Intervention de Jacques Chiron

Réunion du 23 avril 2013 à 22h00
Débat sur l'efficacité des conventions fiscales internationales

Photo de Jacques ChironJacques Chiron :

Au-delà des enjeux financiers, l’évasion fiscale est un combat citoyen, un combat moral, un combat pour l’équité.

Agir aujourd’hui pour lutter vigoureusement contre ce fléau, c’est porter cette ambition de justice, c’est demander à tous de contribuer en fonction de ses moyens à la richesse nationale, celle qui crée la solidarité collective pour ceux qui en ont besoin, celle qui permet de mettre en place un patrimoine commun de services publics accessibles à tous. Chacun devrait être honoré d’y concourir !

Alors que le Gouvernement demande des efforts à tous pour redresser les comptes de l’État et retrouver des marges de manœuvre, comment accepter que certains, ceux qui ont pourtant « les moyens », puissent s’en exonérer à l’ombre des paradis fiscaux et à l’abri des poursuites ? Il est aujourd’hui urgent de prendre des mesures radicales et efficaces.

D’autres intervenants l’ont dit, les chiffres de l’évasion sont accablants : 50 % des transactions mondiales transitent par des paradis fiscaux et bancaires. L’évasion fiscale pèse 1 000 milliards d’euros par an en Europe et de 60 milliards à 80 milliards d’euros par an en France, soit presque le montant du déficit public national.

Sans être la seule explication des crises que nous traversons, l’évasion et la fraude fiscales sont aujourd’hui un élément de leur pérennisation. Jean Monnet, père fondateur de l’Europe, disait : « J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises. »

Face à cette crise de l’imposition, des solutions existent.

L’Europe doit mettre fin à la compétition du moins-disant fiscal et au refus de la transparence bancaire qu’elle a laissé s’installer en son sein. Elle ne peut se limiter à un grand marché, à des règles de discipline budgétaire et, pour les membres de l’Eurogroupe, à une politique monétaire. À l’heure des récessions et des croissances atones, la régulation économique, fiscale et bancaire doit être notre priorité.

Grâce aux prises de conscience collectives qui, chaque jour, gagnent du terrain, les graines de cette politique sont progressivement semées au travers de mesures nationales et internationales. J’essaierai d’être objectif à la fois sur les mesures déjà engagées et sur celles qui pourraient encore renforcer notre action.

Le Président de la République a fait, le 10 avril dernier, des annonces fermes qui vont dans le bon sens. Concernant le contrôle des banques, il a relayé et renforcé la proposition faite au Sénat. Monsieur le ministre, je propose que nous soyons plus exigeants encore avec les établissements financiers installés en France. Il faut conditionner le maintien de leur licence bancaire au strict respect de leurs obligations de transparence. Je pense ici à la nouvelle liste de 360 noms d’UBS.

Concernant les paradis fiscaux, nous savons que les hésitations autour de leur définition font naître des listes à périmètre variable. Cela a été dit, un pays qui signe plus de douze conventions fiscales internationales est retiré des listes. Par conséquent, la liste de l’OCDE ne permet pratiquement plus d’identifier aucun pays.

Si la mise en place de ces listes a eu une incidence plutôt positive sur le nombre d’accords internationaux, la question de leur mise en œuvre reste posée. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a insisté pour que l’application effective des conventions, et non pas seulement leur signature, soit le critère prépondérant pour déterminer si un État doit être classé ou non comme non coopératif. Cela devrait à la fois permettre la mise en place d’un suivi effectif des conventions fiscales et l’actualisation d’une liste sérieuse et crédible des paradis fiscaux.

Dans le cadre des conventions fiscales signées par la France, nous avons constaté que seules 60 % de nos demandes recevaient une réponse, tandis que certains contestent la légitimité même de ces requêtes. Il faut envisager de revoir certaines formulations pour éviter des divergences d’interprétation qui dissimulent certainement une volonté inégale des États signataires d’appliquer les conventions. Il est triste de s’apercevoir que les listes volées – je pense à celles d’HSBC en France et d’UBS aux États-Unis ou en Allemagne – ou le travail d’investigation de certains médias, qui ont parfois permis le transfert de milliers de noms, s’avèrent plus efficaces que l’échange d’informations via les conventions.

Enfin, le Président de la République a aussi proposé la création d’un parquet financier, c’est-à-dire d’un procureur spécialisé avec une compétence nationale, qui pourra agir sur les affaires de corruption et de grande fraude fiscale. Dans une matière aussi complexe, face à des pratiques d’optimisation et d’évitement qui ont souvent un temps d’avance sur la législation, nous avons effectivement besoin de magistrats spécialisés pour gagner en coordination, en réactivité et en efficacité. Le fait qu’il ait fallu quatre ans pour qu’un parquet se saisisse du dossier HSBC montre la pertinence des propositions du Président de la République.

Au niveau européen, certaines avancées peuvent également être soulignées. Sur le plan de la coopération fiscale, la création de la taxe sur les transactions financières entre onze États membres est une bonne nouvelle. Elle va freiner dès 2014 la mobilité excessive du capital, qui nourrit, on le sait, l’évasion fiscale.

Par ailleurs, nous pouvons nous réjouir que la lutte contre le secret bancaire ait été mise à l’agenda du prochain sommet européen, le 22 mai à Bruxelles.

Voilà déjà quelques progrès, mais il faut aller plus vite et plus loin.

J’insisterai plus particulièrement sur la récente proposition de Pierre Moscovici relative à la mise en place d’un FATCA européen. Le 10 mars dernier, il a sollicité, avec ses homologues britannique, allemand, espagnol et italien, la Commission européenne pour instaurer un projet multilatéral d’échange de renseignements, inspiré de la législation américaine.

Grâce à leur puissance de négociation, les États-Unis ont réussi à faire plier la Suisse et d’autres États. Les établissements financiers étrangers doivent transmettre au fisc américain les informations sur les comptes détenus par les contribuables, qu’ils soient citoyens ou résidents, afin qu’il puisse être procédé au recoupement de ces données avec leurs déclarations de revenus.

Cette même initiative, ambitieuse à l’échelle européenne, peut permettre à terme que l’échange automatique devienne la règle et que le secret bancaire disparaisse définitivement au sein de l’Union. Cet accord devra cette fois se faire sans sursis, sans période dérogatoire et dans les mêmes termes pour tous les États. La force d’une Union à 27 permettrait ensuite de négocier une convention fiscale, notamment avec la Suisse et les autres paradis fiscaux, qui soit à la hauteur des standards internationaux, et non en ordre dispersé comme pour les accords « Rubik » bilatéraux.

Pour autant, un accord FATCA à l’échelle de l’Union européenne sera-t-il suffisant face aux résistances de certains pays ? Nous connaissons en effet bien les obstacles à sa mise en œuvre.

Il s’agit d’abord des obstacles juridiques, avec la règle de l’unanimité en matière fiscale et les systèmes fiscaux européens qui assoient l’impôt sur la résidence, et non sur la citoyenneté, comme aux États-Unis.

Il existe ensuite des obstacles politiques : je pense notamment à la position historique du Luxembourg et de l’Autriche au sujet du secret bancaire. Si le Luxembourg s’est récemment dit prêt à réduire « partiellement » son secret bancaire et l’Autriche prête à « étudier » la question, ces revirements sont en partie le fruit des pressions exercées par la société civile.

Rappelons que ces deux États retardent encore la conclusion du processus de révision de la directive Épargne, qui prévoit l’échange automatique de renseignements entre États de l’Union européenne sur les seuls revenus de l’épargne, alors qu’ils bénéficient d’une période dérogatoire depuis 2005. Rappelons aussi que les principaux partis politiques d’Autriche, engagés dans la campagne des élections législatives qui se tiendront en septembre prochain, sont fermement opposés à une avancée « rapide » sur cette question.

L’Union européenne a jusqu’ici été trop tolérante à l’égard de ces pays qui bloquent les tentatives de levée du secret bancaire et qui sont, pour certains, des refuges accueillants pour les grands groupes industriels en quête d’optimisation fiscale. C’est notamment le cas du Luxembourg pour les leaders mondiaux de l’économie numérique. Des sommes considérables qui échappent ainsi à tous les États européens !

S’il faut combattre ces résistances en Europe, nous devons également être ambitieux à l’échelle mondiale en actionnant le levier du G20, dans le prolongement des discussions menées lors du G20 des finances, vendredi dernier, à Washington.

Cela permettrait de demander à l’OCDE de modifier son modèle standard de convention en intégrant l’échange automatique de renseignements sur tous les revenus, pour enfin permettre à tout pays de recenser les comptes bancaires et les avoirs de ses ressortissants à l’étranger.

Lors de la prochaine réunion du G20, en septembre, la France doit porter une voix forte et courageuse pour mettre en œuvre une véritable réforme financière mondiale.

En 2009, un consensus mondial des principales puissances économiques avait permis un premier recul du secret bancaire. Saisissons l’élan que nous voyons aujourd'hui se dessiner à l’échelle du G20 pour demander un calendrier précis de mise en œuvre du modèle d’échange automatique à l’échelle mondiale et attaquons-nous avec détermination aux paradis fiscaux, à l’évasion et à la fraude qui, chaque jour, menacent notre pacte républicain et fragilisent l’Europe ! §

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