Intervention de Michèle André

Réunion du 23 avril 2013 à 22h00
Débat sur l'efficacité des conventions fiscales internationales

Photo de Michèle AndréMichèle André :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur, au nom de la commission des finances, de plusieurs projets de loi ratifiant des conventions fiscales et des accords d’échange de renseignements, j’ai été amenée à analyser en détail ces instruments. Bien entendu, je n’ai pas la prétention d’en savoir autant sur le sujet que nous abordons ce soir que nos collègues qui ont travaillé au sein de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux. Je remercie d’avoir Éric Bocquet d’avoir posé ici la question de l’efficacité des conventions fiscales internationales.

La politique conventionnelle française s’inscrit dans le cadre multilatéral mis en place par l’OCDE. J’ai bien entendu les critiques émises ce soir sur cet organisme. Je veux donc rappeler ce que nous a dit M. Saint-Amans, directeur de son centre de politique et d’administration fiscales ? À la réflexion de notre collègue Jean Germain qui, après avoir entendu son exposé, se déclarait « admiratif d’un point de vue intellectuel, mais gêné politiquement », il avait répondu que l’OCDE n’était qu’un outil au service des politiques, mais qu’il était utile que nous, les politiques, parlions de cet outil, y compris pour le réformer.

Permettez-moi tout d’abord de procéder à un bref historique de la question.

Dès 2000, l’OCDE a publié une première liste des « paradis fiscaux ». Quelles sont les principales caractéristiques d’un « paradis fiscal » ? Il s’agit d’un État ou territoire dans lequel les impôts directs sont insignifiants ou inexistants, où les activités économiques substantielles sont rares, dont le régime fiscal n’est pas transparent et qui ne transmet pas de renseignements aux administrations fiscales des autres pays.

En 2002, un modèle de convention sur l’échange de renseignements en matière fiscale a donc été élaboré au sein de l’OCDE. Il s’agissait alors de s’accorder sur des standards internationaux en matière d’échange des renseignements, afin de lutter contre les pratiques dites « dommageables ». Ces standards définis, ils ont trouvé leur place à l’article 26 du modèle de convention fiscale sur le revenu et la fortune de l’OCDE, adopté en 2008, ce modèle couvrant un champ plus large que le seul échange d’informations.

Selon ces accords, les pays s’engagent à échanger, sur demande, des informations en matière fiscale. Le pays requérant doit uniquement démontrer la pertinence prévisible de sa demande : c’est la notion de renseignements « vraisemblablement pertinents », qui vise à empêcher les États d’aller à la « pêche » aux informations. L’actualité récente a mis en lumière cette question.

Cependant, il a fallu attendre le G20 de Londres, en 2009, pour que la communauté internationale s’engage véritablement à lutter contre les pratiques fiscales dommageables en renforçant la coopération. Ainsi, en 2009, l’OCDE a publié trois listes de juridictions, en fonction de leur degré de transparence en matière fiscale : la « liste noire » recensait les États n’ayant pris aucun engagement en termes d’échange de renseignements ; la « liste grise » regroupait les États s’étant engagés à signer de tels accords ; enfin, les pays ayant signé plus de douze accords figuraient sur la « liste blanche ». Dans le cadre national également, il suffisait à un pays de signer plus de douze accords pour ne plus être présent sur la liste des États et territoires non coopératifs.

Consciente du fait que le critère formel de la signature de douze accords ne suffisait pas à rendre effective la coopération, l’OCDE a prévu des modalités de contrôle desdits accords. Ainsi, depuis 2010, le Forum mondial de l’OCDE examine l’engagement à coopérer des 105 États membres au regard des standards internationaux. Cet examen, conduit par d’autres pays membres, comprend deux phases : la première analyse le cadre normatif de l’État, tandis que la seconde dresse le bilan qualitatif et quantitatif de la mise en application des accords. Il s’agit donc bien d’un contrôle de l’effectivité de la coopération.

C’est dans ce cadre que s’inscrit la politique conventionnelle de la France depuis 2009.

La commission des finances du Sénat, qui est compétente au fond pour examiner les conventions fiscales, a toujours été attentive aux observations et recommandations formulées par l’OCDE, notamment dans la phase d’analyse du système juridique du pays. Ainsi, après avoir constaté que le Panama ne satisfaisait qu’à trois des dix critères de transparence définis par le Forum mondial, Nicole Bricq, alors rapporteur général, a proposé au Sénat de rejeter la convention fiscale entre la France et ce pays.

En outre, j’ai souligné à plusieurs reprises que la ratification ne peut être assimilée à un blanc-seing. Dans le cas où l’échange de renseignements ne serait pas effectif, l’État ou le territoire concerné doit être réintégré à la liste française des États et territoires non coopératifs. Il est primordial que le Gouvernement tienne pleinement compte de l’effectivité de l’échange d’informations lors de la prochaine révision de la liste de ces États.

Cette expérience au sein de l’OCDE, si elle demeure insuffisante, nous conduit à considérer que le fatalisme n’est pas de mise : dans ce domaine, un engagement politique fort, et partagé au niveau international, permet d’avancer. La ratification de conventions fiscales comprenant une clause d’échange de renseignements conforme aux standards internationaux constitue donc un préalable indispensable pour lutter contre l’évasion.

Certes, il convient aujourd’hui d’aller plus loin. En effet, les listes « noires » et « grises » se sont peu à peu vidées de leur contenu à mesure que les États développaient leur politique conventionnelle. C’est d’ailleurs une critique adressée aujourd’hui à l’OCDE. Mais la preuve que ces listes ont fonctionné, c’est justement qu’elles sont vides à présent : les États se sont engagés à coopérer. Désormais, et cela était prévu dès 2009, il s’agit de vérifier l’effectivité des échanges et de veiller ainsi au respect des conventions fiscales.

Je voudrais également souligner que le bilan, au niveau national, de l’échange de renseignements en matière fiscale n’est pas à la hauteur des enjeux. En 2011, l’administration fiscale française a adressé seulement 1 922 demandes de renseignements. Sans doute le renforcement des moyens humains et technologiques de l’administration fiscale annoncé par le Gouvernement permettra-t-il de faire progresser le nombre et la qualité des informations échangées. Néanmoins, la faiblesse de ce chiffre met en évidence l’avantage que pourrait avoir un système automatique d’échange de renseignements pour renforcer l’efficacité de notre politique de lutte contre l’évasion fiscale.

En plus de la poursuite des travaux au sein de l’OCDE, toutes les mesures renforçant la transparence en matière fiscale doivent être mobilisées.

Il faut se féliciter des avancées permises par le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, actuellement en cours d’examen au Parlement. Désormais, les banques devront publier, chaque année, la liste de l’ensemble de leurs filiales, pays par pays. Pour chaque filiale, elles devront indiquer la nature des activités, le produit net bancaire, les effectifs employés, les bénéfices avant impôts, les impôts acquittés et les subventions publiques reçues. Cette mesure sera également mise en œuvre au niveau européen. Grâce à ces informations, nous pourrons détecter les transactions effectuées dans des paradis fiscaux.

Ainsi, une « fenêtre de tir » politique se présente à nous : certains pays jusqu’alors réticents sont aujourd’hui prêts à s’engager plus loin dans la lutte contre l’évasion fiscale. Nous devons saisir l’opportunité qui s’offre à nous pour faire davantage contre l’évasion fiscale, qui prive nos États de recettes dont ils ont plus que jamais besoin. Notre collègue Marie-France Beaufils y a fait allusion tout à l'heure.

Je pense en particulier à l’instauration d’un système européen d’échange de renseignements, inspiré de la législation américaine appelée FATCA. Celle-ci est destinée à lutter contre l’évasion fiscale des contribuables américains détenant des avoirs ou percevant des revenus via des comptes ouverts en dehors des États-Unis. Pour cela, les institutions financières étrangères devront transmettre aux autorités américaines les informations sur les comptes bancaires détenus par les contribuables américains. Les banques devront également prélever une retenue à la source de 30 % sur les revenus des personnes « récalcitrantes ». Enfin, elle prévoit un reporting annuel indiquant les noms, numéros d’identification fiscaux et avoirs des clients américains.

En février 2012, plusieurs pays européens, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont signé avec les États-Unis une déclaration où ils se sont engagés à développer une approche commune pour la mise en œuvre de FATCA. Les échanges devraient ainsi se faire sur une base réciproque et passer par les administrations fiscales nationales, notamment afin de respecter les obligations de protection des données personnelles, que nous ne devons pas non plus oublier. Si les conditions de mise en œuvre précises de cet engagement n’ont pas encore été arrêtées, cette initiative constitue un premier pas vers la constitution d’un modèle commun d’échange automatique de renseignements.

Toutefois, le modèle américain ne peut pas être transposé tel quel au niveau européen. C’est en effet le principe de la résidence, et non de la citoyenneté, qui prévaut en Europe en matière fiscale. L’administration fiscale française ne peut donc pas s’intéresser aux revenus perçus par les Français résidant fiscalement dans un autre pays. Pourtant, la réforme américaine peut être source d’inspiration pour l’Europe, et je ne doute pas que nous trouverons à y puiser certaines solutions.

Je me félicite à cet égard de la lettre conjointe adressée à la Commission européenne par le ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici, et ses homologues britannique, allemand, espagnol et italien, afin de mettre en place un projet multilatéral d’échange automatique de renseignements, inspiré de l’initiative américaine.

Le Conseil européen du 22 mai prochain constituera une étape importante dans la définition d’une véritable politique européenne de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire quel message la France entend porter lors de ce sommet ? Quelles démarches ont été entreprises pour convaincre nos partenaires de l’urgence d’agir en matière de lutte contre l’évasion fiscale ?

Aux niveaux international et national, nous avons su développer des outils. Ils doivent être renforcés, complétés, en particulier au niveau de l’Union européenne. Il est de notre responsabilité – Gouvernement et Parlement – de transcrire cette volonté politique en actes. §

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