En effet, à l’automne 2008, lorsque la crise financière a éclaté, et alors que Nicolas Sarkozy présidait le Conseil européen, il a su agir de manière efficace pour que le G20 se mette en place, puis pour mettre à l’ordre du jour du sommet de Londres la lutte contre les paradis fiscaux, bancaires et judiciaires. C’est dans la foulée de cette action internationale que le modèle de convention de l’OCDE, qui dormait dans des cartons ou dans les greniers du château de la Muette depuis des années, s’est imposée comme le standard mondial : désormais, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales de l’OCDE veille, en principe, à ce que les engagements pris par les États ou territoires afin de sortir des listes « noires » ou « grises » de l’Organisation soient bien suivis d’effets.
En conséquence, la France a, depuis 2009, conclu ou révisé des conventions avec vingt-huit États ou territoires dont, par exemple, Andorre, la Suisse, le Liechtenstein ou Jersey, afin de les rendre conformes au modèle de l’OCDE, qui interdit à la partie requise de s’abriter derrière le secret bancaire pour refuser de répondre à une demande individuelle.
Les progrès sont donc réels par rapport à la situation qui prévalait avant 2009.
Au demeurant, je me réjouis de constater que l’actuel Gouvernement a conservé le même cap en soumettant à la ratification du Parlement plusieurs nouvelles conventions, avec les Philippines, Oman ou Aruba, elles aussi calquées sur le modèle de l’OCDE.
Après ce rappel, je souhaiterais insister sur ce qui constitue notre préoccupation permanente, à savoir, au-delà de la simple existence de ces accords, l’effectivité de leur mise en œuvre. Notre commission des finances n’a jamais fait preuve d’une naïveté béate face à la réalité : les rapports et les débats de notre assemblée démontrent notre volonté de ne pas nous contenter de mots, fussent-ils inscrits dans des conventions, et de veiller à l’application effective des nouvelles dispositions conventionnelles. J’en donnerai quelques exemples.
Lors de l’examen de la dernière loi de finances rectificative pour 2009, au sein de laquelle fut créée la notion d’« État ou territoire non coopératif », j’avais défendu, en qualité de rapporteur général de la commission des finances et avec le soutien du président Jean Arthuis, un amendement dont l’adoption aurait abouti à l’inscription de la Suisse sur la liste des États et territoires non coopératifs, nos voisins ayant alors choisi de suspendre le processus de ratification de l’avenant à la convention franco-suisse en raison de l’affaire dite du « listing HSBC ». Il est d’ailleurs dommage que nous n’ayons pas été suivis à l’époque.
À la fin de 2011, considérant que le Panama n’avait pas la capacité juridique de mettre en œuvre la convention passée avec la France, notre rapporteur général, Mme Nicole Bricq, nous avait incités à rejeter l’avenant, provoquant ainsi la réunion d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi une convention fiscale, ce qui est une rareté ! Cela nous avait permis de siéger dans la salle de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, puisque, au Palais Bourbon, c’est à cette commission qu’est confié l’examen au fond des conventions fiscales.
Plus récemment, les rapports de Michèle André rappellent que, s’il est possible de retirer un État de la liste des États non coopératifs, il est également possible de l’y réinscrire, s’il ne respecte pas ses engagements.
L’état des lieux étant dressé, comment aller plus loin ? Que faire, à présent que nous disposons de quelques années de recul sur les premières conventions négociées ou renégociées à la suite de l’aval donné par le G20 de 2009, et tandis que l’enquête dite Offshore Leaks d’un réseau de journalistes internationaux a bien montré que les paradis fiscaux demeuraient une réalité quotidienne ?
Dans cette optique, monsieur le ministre, je souhaite évoquer devant vous trois pistes propres à nourrir la réflexion.
Première piste : développer l’échange automatique, ce qui signerait véritablement la fin du secret bancaire.
La France, nous le savons, plaide depuis longtemps en faveur d’une systématisation de l’échange automatique. Les positions du précédent gouvernement dans le cadre de la renégociation de la directive Épargne ont été heureusement reprises à son compte par le gouvernement actuel.
Avec quatre autres États européens, notre gouvernement vient par ailleurs de lancer un appel au commissaire européen Semeta, chargé de la fiscalité, en vue de la mise en place, en Europe, d’un dispositif inspiré de la réglementation américaine FATCA, sur laquelle nous tâcherons de nous documenter lors du prochain déplacement du bureau de la commission des finances aux États-Unis. Il serait utile, monsieur le ministre, vous nous en disiez un peu plus à ce sujet.
En tout état de cause, il semble que la situation évolue en Europe et, à cet égard, le Conseil européen du 22 mai 2013 pourrait marquer une étape importante ; sans doute nous le direz-vous, monsieur le ministre.
Deuxième piste : il convient de mieux utiliser les outils existants.
À cet égard, je me permettrai de faire une allusion discrète à l’actualité récente et à un dossier très médiatisé, qui m’a amené à m’intéresser de près au fonctionnement concret de deux conventions fiscales, celles que nous avons signées avec la Suisse, d'une part, et avec Singapour, d'autre part.
Je n’évoquerai, pour illustrer mon propos, que la convention franco-suisse, emblématique à bien des égards, et dont le dernier avenant est entré en vigueur le 4 novembre 2010.
Je relève, que le dernier « jaune budgétaire » sur le réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements, annexé au projet de loi de finances pour 2013, comprend des passages critiques sur la qualité de notre coopération avec la Suisse. Notre pays avait, au 31 août 2011, adressé 98 demandes d’assistance administrative à la Confédération helvétique et n’avait reçu à la même date que 55 réponses. Ce taux conduit à s’interroger sur le délai de réponse des autorités suisses, mais ne donne pas d’indication quant à la qualité des réponses reçues. Il semble bien qu’un nombre significatif de demandes soient jugées « non pertinentes » par notre voisin.
Pourtant, il est désormais bien connu que l’avenant franco-suisse a été complété le 11 février 2010, comme l’avait relevé Adrien Gouteyron devant notre assemblée, par un échange de lettres entre les directeurs des administrations fiscales de nos deux pays, permettant d’interroger les Suisses même lorsque l’on ne connaît pas avec certitude la banque concernée. Je m’interroge toujours sur les raisons pour lesquelles il semble bien que nous n’utilisions pas pleinement cette faculté.
Quoi qu’il en soit, s’agissant de la Suisse, la question qui se pose est la suivante : sommes-nous à l’aube d’une nouvelle ère de la coopération franco-suisse, ou bien les difficultés identifiées dans le « jaune budgétaire » à l’automne dernier subsistent-elles ?
Un cas récent a permis de montrer que les autorités suisses pouvaient répondre de manière rapide et constructive lorsque les bonnes questions lui étaient posées. Un nouveau test important nous permettra de nous faire une idée du niveau réel de collaboration de notre partenaire suisse. Selon la presse, en effet, la France a effectué des demandes d’assistance administrative concernant quelque 353 contribuables qui auraient été démarchés par la banque UBS.
De manière plus générale, il est important, pour les parlementaires qui ne peuvent participer aux discussions entre administrations fiscales, de mieux comprendre les difficultés concrètes auxquelles se heurte notre direction générale des finances publiques. J’ai le sentiment que certains États limitent leur assistance à la simple confirmation des informations obtenues par les services français, qui doivent recueillir par eux-mêmes des données très détaillées avant de pouvoir espérer des réponses.
Sans verser dans la naïveté, on aurait pu penser que, eu égard aux discours publics des gouvernements et à l’intérêt de contenir l’évasion des capitaux, les autorités des pays bénéficiaires des mouvements contribueraient à l’analyse des mouvements suspects, par exemple lorsqu’un même établissement bancaire procède à des transferts massifs de comptes depuis un pays dans lequel les règles sont sur le point de se durcir. Je souhaiterais connaître votre analyse sur ces sujets, monsieur le ministre.
Ne pensez-vous pas, qu’il faudrait aussi, même si la France est déjà aux avant-postes, toujours plus stimuler notre réseau conventionnel, afin de faire comprendre aux États requis que le « principe de proportionnalité », derrière lequel ils s’abritent souvent pour justifier leur peu d’empressement à diligenter des recherches, doit aussi valoir pour la requête, qui ne peut pas toujours être d’une extraordinaire précision ?
En cas de refus trop fréquent d’un partenaire qui ne permettrait pas une application satisfaisante de notre loi fiscale malgré la conclusion d’une convention, ne devrions-nous pas être en mesure de solliciter le Forum mondial de l’OCDE pour qu’il procède à une nouvelle investigation ? Ne devrions-nous pas aller jusqu’à assumer l’inscription ou la réinscription de l’État concerné sur notre liste des États et territoires non coopératifs ?
Troisième piste, enfin : renforcer le contrôle démocratique.
La souveraineté fiscale de nos États est aujourd’hui menacée, plusieurs d’entre nous l’ont dit très justement, par les pratiques à la fois illicites et immorales d’évasion fiscale, mais aussi par la manipulation de leurs bases d’imposition par les grandes entreprises.
Une bonne information des citoyens et du Parlement est donc essentielle. À cet égard, monsieur le ministre, le « jaune budgétaire » sur les conventions fiscales annexé au projet de loi de finances me paraît toujours un peu maigre. Il doit a minima être enrichi de données qualitatives sur le caractère satisfaisant ou non des réponses adressées à la France par chaque pays partenaire.
Je regrette, par ailleurs, que l’annexe au projet de loi de finances, créée par la loi de finances initiale pour 2011, et dans laquelle doit être présenté un bilan annuel des contrôles effectués par l’administration fiscale, n’ait toujours pas été publiée. Un tel document fournirait pourtant au Parlement des informations précieuses, notamment sur les demandes de documentation, procédures et contrôles concernant la « manipulation des prix de transfert ». C’est un enjeu essentiel, sur lequel j’insiste à mon tour.
Il ne s’agit là évidemment que de quelques pistes, en préambule de travaux de la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières, conduits sous la houlette de nos collègues Éric Bocquet et Philippe Dominati, …