Intervention de Philippe Dominati

Réunion du 23 avril 2013 à 22h00
Débat sur l'efficacité des conventions fiscales internationales

Photo de Philippe DominatiPhilippe Dominati :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales s’inscrit, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, dans le cadre de la réflexion approfondie qui a été engagée au Sénat sur l’évasion fiscale, à la suite, notamment, du rapport de mon collègue Éric Bocquet, que je tiens à saluer. Ce rapport a été publié au nom de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, que j’ai eu le plaisir de présider.

Le précédent débat que nous avions tenu sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, le 3 octobre dernier, avait permis de prolonger en séance les travaux de la commission d’enquête.

Les conventions fiscales internationales, notamment bilatérales, s’inscrivent pleinement dans la lutte contre l’évasion fiscale, en permettant l’échange d’informations entre la France et les autres pays.

Elles préviennent l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôt sur le revenu et d’ISF, mais aussi de droits de succession et de donations. Elles clarifient également la situation des résidents français à l’étranger, en évitant la double imposition des revenus, en précisant le lieu d’imposition de leurs biens et revenus, ainsi que la définition de la résidence fiscale pour éviter tout contentieux avec le fisc français.

Le but de ce type de convention fiscale est donc d’attribuer à un seul des deux pays le domicile de la personne, donc l’étendue de son obligation fiscale.

Un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, publié en 2007, notait que la coopération internationale se développait, mais restait insuffisante, et que les services de contrôle pouvaient parfois se retrouver « démunis » pour obtenir des informations lors d’opérations économiques transfrontalières.

Depuis, la communauté internationale, notamment sous l’impulsion du président Sarkozy, lors des sommets du G20 de Londres et de Pittsburgh en 2009, a fait de la transparence fiscale et de l’amélioration de la coopération dans ce domaine une de ses priorités, et les accords internationaux en la matière se sont multipliés.

Le Sénat a déjà examiné de nombreux accords relatifs à l’échange de renseignements dans le domaine fiscal, fondés sur le modèle de convention établi par l’OCDE. Depuis plusieurs années, des actions concrètes ont été engagées, avec des résultats probants dans la lutte contre l’opacité juridique, comptable et bancaire.

Quoi qu’en disent certains de nos collègues, la coopération entre administrations fiscales en matière d’échange de renseignements a progressé à grands pas sous le précédent quinquennat, des modifications importantes dans les législations nationales et surtout de nouvelles conventions bilatérales étant intervenues. D’ailleurs, le rapport final de notre commission d’enquête sur l’évasion fiscale, adopté à l’unanimité de ses membres, issus de tous les groupes politiques de notre assemblée, le reconnaît.

Même dans de grands centres financiers, comme la Suisse ou Singapour, le secret bancaire recule : ainsi disparaissent les principaux obstacles juridiques qui entravaient la levée du secret bancaire pour raisons fiscales.

Bien sûr, des progrès doivent encore être réalisés, mais le bilan en la matière est déjà positif.

Certes, l’affaire Cahuzac fait douter de l’efficacité de ces conventions. Mais ce qui semble en jeu, c’est non pas tant leur efficacité que la pleine utilisation par Bercy des facultés ouvertes par les conventions fiscales signées avec la Suisse et Singapour en matière d’échange d’informations, comme l’a très bien souligné le président Marini.

En matière d’échange d’informations, dans le cadre des conventions bilatérales, le point sur lequel devraient essentiellement porter les améliorations est plutôt la rapidité des réponses aux demandes d’information. Il faut en effet parfois compter plusieurs mois d’attente, par manque de convention directe, et, si l’on porte crédit aux propos du ministre, Bercy n’a reçu en une semaine que 28 réponses sur les 426 demandes adressées à la Suisse.

Le problème de l’évasion fiscale doit aussi être appréhendé en amont. Les conventions ne sont que le fil tentant de suturer une plaie causée par une politique fiscale poussant à l’évasion.

La réalité, comme je l’avais déjà rappelé lors du débat d’octobre dernier, c’est que nous vivons dans un environnement fiscal concurrentiel. Si notre fiscalité est punitive ou confiscatoire, grande peut être la tentation de placer dans des comptes offshore ses économies, qui sont bien souvent le fruit de son travail, d’une prise de risques liée à une création entrepreneuriale.

Je rappelle que la France va atteindre cette année le niveau record de prélèvements obligatoires, à hauteur de 46, 5% du PIB, qu’il est envisagé de stabiliser ce niveau dans les trois ans qui viennent mais sans aucune perspective de le diminuer, ainsi que vous nous l’avez confié en commission des finances récemment, monsieur le ministre.

La tentative d’introduction de la taxe à 75 %, censurée par le Conseil constitutionnel pour son caractère confiscatoire, a, hélas, eu des effets psychologiques désastreux sur les plus fortunés. L’exil fiscal est difficilement quantifiable ; toutefois, selon les notaires et avocats fiscalistes, les départs auraient été multipliés par cinq en 2012 et il y en aurait eu plus de 5 000.

Je me réjouis à ce propos que nous puissions éventuellement disposer dans quelque temps de données plus précises en la matière, avec le lancement d’une étude à grande échelle par un think tank des cabinets d’avocats, apolitique et indépendant, et regroupant une quarantaine de fiscalistes français et internationaux.

L’envoi d’un questionnaire à plus de 200 professionnels français, belges, suisses et britanniques, qu’ils soient avocats fiscalistes, notaires ou banquiers, devrait permettre de compiler les informations. La commission d’enquête, dans son rapport, avait d'ailleurs préconisé que notre administration dispose de données précises avant qu’un think tank ne soit obligé d’éclairer les parlementaires sur ce type d’informations !

Dans son dernier rapport sur la fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, le Conseil des prélèvements obligatoires estimait que le montant des pertes fiscales liées à cette expatriation se situait entre 29 milliards et 40 milliards d’euros par an.

Le rapport de la commission d’enquête évalue, quant à lui, le montant minimal de l’expatriation fiscale entre 30 milliards et 36 milliards d’euros, sans pouvoir le chiffrer plus précisément, faute d’informations suffisantes de la part de l’administration fiscale.

En réalité, le montant de l’évasion fiscale pourrait se chiffrer à plus de 50 milliards d’euros, peut-être même à 80 milliards. Cette somme, supérieure aux recettes de l’impôt sur les sociétés en 2012, pourrait bénéficier à notre économie, qui en a grandement besoin ! Elle est en tout cas sans commune mesure avec les recettes engendrées par des mesures qui poussent nos compatriotes à s’expatrier, et aujourd’hui plus que jamais.

Lutter efficacement contre l’évasion fiscale, c’est non pas trouver des remèdes a posteriori, mais au contraire la prévenir en s’attaquant aux raisons qui incitent nos compatriotes à s’expatrier. C’est bien là, monsieur le ministre, que réside la faille de votre raisonnement, davantage empreint de contingences idéologiques que de pragmatisme et de rationalisme économiques.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, s’il semble naturel de s’inquiéter des pertes de recettes fiscales résultant de tricheries, nous devrions consacrer au moins autant d’énergie à mesurer les pertes de substance financière et de dynamisme économique qu’occasionne une fiscalité décrite très honnêtement par le rapport de la commission d’enquête comme l’une des plus lourdes d’Europe et, par conséquent, du monde.

Et, à l’époque, nous ne nous doutions pas encore de l’ampleur du choc fiscal que la majorité a infligé aux Français à l’automne dernier. Ce n’est d’ailleurs pas fini puisque nous savons qu’il y aura une rallonge d’environ 6 milliards d’euros de hausses d’impôts !

Quand on débat de l’évasion fiscale, il convient de ne pas oublier de rappeler que, par ailleurs, la très grande majorité des expatriés fiscaux français ne sont pas des fraudeurs, des commanditaires de montages financiers complexes. La réelle optimisation fiscale ne concerne qu’une minorité d’entre eux. Pour l’essentiel, il s’agit de créateurs d’entreprises ou de cadres dirigeants d’entreprises dont les sièges sociaux se délocalisent. Nombre d’entre eux font ce choix à contrecœur, en raison de la pression fiscale en France, l’une des plus lourdes de l’OCDE et la plus élevée des économies développées.

Alors que la création d’entreprise crée la richesse et l’emploi, nous nous privons de ce cercle vertueux qui voit la richesse créer la richesse. À une période où nous sommes au bord de la récession, notre économie en aurait pourtant grandement besoin !

Je dirai en conclusion que le débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales ne doit pas occulter le débat sur l’inefficacité de la pression fiscale dans notre pays en termes de création de richesses, de croissance et d’emploi !

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