Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi au préalable de remercier M. le rapporteur de sa contribution remarquable à un débat difficile, mais fondamental, que nous retrouverons d’ailleurs dans la future loi de santé publique, à savoir l’appropriation de la vaccination par nos concitoyens. En effet, celle-ci est souvent perçue comme un problème technique et logistique, alors que nombre d’échecs de campagnes de vaccination sont dus à des résistances humaines.
En septembre dernier, deux tiers des Français s’étaient déclarés hostiles à se faire vacciner contre la grippe. Plus de la moitié d’entre eux estimaient même que les vaccins pouvaient être risqués pour leur santé. Dans ces conditions, les conclusions présentées en février dernier par la Cour des comptes sur la politique vaccinale n’ont rien de surprenant. Les résultats sont « médiocres », et la France se situe parmi les mauvais élèves en termes de vaccination par rapport aux pays comparables. Depuis 2008, la vente de vaccins a d’ailleurs baissé de 12 % en unités et de 30 % en valeur.
Les débats qui ont entouré la campagne de vaccination mise en place par les pouvoirs publics dans le cadre de la lutte contre la pandémie de grippe A HIN1 en 2009 ont été illustratifs de l’échec d’un modèle de politique vaccinale : une politique aveugle menée sans l’appui technique des professionnels de santé. C’est même devenu un cas d’école d’absurdité en matière de formation des décideurs publics dans les universités anglo-saxonnes. En effet, il faut intégrer qu’aucune politique de vaccination ne pourra se faire sans les professionnels de santé. C’est ce que nous a montré la gestion publique de cette pandémie.
Dans le cas de la grippe A à l’automne 2009, la politique sanitaire envers cette pandémie avait été conçue et organisée sans que les professionnels de santé soient initialement associés à cette préparation. Cette exclusion résultait alors d’un monopole établi entre les scientifiques, l’administration et les entreprises pharmaceutiques. Les autorités sanitaires justifièrent ce choix en arguant de la pertinence des centres de santé mis en place pour vacciner soixante millions de personnes au plus vite, sous le contrôle des préfets. Nous avions critiqué cette affaire en son temps.
Sur le papier, l’idée pouvait paraître séduisante. Dans les faits, cette décision, unique au regard de nos voisins, allait être source de graves dysfonctionnements. L’administration a considérablement sous-estimé le rôle historique des professionnels de santé auprès des populations. Leurs mises à l’écart ont entraîné de fortes réticences chez nos concitoyens à se faire vacciner, d’autant que certains patients, effrayés par des rumeurs relayées par les médias, exigèrent que les médecins prennent leurs responsabilités.
Ce n’est qu’à partir du 13 janvier 2010 que la ministre de la santé prit acte de son échec : constatant que 8, 5 % de la population était vaccinée pour un objectif initial de 75 %, elle décida de permettre aux médecins généralistes de participer à la vaccination et de mettre fin aux centres de santé dédiés. Malheureusement, il était trop tard, le pic de la pandémie grippale avait été atteint au début de décembre 2009.
Quelques erreurs avaient, en outre, alimenté la contestation : médecins réquisitionnés d’autorité par des gendarmes, mauvaise recommandation du ministère de l’intérieur sur le fractionnement de l’acte de vaccination, centres de vaccination tantôt déserts, tantôt embouteillés, refus de candidats non munis d’un bon, etc.
Enfin, les erreurs du gouvernement d’alors sont apparues ruineuses pour les contribuables : 208 millions d’euros supplémentaires furent déboursés par rapport à l’estimation originellement prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Cela est cher payé quand, un an plus tard, l’Institut de veille sanitaire estima à 312 le nombre de décès liés au virus H1N1 en France, contre 4 000 à 6 000 pour une épidémie de grippe saisonnière classique.
Les acteurs de terrain, eux, ne se sont pas trompés et ont mis en place spontanément une réponse plus adaptée à la réalité de la maladie. Les praticiens libéraux ont ainsi encouragé les personnes à risque à se faire vacciner, tout en soulignant l’inutilité d’une vaccination générale de l’ensemble de la population.
En cela, je partage pleinement le constat émis dans le rapport de M. Labazée, qui s’étonnait que les politiques publiques de santé n’aient pas perçu ou, en tout cas, pas pris en compte le rôle important des médecins de proximité dans la réussite d’une action en matière de vaccination. En effet, le médecin généraliste est souvent le premier interlocuteur, celui qui connaît les problèmes de son malade. Cette proximité lui permet d’anticiper bien des difficultés rencontrées par ceux qui font appel à lui.
Nous pensons, en particulier, à la prévention de la maladie du tétanos. Celui-ci a reculé de façon régulière en France dans la dernière moitié du XXe siècle, passant de trois cents cas par an en 1975 à moins de quatre en 2012. Or aucune communication préventive des pouvoirs publics n’a été faite à ce sujet. Ce sont les médecins généralistes qui ont incité les patients à se faire vacciner.
Inversement, la campagne massive de vaccination contre l’hépatite B déclenchée à partir de 1994 a été menée à grands renforts publicitaires adressés à l’ensemble de la population. Pourtant, la communauté médicale avait alerté, dès le début des années 1970, des conséquences que pouvait avoir cette pratique sur des publics à risque, comme les personnes ayant des antécédents de maladie auto-immune. Elle n’avait pas tort : quinze ans plus tard, le laboratoire GlaxoSmithKline était condamné à verser près de 400 000 euros à une jeune femme vaccinée et atteinte d’une sclérose en plaques.
Récemment, plusieurs professeurs de médecine ont interpellé les pouvoirs publics sur l’utilisation des sels d’aluminium comme adjuvants dans les vaccins. Le rapport en fait état. Ceux-ci sont censés stimuler le pouvoir immunogène de la vaccination et assurer une protection suffisante du receveur. Or plusieurs enquêtes de suivi sur les patients ont montré les risques de formation de myofasciite à macrophages. Plusieurs d’entre eux semblent souffrir d’une importante fatigue chronique, de douleurs très invalidantes et de troubles de la mémoire et du sommeil. Le groupe parlementaire d’études sur la vaccination de l’Assemblée nationale avait ainsi recommandé, en mars 2012, la mise en place d’un moratoire sur l’utilisation de l’aluminium dans les vaccins « en attendant de recueillir davantage de données scientifiques sur ses conséquences éventuelles, en particulier dans les cas de vaccinations d’enfants en bas âge et de vaccinations répétées ». Nous attendons de connaître votre position à ce propos, madame la ministre.
Les trois préconisations du rapport Labazée sont pertinentes en matière d’intégration des médecins dans l’évolution de la politique vaccinale en France. C’est la raison pour laquelle nous les ferons nôtres.
Tout d’abord, pour restaurer la confiance en la vaccination, commençons par réaffirmer la place du corps médical dans cette politique de santé. Selon une enquête récente, 98 % des Français déclarent avoir « confiance » en leur médecin de famille. Pour l’immense majorité des patients, le médecin généraliste est « à leur écoute » et « compétent ». Cette vision idyllique est néanmoins pondérée par « un patient sur deux » qui lui reproche « une connaissance insuffisante de son passé médical ». À cet égard, l’idée d’un carnet vaccinal électronique va dans le bon sens.
Ensuite, deuxième préconisation de ce rapport, faisons mieux connaître la vaccination auprès des professionnels de santé. Celle-ci apparaît en effet fondamentale. Monsieur le rapporteur, vous affirmez que, « au cours des études médicales et d’infirmière, la part faite à la vaccination semble devenue trop peu importante pour susciter l’adhésion […] des jeunes professionnels qui […] se font très peu vacciner et ont dès lors tendance à peu vacciner eux-mêmes ».
Cette assertion est vraie, mais doit être complétée : les vaccins obéissent à une relation bénéfice-risque qui doit être régulièrement réexaminée. Cela est d’ailleurs le cas de tout médicament. Il a fallu attendre plus de quarante ans pour connaître exactement les effets secondaires des vaccins coquelucheux acellulaires, tels que les affections neurologiques – encéphalopathies aiguës, encéphalites et encéphalomyélites – chez de rares patients, il est vrai. C’est donc la formation continue des professionnels de santé qu’il faut repenser dans sa globalité.
Enfin, troisième préconisation, je terminerai sur le libre choix des médecins. Il leur incombe non seulement de faire primer la prévention sur le curatif, mais également – j’y insiste – de leur laisser le choix du produit le mieux adapté à la singularité de leur patient. Les deux sont indissociables. Aussi, il faut certes parler des risques de santé, mais avec lucidité et modération. On ne peut parler seulement des risques. L’aspirine peut tuer, mais pour des millions de Français, ses bénéfices sont indispensables.