Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 23 avril 2013 à 22h00
Débat sur l'efficacité des conventions fiscales internationales

Bernard Cazeneuve  :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord vous remercier très chaleureusement de votre présence à ce débat et de la qualité de toutes vos interventions concernant un sujet qui correspond à une très forte préoccupation du Gouvernement : la lutte contre la fraude fiscale.

Je tiens à adresser des remerciements particuliers au groupe CRC, et tout spécialement à M. Bocquet, qui a suscité ce débat et fait en sorte que, sur cette question, vous puissiez disposer d’éléments très documentés. J’ai pu mesurer, au travers de son intervention introductive, à quel point il maîtrisait les problèmes en cause, formulant à leur propos des exigences légitimes et définissant des orientations pour l’avenir qui sont autant de conseils donnés au Gouvernement afin que celui-ci puisse encore améliorer le dispositif de lutte contre la fraude fiscale.

Compte tenu de l’ensemble des sujets qui ont été évoqués par les intervenants, je voudrais, avant de répondre aux questions précises que les uns et les autres ont soulevées, vous exposer en quelques mots les orientations qui président à la politique du Gouvernement dans le domaine de la lutte contre la fraude fiscale.

Comme vous le savez, il s’agit d’une question extraordinairement complexe, qui peut avoir des conséquences économiques sérieuses pour notre pays, car, en l’absence de dispositif efficient, la fraude fiscale permet à un certain nombre d’acteurs économiques de contourner l’obligation de paiement de l’impôt. Cela conduit à une érosion très sensible des assiettes fiscales et, par conséquent, à une dégradation significative du produit fiscal. Nous voulons donc agir en vue de lutter contre la fraude avec toute l’efficacité requise.

Pour ce faire, il faut prendre des dispositions nationales – certaines ont déjà été prises, que je rappellerai – et des dispositions européennes. Au niveau national, de nouvelles mesures vont être décidées, notamment dans le cadre du texte qui sera examiné demain par le Conseil des ministres. Parallèlement, conformément à ce qu’indiquait encore récemment le Président de la République, nous devons intensifier notre action au sein de l’Union européenne.

Les deux dernières lois de finances rectificative pour 2012 contiennent une série de mesures intéressantes et efficaces de lutte contre la fraude fiscale. Il en est de même, d’ailleurs, du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui inclut un certain nombre de dispositifs tendant à renforcer l’arsenal dont nous disposons à cet égard.

Je rappellerai brièvement le contenu de ces dispositions.

Vous avez évoqué, monsieur Bocquet, ainsi que plusieurs de vos collègues, les transferts de bénéfices qu’opèrent certaines sociétés françaises, qui conduisent à une réduction des bases fiscales taxables et donc, de fait, à une érosion du produit fiscal.

Vous le savez, nous avons pris des dispositions en loi de finances rectificative pour 2012 afin d’inverser la charge de la preuve concernant ces dispositifs : ce n’est plus désormais à l’administration fiscale de prouver l’existence d’un transfert, mais à la société ayant procédé au transfert d’exposer les raisons qui justifient ce transfert.

Quant aux contribuables particuliers, dès lors qu’ils ont placé des avoirs dans des paradis fiscaux et qu’ils ne sont pas en situation de justifier de leur provenance, ils se voient désormais très lourdement taxés : à hauteur de 60 %.

Ce sont là de nouveaux instruments relativement efficaces de lutte contre la fraude fiscale.

Par ailleurs, les dispositions que nous avons prises concernant la séparation des activités bancaires viennent également compléter notre arsenal en la matière. Je prendrai deux exemples parmi beaucoup d’autres.

Premièrement, toutes les activités des filiales de banques françaises à l’étranger peuvent désormais être documentées. Ainsi, une banque qui a des activités à l’étranger est obligée de justifier de la nature des activités de ses filiales, de leur chiffre d’affaires, des moyens dont elles se sont dotées pour développer ces activités à l’étranger. Le fait de rendre publics ces éléments est très important pour assurer la transparence des activités bancaires dans notre pays.

Deuxièmement, une institution financière ou bancaire qui constate, à travers ses opérations, des mouvements financiers susceptibles de renvoyer à des activités opaques, anormalement importants ou d’une régularité douteuse, doit désormais communiquer les éléments dont elle dispose à TRACFIN, ce qui est une excellente occasion pour nous de contrôler des activités qui pouvaient jusqu’à présent échapper à la vigilance de l’administration fiscale.

Ces dispositions sont néanmoins insuffisantes et il faut aller au-delà, à l’échelon national comme à l’échelon européen.

Sur le premier plan, nous allons renforcer les moyens de lutte contre la fraude fiscale. Nous examinerons demain en conseil des ministres deux dispositifs.

Il s’agit, d’abord, de la mise en place d’un office de lutte contre la corruption et la fraude fiscale, destiné à rassembler en une même entité les interventions ainsi que les moyens humains et techniques de l’administration de la justice, de l’intérieur et de Bercy susceptibles d’être mobilisés en ce domaine. Cet office conférera, par une meilleure articulation de l’intervention de ces différentes entités administratives, une plus grande efficacité aux dispositifs dont nous nous sommes dotés pour lutter contre la fraude fiscale.

Il s’agit, ensuite, de la mise en place d’un parquet fiscal. Cette dernière ne signifie en rien, dans mon esprit, la remise en cause du monopole de la poursuite fiscale par l’administration de Bercy ; ce parquet fiscal est, au contraire, un levier d’action supplémentaire donné à notre administration fiscale et doit offrir une plus grande efficacité, un enclenchement plus facile de l’action publique lorsque nous constatons une fraude, qu’elle soit le fait d’individus ou qu’elle ait été encouragée par des banques.

Si je veille toujours scrupuleusement à ne jamais commenter des décisions de justice, je ne peux pas ne pas constater, pour m’en réjouir, que l’action publique a été déclenchée aujourd'hui par le procureur de Paris concernant la liste HSBC. C’est le signe que nous avons changé d’époque et que nous sommes dans un climat très différent de celui qui prévalait jusqu’à présent.

Autre sujet qui relève de la compétence nationale : l’établissement de la liste des États et territoires non coopératifs. Nous avons progressé à cet égard, mais nous devons faire évoluer la doctrine dans le sens de son renforcement. Jusqu’à présent, la liste des États non coopératifs était allégée des États qui acceptaient de signer des conventions avec la France. Cette liste comportait, à l’origine, dix-huit noms ; onze États ayant accepté de signer des conventions d’échange d’informations avec la France ont été sortis de la liste, puis un État y a été ajouté, ce qui porte aujourd'hui le nombre d’États figurant sur cette liste à huit.

Cependant, nous considérons qu’il ne suffit pas d’avoir signé une convention d’échange d’informations pour avoir l’assurance de ne pas figurer sur la liste des États et territoires non coopératifs. Comme vous avez pu le constater, monsieur Bocquet, madame Beaufils – le président Marini l’a lui-même souligné en me sollicitant à propos de la Suisse –, les États ne renseignent pas toujours ceux avec lesquels ils ont passé des conventions, en dépit de ce que celles-ci prévoient parfois explicitement. Par conséquent, nous souhaitons faire en sorte que des États qui ne respectent pas la lettre et l’esprit de ces conventions, notamment pour la partie concernant l’échange d’informations, soient susceptibles de se retrouver inscrits sur la liste des territoires et États non coopératifs.

Je ne veux pas indiquer ici, même si vous m’avez saisi de la situation spécifique de plusieurs États, que nous procéderons bientôt à l’inscription de tel ou tel sur la liste en question. Nous sommes, en effet, en discussion avec certains d’entre eux pour faire progresser les choses. De surcroît, au lendemain du G20, et compte tenu des événements récents, un certain nombre d’États qui étaient attachés au secret bancaire comme l’arapède l’est au rocher avaient décidé de faire évoluer leur doctrine. Tant mieux ! Précisément, nous pourrions les en dissuader si nous leur annoncions dès à présent que nous allons les inscrire sur la liste, alors même que nous sommes en train de discuter avec eux.

Ne considérez pas que les propos que je viens de tenir traduisent une faiblesse. Bien au contraire, c’est une forme de pression. Si, malgré cette pression, devait demeurer la même incertitude ou ambiguïté quant à la capacité de ces États à assurer la transparence, nous saurions prendre pour chacun d’eux, quelle que soit leur proximité géographique, des décisions rappelant la fermeté avec laquelle nous entendons agir sur ces questions.

Les conventions d’échange d’informations, vous l’avez souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, sont nombreuses, d’une qualité relative et de portée inégale, selon les motivations qui ont présidé à leur préparation. Nous avons passé des conventions avec pas moins de 130 États de la planète, notamment avec ceux qui occupent une place prépondérante dans l’activité économique de leur continent et, en fin de compte, du monde.

Ces 130 conventions ont plusieurs objets. Elles visent d’abord à éviter les doubles impositions, qui peuvent constituer un frein à la circulation des marchandises et des personnes. Elles doivent en outre permettre de lutter contre la fraude fiscale. À ce titre, elles sont censées nous garantir, en cas de doutes sur le transfert d’avoirs vers des paradis fiscaux ou un certain nombre d’États, de disposer d’informations concernant les conditions dans lesquelles ces transferts ont été opérés.

Par ailleurs, je veux souligner la relative complexité juridique attachée à ces conventions : au texte même de la convention peuvent s’ajouter des stipulations à caractère juridique, qui viennent compliquer considérablement leur interprétation et les conditions de leur exploitation pour lutter contre la fraude fiscale. Il arrive qu’une convention d’échange d’informations, articulée à d’autres dispositifs ou stipulations particulières, puisse, contrairement à l’objectif fixé par la convention, favoriser la double imposition, l’exode fiscal ou l’opacité dans le traitement de la situation des contribuables.

C’est la raison pour laquelle, dans les cas où la convention donne lieu à une telle complexité juridique, nous avons pris des dispositions particulières. Je pense, par exemple, à la situation qui consiste à priver de la qualité de résident, et donc de l’ensemble des avantages liés à la convention d’échange d’informations, un bénéficiaire apparent d’un revenu lorsque le bénéficiaire effectif n’est pas lui-même résident. Nous avons, à travers ce type de mesures particulières, essayé de corriger des situations qui étaient rendues difficiles du fait de la complexité juridique.

Vous m’avez posé beaucoup de questions très précises, mesdames, messieurs les sénateurs, auxquelles je vais essayer de répondre maintenant.

Monsieur Bocquet, vous m’avez demandé où nous en étions de la négociation des conventions avec nos voisins annoncée par le Président de la République pendant la campagne électorale.

Pour ce qui concerne la Suisse, la renégociation de conventions relatives, notamment, aux successions a abouti à l’élaboration de textes au mois de juillet dernier. Nous souhaitons être en mesure de signer ces conventions d’ici à l’été, mais tout n’est pas encore garanti. Nous travaillons à ce que celles-ci puissent aboutir dans les meilleures conditions. Nous avons également engagé des discussions en ce sens avec la Belgique et le Luxembourg.

Vous m’avez également questionné sur la liste HSBC, dont je constate, depuis que j’ai pris mes nouvelles fonctions, qu’elle suscite énormément de fantasmes et d’interrogations, au demeurant légitimes, la transparence n’ayant sans doute pas suffisamment prévalu dans cette affaire. Il reste que les propos que l’on tient sur cette liste ne correspondent pas à la réalité du traitement qui y a été réservé par l’administration fiscale.

Je tiens à dire avec la plus grande clarté que l’administration fiscale a traité avec beaucoup de diligence l’ensemble des éléments qu’elle a reçus à travers ce que l’on appelle la « liste HSBC ». Ces dossiers sont précisément ceux sur lesquels se concentrent aujourd’hui les travaux de la police fiscale. Comme vous le savez, de manière à favoriser et à amplifier l’efficacité de la police fiscale, le Président de la République a annoncé qu’il en renforcerait assez significativement les moyens.

Des chiffres circulent sur le nombre de personnes dont le nom apparaît sur cette liste. Je puis vous affirmer que l’ensemble des éléments reçus par la direction générale des finances publiques ont fait et continueront à faire l’objet d’un traitement approfondi. Le parquet a ouvert une instruction aujourd’hui. J’ai communiqué voilà quelques jours par voie de presse le nombre de cas qui ont été traités à la fois sur le plan fiscal et sur le plan judiciaire, de manière à éviter toute ambiguïté. Je pourrai vous les transmettre, monsieur Bocquet, ainsi qu’à la commission d’enquête créée par le Sénat. Bien entendu, j’ai également indiqué aux présidents et aux rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées que j’étais disposé à leur communiquer ces éléments.

Vous m’interrogez également, monsieur le sénateur, sur les prix de transfert et sur les moyens de lutter contre les pratiques abusives. La France est très active sur ces sujets au sein des enceintes multilatérales pour lutter contre l’érosion des bases fiscales. Elle a pris une part très significative à l’initiative du G20 réuni à Los Cabos et codirige les groupes de travail de l’OCDE sur le BEPS – Base erosion and profit shifting, ou érosion de l’assiette fiscale et transfert de bénéfices.

Vous m’avez également demandé si nous avions aidé l’administration fiscale grecque dans la lutte contre la fraude fiscale à la suite de la révélation de la liste HSBC. Nous avons signé, avec la Grèce, une convention qui nous permet d’échanger des renseignements fiscaux. L’administration fiscale a donc transmis aux autorités grecques, conformément aux demandes qu’elles nous ont adressées, les renseignements relatifs aux contribuables de ce pays.

Madame Beaufils, vous m’avez interrogé sur Saint-Martin. Nous partageons votre souci de ne pas faire de ce territoire un paradis fiscal, compte tenu notamment de sa proximité avec la partie néerlandaise. Prévu dans la loi organique et la convention, un dispositif d’ensemble permettant à l’administration fiscale d’obtenir tous renseignements utiles a été mis en place au moment où la partie française de l’île a acquis son autonomie.

Vous m’avez également questionné sur la manière dont nous gérons les accords que nous avons passés et activons les conventions qui nous unissent à un certain nombre d’États. Je puis vous dire que, sur la période 2011-2013, la France a adressé 1 140 demandes à des États nouvellement coopératifs et 3 000 demandes à d’autres partenaires avec lesquels nous entretenons des relations plus classiques.

Enfin, vous m’interrogez sur le forfait fiscal suisse que vous avez qualifié de « scandale ». Dans un contexte où la lutte contre l’exil fiscal est une priorité, les risques qu’emporte ce dispositif ouvert aux contribuables étrangers ne nous ont pas échappé. Nous avons réagi et, fin 2012, les autorités françaises ont décidé de refuser aux bénéficiaires de ce régime du forfait les avantages de la convention fiscale. En conséquence, ils subissent des retenues à la source plus élevées sur leurs revenus français.

J’en profite d’ailleurs pour vous rassurer, ainsi que M. Bocquet : il n’est pas question, en tout cas tant que ce gouvernement sera aux responsabilités, de passer quelque accord de type « Rubik » avec quelque pays que ce soit, car cela reviendrait, comme vous l’avez souligné, à organiser une amnistie fiscale en encourageant le maintien du secret bancaire ; notre stratégie n’est évidemment pas celle-ci.

Madame Goulet, nous ne pouvons que saluer les initiatives prises pas les régions françaises, à travers les motions de leurs assemblées délibérantes, destinées à lutter contre les paradis fiscaux. Elles partent d’un bon sentiment, d’une idée juste, d’une volonté de transparence. Pour autant, ces dispositifs reposent parfois sur des listes de paradis fiscaux obsolètes et, si l’intention est louable et suscite une mobilisation utile, elle ne permet pas toujours d’agir de façon opérante. Je pense que les régions pourront reprendre leur croisade avec plus d’efficacité dès lors que nous aurons nous-mêmes actualisé la liste des États et territoires non coopératifs.

Vous m’interrogez également sur le Pérou. Nous sommes en négociation avec ce pays, mais les conventions à deux sont comme toutes les histoires à deux : il faut être deux ! §Cela ne facilite pas nécessairement les choses dans la relation avec ce pays. Dans nos relations avec ce pays, cette condition n’est pas forcément satisfaite…

Quelle différence, me demandez-vous, entre la convention franco-qatarie et la convention conclue entre la France et les Émirats arabes unis ? La convention franco-qatarie a été renégociée au début du précédent quinquennat. Nul n’ignore qu’elle est particulièrement généreuse à l’égard des investissements qataris en France, qui sont très largement exonérés. Cette convention très particulière et à laquelle le Parlement s’intéresse aujourd’hui, s’agissant notamment des modalités de sa négociation, ne peut être un modèle. Il s’agit d’une exception que nous ne souhaitons pas dupliquer.

Monsieur le président Marini, je puis vous confirmer que nous sommes particulièrement vigilants quant aux conditions de mise en œuvre des conventions fiscales. Vous avez vous-même eu à vous intéresser de très près à quelques-unes de ces conventions, notamment à l’une d’entre elles, en mobilisant tous les moyens du contrôle sur pièces et sur place dont disposent les assemblées lorsqu’elles souhaitent, parfois, mettre en « pièces » certains acteurs politiques. Cela peut d’ailleurs les conduire à faire du « surplace » dans le cadre du contrôle sur pièces et sur place…

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