Séance en hémicycle du 23 avril 2013 à 22h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Charles Guené.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Mes chers collègues, je vais vous donner lecture des conclusions de la conférence des présidents qui s’est réunie cet après-midi.

Le groupe socialiste a demandé l’inscription, dans son espace réservé du mardi 14 mai prochain, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi.

La conférence des présidents a pris acte de cette demande.

En conséquence, l’ordre du jour du mardi 14 mai 2013 s’établit désormais comme suit :

Mardi 14 mai 2013

De 14 heures 30 à 18 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste :

1°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi (texte de la commission, n° 531, 2012-2013).

La conférence des présidents a fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 13 mai, 17 heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

2°) Projet de loi relatif à l’élection des sénateurs (377, 2012-2013).

La commission des lois se réunira pour le rapport le mercredi 24 avril matin.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...

Ces propositions sont adoptées.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi ce jour, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés et soixante sénateurs, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Le texte de ces saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

L’ordre du jour appelle le débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales, organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre sentiment est partagé à l’ouverture de ce débat en séance ce soir.

En effet, c’est à la demande de notre groupe qu’il a lieu, mais, compte tenu de l’importance du sujet et de l’actualité très riche de ces dernières semaines, nous aurions pensé qu’un débat aussi essentiel que celui-ci eût pu se tenir en prime time, comme on dit, c'est-à-dire à une heure de grande écoute.

Toutefois, l’essentiel n’est pas là ; l’échange aura bien lieu ce soir.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Nous avons vu de nombreuses conventions fiscales passer par notre assemblée, et la question de leur efficacité s’est régulièrement posée avec force. Le rapport récent de l’OCDE sur la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices souligne que les conventions fiscales, dont l’objet essentiel est d’éviter les doubles impositions, constituent en fin de compte un système performant de double non-imposition, qui met en valeur toute l’ingénierie et le savoir-faire des cabinets de conseils et autres avocats fiscalistes.

Aussi, monsieur le ministre, nous avons quelques questions à vous poser, quelques suggestions à vous présenter et quelques demandes à vous adresser.

Le débat qui nous réunit porte sur les conventions internationales et leur efficacité pour lutter contre l’évasion fiscale internationale. Il faut partir de ce que sont les conventions internationales, c’est-à-dire de leur rôle de vecteurs, de véhicules de la normativité internationale en matière de fiscalité.

D’emblée, cette identité ne leur assure pas toutes les chances de succès : le droit international n’est pas le plus puissant des droits. Fruit de compromis, il est mité et souvent mal sanctionné, ce qui, évidemment, peut nuire à son autorité. Toutefois, ses faiblesses n’empêchent pas de le préférer aux solutions dans lesquelles la force pure ne s’embarrasse pas du détour du droit négocié.

Il faut en réalité envisager trois grandes catégories de conventions, dont certaines sont bilatérales et d’autres multilatérales, selon l’objet de chacune.

Nous rencontrons d’abord les conventions fiscales internationales, qui sont l’équivalent dans l’ordre international de notre législation fiscale interne. Il y a ensuite les conventions d’entraide ou d’assistance judiciaire, qui forment une sorte de mélange de code pénal et de code de procédure pénale entre les États, qui peut évidemment trouver à s’appliquer en matière de délits fiscaux. Enfin, nous avons un réseau conventionnel un peu balbutiant mais probablement appelé à jouer un rôle de plus en plus essentiel, si les États acceptent de s’affranchir de la tutelle des établissements de crédit, qui tourne autour de ce champ hier presque vierge, aujourd’hui à peine labouré, qu’est la lutte contre le blanchiment.

Ces instruments, qui devraient contribuer à un ordre fiscal juste, échouent trop souvent.

Les conventions fiscales internationales au sens strict répartissent la souveraineté fiscale, ou du moins tentent de le faire, car il faut tenir compte du comportement des contribuables les plus indélicats, qui s’évertuent à en déjouer la portée. Elles fixent l’attribution du droit d’imposer et prévoient les moyens de consolider le droit de chacune des parties au traité, via des procédures de gestion administrative de l’impôt. Dans ces procédures de sécurisation du droit, l’échange d’informations joue un rôle non exclusif, mais essentiel.

Ces conventions, généralement bilatérales, sont encadrées par des conventions multilatérales qui fixent un certain nombre de principes portant sur leurs deux volets : la répartition du droit d’imposer, d’un côté, la gestion des relations entre administrations fiscales pour en appliquer les dispositifs, de l’autre. Les deux aspects de ces conventions sont bien entendu importants.

La répartition du droit d’imposer engage notre capacité à défendre la souveraineté fiscale de la France.

Cette dimension de notre diplomatie économique a fait surface pendant la campagne de la dernière élection présidentielle. Les deux candidats qualifiés pour le second tour avaient annoncé une renégociation plus ou moins étendue des conventions bilatérales. Le candidat finalement élu avait souhaité renégocier quelques conventions, notamment avec la Belgique et la Suisse. Où en sommes-nous, monsieur le ministre ?

Par ailleurs, avez-vous entrepris de remédier aux situations de double non-imposition ? Quel diagnostic pouvez-vous nous présenter à ce sujet ? Pouvez-vous nous exposer votre programme de négociations pour porter remède à ces situations ?

Enfin, nous aimerions pouvoir disposer d’une évaluation nous permettant d’apprécier les effets fiscaux des régimes dérogatoires au modèle de convention de l’OCDE offerts à certains pays et pouvoir vérifier si les contreparties économiques de ces cadeaux ont toujours été au rendez-vous.

Nous nous permettons de vous suggérer, monsieur le ministre, de procéder à l’évaluation des conditions dans lesquelles les intérêts financiers publics sont défendus par l’économie des conventions fiscales. Cette évaluation devra être réalisée convention par convention et faire l’objet d’une synthèse permettant d’élaborer une véritable stratégie fiscale internationale. Nous sommes demandeurs d’une communication des résultats.

Sur l’autre volet, la gestion administrative de l’impôt et, en particulier, du contrôle fiscal, autant le dire tout de suite, nous entrons dans le vif du sujet, c’est-à-dire dans une vaste invraisemblance qui voit le bouclier se transformer en arme d’autodestruction particulièrement perfide.

Il faut évidemment mentionner ici le rôle de l’OCDE. Cette organisation des pays développés a été chargée par le G20 – le fameux G20 qui, chacun le sait, a supprimé par décret les paradis fiscaux en 2009 – de lutter contre les États non coopératifs en procédant à un examen par les pairs des conditions dans lesquelles les pays s’appliquent à jouer le jeu de la transparence fiscale.

Or dans le processus du Forum mondial, les conventions fiscales ont été instrumentalisées pour permettre aux pays non coopératifs d’échapper à ce que les Anglais appellent le naming and shaming – nommer et jeter la honte sur les gens. Tout ceci s’est déroulé sous les auspices et avec la bénédiction des États de l’OCDE.

Combien de pays inscrits sur la liste noire des paradis fiscaux ont-ils pu en sortir par la simple signature de conventions fiscales avec des États aussi peu scrupuleux qu’eux ? Quel a été le prix payé aux îles Féroé ou à Andorre pour avoir accepté de signer des conventions fiscales avec les îles Caïmans afin que celles-ci sortent de la liste ? Il faut nous le dire, monsieur le ministre, et il faut que vous plaidiez à l’OCDE pour que, au minimum, il soit mis fin à cette imposture.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici même : si les listes des paradis fiscaux se vident, celles des contribuables disposant de comptes dans ces juridictions ne cessent d’enfler. J’y reviendrai.

Commençons par faire le ménage chez nous ! Chez nous, c’est-à-dire en Europe et en France. Combien de temps encore devrons-nous supporter que l’Autriche, la Suisse, le Luxembourg ou la Belgique trichent ? Combien de temps encore devrons-nous tolérer que la France vide sa liste des États non coopératifs, désarmant au passage les trop rares et faibles instruments anti-évasion de notre législation fiscale ?

Monsieur le ministre, combien de demandes d’assistance administrative avez-vous adressées à vos homologues dans le monde ? À qui ? Pour quels résultats ?

Je voudrais vous dire notre satisfaction que la France ait tourné le dos à la tentation de signer les accords Rubik, par lesquels la Suisse entendait, en quelque sorte, acheter la paix fiscale. Nous avons été très inquiets, et j’ai personnellement été interviewé par des journalistes helvétiques sur des rumeurs de ralliement de la France d’après mai 2012 à ces sirènes ou, devrais-je dire, à ces cors des Alpes… Rubik, ce n’est rien d’autre qu’une amnistie fiscale !

Il n’empêche que nous aimerions connaître quelles initiatives ont été prises au nom de la France devant l’attitude de certains de nos partenaires dans l’Union européenne, qui pratiquent une duplicité inadmissible, signant d’une main ce que de l’autre ils déchirent.

Il est de plus en plus question d’un Foreign Account Tax Compliance Act, ou FATCA européen, devant ce que d’aucuns voient comme la faillite des conventions bilatérales. Pourquoi pas ? Cette piste peut être intéressante. Néanmoins, ne nous leurrons pas : le FATCA européen, pour exister, devra être adossé à une ferme volonté politique qui fait manifestement défaut dans cette Europe où la concurrence fiscale s’étend à la lutte contre les paradis fiscaux.

Par ailleurs, ne soyons pas trop naïfs ! Le FATCA des États-Unis ne nous fera aucun bien. Au demeurant, que ne l’appliquent-ils au Delaware ou au Wyoming, nos amis américains ? Je vous suggère, monsieur le ministre, de lancer au plus vite vos services de la direction générale du Trésor sur les effets de cette opération sur les flux de capitaux dans le monde.

Ils pourront utilement s’inspirer de l’étude de Zucman et Johansen sur l’impact des conventions fiscales. Je ne résiste pas à la tentation de citer l’une des conclusions de leurs travaux : le durcissement des conventions avec un pays, la Suisse par exemple, se traduit par le déplacement des fonds, non vers le pays qui a obtenu le durcissement, mais vers d’autres contrées de l’offshore, Singapour par exemple.

Étant donné les mesures annoncées ici ou là en Europe, nous vous demandons, monsieur le ministre, de faire en sorte que les flux de capitaux entrant et sortant des pays de l’Union européenne et de ses partenaires soient surveillés et contrôlés avec la plus extrême vigilance, moyennant quoi nous sommes évidemment très favorables à un échange automatique d’informations, le système actuel étant totalement inadapté, comme l’avait remarquablement exposé M. Van Ruymbeke l’an dernier devant notre commission d’enquête sur l’évasion fiscale internationale.

J’en viens donc, monsieur le ministre, à une question particulièrement inquiétante, celle des conditions dans lesquelles les conventions fiscales sont concrètement appliquées. Lors des travaux de notre commission d’enquête, nous avons pu être alertés sur les difficultés présentées par la mise en œuvre effective de conventions passées avec des pays qui vont jusqu’à dénoncer les accords conclus avec la France.

Je relève au passage que les motifs de certaines dénonciations sont intéressants et pourraient être utilement médités pour résoudre le très intéressant problème de la légitimité du droit d’imposer. Je songe en particulier au Danemark et à la question de l’imposition des revenus différés. Ma question est de savoir où nous en sommes des litiges qui nous opposent avec nos cocontractants et si, en matière de prix de transfert notamment, nous parvenons à faire réellement prévaloir le droit.

Au-delà, me référant à l’actualité mais n’oubliant pas des dossiers plus anciens dont nous avons pu prendre connaissance, je voudrais vous poser quelques questions précises, qui illustrent un problème de gouvernance auquel notre commission d’enquête sénatoriale avait souhaité apporter une solution, notamment en préconisant comme première mesure la création d’un haut-commissariat à la défense des intérêts financiers publics, qui aurait pu être le garant de la transparence de ces procédures.

Premièrement, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer les raisons pour lesquelles la convention fiscale bilatérale entre la France et la Suisse a pu aboutir à forger de la situation de fortune de M. Cahuzac une représentation si fausse que le ministre de l’économie s’est dit « utilisé », tandis qu’un journal d’une incroyable complaisance a pu titrer sur le « blanchiment », un mot doublement malheureux en l’occurrence ?

Nous aimerions d’ailleurs avoir quelques précisions sur le sens de ces propos, monsieur le ministre, car, nous vous le confions, nous ne sommes pas très rassurés par le fait qu’un ministre de l’économie et des finances avoue avoir été « utilisé ». Nous ne percevons que trop à quel point les monétaristes de tout poil, les partisans du démantèlement de l’État social, les adeptes de la précarisation des salariés vous utilisent pour placer la France dans la spirale de la déflation, du chômage et de l’appauvrissement.

Deuxièmement, je vous interrogerai sur les traitements tout à fait énigmatiques qu’a pu recevoir le listing remis par M. Hervé Falciani à la justice de notre pays. Je veux parler de la très mal nommée « liste des 3 000 ».

Le rapport de notre commission d’enquête comportait un certain nombre de questions auxquelles nulle réponse n’a été apportée à ce jour. Or le parcours de cette liste, tel qu’il a été relaté par plusieurs acteurs de ce dossier, est particulièrement intriguant.

Je rappellerai brièvement quelques faits. Voilà une liste communiquée à l’administration fiscale, laquelle nous dit qu’elle n’a été « en aucune façon exploitée ». C’est étrange, puisqu’elle laisse supposer l’existence d’un grand nombre de contribuables fraudeurs.

Finalement, par l’intermédiaire du procureur de Nice, qui dispose d’informations cryptées, la liste arrive sur le bureau de l’administration fiscale. Celle-ci indique avoir identifié 3 000 titulaires de comptes, mais avoir tout de même relevé 8 000 occurrences. Le procureur s’étonne, car les services techniques auxquels il avait confié les données informatiques précisent qu’elles auraient rempli un train de marchandises. Même avec 8 000 occurrences, c’est plutôt à une mobylette, éventuellement à un triporteur, que l’on a affaire !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

L’administration fiscale nous dit avoir laissé tomber la liste de l’informateur pour privilégier celle du procureur. Le procureur, quant à lui, nous informe qu’il n’y retrouve pas ses petits et suggère que quelque chose s’est passé au niveau des services techniques, soit de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, l’IRCGN, soit du service de la douane judiciaire.

Nous avons demandé qu’une enquête administrative soit ouverte à ce propos. L’a-t-elle été ?

Un autre témoignage compte beaucoup. Le procureur nous indique : « En réalité, M. Falciani, pour des raisons qui m’échappent encore, nous a livré par bribes ce qu’il détenait. Avant que l’autorité judiciaire n’aille chercher ces données – je l’ai su plus tard –, il semble que des tractations aient eu lieu avec les services fiscaux, ce qui n’est pas peu dans ce dossier ». Ce n’est en effet pas peu !

Monsieur le ministre, avez-vous fait vérifier l’existence de telles tractations ? Ce point est assez crucial, car on peut facilement imaginer leur objet. Malgré son volume, la liste transmise au procureur n’avait-elle pas été quelque peu arrangée ? Telle est la question.

Enfin, nous voudrions savoir si le fisc français a été aussi diligent que son homologue britannique, dont nous savons bien qu’il a récupéré beaucoup plus de recettes fiscales que nous n’avons pu le faire, ou si nous nous situons plutôt du côté de la Grèce, où ce fameux listing a conduit à mettre en cause l’un de vos homologues, M. Papaconstantinou, accusé en son temps d’avoir tronqué la liste HSBC.

Arrivé à ce stade de mon intervention, je ne dirai que quelques mots des conventions d’entraide judicaire et de leur fonctionnement dans le champ fiscal, ainsi que des conventions concernant la lutte anti-blanchiment.

S’agissant de l’entraide judicaire, les témoignages recueillis par la commission d’enquête sénatoriale sont très inquiétants. Les résultats obtenus en la matière sont, certes, parfois bons, mais souvent très mauvais. À cet égard, le Royaume-Uni, en particulier, paraît des plus réticents à fournir la moindre information, alors même que ce pays se prétend à la pointe de la lutte contre le terrorisme international.

Où en est le projet d’un parquet financier européen ? J’ai compris que le Président de la République souhaitait renforcer le bras judiciaire de la lutte contre le blanchiment en France. Nous lui suggérons d’étendre un peu son horizon à cette Europe de l’ombre, qu’il est beaucoup plus urgent de rendre transparente que le parc de vélocipèdes de tel ou tel ministre.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste . – Mme Nathalie Goulet et M. Philippe Marini applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête créée l’an dernier sur la proposition du groupe communiste, républicain et citoyen a eu un retentissement certain.

L’un de ses effets, grâce à quelques affaires qui ont été révélées, a été de permettre de mesurer l’ampleur du problème posé, la profondeur des pertes entraînées par la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales pour le budget général. Le montant se chiffre en dizaines de milliards d’euros et représente à peu près l’équivalent du déficit budgétaire. Le journaliste de La Croix Antoine Peillon, qui a intitulé son livre Les 600 milliards d’euros qui manquent à la France, a bel et bien situé l’enjeu.

Dans les méandres de la finance internationale, face à cette Hydre de Lerne de la spéculation, la France et l’Europe laissent filer des centaines de milliards d’euros de ressources financières disponibles, alors même que les économies des pays de l’Union européenne ont grand besoin de ces sommes pour faire face à leurs difficultés actuelles, dont la spéculation et la fraude sont d'ailleurs responsables pour une part décisive.

Là se situe clairement l’enjeu : ou bien une lutte contre la fraude fiscale de grande envergure est lancée, et nous connaîtrons, chaque année, un redressement des comptes publics et un élargissement des capacités de financement de la dépense publique comme de la réduction des impôts ; ou bien tel ne sera pas le cas, et nous serons toujours préoccupés par le taux de chômage, inquiets de voir progresser encore les inégalités sociales et de constater que des millions de nos compatriotes n’ont pas ou plus de logement et de voir augmenter sensiblement la proportion des jeunes en échec scolaire.

La découverte de l’existence des paradis fiscaux n’est pas nouvelle ; celle-ci a été révélée avec un certain éclat bien avant la crise financière de 2008.

Un paradis fiscal, rappelons-le, n’est pas nécessairement le paradis pour tous ! Le territoire tropical le plus inégalitaire possible, à l’instar des Philippines, où une oligarchie limitée se partage le pouvoir depuis de longues décennies, peut être un paradis fiscal idéal pour les ménages les plus aisés et les entreprises les plus profitables, tout en restant un enfer pour la grande majorité de la population.

Saint-Martin nous offre un exemple intéressant de ce qu’est un paradis fiscal. La partie française de l’île étant devenue une collectivité territoriale, ne s’y applique plus qu’un code général des impôts « adapté » aux spécificités locales, tout en restant « inspiré » par le code métropolitain. Néanmoins, quand il s’est agi d’« adapter », la première décision de l’assemblée territoriale a été de supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune !

On peut douter que cet impôt ait alors constitué la première préoccupation des résidents : en 2007, le revenu moyen des habitants était inférieur à 7 400 euros et 8, 4 % seulement des contribuables étaient habilités à payer une cotisation. Autant dire que la décision de l’assemblée territoriale ne concernait qu’une infime minorité des habitants de l’île.

Cet exemple, que nous fournit notre propre territoire, permet de bien montrer la logique du paradis fiscal : faire échapper aux rigueurs de l’impôt certaines ressources, plus particulièrement des gros patrimoines, des revenus aisés et des capitaux importants.

De ce point de vue, le cas de la Suisse, souvent cité en matière de paradis fiscal, est édifiant.

Pour une personne résidant en France, être travailleur frontalier en Suisse peut se révéler une opération coûteuse au plan fiscal, eu égard au dispositif de retenue à la source en général pratiqué par les cantons suisses sur les revenus du travail.

Exemple parmi d’autres, la petite commune d’Ornex, située dans le pays de Gex, abrite une population dont le revenu fiscal moyen est supérieur à 40 000 euros annuels. Toutefois, le rendement de l’impôt sur le revenu français s’y établit à 4, 3 % des revenus déclarés, un pourcentage inférieur à celui de la Seine-Saint-Denis ! Motif : une bonne partie des actifs d’Ornex travaillent en Suisse et leurs revenus étant soumis aux règles locales de retenue à la source se trouvent fort peu imposés en France, car la convention fiscale prévoit de défalquer l’impôt déjà acquitté en Suisse de celui qui serait exigible au barème français.

Rien à voir cependant avec le fameux forfait fiscal, qui ne profite, pour sa part, qu’à des revenus et patrimoines fort élevés et dont les règles sont bien moins dures pour les expatriés français que pour les frontaliers.

Rappelons-le, le forfait fiscal se fonde sur la dépense réalisée en Suisse par le contribuable français pour l’entretien de sa personne et de sa maison, y compris à l’étranger. Cette dépense doit constituer sept fois la valeur locative ou le loyer de la résidence occupée sur le territoire des cantons suisses pratiquant encore ce système.

Ce dispositif, en cours de suppression à la suite de plusieurs initiatives populaires, permet ainsi à de riches hommes – ou femmes – d’affaires français retraités de disposer d’un logement très confortable en Suisse, sans que le prix de celui-ci représente pour eux une charge trop élevée.

Les quelques milliers de forfaits fiscaux pratiqués en Suisse rapportaient en moyenne, selon les derniers chiffres connus, 120 000 à 125 000 francs suisses aux administrations cantonales concernées, un chiffre sans commune mesure, évidemment, avec les pertes fiscales causées aux pays d’origine, eu égard au patrimoine et aux revenus dont disposent ces heureux bénéficiaires.

J’ai cité des exemples en lien non pas avec les plus récentes conventions fiscales signées par la France, mais avec la convention franco-suisse, actuellement en débat.

Pour autant, comme nous avons examiné depuis 2008-2009 une bonne vingtaine de conventions, dont la très critiquable convention conclue avec le Qatar, nous pourrions fort bien nous interroger sur l’efficacité réelle de ces textes. Combien de procédures d’échange d’informations en ont découlé ? Quels furent les résultats ? Ensuite, le moment venu, nous pourrions aller à l’essentiel.

La France n’a pas à suivre aveuglément les recommandations de l’OCDE, et même du GAFI, le groupe d’intervention financière, organisme qui en découle, quant à la transparence financière.

On peut même penser que le travail de la nouvelle commission d’enquête, dont nous avons demandé la constitution, mettra en évidence le rôle complexe du secteur financier dans ces processus d’évasion de capitaux vers des cieux fiscaux plus cléments.

En qualité de pays majeur dans le concert international, nous devons faire valoir notre approche de la transparence des mouvements financiers, en nous situant clairement au premier rang de la lutte contre la fraude et la dissimulation fiscales, en remettant en question à la fois les listes avantageusement établies de territoires dits « coopératifs » et les opérateurs, financiers notamment, qui continuent à y exercer des activités.

Nous pourrons ainsi nous demander ce que devient la loi n° 2010-845 relative à la convention entre la France et le Gouvernement des îles Caïmans, ce petit territoire où 350 personnes gèrent un total de fonds équivalant au quart des sommes administrées par la City de Londres...

C’est donc à une approche critique des conventions passées, à un reclassement précis des pays en fonction de leur transparence réelle et à des changements de pratiques de nos établissements financiers que nous appelons au terme de cette discussion.

Dans notre démocratie, le rôle de l’impôt est bien la participation de chacun à l’intérêt général, selon ses capacités. C’est ce que nous rappelle la Constitution. C’est aussi ce qui fonde notre volonté que cette lutte contre la fraude fiscale soit une priorité du Gouvernement, lequel doit s’en donner les moyens. §

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Mme Nathalie Goulet . Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand vous tapez sur un moteur de recherche l’expression « conventions fiscales internationales », après quelques liens pointant vers des chroniques et des revues de jurisprudence, vous tombez immédiatement sur « Ancien inspecteur des impôts, avocat fiscaliste ». Autrement dit, monsieur le ministre, dans le domaine de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, c’est la guerre de l’obus et du blindage, du gendarme et du voleur, mais le voleur court plus vite, est mieux doté, mieux armé, mieux préparé, mieux conseillé.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Le débat du jour proposé par nos collègues du groupe CRC fait suite à la commission d’enquête sénatoriale, dont le travail fut assidu, et précède celle qui va bientôt se dérouler.

Comme vous le savez, l’objet initial des conventions fiscales internationales est de prévenir les doubles impositions, lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, ainsi que le blanchiment, faciliter la coopération internationale à l’échelon des administrations fiscales et douanières et organiser la coopération entre les différents parquets.

D’emblée, puisque nous sommes entre nous – ce sujet n’a pas l’air de passionner les foules –, reconnaissons-le, les conventions fiscales internationales ne sont pas les outils les plus efficaces contre la fraude et l’évasion. Pis, notre réseau de conventions n’est pas cohérent et crée parfois lui-même les mécanismes de l’évasion fiscale.

La question des prix de transfert est, de ce point de vue, une caricature ! Instrument pour éviter la double imposition, ces conventions deviennent des outils de l’évasion fiscale.

Les prix de transfert, on ne s’en lasse pas ! En droit interne, on en trouve une définition à l’article 57 du code général des impôts. Pour l’OCDE, les prix de transfert sont « les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées. […] Ils se définissent plus simplement comme étant les prix des transactions entre sociétés d’un même groupe et résidentes d’États différents : ils supposent […] le passage d’une frontière. » Il s’agit finalement d’une opération d’import-export au sein d’un même groupe.

D’après les estimations que nous avons recueillies dans le cadre de la commission d’enquête, le commerce intra-groupe représenterait 70 % du commerce international. Sur la base d’une étude des économistes Pak et Zdanowicz portant sur le commerce extérieur des États-Unis, la perte fiscale résultant de ces transferts aurait atteint en 2001 53, 1 milliards de dollars pour les États-Unis et 23, 6 milliards d’euros pour la France, soit 1, 24 % de notre PIB, c'est-à-dire peu ou prou le montant du budget que nous mendions pour la défense nationale ; ce dernier est de 1, 5 % du PIB, comme vous le savez, monsieur le ministre.

Je prendrai quelques exemples ; ce sera sûrement plus parlant. La société suisse Glencore, entreprise minière implantée en Zambie, fait perdre près de 200 millions de dollars à ce pays. Première tricherie : surévaluation des coûts de production. Deuxième tricherie : sous-évaluation des volumes de production. Troisième tricherie : manipulation des prix de transfert, le cuivre produit étant systématiquement vendu à la maison mère en Suisse à un prix inférieur à celui du marché.

Prenons maintenant l’exemple de brasseries implantées au Ghana, qui n’ont évidemment pas à supporter une augmentation de 160 % des droits d’accise ; les sénateurs du Nord savent de quoi je parle. Dans un rapport publié en 2010, ActionAid a révélé le schéma des versements réalisés par ces brasseries africaines.

L’enquête a permis de dénoncer les manipulations suivantes. Première tricherie : redevance en échange de l’utilisation de marques situées aux Pays-Bas ; manque à gagner pour le Ghana : 250 000 euros. Deuxième tricherie : versement pour des frais de gestion à une filiale en Suisse ; manque à gagner pour le Ghana : 200 000 euros. Troisième tricherie : enregistrement des services d’approvisionnement à l’Île Maurice ; manque à gagner pour le Ghana : 790 000 euros.

D’autres exemples témoignent de l’inefficacité de nos conventions internationales : des rasoirs en provenance du Royaume-Uni à 113 dollars l’unité, des seringues hypodermiques venant de Suisse à 140 dollars l’unité – c’est tout de même très cher ! –, ou encore des diamants naturels à 13, 45 dollars le carat, ce qui est franchement très intéressant, mes chères collègues !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Christian Chavagneux, qui a été entendu par notre commission d’enquête, nous a expliqué que les douanes américaines avaient vu des seaux en plastique venant de République tchèque et passées par plusieurs paradis fiscaux être facturés 1 000 dollars aux États-Unis, ce qui est cher même pour un seau de qualité ; je vous renvoie aux pages 66 et suivantes du rapport de notre commission enquête. De manière plus intéressante encore, des missiles sortis des États-Unis à destination d’Israël sont arrivés en terre promise, après être passés par plusieurs paradis fiscaux, au prix de 50 dollars. À ce prix, vous et moi envahirions l’Iran.

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je n’évoquerai pas le cas des bananes, que chacun connaît : là aussi, par le jeu des prix de transfert, les paradis fiscaux absorbent 80 % du prix, le pays producteur n’en conservant que 20 %. La Cour des comptes évoque ce sujet dans son rapport sur la division des vérifications nationales et internationales.

Étant donné l’importance des profits en jeu, il ne faut pas s’étonner que la possibilité offerte par la sous-direction du contrôle fiscal aux entreprises qui le souhaitent de sécuriser juridiquement leurs prix de transfert, c'est-à-dire de les faire agréer par l’administration, soit peu usitée ! Le succès est mitigé, puisqu’il n’y a eu qu’une vingtaine d’accords par an, ce qui est assez faible compte tenu du nombre d’entreprises concernées. En outre, les contrôles sont minimes.

Néanmoins, l’administration de Bercy, que le monde entier nous envie, ne reste pas inactive. La direction générale des finances publiques, la DGFIP, a développé des coopérations bilatérales. Des jumelages ou appels d’offres ont été menés en Algérie, en Albanie, au Cameroun, en Croatie ou encore, ce qui vaut la peine d’être noté, au Liban. De nouveaux accords de coopération ont été conclus. Un travail est donc réalisé. Par ailleurs, la DGFIP a été élue à la présidence de l’Organisation intra-européenne des administrations fiscales pour 2010-2011, ce qui a permis d’importants échanges d’informations.

Dans cette nuit fiscale marquée par l’inefficacité des conventions internationales, je voudrais saluer les initiatives d’un certain nombre de régions françaises pour augmenter la transparence.

Le 17 juin 2010, la région Île-de-France a été la première région française à prendre une délibération contre les paradis fiscaux. Elle fut ensuite suivie par l’Alsace, qui a voté une mesure de transparence contraignante : elle impose aux banques avec lesquelles elle travaille de faire un reporting pays par pays ; c’est une mesure que nous réclamons à cor et à cri pour les entreprises. Ce reporting est de nature à faire connaître la réalité des activités ; on peut ainsi savoir si la contribution fiscale est juste au regard de la richesse produite. Monsieur le ministre, puisque vous venez, comme moi, de Basse-Normandie, je vous signale que tout reste à faire dans cette région ; nous pourrions travailler ensemble sur le terrain.

Lors de son audition par notre commission d’enquête, le directeur général des douanes et des droits indirects, Jérôme Fournel, a déclaré à plusieurs reprises que nous manquions d’outils juridiques de prévention et de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale et que notre meilleure arme restait encore une coopération qui n’est pas toujours au rendez-vous. Une seule certitude : la multiplication des conventions n’y changera pas grand-chose. Les conventions sont utiles pour limiter les cas de double imposition, pas pour endiguer les flux financiers colossaux mis en évidence notamment par l’Offshore Leaks.

En revanche, je crois fermement que les possibilités de notre droit ne sont pas encore épuisées. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, je pense que nous pourrions commencer par balayer devant notre porte.

Nous pourrions, à notre petite échelle, modifier notre règlement de manière à donner davantage d’importance à l’examen en séance publique des conventions internationales. Nous examinons les projets de loi autorisant leur ratification en procédure simplifiée, c'est-à-dire en quelques secondes, sans étude d’impact. Nous pourrions revoir complètement les modalités d’examen de ces conventions. Cela ne représenterait pas un très gros travail, et notre assemblée a un peu de temps libre, à en juger par l’ordre du jour chaotique de la semaine dernière, où nous n’avons pas siégé le mardi.

Il est également apparu au cours des travaux de notre commission d’enquête qu’il fallait améliorer la formation et les échanges. De ce point de vue aussi, nous avons du travail, car notre marge de progression est extrêmement importante.

Pour conclure, je voudrais vous poser deux questions, monsieur le ministre.

Premièrement, notre collègue Jean-Claude Merceron, sénateur de Vendée, m’a indiqué que certaines entreprises de son département avaient des problèmes avec le Pérou : apparemment, nous n’aurions pas conclu de convention relative à la double imposition avec ce pays.

Deuxièmement – Marie-France Beaufils a vaguement évoqué ce point il y a quelques minutes –, je rentre d’une mission dans les pays du Golfe, que je connais un peu, et il semblerait que la convention fiscale qui nous lie au Qatar prévoie des conditions plus favorables que celle qui nous lie aux Émirats arabes unis. Pourriez-vous m’expliquer la raison de cette différence de traitement entre deux pays voisins et amis ?

Le Sénat travaille sur ces questions. Vous nous trouverez tous unis à vos côtés sur ce sujet important non seulement pour notre morale, mais aussi pour améliorer l’état de nos finances publiques, qui en ont bien besoin.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même s’il a été demandé par nos collègues du groupe CRC avant la succession d’affaires d’évasion fiscale qui ont récemment ébranlé la France et le monde, ce débat est d’une actualité brûlante.

Ces affaires ont éclaté avec d’autant plus de violence qu’elles reflètent en réalité un problème récurrent, très loin d’être résolu malgré les progrès prétendument réalisés ces dernières années, le problème de la fraude et de l’évasion fiscales, qui sont facilitées par l’existence de juridictions où règne la plus grande opacité et où le niveau d’imposition est extrêmement faible, voire nul.

Comment ne pas s’interroger sur l’efficacité, et même l’utilité, des conventions fiscales, qui étaient jusqu’à présent l’un des principaux piliers de la lutte contre l’évasion fiscale internationale, quand notre ministre de l’économie affirme que c’est notamment à cause de la convention fiscale entre la France et la Suisse qu’il n’a pas pu obtenir d’informations concernant une affaire récente ? Il faut reconnaître que la Suisse est un assez mauvais élève en matière d’application des conventions fiscales prévoyant l’échange de renseignements.

Or c’est bien dans l’application effective de ces accords que réside le véritable obstacle à la transparence ; le mot est lâché, mais il ne convainc personne. En effet, ce n’est pas parce que le nombre de conventions fiscales bilatérales a explosé depuis quelques années que l’efficacité de l’échange de renseignements est garantie.

On peut même se demander si ce n’est pas le contraire qui se produit. L’exemple suisse le montre bien. La Confédération helvétique n’a jamais renoncé à son sacro-saint secret bancaire, contrairement à ce qu’on a pu entendre ici ou là.

Le rapport annuel du Gouvernement portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements souligne qu’il demeure « un problème [...] dans la coopération administrative avec la Suisse, qui a contesté une part importante [des demandes françaises] au motif qu’elles n’étaient pas “vraisemblablement pertinentes” pour l’application de la législation fiscale française » – le mot est très joli, mais il faudra nous expliquer où est la pertinence en la matière –, « ce qui traduit de [la] part [de la Suisse] une application erronée des standards de l’OCDE ». Malgré l’existence de conventions, les difficultés de l’échange effectif de renseignements sont donc bien réelles et surtout bien connues. C’est un fait.

Dès lors, comment renforcer l’efficacité de ces échanges ? Depuis les révélations récentes, les dirigeants des plus grandes puissances, dans le cadre de l’Union européenne ou du G20, ont tous la même priorité : l’échange automatique d’informations. Voilà donc l’antidote tant attendu contre les maux que sont l’évasion et la fraude fiscales.

Les États-Unis ont montré le chemin à suivre, avec une loi qui leur permettra bientôt d’imposer unilatéralement à tous les établissements financiers du monde l’obligation de transmettre à l’administration américaine toutes les données sur les comptes, mouvements de fonds et revenus des citoyens américains. Combinée à la mise en place de l’union bancaire en Europe, cette loi fait chanceler les pays qui continuaient jusqu’à présent, au sein même de l’Union européenne, à s’accrocher à leur secret bancaire : le Luxembourg, le Liechtenstein ou encore l’Autriche. Et que dire de la banque du Vatican ? Il semblerait cependant que ce pays ne constitue pas un refuge très sûr pour ceux qui veulent gagner beaucoup d’argent…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Garantir l’échange automatique d’informations au niveau mondial, comme semble le souhaiter le G20, si l’on en croit les déclarations faites la semaine dernière à Washington, représenterait certainement un grand pas en avant dans la lutte contre les paradis fiscaux et l’évasion fiscale.

Toutefois, ce ne sera pas suffisant. En effet, si l’échange automatique d’informations parvient à être établi, encore faudra-t-il que l’administration fiscale dispose des moyens suffisants pour traiter efficacement cette masse d’informations.

Or, comme l’a souligné l’excellent rapport de nos collègues de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, les moyens humains et matériels de notre administration fiscale doivent être confortés. Selon la Cour des comptes, les agents de la DGFIP qui travaillent dans les services de contrôle sont aujourd’hui sous-dotés en effectifs par rapport aux services de gestion. De plus, ajoute le rapport de la commission d’enquête, « seuls 1 100 vérificateurs sont affectés dans les trois directions nationales spécialisées dans la fraude complexe ou internationale ».

Si le premier obstacle dans la lutte contre l’opacité que symbolisent les paradis fiscaux est sans doute l’absence d’échange d’informations suffisantes et pertinentes, un autre obstacle, tout aussi important, réside dans la capacité des administrations fiscales à analyser les informations, à réaliser les contrôles nécessaires, mais aussi à s’adapter à la multiplicité des formes de fraude et aux innovations permanentes dans ce domaine.

Le rapport de la commission d’enquête insistait déjà sur la nécessité de « rendre l’administration en mesure de répondre aux nouveaux enjeux de l’évasion fiscale ». Le rapport formulait d’ailleurs plusieurs propositions très intéressantes : « mieux former les contrôleurs fiscaux », notamment à l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui sont devenues un important vecteur de fraude, ou encore « créer un corps interministériel d’informaticiens-enquêteurs » ayant les moyens de traiter la variété des fraudes et des montages d’optimisation fiscale.

Enfin, bien que les récentes déclarations du G20 sur l’échange automatique d’informations soient encourageantes, il me semble que le passé nous invite à faire preuve de la plus grande prudence, plutôt que de tomber dans un enthousiasme béat. On se souvient encore du G20 de Londres, en 2009, et des déclarations du Président de la République de l’époque, qui affirmait, pleinement satisfait : « Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé !». On sait ce qu’il en est aujourd’hui.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

À l’époque, on nous présentait la mise en place des fameuses listes grises et noires de l’OCDE comme une avancée majeure dans la lutte contre les paradis fiscaux. On sait ce qu’il en est aujourd’hui.

Immédiatement après l’établissement de ces listes, les États ou territoires dits « non coopératifs » ont pu sortir de la liste noire dès lors qu’ils avaient signé au moins douze conventions fiscales prévoyant l’échange de renseignements et respectant les standards du modèle OCDE. Or quoi de plus facile, pour un paradis fiscal, de conclure avec ses semblables ou avec des territoires comme le Groenland, qui ne feront pas de difficultés, bien entendu, pour transmettre tous les renseignements voulus, cette douzaine d’accords d’échange de renseignements ?

La liste des paradis fiscaux, ou plutôt des États et territoires non coopératifs, puisque tel est le terme officiel, s’est donc rapidement vidée. En France, chaque État qui signe aujourd’hui une convention d’échange de renseignements avec notre pays sort de facto de cette liste. Bien sûr, il peut théoriquement y être réintégré dès lors que l’échange d’informations n’est pas effectif, mais, monsieur le ministre, combien de fois ce cas de figure s’est-il présenté ? J’espère que vous pourrez nous donner une réponse.

Méfions-nous donc des déclarations dithyrambiques sur la fin de l’évasion fiscale et saisissons-nous des propositions concrètes existant à l’échelon européen pour renforcer la lutte non seulement contre l’évasion fiscale, mais aussi contre la concurrence fiscale déloyale.

La révision de la directive Épargne, véritable serpent de mer, pourrait, si elle aboutit, constituer une grande avancée. Tout en continuant de plaider et d’être une force de propositions à l'échelle internationale pour la transparence fiscale, agissons dès aujourd’hui de façon coordonnée avec nos partenaires européens pour montrer l’exemple.

Le groupe RDSE soutiendra le Gouvernement dans toutes les actions concrètes pour lutter efficacement et au quotidien contre la fraude et l’évasion fiscales. À cet égard, il me semble, monsieur le ministre, comme cela a déjà été souligné, que la cinquantaine de propositions issues du rapport sénatorial de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales serait une source d’inspiration toute trouvée pour le Gouvernement.

J’ajouterai qu’il ne faut pas négliger l’homme de la rue qui, pour l’instant, ne croit pas à la transparence en matière fiscale. Les eurocrates de Bruxelles, convaincus de leur savoir, sont peut-être les seuls à penser qu’elle existe. Il faut dire que, cravatés comme des notaires de province et ressemblant à des plantes de serre, ils ne sont pas forcément d’une grande efficacité, car on a surtout besoin de chênes de plein vent pour affronter cette rude tempête. §

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’entamer mon propos, je voudrais tout d’abord remercier le groupe CRC, en particulier M. Bocquet, d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée de ce débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales.

Il s’agit là d’un sujet qui prend un relief tout particulier au regard de l’actualité, et il est plus que temps pour les pouvoirs publics et la représentation nationale de s’en préoccuper sérieusement.

Les notions que ce débat mobilise sont en effet structurantes dans notre vision du monde et le fonctionnement de nos États. Les enjeux de fond qui s’y rattachent concernent la solidarité au niveau des nations et entre les nations elles-mêmes, la bonne gouvernance, l’équité internationale et la juste imposition. Pas moins ! Or leur méconnaissance a malheureusement occupé, dans un passé récent, une place prépondérante dans la marche du monde ou plutôt, devrais-je dire, dans ses titubations.

Nous devons donc nous en emparer sans tarder, comme, d’ailleurs, le Président de la République et le Gouvernement semblent aujourd’hui déterminés à le faire.

Je ne reviendrai pas sur la définition de ces conventions fiscales ou sur les politiques qui ont été mises en place jusqu’à aujourd’hui à leur égard. Les orateurs précédents s’y sont déjà brillamment attachés. Mon propos visera simplement à replacer cette question dans un cadre un peu plus large.

Il est communément admis aujourd’hui que le système de conventions fiscales que nous connaissons a quelque chose de singulièrement absurde lorsqu’il s’agit de lutter contre la fraude fiscale et d’assurer un fonctionnement harmonieux et équilibré de l’économie et de la société. Les grandes entreprises et les particuliers les plus aisés profitent à merveille de la division des tâches opérée par les places financières pour répartir au mieux leurs actifs, leurs passifs, leurs activités réelles et leurs implantations fictives. Mieux, ils le font le plus souvent en respectant la légalité !

Tant que nous réfléchirons comme nous l’avons fait jusqu’à présent, cela ne changera pas.

Dans cette affaire, l’Union européenne s’est trop souvent montrée passive et s’est trop longtemps soustraite au rôle qui devrait être le sien. Quelques-uns de ses États membres pratiquent en effet un dumping fiscal acharné ; certains de ses territoires sont des paradis fiscaux à part entière, de même que plusieurs de ses partenaires commerciaux. L’île de Jersey, la Suisse, l’Autriche, la City de Londres, le Luxembourg ou Chypre : nombreuses sont les places financières qui entretiennent ou entretenaient encore récemment, pour les unes, l’opacité, pour les autres, la dérégulation du secteur financier.

Du fait de la règle de l’unanimité qui prévaut en matière fiscale, l’Union européenne n’a toujours pas su se doter de règles harmonisées en la matière.

Quand elle avance, comme pour le texte sur l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, ou encore sur la TVA appliquée aux produits vendus sur internet, elle le fait à pas extrêmement ralentis et parfois de manière anachronique.

Faut-il rappeler ici, en présence de M. Marini, les effets de ces disparités sur les librairies et autres disquaires, quand ils se trouvent concurrencés par des entreprises opérant via Internet et répartissant leurs filiales de manière à échapper, y compris légalement, à l’impôt ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Des soucis du même ordre se font jour quand il s’agit de conclure des accords de commerce bilatéraux avec le Canada, les États-Unis ou le Japon, qui auront pour effet d’abaisser encore un peu plus les droits de douane. Ceux-ci étant déjà quasi inexistants entre nos pays et ces partenaires-là – ils sont en moyenne de 4 % entre les États-Unis et l’Union européenne –, a-t-on besoin d’affaiblir encore les finances de l’Union européenne, en particulier ses ressources propres, alors que nul n’ignore que la puissance publique manque cruellement de moyens ?

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Europe a trop longtemps manqué d’ambition et de cohérence en ces domaines. D’ailleurs, des pays comme le Luxembourg ou l’Autriche ont sans doute davantage évolué sous les coups de boutoir des États-Unis que par solidarité avec leurs partenaires !

Pis, la France elle-même a traîné les pieds et s’est montrée très en retard dans la réflexion autour de la lutte contre les paradis fiscaux ou au sujet des nouvelles formes de fiscalité. Nos difficultés actuelles à parler d’une fiscalité du numérique digne de ce nom en témoignent.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Les écologistes se félicitent donc des annonces récentes du Président de la République, qui visent notamment à établir un échange automatique des informations bancaires ou la mise en place d’une comptabilité détaillée et circonstanciée, pays par pays, non seulement pour les banques mais aussi pour les autres grandes entreprises.

Nous avons d’ailleurs nous-mêmes proposé de telles mesures dans nos amendements sur la loi bancaire, mais ils ont été, dans un premier temps, en partie repoussés, tant la pression de certains établissements financiers, qui disaient craindre pour leur compétitivité, a été forte.

Publication de la nature et de l’activité des filiales et de leurs effectifs, des chiffres d’affaires et de leurs bénéfices, des impôts qu’elles paient et des subventions qu’elles reçoivent partout dans le monde : ces dispositions sont les seules à même de déceler et de lutter contre les abus, les incohérences et les dérives dues à l’excès de globalisation et de financiarisation de l’économie.

Surtout, elles rencontrent aujourd’hui un soutien croissant. L’OCDE, qui y a longtemps été hostile, semble, en ce moment même, opérer sa conversion. Le G20 a, le week-end dernier, encouragé les États à faire de l’échange automatique d’informations le standard international.

Notre ministre de l’économie, qui participait à ce sommet, a récemment réclamé, avec plusieurs de ses collègues européens, que la législation de l’Union évolue pour se rapprocher des nouvelles politiques américaines en la matière.

C’est dire que le contexte semble aujourd’hui porteur, encourageant, et que nous avons là une possibilité d’agir comme jamais nous n’en avons eu jusqu’à présent. Je conclurai donc logiquement en mettant l’accent sur l’importance de ne pas gâcher cette occasion.

Monsieur le ministre, vous avez, sur ce sujet, le soutien entier et résolu des écologistes, impliqués depuis de nombreuses années dans ces questions, pour aller aussi loin que possible. Nous savons que le Gouvernement est ambitieux en la matière. Nous savons aussi que bien des promesses ont été faites dans le passé, mais que fort peu d’entre elles se sont concrétisées.

Nous espérons que la France se fera aussi bruyante qu’incontournable au sein des institutions européennes et multilatérales pour faire avancer ses préconisations. Nous espérons aussi que les moyens législatifs que vous nous soumettrez, les sanctions que vous envisagerez pour les contrevenants, les propositions que vous ferez pour révolutionner la fiscalité française, européenne et internationale seront à la hauteur des enjeux.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Monsieur le ministre, je tiens tout d’abord à vous saluer puisque c’est la première fois que je suis amené à me trouver face à vous en séance publique dans vos nouvelles fonctions.

Je voudrais aussi rendre, à mon tour, hommage au groupe CRC, qui est à l’initiative de ce débat particulièrement opportun, alors qu’une nouvelle commission d’enquête sur ce sujet va entamer ses travaux au sein de notre assemblée. Un tel rendez-vous doit être l’occasion pour le Gouvernement, je l’espère, de nous faire part de l’état des discussions internationales, en particulier du contenu du G20 de la semaine dernière.

Comme chacun sait, la commission des finances s’intéresse de près aux conventions fiscales, car elle traite au fond les projets de loi de ratification. Notre tradition, amorcée par nos anciens collègues Adrien Gouteyron et Nicole Bricq, reprise maintenant par Michèle André, est d’approfondir la recherche autant qu’il est possible, afin d’éclairer l’ensemble des membres de la Haute Assemblée sur les enjeux.

La commission des finances est donc bien placée pour mesurer l’ampleur du changement de braquet de la politique conventionnelle de la France au cours de ces dernières années, tant pour ce qui concerne le nombre de conventions conclues que pour ce qui est du contenu de ces textes et de l’ambition qui y est affichée. À cet égard, je souhaite préciser que ce changement de braquet résulte de l’impulsion donnée par le président Sarkozy

D’un geste, M. Jacques Chiron manifeste son désaccord.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

En effet, à l’automne 2008, lorsque la crise financière a éclaté, et alors que Nicolas Sarkozy présidait le Conseil européen, il a su agir de manière efficace pour que le G20 se mette en place, puis pour mettre à l’ordre du jour du sommet de Londres la lutte contre les paradis fiscaux, bancaires et judiciaires. C’est dans la foulée de cette action internationale que le modèle de convention de l’OCDE, qui dormait dans des cartons ou dans les greniers du château de la Muette depuis des années, s’est imposée comme le standard mondial : désormais, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales de l’OCDE veille, en principe, à ce que les engagements pris par les États ou territoires afin de sortir des listes « noires » ou « grises » de l’Organisation soient bien suivis d’effets.

En conséquence, la France a, depuis 2009, conclu ou révisé des conventions avec vingt-huit États ou territoires dont, par exemple, Andorre, la Suisse, le Liechtenstein ou Jersey, afin de les rendre conformes au modèle de l’OCDE, qui interdit à la partie requise de s’abriter derrière le secret bancaire pour refuser de répondre à une demande individuelle.

Les progrès sont donc réels par rapport à la situation qui prévalait avant 2009.

Au demeurant, je me réjouis de constater que l’actuel Gouvernement a conservé le même cap en soumettant à la ratification du Parlement plusieurs nouvelles conventions, avec les Philippines, Oman ou Aruba, elles aussi calquées sur le modèle de l’OCDE.

Après ce rappel, je souhaiterais insister sur ce qui constitue notre préoccupation permanente, à savoir, au-delà de la simple existence de ces accords, l’effectivité de leur mise en œuvre. Notre commission des finances n’a jamais fait preuve d’une naïveté béate face à la réalité : les rapports et les débats de notre assemblée démontrent notre volonté de ne pas nous contenter de mots, fussent-ils inscrits dans des conventions, et de veiller à l’application effective des nouvelles dispositions conventionnelles. J’en donnerai quelques exemples.

Lors de l’examen de la dernière loi de finances rectificative pour 2009, au sein de laquelle fut créée la notion d’« État ou territoire non coopératif », j’avais défendu, en qualité de rapporteur général de la commission des finances et avec le soutien du président Jean Arthuis, un amendement dont l’adoption aurait abouti à l’inscription de la Suisse sur la liste des États et territoires non coopératifs, nos voisins ayant alors choisi de suspendre le processus de ratification de l’avenant à la convention franco-suisse en raison de l’affaire dite du « listing HSBC ». Il est d’ailleurs dommage que nous n’ayons pas été suivis à l’époque.

À la fin de 2011, considérant que le Panama n’avait pas la capacité juridique de mettre en œuvre la convention passée avec la France, notre rapporteur général, Mme Nicole Bricq, nous avait incités à rejeter l’avenant, provoquant ainsi la réunion d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi une convention fiscale, ce qui est une rareté ! Cela nous avait permis de siéger dans la salle de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, puisque, au Palais Bourbon, c’est à cette commission qu’est confié l’examen au fond des conventions fiscales.

Plus récemment, les rapports de Michèle André rappellent que, s’il est possible de retirer un État de la liste des États non coopératifs, il est également possible de l’y réinscrire, s’il ne respecte pas ses engagements.

L’état des lieux étant dressé, comment aller plus loin ? Que faire, à présent que nous disposons de quelques années de recul sur les premières conventions négociées ou renégociées à la suite de l’aval donné par le G20 de 2009, et tandis que l’enquête dite Offshore Leaks d’un réseau de journalistes internationaux a bien montré que les paradis fiscaux demeuraient une réalité quotidienne ?

Dans cette optique, monsieur le ministre, je souhaite évoquer devant vous trois pistes propres à nourrir la réflexion.

Première piste : développer l’échange automatique, ce qui signerait véritablement la fin du secret bancaire.

La France, nous le savons, plaide depuis longtemps en faveur d’une systématisation de l’échange automatique. Les positions du précédent gouvernement dans le cadre de la renégociation de la directive Épargne ont été heureusement reprises à son compte par le gouvernement actuel.

Avec quatre autres États européens, notre gouvernement vient par ailleurs de lancer un appel au commissaire européen Semeta, chargé de la fiscalité, en vue de la mise en place, en Europe, d’un dispositif inspiré de la réglementation américaine FATCA, sur laquelle nous tâcherons de nous documenter lors du prochain déplacement du bureau de la commission des finances aux États-Unis. Il serait utile, monsieur le ministre, vous nous en disiez un peu plus à ce sujet.

En tout état de cause, il semble que la situation évolue en Europe et, à cet égard, le Conseil européen du 22 mai 2013 pourrait marquer une étape importante ; sans doute nous le direz-vous, monsieur le ministre.

Deuxième piste : il convient de mieux utiliser les outils existants.

À cet égard, je me permettrai de faire une allusion discrète à l’actualité récente et à un dossier très médiatisé, qui m’a amené à m’intéresser de près au fonctionnement concret de deux conventions fiscales, celles que nous avons signées avec la Suisse, d'une part, et avec Singapour, d'autre part.

Je n’évoquerai, pour illustrer mon propos, que la convention franco-suisse, emblématique à bien des égards, et dont le dernier avenant est entré en vigueur le 4 novembre 2010.

Je relève, que le dernier « jaune budgétaire » sur le réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements, annexé au projet de loi de finances pour 2013, comprend des passages critiques sur la qualité de notre coopération avec la Suisse. Notre pays avait, au 31 août 2011, adressé 98 demandes d’assistance administrative à la Confédération helvétique et n’avait reçu à la même date que 55 réponses. Ce taux conduit à s’interroger sur le délai de réponse des autorités suisses, mais ne donne pas d’indication quant à la qualité des réponses reçues. Il semble bien qu’un nombre significatif de demandes soient jugées « non pertinentes » par notre voisin.

Pourtant, il est désormais bien connu que l’avenant franco-suisse a été complété le 11 février 2010, comme l’avait relevé Adrien Gouteyron devant notre assemblée, par un échange de lettres entre les directeurs des administrations fiscales de nos deux pays, permettant d’interroger les Suisses même lorsque l’on ne connaît pas avec certitude la banque concernée. Je m’interroge toujours sur les raisons pour lesquelles il semble bien que nous n’utilisions pas pleinement cette faculté.

Quoi qu’il en soit, s’agissant de la Suisse, la question qui se pose est la suivante : sommes-nous à l’aube d’une nouvelle ère de la coopération franco-suisse, ou bien les difficultés identifiées dans le « jaune budgétaire » à l’automne dernier subsistent-elles ?

Un cas récent a permis de montrer que les autorités suisses pouvaient répondre de manière rapide et constructive lorsque les bonnes questions lui étaient posées. Un nouveau test important nous permettra de nous faire une idée du niveau réel de collaboration de notre partenaire suisse. Selon la presse, en effet, la France a effectué des demandes d’assistance administrative concernant quelque 353 contribuables qui auraient été démarchés par la banque UBS.

De manière plus générale, il est important, pour les parlementaires qui ne peuvent participer aux discussions entre administrations fiscales, de mieux comprendre les difficultés concrètes auxquelles se heurte notre direction générale des finances publiques. J’ai le sentiment que certains États limitent leur assistance à la simple confirmation des informations obtenues par les services français, qui doivent recueillir par eux-mêmes des données très détaillées avant de pouvoir espérer des réponses.

Sans verser dans la naïveté, on aurait pu penser que, eu égard aux discours publics des gouvernements et à l’intérêt de contenir l’évasion des capitaux, les autorités des pays bénéficiaires des mouvements contribueraient à l’analyse des mouvements suspects, par exemple lorsqu’un même établissement bancaire procède à des transferts massifs de comptes depuis un pays dans lequel les règles sont sur le point de se durcir. Je souhaiterais connaître votre analyse sur ces sujets, monsieur le ministre.

Ne pensez-vous pas, qu’il faudrait aussi, même si la France est déjà aux avant-postes, toujours plus stimuler notre réseau conventionnel, afin de faire comprendre aux États requis que le « principe de proportionnalité », derrière lequel ils s’abritent souvent pour justifier leur peu d’empressement à diligenter des recherches, doit aussi valoir pour la requête, qui ne peut pas toujours être d’une extraordinaire précision ?

En cas de refus trop fréquent d’un partenaire qui ne permettrait pas une application satisfaisante de notre loi fiscale malgré la conclusion d’une convention, ne devrions-nous pas être en mesure de solliciter le Forum mondial de l’OCDE pour qu’il procède à une nouvelle investigation ? Ne devrions-nous pas aller jusqu’à assumer l’inscription ou la réinscription de l’État concerné sur notre liste des États et territoires non coopératifs ?

Troisième piste, enfin : renforcer le contrôle démocratique.

La souveraineté fiscale de nos États est aujourd’hui menacée, plusieurs d’entre nous l’ont dit très justement, par les pratiques à la fois illicites et immorales d’évasion fiscale, mais aussi par la manipulation de leurs bases d’imposition par les grandes entreprises.

Une bonne information des citoyens et du Parlement est donc essentielle. À cet égard, monsieur le ministre, le « jaune budgétaire » sur les conventions fiscales annexé au projet de loi de finances me paraît toujours un peu maigre. Il doit a minima être enrichi de données qualitatives sur le caractère satisfaisant ou non des réponses adressées à la France par chaque pays partenaire.

Je regrette, par ailleurs, que l’annexe au projet de loi de finances, créée par la loi de finances initiale pour 2011, et dans laquelle doit être présenté un bilan annuel des contrôles effectués par l’administration fiscale, n’ait toujours pas été publiée. Un tel document fournirait pourtant au Parlement des informations précieuses, notamment sur les demandes de documentation, procédures et contrôles concernant la « manipulation des prix de transfert ». C’est un enjeu essentiel, sur lequel j’insiste à mon tour.

Il ne s’agit là évidemment que de quelques pistes, en préambule de travaux de la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières, conduits sous la houlette de nos collègues Éric Bocquet et Philippe Dominati, …

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

M. Philippe Marini. … et qui s’annoncent très riches. Je leur adresse par avance, ainsi qu’à tous ceux qui s’associeront à leurs efforts, tous les encouragements de la commission des finances.

Applaudissements sur les travées de l’UMP . – Mme Nathalie Goulet et M. André Gattolin applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur, au nom de la commission des finances, de plusieurs projets de loi ratifiant des conventions fiscales et des accords d’échange de renseignements, j’ai été amenée à analyser en détail ces instruments. Bien entendu, je n’ai pas la prétention d’en savoir autant sur le sujet que nous abordons ce soir que nos collègues qui ont travaillé au sein de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux. Je remercie d’avoir Éric Bocquet d’avoir posé ici la question de l’efficacité des conventions fiscales internationales.

La politique conventionnelle française s’inscrit dans le cadre multilatéral mis en place par l’OCDE. J’ai bien entendu les critiques émises ce soir sur cet organisme. Je veux donc rappeler ce que nous a dit M. Saint-Amans, directeur de son centre de politique et d’administration fiscales ? À la réflexion de notre collègue Jean Germain qui, après avoir entendu son exposé, se déclarait « admiratif d’un point de vue intellectuel, mais gêné politiquement », il avait répondu que l’OCDE n’était qu’un outil au service des politiques, mais qu’il était utile que nous, les politiques, parlions de cet outil, y compris pour le réformer.

Permettez-moi tout d’abord de procéder à un bref historique de la question.

Dès 2000, l’OCDE a publié une première liste des « paradis fiscaux ». Quelles sont les principales caractéristiques d’un « paradis fiscal » ? Il s’agit d’un État ou territoire dans lequel les impôts directs sont insignifiants ou inexistants, où les activités économiques substantielles sont rares, dont le régime fiscal n’est pas transparent et qui ne transmet pas de renseignements aux administrations fiscales des autres pays.

En 2002, un modèle de convention sur l’échange de renseignements en matière fiscale a donc été élaboré au sein de l’OCDE. Il s’agissait alors de s’accorder sur des standards internationaux en matière d’échange des renseignements, afin de lutter contre les pratiques dites « dommageables ». Ces standards définis, ils ont trouvé leur place à l’article 26 du modèle de convention fiscale sur le revenu et la fortune de l’OCDE, adopté en 2008, ce modèle couvrant un champ plus large que le seul échange d’informations.

Selon ces accords, les pays s’engagent à échanger, sur demande, des informations en matière fiscale. Le pays requérant doit uniquement démontrer la pertinence prévisible de sa demande : c’est la notion de renseignements « vraisemblablement pertinents », qui vise à empêcher les États d’aller à la « pêche » aux informations. L’actualité récente a mis en lumière cette question.

Cependant, il a fallu attendre le G20 de Londres, en 2009, pour que la communauté internationale s’engage véritablement à lutter contre les pratiques fiscales dommageables en renforçant la coopération. Ainsi, en 2009, l’OCDE a publié trois listes de juridictions, en fonction de leur degré de transparence en matière fiscale : la « liste noire » recensait les États n’ayant pris aucun engagement en termes d’échange de renseignements ; la « liste grise » regroupait les États s’étant engagés à signer de tels accords ; enfin, les pays ayant signé plus de douze accords figuraient sur la « liste blanche ». Dans le cadre national également, il suffisait à un pays de signer plus de douze accords pour ne plus être présent sur la liste des États et territoires non coopératifs.

Consciente du fait que le critère formel de la signature de douze accords ne suffisait pas à rendre effective la coopération, l’OCDE a prévu des modalités de contrôle desdits accords. Ainsi, depuis 2010, le Forum mondial de l’OCDE examine l’engagement à coopérer des 105 États membres au regard des standards internationaux. Cet examen, conduit par d’autres pays membres, comprend deux phases : la première analyse le cadre normatif de l’État, tandis que la seconde dresse le bilan qualitatif et quantitatif de la mise en application des accords. Il s’agit donc bien d’un contrôle de l’effectivité de la coopération.

C’est dans ce cadre que s’inscrit la politique conventionnelle de la France depuis 2009.

La commission des finances du Sénat, qui est compétente au fond pour examiner les conventions fiscales, a toujours été attentive aux observations et recommandations formulées par l’OCDE, notamment dans la phase d’analyse du système juridique du pays. Ainsi, après avoir constaté que le Panama ne satisfaisait qu’à trois des dix critères de transparence définis par le Forum mondial, Nicole Bricq, alors rapporteur général, a proposé au Sénat de rejeter la convention fiscale entre la France et ce pays.

En outre, j’ai souligné à plusieurs reprises que la ratification ne peut être assimilée à un blanc-seing. Dans le cas où l’échange de renseignements ne serait pas effectif, l’État ou le territoire concerné doit être réintégré à la liste française des États et territoires non coopératifs. Il est primordial que le Gouvernement tienne pleinement compte de l’effectivité de l’échange d’informations lors de la prochaine révision de la liste de ces États.

Cette expérience au sein de l’OCDE, si elle demeure insuffisante, nous conduit à considérer que le fatalisme n’est pas de mise : dans ce domaine, un engagement politique fort, et partagé au niveau international, permet d’avancer. La ratification de conventions fiscales comprenant une clause d’échange de renseignements conforme aux standards internationaux constitue donc un préalable indispensable pour lutter contre l’évasion.

Certes, il convient aujourd’hui d’aller plus loin. En effet, les listes « noires » et « grises » se sont peu à peu vidées de leur contenu à mesure que les États développaient leur politique conventionnelle. C’est d’ailleurs une critique adressée aujourd’hui à l’OCDE. Mais la preuve que ces listes ont fonctionné, c’est justement qu’elles sont vides à présent : les États se sont engagés à coopérer. Désormais, et cela était prévu dès 2009, il s’agit de vérifier l’effectivité des échanges et de veiller ainsi au respect des conventions fiscales.

Je voudrais également souligner que le bilan, au niveau national, de l’échange de renseignements en matière fiscale n’est pas à la hauteur des enjeux. En 2011, l’administration fiscale française a adressé seulement 1 922 demandes de renseignements. Sans doute le renforcement des moyens humains et technologiques de l’administration fiscale annoncé par le Gouvernement permettra-t-il de faire progresser le nombre et la qualité des informations échangées. Néanmoins, la faiblesse de ce chiffre met en évidence l’avantage que pourrait avoir un système automatique d’échange de renseignements pour renforcer l’efficacité de notre politique de lutte contre l’évasion fiscale.

En plus de la poursuite des travaux au sein de l’OCDE, toutes les mesures renforçant la transparence en matière fiscale doivent être mobilisées.

Il faut se féliciter des avancées permises par le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, actuellement en cours d’examen au Parlement. Désormais, les banques devront publier, chaque année, la liste de l’ensemble de leurs filiales, pays par pays. Pour chaque filiale, elles devront indiquer la nature des activités, le produit net bancaire, les effectifs employés, les bénéfices avant impôts, les impôts acquittés et les subventions publiques reçues. Cette mesure sera également mise en œuvre au niveau européen. Grâce à ces informations, nous pourrons détecter les transactions effectuées dans des paradis fiscaux.

Ainsi, une « fenêtre de tir » politique se présente à nous : certains pays jusqu’alors réticents sont aujourd’hui prêts à s’engager plus loin dans la lutte contre l’évasion fiscale. Nous devons saisir l’opportunité qui s’offre à nous pour faire davantage contre l’évasion fiscale, qui prive nos États de recettes dont ils ont plus que jamais besoin. Notre collègue Marie-France Beaufils y a fait allusion tout à l'heure.

Je pense en particulier à l’instauration d’un système européen d’échange de renseignements, inspiré de la législation américaine appelée FATCA. Celle-ci est destinée à lutter contre l’évasion fiscale des contribuables américains détenant des avoirs ou percevant des revenus via des comptes ouverts en dehors des États-Unis. Pour cela, les institutions financières étrangères devront transmettre aux autorités américaines les informations sur les comptes bancaires détenus par les contribuables américains. Les banques devront également prélever une retenue à la source de 30 % sur les revenus des personnes « récalcitrantes ». Enfin, elle prévoit un reporting annuel indiquant les noms, numéros d’identification fiscaux et avoirs des clients américains.

En février 2012, plusieurs pays européens, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont signé avec les États-Unis une déclaration où ils se sont engagés à développer une approche commune pour la mise en œuvre de FATCA. Les échanges devraient ainsi se faire sur une base réciproque et passer par les administrations fiscales nationales, notamment afin de respecter les obligations de protection des données personnelles, que nous ne devons pas non plus oublier. Si les conditions de mise en œuvre précises de cet engagement n’ont pas encore été arrêtées, cette initiative constitue un premier pas vers la constitution d’un modèle commun d’échange automatique de renseignements.

Toutefois, le modèle américain ne peut pas être transposé tel quel au niveau européen. C’est en effet le principe de la résidence, et non de la citoyenneté, qui prévaut en Europe en matière fiscale. L’administration fiscale française ne peut donc pas s’intéresser aux revenus perçus par les Français résidant fiscalement dans un autre pays. Pourtant, la réforme américaine peut être source d’inspiration pour l’Europe, et je ne doute pas que nous trouverons à y puiser certaines solutions.

Je me félicite à cet égard de la lettre conjointe adressée à la Commission européenne par le ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici, et ses homologues britannique, allemand, espagnol et italien, afin de mettre en place un projet multilatéral d’échange automatique de renseignements, inspiré de l’initiative américaine.

Le Conseil européen du 22 mai prochain constituera une étape importante dans la définition d’une véritable politique européenne de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire quel message la France entend porter lors de ce sommet ? Quelles démarches ont été entreprises pour convaincre nos partenaires de l’urgence d’agir en matière de lutte contre l’évasion fiscale ?

Aux niveaux international et national, nous avons su développer des outils. Ils doivent être renforcés, complétés, en particulier au niveau de l’Union européenne. Il est de notre responsabilité – Gouvernement et Parlement – de transcrire cette volonté politique en actes. §

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales s’inscrit, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, dans le cadre de la réflexion approfondie qui a été engagée au Sénat sur l’évasion fiscale, à la suite, notamment, du rapport de mon collègue Éric Bocquet, que je tiens à saluer. Ce rapport a été publié au nom de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, que j’ai eu le plaisir de présider.

Le précédent débat que nous avions tenu sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, le 3 octobre dernier, avait permis de prolonger en séance les travaux de la commission d’enquête.

Les conventions fiscales internationales, notamment bilatérales, s’inscrivent pleinement dans la lutte contre l’évasion fiscale, en permettant l’échange d’informations entre la France et les autres pays.

Elles préviennent l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôt sur le revenu et d’ISF, mais aussi de droits de succession et de donations. Elles clarifient également la situation des résidents français à l’étranger, en évitant la double imposition des revenus, en précisant le lieu d’imposition de leurs biens et revenus, ainsi que la définition de la résidence fiscale pour éviter tout contentieux avec le fisc français.

Le but de ce type de convention fiscale est donc d’attribuer à un seul des deux pays le domicile de la personne, donc l’étendue de son obligation fiscale.

Un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, publié en 2007, notait que la coopération internationale se développait, mais restait insuffisante, et que les services de contrôle pouvaient parfois se retrouver « démunis » pour obtenir des informations lors d’opérations économiques transfrontalières.

Depuis, la communauté internationale, notamment sous l’impulsion du président Sarkozy, lors des sommets du G20 de Londres et de Pittsburgh en 2009, a fait de la transparence fiscale et de l’amélioration de la coopération dans ce domaine une de ses priorités, et les accords internationaux en la matière se sont multipliés.

Le Sénat a déjà examiné de nombreux accords relatifs à l’échange de renseignements dans le domaine fiscal, fondés sur le modèle de convention établi par l’OCDE. Depuis plusieurs années, des actions concrètes ont été engagées, avec des résultats probants dans la lutte contre l’opacité juridique, comptable et bancaire.

Quoi qu’en disent certains de nos collègues, la coopération entre administrations fiscales en matière d’échange de renseignements a progressé à grands pas sous le précédent quinquennat, des modifications importantes dans les législations nationales et surtout de nouvelles conventions bilatérales étant intervenues. D’ailleurs, le rapport final de notre commission d’enquête sur l’évasion fiscale, adopté à l’unanimité de ses membres, issus de tous les groupes politiques de notre assemblée, le reconnaît.

Même dans de grands centres financiers, comme la Suisse ou Singapour, le secret bancaire recule : ainsi disparaissent les principaux obstacles juridiques qui entravaient la levée du secret bancaire pour raisons fiscales.

Bien sûr, des progrès doivent encore être réalisés, mais le bilan en la matière est déjà positif.

Certes, l’affaire Cahuzac fait douter de l’efficacité de ces conventions. Mais ce qui semble en jeu, c’est non pas tant leur efficacité que la pleine utilisation par Bercy des facultés ouvertes par les conventions fiscales signées avec la Suisse et Singapour en matière d’échange d’informations, comme l’a très bien souligné le président Marini.

En matière d’échange d’informations, dans le cadre des conventions bilatérales, le point sur lequel devraient essentiellement porter les améliorations est plutôt la rapidité des réponses aux demandes d’information. Il faut en effet parfois compter plusieurs mois d’attente, par manque de convention directe, et, si l’on porte crédit aux propos du ministre, Bercy n’a reçu en une semaine que 28 réponses sur les 426 demandes adressées à la Suisse.

Le problème de l’évasion fiscale doit aussi être appréhendé en amont. Les conventions ne sont que le fil tentant de suturer une plaie causée par une politique fiscale poussant à l’évasion.

La réalité, comme je l’avais déjà rappelé lors du débat d’octobre dernier, c’est que nous vivons dans un environnement fiscal concurrentiel. Si notre fiscalité est punitive ou confiscatoire, grande peut être la tentation de placer dans des comptes offshore ses économies, qui sont bien souvent le fruit de son travail, d’une prise de risques liée à une création entrepreneuriale.

Je rappelle que la France va atteindre cette année le niveau record de prélèvements obligatoires, à hauteur de 46, 5% du PIB, qu’il est envisagé de stabiliser ce niveau dans les trois ans qui viennent mais sans aucune perspective de le diminuer, ainsi que vous nous l’avez confié en commission des finances récemment, monsieur le ministre.

La tentative d’introduction de la taxe à 75 %, censurée par le Conseil constitutionnel pour son caractère confiscatoire, a, hélas, eu des effets psychologiques désastreux sur les plus fortunés. L’exil fiscal est difficilement quantifiable ; toutefois, selon les notaires et avocats fiscalistes, les départs auraient été multipliés par cinq en 2012 et il y en aurait eu plus de 5 000.

Je me réjouis à ce propos que nous puissions éventuellement disposer dans quelque temps de données plus précises en la matière, avec le lancement d’une étude à grande échelle par un think tank des cabinets d’avocats, apolitique et indépendant, et regroupant une quarantaine de fiscalistes français et internationaux.

L’envoi d’un questionnaire à plus de 200 professionnels français, belges, suisses et britanniques, qu’ils soient avocats fiscalistes, notaires ou banquiers, devrait permettre de compiler les informations. La commission d’enquête, dans son rapport, avait d'ailleurs préconisé que notre administration dispose de données précises avant qu’un think tank ne soit obligé d’éclairer les parlementaires sur ce type d’informations !

Dans son dernier rapport sur la fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, le Conseil des prélèvements obligatoires estimait que le montant des pertes fiscales liées à cette expatriation se situait entre 29 milliards et 40 milliards d’euros par an.

Le rapport de la commission d’enquête évalue, quant à lui, le montant minimal de l’expatriation fiscale entre 30 milliards et 36 milliards d’euros, sans pouvoir le chiffrer plus précisément, faute d’informations suffisantes de la part de l’administration fiscale.

En réalité, le montant de l’évasion fiscale pourrait se chiffrer à plus de 50 milliards d’euros, peut-être même à 80 milliards. Cette somme, supérieure aux recettes de l’impôt sur les sociétés en 2012, pourrait bénéficier à notre économie, qui en a grandement besoin ! Elle est en tout cas sans commune mesure avec les recettes engendrées par des mesures qui poussent nos compatriotes à s’expatrier, et aujourd’hui plus que jamais.

Lutter efficacement contre l’évasion fiscale, c’est non pas trouver des remèdes a posteriori, mais au contraire la prévenir en s’attaquant aux raisons qui incitent nos compatriotes à s’expatrier. C’est bien là, monsieur le ministre, que réside la faille de votre raisonnement, davantage empreint de contingences idéologiques que de pragmatisme et de rationalisme économiques.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, s’il semble naturel de s’inquiéter des pertes de recettes fiscales résultant de tricheries, nous devrions consacrer au moins autant d’énergie à mesurer les pertes de substance financière et de dynamisme économique qu’occasionne une fiscalité décrite très honnêtement par le rapport de la commission d’enquête comme l’une des plus lourdes d’Europe et, par conséquent, du monde.

Et, à l’époque, nous ne nous doutions pas encore de l’ampleur du choc fiscal que la majorité a infligé aux Français à l’automne dernier. Ce n’est d’ailleurs pas fini puisque nous savons qu’il y aura une rallonge d’environ 6 milliards d’euros de hausses d’impôts !

Quand on débat de l’évasion fiscale, il convient de ne pas oublier de rappeler que, par ailleurs, la très grande majorité des expatriés fiscaux français ne sont pas des fraudeurs, des commanditaires de montages financiers complexes. La réelle optimisation fiscale ne concerne qu’une minorité d’entre eux. Pour l’essentiel, il s’agit de créateurs d’entreprises ou de cadres dirigeants d’entreprises dont les sièges sociaux se délocalisent. Nombre d’entre eux font ce choix à contrecœur, en raison de la pression fiscale en France, l’une des plus lourdes de l’OCDE et la plus élevée des économies développées.

Alors que la création d’entreprise crée la richesse et l’emploi, nous nous privons de ce cercle vertueux qui voit la richesse créer la richesse. À une période où nous sommes au bord de la récession, notre économie en aurait pourtant grandement besoin !

Je dirai en conclusion que le débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales ne doit pas occulter le débat sur l’inefficacité de la pression fiscale dans notre pays en termes de création de richesses, de croissance et d’emploi !

Applaudissements sur les travées de l’UMP . – Mme Nathalie Goulet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l’Europe traverse une crise économique majeure qui impose une austérité contre-productive dans certains pays, l’évasion fiscale est plus que jamais, pour les citoyens, légitimement, une source de défiance, voire de révolte. Ce sont eux qui subissent au quotidien la crise, le chômage et la précarité, eux qui subissent l’injustice fiscale, laquelle renforce encore les inégalités économiques et sociales.

Dans ce contexte, la lutte contre l’évasion fiscale doit figurer parmi les priorités de tous les États sans exception. Je remarque d’ailleurs que, selon mes informations, la fraude fiscale est en Allemagne bien plus élevée qu’en France, ce qui contredit quelque peu les propos de l’orateur précédent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Au-delà des enjeux financiers, l’évasion fiscale est un combat citoyen, un combat moral, un combat pour l’équité.

Agir aujourd’hui pour lutter vigoureusement contre ce fléau, c’est porter cette ambition de justice, c’est demander à tous de contribuer en fonction de ses moyens à la richesse nationale, celle qui crée la solidarité collective pour ceux qui en ont besoin, celle qui permet de mettre en place un patrimoine commun de services publics accessibles à tous. Chacun devrait être honoré d’y concourir !

Alors que le Gouvernement demande des efforts à tous pour redresser les comptes de l’État et retrouver des marges de manœuvre, comment accepter que certains, ceux qui ont pourtant « les moyens », puissent s’en exonérer à l’ombre des paradis fiscaux et à l’abri des poursuites ? Il est aujourd’hui urgent de prendre des mesures radicales et efficaces.

D’autres intervenants l’ont dit, les chiffres de l’évasion sont accablants : 50 % des transactions mondiales transitent par des paradis fiscaux et bancaires. L’évasion fiscale pèse 1 000 milliards d’euros par an en Europe et de 60 milliards à 80 milliards d’euros par an en France, soit presque le montant du déficit public national.

Sans être la seule explication des crises que nous traversons, l’évasion et la fraude fiscales sont aujourd’hui un élément de leur pérennisation. Jean Monnet, père fondateur de l’Europe, disait : « J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises. »

Face à cette crise de l’imposition, des solutions existent.

L’Europe doit mettre fin à la compétition du moins-disant fiscal et au refus de la transparence bancaire qu’elle a laissé s’installer en son sein. Elle ne peut se limiter à un grand marché, à des règles de discipline budgétaire et, pour les membres de l’Eurogroupe, à une politique monétaire. À l’heure des récessions et des croissances atones, la régulation économique, fiscale et bancaire doit être notre priorité.

Grâce aux prises de conscience collectives qui, chaque jour, gagnent du terrain, les graines de cette politique sont progressivement semées au travers de mesures nationales et internationales. J’essaierai d’être objectif à la fois sur les mesures déjà engagées et sur celles qui pourraient encore renforcer notre action.

Le Président de la République a fait, le 10 avril dernier, des annonces fermes qui vont dans le bon sens. Concernant le contrôle des banques, il a relayé et renforcé la proposition faite au Sénat. Monsieur le ministre, je propose que nous soyons plus exigeants encore avec les établissements financiers installés en France. Il faut conditionner le maintien de leur licence bancaire au strict respect de leurs obligations de transparence. Je pense ici à la nouvelle liste de 360 noms d’UBS.

Concernant les paradis fiscaux, nous savons que les hésitations autour de leur définition font naître des listes à périmètre variable. Cela a été dit, un pays qui signe plus de douze conventions fiscales internationales est retiré des listes. Par conséquent, la liste de l’OCDE ne permet pratiquement plus d’identifier aucun pays.

Si la mise en place de ces listes a eu une incidence plutôt positive sur le nombre d’accords internationaux, la question de leur mise en œuvre reste posée. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a insisté pour que l’application effective des conventions, et non pas seulement leur signature, soit le critère prépondérant pour déterminer si un État doit être classé ou non comme non coopératif. Cela devrait à la fois permettre la mise en place d’un suivi effectif des conventions fiscales et l’actualisation d’une liste sérieuse et crédible des paradis fiscaux.

Dans le cadre des conventions fiscales signées par la France, nous avons constaté que seules 60 % de nos demandes recevaient une réponse, tandis que certains contestent la légitimité même de ces requêtes. Il faut envisager de revoir certaines formulations pour éviter des divergences d’interprétation qui dissimulent certainement une volonté inégale des États signataires d’appliquer les conventions. Il est triste de s’apercevoir que les listes volées – je pense à celles d’HSBC en France et d’UBS aux États-Unis ou en Allemagne – ou le travail d’investigation de certains médias, qui ont parfois permis le transfert de milliers de noms, s’avèrent plus efficaces que l’échange d’informations via les conventions.

Enfin, le Président de la République a aussi proposé la création d’un parquet financier, c’est-à-dire d’un procureur spécialisé avec une compétence nationale, qui pourra agir sur les affaires de corruption et de grande fraude fiscale. Dans une matière aussi complexe, face à des pratiques d’optimisation et d’évitement qui ont souvent un temps d’avance sur la législation, nous avons effectivement besoin de magistrats spécialisés pour gagner en coordination, en réactivité et en efficacité. Le fait qu’il ait fallu quatre ans pour qu’un parquet se saisisse du dossier HSBC montre la pertinence des propositions du Président de la République.

Au niveau européen, certaines avancées peuvent également être soulignées. Sur le plan de la coopération fiscale, la création de la taxe sur les transactions financières entre onze États membres est une bonne nouvelle. Elle va freiner dès 2014 la mobilité excessive du capital, qui nourrit, on le sait, l’évasion fiscale.

Par ailleurs, nous pouvons nous réjouir que la lutte contre le secret bancaire ait été mise à l’agenda du prochain sommet européen, le 22 mai à Bruxelles.

Voilà déjà quelques progrès, mais il faut aller plus vite et plus loin.

J’insisterai plus particulièrement sur la récente proposition de Pierre Moscovici relative à la mise en place d’un FATCA européen. Le 10 mars dernier, il a sollicité, avec ses homologues britannique, allemand, espagnol et italien, la Commission européenne pour instaurer un projet multilatéral d’échange de renseignements, inspiré de la législation américaine.

Grâce à leur puissance de négociation, les États-Unis ont réussi à faire plier la Suisse et d’autres États. Les établissements financiers étrangers doivent transmettre au fisc américain les informations sur les comptes détenus par les contribuables, qu’ils soient citoyens ou résidents, afin qu’il puisse être procédé au recoupement de ces données avec leurs déclarations de revenus.

Cette même initiative, ambitieuse à l’échelle européenne, peut permettre à terme que l’échange automatique devienne la règle et que le secret bancaire disparaisse définitivement au sein de l’Union. Cet accord devra cette fois se faire sans sursis, sans période dérogatoire et dans les mêmes termes pour tous les États. La force d’une Union à 27 permettrait ensuite de négocier une convention fiscale, notamment avec la Suisse et les autres paradis fiscaux, qui soit à la hauteur des standards internationaux, et non en ordre dispersé comme pour les accords « Rubik » bilatéraux.

Pour autant, un accord FATCA à l’échelle de l’Union européenne sera-t-il suffisant face aux résistances de certains pays ? Nous connaissons en effet bien les obstacles à sa mise en œuvre.

Il s’agit d’abord des obstacles juridiques, avec la règle de l’unanimité en matière fiscale et les systèmes fiscaux européens qui assoient l’impôt sur la résidence, et non sur la citoyenneté, comme aux États-Unis.

Il existe ensuite des obstacles politiques : je pense notamment à la position historique du Luxembourg et de l’Autriche au sujet du secret bancaire. Si le Luxembourg s’est récemment dit prêt à réduire « partiellement » son secret bancaire et l’Autriche prête à « étudier » la question, ces revirements sont en partie le fruit des pressions exercées par la société civile.

Rappelons que ces deux États retardent encore la conclusion du processus de révision de la directive Épargne, qui prévoit l’échange automatique de renseignements entre États de l’Union européenne sur les seuls revenus de l’épargne, alors qu’ils bénéficient d’une période dérogatoire depuis 2005. Rappelons aussi que les principaux partis politiques d’Autriche, engagés dans la campagne des élections législatives qui se tiendront en septembre prochain, sont fermement opposés à une avancée « rapide » sur cette question.

L’Union européenne a jusqu’ici été trop tolérante à l’égard de ces pays qui bloquent les tentatives de levée du secret bancaire et qui sont, pour certains, des refuges accueillants pour les grands groupes industriels en quête d’optimisation fiscale. C’est notamment le cas du Luxembourg pour les leaders mondiaux de l’économie numérique. Des sommes considérables qui échappent ainsi à tous les États européens !

S’il faut combattre ces résistances en Europe, nous devons également être ambitieux à l’échelle mondiale en actionnant le levier du G20, dans le prolongement des discussions menées lors du G20 des finances, vendredi dernier, à Washington.

Cela permettrait de demander à l’OCDE de modifier son modèle standard de convention en intégrant l’échange automatique de renseignements sur tous les revenus, pour enfin permettre à tout pays de recenser les comptes bancaires et les avoirs de ses ressortissants à l’étranger.

Lors de la prochaine réunion du G20, en septembre, la France doit porter une voix forte et courageuse pour mettre en œuvre une véritable réforme financière mondiale.

En 2009, un consensus mondial des principales puissances économiques avait permis un premier recul du secret bancaire. Saisissons l’élan que nous voyons aujourd'hui se dessiner à l’échelle du G20 pour demander un calendrier précis de mise en œuvre du modèle d’échange automatique à l’échelle mondiale et attaquons-nous avec détermination aux paradis fiscaux, à l’évasion et à la fraude qui, chaque jour, menacent notre pacte républicain et fragilisent l’Europe ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sénateur des Français de l’étranger, je veux tout d’abord témoigner de la nécessité des conventions fiscales pour permettre à ceux qui partagent leur vie entre plusieurs pays, entre plusieurs cultures, de ne pas être discriminés de manière arbitraire ni conduits à subir une double imposition ou une multi-imposition.

Outils indispensables d’un monde mieux régulé, les conventions fiscales sont établies sur des bases bilatérales qui construisent autant de situations qu’il y a de relations entre deux pays.

On doit toutefois constater que ces conventions visant à lutter contre les doubles impositions sont devenues, pour les plus aisés, des instruments d’optimisation et que l’usage – parfois abusif – qui en est fait rend floue la frontière entre optimisation fiscale et fraude fiscale.

Cet usage engendre des confusions dans les esprits, et les Français qui vivent à l’étranger ont souvent l’impression d’être victimes de préjugés, de correspondre à une image d’Épinal d’exilé fiscal qui n’a rien à voir avec la réalité. Victimes des turpitudes de personnalités en vue dont les incartades font la une de l’actualité, ils souffrent de cette image fort éloignée de leur véritable situation.

Sait-on, par exemple, que l’impôt sur le revenu est plus faible en France qu’en Belgique ? Pourtant, c’est d’abord cet impôt qui préoccupe un Français qui vit et travaille en Belgique, dès lors qu’il n’a pas de capital.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-on établir la liberté de circulation et d’installation en Europe, construire une citoyenneté européenne, et parallèlement s’insurger contre un déménagement de la France vers la Belgique ?

Cette constatation montre qu’en Europe, ce n’est probablement plus sur des bases bilatérales, entre États, que l’on peut traiter les problèmes d’imposition.

Cette constatation, nous l’avions déjà faite lors de la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Il n’y a pas d’union budgétaire sans union fiscale, constations-nous alors. Eh bien, aujourd’hui, en regardant le problème non du côté de l’État, mais du côté des droits et des devoirs d’un citoyen européen mobile face à l’impôt, nous devons faire la même constatation.

L’harmonisation des principes, assiettes et taux d’imposition apparaît en Europe comme indispensable. Aucune convention fiscale bilatérale ne peut plus répondre aux contraintes et à l’enjeu de la poursuite de la construction européenne. D’ailleurs, à bientôt vingt-huit pays membres, il faudrait 756 conventions fiscales bilatérales pour appréhender l’ensemble du système fiscal européen...

En effet, comment garantir, en Europe, la liberté de circulation sans que celle-ci soit confondue avec la recherche d’une optimisation fiscale ?

Comment éviter des délocalisations de sièges d’entreprises motivées par la recherche de taux d’imposition sur le bénéfice – qui s’échelonnent de 36, 1 % en France à 10 % en Bulgarie – particulièrement attractifs ? L’attention des entreprises peut aussi porter, plus subtilement, sur certaines différences de principes et d’assiettes de taxation. Ces différences rendent le système fiscal européen favorable à tous ceux qui ont les moyens de le comprendre et d’exploiter toutes ses failles – mais pas pour les autres…

Comment éviter certains montages permettant d’accéder à des paradis fiscaux liés à des pays membres de l’Union européenne, ou à des pays comme l’Autriche – qui ne garantit pas la pertinence des informations qu’elle transmet –, comme les îles Anglo-Normandes et Gibraltar – pour le Royaume-Uni – ou les Pays-Bas ?

Alors que la diminution des déficits publics constitue une priorité pour nombre de gouvernements européens, on constate que certains créent de nouveaux impôts sur des bases divergentes d’un pays à l’autre, sans que cela soit lisible et opérant pour ceux dont la vie se partage entre deux pays.

Entre l’Italie et la France, par exemple, les revenus des personnes concernées sont formellement soumis à la convention fiscale franco-italienne. Celle-ci traite du mode de taxation des revenus mobiliers et immobiliers perçus dans les deux pays. Mais regardons les évolutions récentes.

Du côté italien, un décret en date du 6 décembre 2011, volontiers dénommé Salva Italia, a été voté par le Parlement à la demande du Premier ministre Mario Monti. Ce décret impose de façon rétroactive les biens immobiliers que les résidents fiscaux en Italie possèdent en France, alors que ces biens semblent déjà l’objet d’une imposition aux termes de la convention bilatérale. Du reste, la direction générale de la fiscalité de l’Union européenne a ouvert un dossier contre l’Italie pour violation du droit communautaire. Mais en attendant la décision de l’Union européenne, les personnes concernées sont passées à la caisse ! Or ce ne sont pas toujours des personnes aisées...

Du côté français, nous ne sommes pas en reste puisque, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative de juillet 2012, décision a été prise de soumettre les revenus des biens immobiliers à la CSG et à la CRDS. Je dois constater que là aussi, l’Union européenne a ouvert un dossier.

Ainsi, un résident fiscal italien possédant un bien immobilier en France, après avoir payé l’Italie, se retrouve imposable, au titre du même bien, une deuxième fois en France, sans attendre que les décisions communautaires relatives à ces nouvelles taxes soient rendues.

Monsieur le ministre, sur ce cas concret, quelle est l’attitude de votre ministère ? Est-il légitime que des États remettent en cause de façon détournée et en contravention avec le droit communautaire des conventions fiscales dont ils ont approuvé le principe et les fondements ?

Vous comprendrez que cette question n’est pas innocente quand on se remémore que la moitié des Français vivant hors de France vivent dans l’Union européenne.

Sur le fond, quels enseignements retirer de ce cas concret pour retrouver une cohérence d’ensemble ?

L’austérité dans laquelle se retrouvent aujourd'hui la plupart de nos économies nationales entraîne une remise en cause plus ou moins assumée des conventions fiscales. Les petits contribuables, qui représentent la masse des contribuables, n’ont pas la facilité des plus gros pour optimiser – comme l’on dit pudiquement – leur situation patrimoniale.

Est-il vraiment de bonne politique de laisser créer de nouvelles impositions, si celles-ci semblent fragiles sur le plan juridique et engendreront ensuite, pour les États concernés, des obligations de remboursement et des amendes ?

À la lumière de ces exemples, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voyons se dessiner la trame de notre action.

S’il est urgent de renégocier certaines conventions fiscales, il est encore plus important de travailler au sein de l’Union européenne à une harmonisation fiscale, qui est absolument indispensable pour empêcher les situations de dumping fiscal.

C’est dans ce contexte de révision des conventions que s’inscrit la volonté de la France de faire évoluer la convention franco-suisse sur les successions. En effet, jusqu’à présent, les droits de succession étaient réglés dans le pays du défunt. Or il y a statistiquement plus de résidents en France héritant de défunts Suisses que l’inverse. Et comme les taux d’imposition sur les successions sont faibles en Suisse – de l’ordre de quelques pour cent, voire nuls dans certains cantons, alors que notre taux d’imposition des biens immobiliers grimpe jusqu’à 45 % pour la tranche supérieure –, la France demande légitimement que soit appliqué le droit du pays où réside l’héritier. S’agit-il là d’un diktat français à l’encontre de la Suisse ou d’une évolution fiscale ouvrant la porte à la convergence des taux ? Je penche évidemment pour la deuxième solution !

Mais, dans ce cas précis, la voie choisie, qui est celle de la négociation et non celle du fait accompli, se heurte pour l’instant au refus de la Suisse de ratifier l’avenant, alors que le vide juridique que cette situation peut engendrer se traduira par une double imposition des successions. Pourrait-on dire qu’il s’agit là d’un jeu « perdant-perdant » ? Je ne m’y résigne pas, car je sais qu’à côté des détenteurs de certaines fortunes dont la volonté est d’optimiser leur succession, il y a de très nombreux expatriés ordinaires, qui vivent de leur retraite ou de leur travail, qui aident leurs enfants et leur famille à faire face à la crise, et qui seront touchés par ces évolutions qu’ils n’avaient pas prévues. Ils ne comprennent pas ce qui se passe aujourd'hui entre la France et la Suisse !

Prenons maintenant l’exemple de conventions fiscales qui lient la France à des États n’appartenant pas à l’Union européenne et dont l’objectif est de favoriser l’investissement direct étranger.

J’ai encore en mémoire, comme d’autres collègues, le débat portant sur la ratification en extrême urgence de la convention fiscale entre la France et le Panama. Lors de ce débat, avaient été soulignées les nombreuses insuffisances de cette convention, dont la ratification permettait de sortir le Panama de la liste noire des paradis fiscaux. Cette sortie de liste ouvrait la porte à plusieurs marchés pour certaines de nos entreprises du CAC 40...

Monsieur le ministre, plus d’un an après l’entrée en vigueur de cette convention, êtes-vous en mesure de nous rassurer à propos des doutes que nous avions alors émis sur la volonté du Panama d’établir une coopération effective en matière fiscale ? Ainsi, dans le cas d’une coopération judiciaire, est-il possible aujourd’hui de connaître les actionnaires réels d’une société immatriculée au Panama ?

Alors qu’en Europe nous sommes en passe d’obtenir de réelles avancées sur cette question grâce – mais ne faut-il pas déplorer qu’elles aient été nécessaires ? – aux pressions américaines sur des États comme le Luxembourg, l’Autriche ou la Suisse, je serais heureux que d’anciens paradis fiscaux sortis de la liste noire du Groupe d'action financière grâce à la France, deviennent aujourd’hui des bons élèves de la classe. Mais est-ce vraiment le cas ?

Monsieur le ministre, si je n’examinais pas la situation de mon propre pays, m’attaquer à des anciens paradis fiscaux comme le Panama serait faire preuve d’un manque de discernement.

Je voudrais en effet rappeler le contenu d’une autre convention fiscale, celle qui lie la France au Qatar et qui confère à notre État un statut particulièrement attractif – pour ne pas dire de paradis – pour tout investisseur qatari.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

À en lire le contenu, on comprend bien pourquoi certains représentants de fonds souverains de cet État étaient prêts à recruter un ancien Président de la République pour défendre leurs intérêts.

Que dit cette convention, et plus précisément l’avenant signé en janvier 2008 ? Contrairement aux conventions classiques, il n’est prévu aucune retenue à la source sur les dividendes – article 8 – et pas davantage d’imposition en France sur les redevances – article 10 – ou sur les revenus de créances – article 9 – alors que l’imposition au Qatar de ces différents revenus est faible, voire nulle. Une clause sur la navigation aérienne, même sous couvert d’une apparente réciprocité, favorise le développement en Europe de Gulf Air ou d’autres entreprises de transport aérien à capitaux qataris en Europe.

Mais il y a encore plus fort dans cette convention ! Le paragraphe 5 de l’article 17 dispose que l’imposition au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune d’une personne résidente en France et citoyenne du Qatar ne porte que sur les biens situés en France, pendant cinq ans.

De la sorte, on substitue au profit du Qatari installé en France un principe unique d’exemption du paiement de l’impôt, et cela du seul fait de sa nationalité.

Bref, cette convention fiscale, si elle accompagne des investissements qataris en France, permet surtout de rapatrier au Qatar toute la valeur ajoutée tirée de ces investissements ! Elle assure aux entreprises à capitaux qataris un avantage concurrentiel important. La France se voit royalement accorder l’avantage de l’emploi de salariés et du versement de cotisations sociales... Un peu comme si nous étions un atelier de l’Extrême-Orient !

Monsieur le ministre, avec cette convention fiscale, nous atteignons le sommet de l’hypocrisie en matière de moralisation et de transparence. Par le biais de cette convention, l’optimisation fiscale au Qatar d’investissements réalisés en France est rendue légale, sans prise en compte de l’intérêt fiscal de notre pays !

Avec cet exemple, comment ne pas comprendre le soudain empressement des États qui étaient inscrits sur la liste noire du Groupe d'action financière pour signer entre eux les conventions internationales nécessaires pour les faire passer sur la liste grise ou sur la liste blanche, ce qui légalise de facto une situation de paradis fiscal ou bancaire sans que rien n’ait vraiment changé ?

C’est dans cet état d’esprit que les travaux en cours, tant au niveau de l’Union européenne qu’au sein du G20, prennent toute leur importance. Plusieurs mesures sont nécessaires.

D’abord, il faut abolir le secret bancaire et obliger à un échange automatique d’informations.

S’impose ensuite une harmonisation des législations pénales de telle sorte que ce qui est considéré comme un délit en France – la fraude fiscale – le soit aussi dans le pays où sont dissimulés les fonds – ce qui, par exemple, n’est pas le cas pour la Suisse ou le Luxembourg.

Il faut encore réviser les critères qui établissent les listes noires des paradis bancaires et fiscaux.

Enfin, s’impose un FATCA européen, ainsi que cela a déjà été dit.

Nous devons aussi balayer devant notre porte. Avons-nous une application informatique digne de ce nom, qui soit capable d’exploiter les informations reçues des pays étrangers dans le cadre de la directive Épargne ainsi que les autres informations reçues dans le cadre de l’échange automatique ?

La liste française des paradis fiscaux ne pourrait-elle pas être actualisée et comporter des explications de texte sur les raisons de la présence des pays et faire en sorte que le critère de l’échange effectif d’informations valables soit retenu comme l’un des critères majeurs de non-classement sur cette liste ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

J’en arrive à ma conclusion, monsieur le président.

Le débat sur l’efficacité des conventions fiscales est vaste, car il concerne différentes réalités. À nous de bien discerner ceux qui constituent le cœur de cette problématique : ce ne sont pas les centaines de milliers de nos compatriotes qui vivent à l’étranger, mais les fraudeurs qui, pour la plupart d’entre eux, vivent confortablement en France, disposent d’avocats très talentueux, capables de se rétribuer grassement sur les économies d’impôts qu’ils proposent à leurs clients. C’est bien ainsi que les commerciaux de certaines banques suisses approchaient, en France, leurs cibles potentielles !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord vous remercier très chaleureusement de votre présence à ce débat et de la qualité de toutes vos interventions concernant un sujet qui correspond à une très forte préoccupation du Gouvernement : la lutte contre la fraude fiscale.

Je tiens à adresser des remerciements particuliers au groupe CRC, et tout spécialement à M. Bocquet, qui a suscité ce débat et fait en sorte que, sur cette question, vous puissiez disposer d’éléments très documentés. J’ai pu mesurer, au travers de son intervention introductive, à quel point il maîtrisait les problèmes en cause, formulant à leur propos des exigences légitimes et définissant des orientations pour l’avenir qui sont autant de conseils donnés au Gouvernement afin que celui-ci puisse encore améliorer le dispositif de lutte contre la fraude fiscale.

Compte tenu de l’ensemble des sujets qui ont été évoqués par les intervenants, je voudrais, avant de répondre aux questions précises que les uns et les autres ont soulevées, vous exposer en quelques mots les orientations qui président à la politique du Gouvernement dans le domaine de la lutte contre la fraude fiscale.

Comme vous le savez, il s’agit d’une question extraordinairement complexe, qui peut avoir des conséquences économiques sérieuses pour notre pays, car, en l’absence de dispositif efficient, la fraude fiscale permet à un certain nombre d’acteurs économiques de contourner l’obligation de paiement de l’impôt. Cela conduit à une érosion très sensible des assiettes fiscales et, par conséquent, à une dégradation significative du produit fiscal. Nous voulons donc agir en vue de lutter contre la fraude avec toute l’efficacité requise.

Pour ce faire, il faut prendre des dispositions nationales – certaines ont déjà été prises, que je rappellerai – et des dispositions européennes. Au niveau national, de nouvelles mesures vont être décidées, notamment dans le cadre du texte qui sera examiné demain par le Conseil des ministres. Parallèlement, conformément à ce qu’indiquait encore récemment le Président de la République, nous devons intensifier notre action au sein de l’Union européenne.

Les deux dernières lois de finances rectificative pour 2012 contiennent une série de mesures intéressantes et efficaces de lutte contre la fraude fiscale. Il en est de même, d’ailleurs, du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui inclut un certain nombre de dispositifs tendant à renforcer l’arsenal dont nous disposons à cet égard.

Je rappellerai brièvement le contenu de ces dispositions.

Vous avez évoqué, monsieur Bocquet, ainsi que plusieurs de vos collègues, les transferts de bénéfices qu’opèrent certaines sociétés françaises, qui conduisent à une réduction des bases fiscales taxables et donc, de fait, à une érosion du produit fiscal.

Vous le savez, nous avons pris des dispositions en loi de finances rectificative pour 2012 afin d’inverser la charge de la preuve concernant ces dispositifs : ce n’est plus désormais à l’administration fiscale de prouver l’existence d’un transfert, mais à la société ayant procédé au transfert d’exposer les raisons qui justifient ce transfert.

Quant aux contribuables particuliers, dès lors qu’ils ont placé des avoirs dans des paradis fiscaux et qu’ils ne sont pas en situation de justifier de leur provenance, ils se voient désormais très lourdement taxés : à hauteur de 60 %.

Ce sont là de nouveaux instruments relativement efficaces de lutte contre la fraude fiscale.

Par ailleurs, les dispositions que nous avons prises concernant la séparation des activités bancaires viennent également compléter notre arsenal en la matière. Je prendrai deux exemples parmi beaucoup d’autres.

Premièrement, toutes les activités des filiales de banques françaises à l’étranger peuvent désormais être documentées. Ainsi, une banque qui a des activités à l’étranger est obligée de justifier de la nature des activités de ses filiales, de leur chiffre d’affaires, des moyens dont elles se sont dotées pour développer ces activités à l’étranger. Le fait de rendre publics ces éléments est très important pour assurer la transparence des activités bancaires dans notre pays.

Deuxièmement, une institution financière ou bancaire qui constate, à travers ses opérations, des mouvements financiers susceptibles de renvoyer à des activités opaques, anormalement importants ou d’une régularité douteuse, doit désormais communiquer les éléments dont elle dispose à TRACFIN, ce qui est une excellente occasion pour nous de contrôler des activités qui pouvaient jusqu’à présent échapper à la vigilance de l’administration fiscale.

Ces dispositions sont néanmoins insuffisantes et il faut aller au-delà, à l’échelon national comme à l’échelon européen.

Sur le premier plan, nous allons renforcer les moyens de lutte contre la fraude fiscale. Nous examinerons demain en conseil des ministres deux dispositifs.

Il s’agit, d’abord, de la mise en place d’un office de lutte contre la corruption et la fraude fiscale, destiné à rassembler en une même entité les interventions ainsi que les moyens humains et techniques de l’administration de la justice, de l’intérieur et de Bercy susceptibles d’être mobilisés en ce domaine. Cet office conférera, par une meilleure articulation de l’intervention de ces différentes entités administratives, une plus grande efficacité aux dispositifs dont nous nous sommes dotés pour lutter contre la fraude fiscale.

Il s’agit, ensuite, de la mise en place d’un parquet fiscal. Cette dernière ne signifie en rien, dans mon esprit, la remise en cause du monopole de la poursuite fiscale par l’administration de Bercy ; ce parquet fiscal est, au contraire, un levier d’action supplémentaire donné à notre administration fiscale et doit offrir une plus grande efficacité, un enclenchement plus facile de l’action publique lorsque nous constatons une fraude, qu’elle soit le fait d’individus ou qu’elle ait été encouragée par des banques.

Si je veille toujours scrupuleusement à ne jamais commenter des décisions de justice, je ne peux pas ne pas constater, pour m’en réjouir, que l’action publique a été déclenchée aujourd'hui par le procureur de Paris concernant la liste HSBC. C’est le signe que nous avons changé d’époque et que nous sommes dans un climat très différent de celui qui prévalait jusqu’à présent.

Autre sujet qui relève de la compétence nationale : l’établissement de la liste des États et territoires non coopératifs. Nous avons progressé à cet égard, mais nous devons faire évoluer la doctrine dans le sens de son renforcement. Jusqu’à présent, la liste des États non coopératifs était allégée des États qui acceptaient de signer des conventions avec la France. Cette liste comportait, à l’origine, dix-huit noms ; onze États ayant accepté de signer des conventions d’échange d’informations avec la France ont été sortis de la liste, puis un État y a été ajouté, ce qui porte aujourd'hui le nombre d’États figurant sur cette liste à huit.

Cependant, nous considérons qu’il ne suffit pas d’avoir signé une convention d’échange d’informations pour avoir l’assurance de ne pas figurer sur la liste des États et territoires non coopératifs. Comme vous avez pu le constater, monsieur Bocquet, madame Beaufils – le président Marini l’a lui-même souligné en me sollicitant à propos de la Suisse –, les États ne renseignent pas toujours ceux avec lesquels ils ont passé des conventions, en dépit de ce que celles-ci prévoient parfois explicitement. Par conséquent, nous souhaitons faire en sorte que des États qui ne respectent pas la lettre et l’esprit de ces conventions, notamment pour la partie concernant l’échange d’informations, soient susceptibles de se retrouver inscrits sur la liste des territoires et États non coopératifs.

Je ne veux pas indiquer ici, même si vous m’avez saisi de la situation spécifique de plusieurs États, que nous procéderons bientôt à l’inscription de tel ou tel sur la liste en question. Nous sommes, en effet, en discussion avec certains d’entre eux pour faire progresser les choses. De surcroît, au lendemain du G20, et compte tenu des événements récents, un certain nombre d’États qui étaient attachés au secret bancaire comme l’arapède l’est au rocher avaient décidé de faire évoluer leur doctrine. Tant mieux ! Précisément, nous pourrions les en dissuader si nous leur annoncions dès à présent que nous allons les inscrire sur la liste, alors même que nous sommes en train de discuter avec eux.

Ne considérez pas que les propos que je viens de tenir traduisent une faiblesse. Bien au contraire, c’est une forme de pression. Si, malgré cette pression, devait demeurer la même incertitude ou ambiguïté quant à la capacité de ces États à assurer la transparence, nous saurions prendre pour chacun d’eux, quelle que soit leur proximité géographique, des décisions rappelant la fermeté avec laquelle nous entendons agir sur ces questions.

Les conventions d’échange d’informations, vous l’avez souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, sont nombreuses, d’une qualité relative et de portée inégale, selon les motivations qui ont présidé à leur préparation. Nous avons passé des conventions avec pas moins de 130 États de la planète, notamment avec ceux qui occupent une place prépondérante dans l’activité économique de leur continent et, en fin de compte, du monde.

Ces 130 conventions ont plusieurs objets. Elles visent d’abord à éviter les doubles impositions, qui peuvent constituer un frein à la circulation des marchandises et des personnes. Elles doivent en outre permettre de lutter contre la fraude fiscale. À ce titre, elles sont censées nous garantir, en cas de doutes sur le transfert d’avoirs vers des paradis fiscaux ou un certain nombre d’États, de disposer d’informations concernant les conditions dans lesquelles ces transferts ont été opérés.

Par ailleurs, je veux souligner la relative complexité juridique attachée à ces conventions : au texte même de la convention peuvent s’ajouter des stipulations à caractère juridique, qui viennent compliquer considérablement leur interprétation et les conditions de leur exploitation pour lutter contre la fraude fiscale. Il arrive qu’une convention d’échange d’informations, articulée à d’autres dispositifs ou stipulations particulières, puisse, contrairement à l’objectif fixé par la convention, favoriser la double imposition, l’exode fiscal ou l’opacité dans le traitement de la situation des contribuables.

C’est la raison pour laquelle, dans les cas où la convention donne lieu à une telle complexité juridique, nous avons pris des dispositions particulières. Je pense, par exemple, à la situation qui consiste à priver de la qualité de résident, et donc de l’ensemble des avantages liés à la convention d’échange d’informations, un bénéficiaire apparent d’un revenu lorsque le bénéficiaire effectif n’est pas lui-même résident. Nous avons, à travers ce type de mesures particulières, essayé de corriger des situations qui étaient rendues difficiles du fait de la complexité juridique.

Vous m’avez posé beaucoup de questions très précises, mesdames, messieurs les sénateurs, auxquelles je vais essayer de répondre maintenant.

Monsieur Bocquet, vous m’avez demandé où nous en étions de la négociation des conventions avec nos voisins annoncée par le Président de la République pendant la campagne électorale.

Pour ce qui concerne la Suisse, la renégociation de conventions relatives, notamment, aux successions a abouti à l’élaboration de textes au mois de juillet dernier. Nous souhaitons être en mesure de signer ces conventions d’ici à l’été, mais tout n’est pas encore garanti. Nous travaillons à ce que celles-ci puissent aboutir dans les meilleures conditions. Nous avons également engagé des discussions en ce sens avec la Belgique et le Luxembourg.

Vous m’avez également questionné sur la liste HSBC, dont je constate, depuis que j’ai pris mes nouvelles fonctions, qu’elle suscite énormément de fantasmes et d’interrogations, au demeurant légitimes, la transparence n’ayant sans doute pas suffisamment prévalu dans cette affaire. Il reste que les propos que l’on tient sur cette liste ne correspondent pas à la réalité du traitement qui y a été réservé par l’administration fiscale.

Je tiens à dire avec la plus grande clarté que l’administration fiscale a traité avec beaucoup de diligence l’ensemble des éléments qu’elle a reçus à travers ce que l’on appelle la « liste HSBC ». Ces dossiers sont précisément ceux sur lesquels se concentrent aujourd’hui les travaux de la police fiscale. Comme vous le savez, de manière à favoriser et à amplifier l’efficacité de la police fiscale, le Président de la République a annoncé qu’il en renforcerait assez significativement les moyens.

Des chiffres circulent sur le nombre de personnes dont le nom apparaît sur cette liste. Je puis vous affirmer que l’ensemble des éléments reçus par la direction générale des finances publiques ont fait et continueront à faire l’objet d’un traitement approfondi. Le parquet a ouvert une instruction aujourd’hui. J’ai communiqué voilà quelques jours par voie de presse le nombre de cas qui ont été traités à la fois sur le plan fiscal et sur le plan judiciaire, de manière à éviter toute ambiguïté. Je pourrai vous les transmettre, monsieur Bocquet, ainsi qu’à la commission d’enquête créée par le Sénat. Bien entendu, j’ai également indiqué aux présidents et aux rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées que j’étais disposé à leur communiquer ces éléments.

Vous m’interrogez également, monsieur le sénateur, sur les prix de transfert et sur les moyens de lutter contre les pratiques abusives. La France est très active sur ces sujets au sein des enceintes multilatérales pour lutter contre l’érosion des bases fiscales. Elle a pris une part très significative à l’initiative du G20 réuni à Los Cabos et codirige les groupes de travail de l’OCDE sur le BEPS – Base erosion and profit shifting, ou érosion de l’assiette fiscale et transfert de bénéfices.

Vous m’avez également demandé si nous avions aidé l’administration fiscale grecque dans la lutte contre la fraude fiscale à la suite de la révélation de la liste HSBC. Nous avons signé, avec la Grèce, une convention qui nous permet d’échanger des renseignements fiscaux. L’administration fiscale a donc transmis aux autorités grecques, conformément aux demandes qu’elles nous ont adressées, les renseignements relatifs aux contribuables de ce pays.

Madame Beaufils, vous m’avez interrogé sur Saint-Martin. Nous partageons votre souci de ne pas faire de ce territoire un paradis fiscal, compte tenu notamment de sa proximité avec la partie néerlandaise. Prévu dans la loi organique et la convention, un dispositif d’ensemble permettant à l’administration fiscale d’obtenir tous renseignements utiles a été mis en place au moment où la partie française de l’île a acquis son autonomie.

Vous m’avez également questionné sur la manière dont nous gérons les accords que nous avons passés et activons les conventions qui nous unissent à un certain nombre d’États. Je puis vous dire que, sur la période 2011-2013, la France a adressé 1 140 demandes à des États nouvellement coopératifs et 3 000 demandes à d’autres partenaires avec lesquels nous entretenons des relations plus classiques.

Enfin, vous m’interrogez sur le forfait fiscal suisse que vous avez qualifié de « scandale ». Dans un contexte où la lutte contre l’exil fiscal est une priorité, les risques qu’emporte ce dispositif ouvert aux contribuables étrangers ne nous ont pas échappé. Nous avons réagi et, fin 2012, les autorités françaises ont décidé de refuser aux bénéficiaires de ce régime du forfait les avantages de la convention fiscale. En conséquence, ils subissent des retenues à la source plus élevées sur leurs revenus français.

J’en profite d’ailleurs pour vous rassurer, ainsi que M. Bocquet : il n’est pas question, en tout cas tant que ce gouvernement sera aux responsabilités, de passer quelque accord de type « Rubik » avec quelque pays que ce soit, car cela reviendrait, comme vous l’avez souligné, à organiser une amnistie fiscale en encourageant le maintien du secret bancaire ; notre stratégie n’est évidemment pas celle-ci.

Madame Goulet, nous ne pouvons que saluer les initiatives prises pas les régions françaises, à travers les motions de leurs assemblées délibérantes, destinées à lutter contre les paradis fiscaux. Elles partent d’un bon sentiment, d’une idée juste, d’une volonté de transparence. Pour autant, ces dispositifs reposent parfois sur des listes de paradis fiscaux obsolètes et, si l’intention est louable et suscite une mobilisation utile, elle ne permet pas toujours d’agir de façon opérante. Je pense que les régions pourront reprendre leur croisade avec plus d’efficacité dès lors que nous aurons nous-mêmes actualisé la liste des États et territoires non coopératifs.

Vous m’interrogez également sur le Pérou. Nous sommes en négociation avec ce pays, mais les conventions à deux sont comme toutes les histoires à deux : il faut être deux ! §Cela ne facilite pas nécessairement les choses dans la relation avec ce pays. Dans nos relations avec ce pays, cette condition n’est pas forcément satisfaite…

Quelle différence, me demandez-vous, entre la convention franco-qatarie et la convention conclue entre la France et les Émirats arabes unis ? La convention franco-qatarie a été renégociée au début du précédent quinquennat. Nul n’ignore qu’elle est particulièrement généreuse à l’égard des investissements qataris en France, qui sont très largement exonérés. Cette convention très particulière et à laquelle le Parlement s’intéresse aujourd’hui, s’agissant notamment des modalités de sa négociation, ne peut être un modèle. Il s’agit d’une exception que nous ne souhaitons pas dupliquer.

Monsieur le président Marini, je puis vous confirmer que nous sommes particulièrement vigilants quant aux conditions de mise en œuvre des conventions fiscales. Vous avez vous-même eu à vous intéresser de très près à quelques-unes de ces conventions, notamment à l’une d’entre elles, en mobilisant tous les moyens du contrôle sur pièces et sur place dont disposent les assemblées lorsqu’elles souhaitent, parfois, mettre en « pièces » certains acteurs politiques. Cela peut d’ailleurs les conduire à faire du « surplace » dans le cadre du contrôle sur pièces et sur place…

Sourires.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

D’abord, comme vous avez pu le constater dans le cadre de l’opération de contrôle à laquelle vous avez procédé, ces conventions sont parfois très anciennes et ont fait l’objet de révisions : la convention franco-suisse de 1966 a ainsi fait l’objet d’une modification en 2009, puis d’un échange de lettres en 2010, dont l’interprétation est assez complexe. En effet, certains considèrent que la convention est désormais plus ouverte à l’échange d’informations, tandis que, pour d’autres, elle peut être, selon les cas, plus restrictive ou plus ouverte.

Quoi qu’il en soit, l’application de cette convention montre que, sur des informations pointues, elle ne nous permet pas nécessairement d’obtenir une automaticité des échanges dans des conditions optimales.

Nous souhaitons poursuivre les discussions avec la Suisse, comme avec un très grand nombre de pays de l’Union européenne, dans un cadre que je veux préciser, répondant ainsi aux questions posées par Mme André, MM. Chiron Leconte et Dominati sur notre action européenne.

La directive Épargne constitue une extraordinaire opportunité pour négocier la mise en place, au sein de l’Union, de nouveaux dispositifs qui nous permettront d’être beaucoup plus efficaces dans la lutte contre la fraude fiscale. Trois objectifs principaux ressortent du cadre de cette directive.

Le premier objectif concerne l’harmonisation fiscale. Il n’y aura pas de marché unique européen aussi longtemps que nous serons pusillanimes, hésitants, sélectifs en matière d’harmonisation fiscale et d’harmonisation sociale. Certes, des discussions ont été entamées sur la fiscalité de l’épargne, tout comme sur la fiscalité des entreprises, à travers le projet ACCIS d’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Mais tout cela reste encore très timide et ne nous permet pas d’aller aussi loin que nous pourrions le souhaiter dans l’harmonisation fiscale. C’est un combat que nous devrons mener.

Le deuxième objectif a trait aux conventions automatiques d’échange d’informations. Il a été envisagé de mettre en place, dans le cadre de la directive Épargne, une convention type d’échange d’informations qui permettrait à tous les États de l’Union d’échanger des informations en permanence, dans des conditions semblables et identiques. Ce flux permanent tendrait à dissuader la dissimulation au sein de l’Union européenne et permettrait d’optimiser la lutte contre la fraude fiscale.

Comme vous avez pu le remarquer, beaucoup de pays sont allants pour que cela devienne effectif. Le ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici, très à la pointe de ce combat, conformément à l’impulsion donnée par le Président de la République, a signé avec ses homologues allemand, italien, espagnol, un courrier dans lequel il exprime le souhait de voir ces conventions mises en œuvre.

Cependant, un certain nombre de pays… se font attendre. Je pense à l’Autriche et au Luxembourg.

Pourtant, l’Autriche – je ne sais pas ce qu’il en est exactement du Luxembourg – a accepté de signer avec des pays tiers de l’Union européenne, notamment les États-Unis, des conventions de type FATCA, qui garantissent entre les signataires un échange complet d’informations, cet échange que refuse l’Autriche à ses partenaires de l’Union européenne. Autrement dit, ce pays accorde à des pays tiers ce qu’elle refuse de consentir à des pays avec lesquels elle partage un espace économique commun…

C’est la raison pour laquelle le troisième objectif que nous devons atteindre dans le cadre de ces directives est celui d’un mandat donné à l’Union européenne, dès lors que l’échange d’informations par des conventions harmonisées aura été rendu possible en son sein, de passer des conventions FATCA – c’est ce que vous souhaitiez, monsieur Dominati – avec d’autres pays tiers, extérieurs à l’Union européenne.

Il s’agit là d’un combat que nous devons également mener si nous voulons atteindre une véritable efficacité dans la lutte commune contre les paradis fiscaux et la fraude fiscale à l’échelon international, donnant ainsi suite aux ambitions portées par l’OCDE et le G20.

J’ai bien conscience de ne pas avoir répondu de façon aussi exhaustive que vous l’auriez souhaité à toutes les questions que vous avez posées les uns et les autres, mais vous en avez posé beaucoup et il est fort tard.

En tout état de cause, j’aurai maintes occasions de revenir devant vous, d’autant qu’une nouvelle commission d’enquête est sur le métier et que cette question va beaucoup nous occuper dans les mois qui viennent.

Sachez que le Gouvernement n’aura pas de difficultés à préempter les réflexions que vous conduisez puisque vos préoccupations sont autant d’objectifs que le Gouvernement se fixe pour obtenir des résultats dans la lutte contre la fraude fiscale, qui est une manière de détournement de fonds dont la collectivité publique a besoin pour conduire son action de redressement.

Je vous signale au passage que, malgré toutes les imperfections du système, en 2012, nous avons enregistré plus de 2 milliards d’euros de recettes supplémentaires grâce à la lutte contre la fraude fiscale. Ainsi, sur les 6 milliards d’euros d’impôts que vous évoquiez tout à l'heure et qui vous faisaient si peur, monsieur Dominati, au moins 2, 5 milliards d’euros proviennent du produit de la lutte contre la fraude fiscale, 2 milliards d’euros de la lutte contre les niches fiscales et niches sociales incongrues et 1 milliard d’euros ont déjà été engrangés du fait de l’augmentation des cotisations sociales résultant de l’accord sur les retraites complémentaires AGIRC-ARRCO. Voilà qui devrait vous rassurer, monsieur Dominati, et vous permettre de passer une bonne nuit ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Nous en avons terminé avec le débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 24 avril 2013 :

À quatorze heures trente :

1. Désignation :

- des vingt-sept membres de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République

- des vingt et un membres de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l’efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre.

2. Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur le projet de programme de stabilité.

À vingt et une heures trente :

3. Débat sur l’immigration étudiante et professionnelle.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le mercredi 24 avril 2013, à zéro heure trente.