattachés à un médecin coordonnateur en cas de question ou de difficulté. Une telle option permettrait, me semble-t-il, de gagner en efficacité tout en préservant le budget de la sécurité sociale.
L’ouverture à ce type de professionnels permettrait également de contourner les difficultés des usagers situés dans les secteurs géographiques qualifiés de déserts médicaux. Je souscris à l’idée de lancer des expérimentations en ce sens sur quelques régions de métropole et d’outre-mer à l’occasion de la mise en œuvre du nouveau calendrier vaccinal. Cette approche permettrait également de sensibiliser ces professionnels à la nécessité de se vacciner eux-mêmes, en respect des malades qu’ils accompagnent, car nous ne pouvons que déplorer aujourd’hui leur faible niveau de vaccination.
Enfin, je crois que l’adhésion de la population à la démarche de vaccination se gagne surtout autour des enfants. Protéger les enfants est un souci permanent pour les parents. Une bonne information en période de grossesse et de suivi des enfants jusqu’à l’âge de six ans est, en ce sens, déterminante. Les centres de PMI jouent, à ce titre, un rôle prépondérant, ils le prouvent notamment dans les secteurs géographiques sans pédiatres. Leur intervention en école maternelle leur permet également d’informer les parents en direct.
Il serait intéressant de les associer, en outre, à l’élaboration des supports et messages de communication afin de favoriser la prise de conscience de l’entourage de l’enfant sur la protection apportée à ce dernier par sa propre vaccination, ainsi que celle de ses proches. La perte de vigilance, voire la résistance à la vaccination, se compte en vies humaines. J’en veux pour preuve les enfants qui meurent encore de rougeole ou de coqueluche en France, qui ne sont pas nécessairement toujours issus d'une population précaire.
Je partage l’idée que des campagnes d’information générales ou ciblées, avec retours d’informations sur l’efficacité des vaccins, le rapport risque-efficacité, permettraient de remobiliser les Françaises et les Français sur leur vaccination et de faire évoluer les mentalités en la matière, ce qui est un élément essentiel pour la santé publique.