Intervention de Jean-Jacques Lasserre

Commission des affaires économiques — Réunion du 23 avril 2013 : 1ère réunion
Création d'un droit européen pour le consommateur à la maîtrise et à la parfaite connaissance de son alimentation — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Jacques LasserreJean-Jacques Lasserre, rapporteur :

le 15 mai.

La proposition de résolution n°461 tendant à la création d'un droit européen pour le consommateur à la maîtrise et à la parfaite connaissance de son alimentation a pour objectif vise à éclairer ce dernier sur la nature des produits alimentaire qui lui sont proposés. A cette fin, elle prévoit d'accélérer la mise en oeuvre de la nouvelle réglementation européenne sur l'étiquetage et de ralentir ou d'interrompre le processus de réintroduction des protéines -toujours dénommées à tort farines - animales dans l'alimentation des poissons. Adoptée par la commission des affaires européennes à l'unanimité des membres présents sur le rapport de Catherine Morin-Desailly, cette proposition de résolution tend à apporter plusieurs précisions rédactionnelles au texte initial et une modification plus substantielle, consistant à remplacer la mention assez générale de la nécessité de créer un nouveau droit européen de la parfaite connaissance par le consommateur de son alimentation par un appel à une accélération de la mise en oeuvre des nouvelles règles d'étiquetage s'accompagnant d'une généralisation des exigences de traçabilité, aujourd'hui limitées pour l'essentiel à la viande bovine. Je vous suggère de vous rallier à cette modification de bon sens. En outre, la commission des affaires européennes a confirmé dans le texte sa réprobation de l'initiative européenne en matière de protéines animales et suggéré un moratoire.

Ce travail d'expertise ayant été remarquablement conduit, je me propose de vous soumettre une approche complémentaire, conformément aux traditions de notre commission, centrée sur les questions techniques et économiques et empreinte de pragmatisme.

La réglementation européenne prévoit la levée de l'interdiction de certaines protéines animales pour l'alimentation des poissons, première étape vers une réintroduction plus générale qui ne concernerait pas les ruminants mais les porcs et volailles - espèces naturellement omnivores ou carnivores - et exclurait tout recyclage intra-espèce.

Alors que certains voient l'interdiction des farines animales comme une règle intangible et universelle, rappelons avec l'Académie d'agriculture de France, que ces farines ont été données pendant 180 ans à toutes les espèces avant que dix années de végétarisme ne soient imposées en Europe y compris aux omnivores. La conséquence en est une dépendance aux importations de soja - parfois transgénique - ainsi que le renforcement de la spéculation sur les matières premières alimentaires. En outre, l'interdiction des farines animales se limite aux seuls pays de l'Union européenne alors que 85 % du poisson consommé en France est importé et que presque la moitié de la production mondiale proviendra bientôt de l'aquaculture qui, hors d'Europe, utilise les farines animales. Aujourd'hui, notre principale protection n'est que la possibilité d'exiger un certificat sanitaire justifiant qu'un bovin importé n'a pas été nourri avec des protéines animales de bovins.

La crise de la vache folle étant resté gravée dans toutes les mémoires, la presse qui titre sur « le retour des farines animales » a toutes les chances d'inquiéter les populations, surtout si les plus hautes autorités de l'Etat expriment simultanément et unanimement des réticences à l'égard de la réintroduction des protéines animales. Une démystification est absolument nécessaire, l'assimilation des protéines animales transformées (PAT) actuelles aux farines animales du passé relevant de la désinformation du consommateur. En effet, les premières sont aux secondes ce que l'eau de source est aux eaux usées. Elles proviennent exclusivement d'animaux sains et destinés à la consommation humaine - porcs, volailles et poissons - c'est-à-dire issues d'espèces monogastriques chez lesquelles aucune contamination n'a été mise en évidence en conditions naturelles.

Alors que jusqu'au milieu du XXe siècle, l'agriculture produisait ses propres intrants, la nutrition animale dépend désormais de systèmes d'échanges désormais largement mondialisés. La survie économique de l'éleveur dépend parfois tout autant de sa compétence technique que de sa capacité à gérer la volatilité des prix internationaux de l'alimentation animale. La sélection génétique des animaux d'élevage implique, pour répondre à leurs besoins en nourriture, des formulations alimentaires très exigeantes en termes de densité protéique, sans quoi les capacités d'ingestion de l'animal sont dépassées ; or, l'intérêt des PAT tient précisément à leur teneur élevée en protéines - entre 50 et 60 % voire de 65 à 70 % pour les farines de poisons - contre 45 à 50 % pour le tourteau de soja. L'Union européenne importe ce dernier pour plus de 70 % et de 53 % pour la France. Deuxième importateur après les Pays-Bas, nous en achetons chaque année entre 3,7 et 4,5 millions de tonnes principalement en provenance du Brésil où il est souvent issu de variétés génétiquement modifiées dont la culture n'est pas autorisée en Europe.

Selon le Conseil national de l'alimentation, - du fait de leur teneur en protéines, en énergie et en phosphore - la réintégration de PAT dans les aliments destinés à certains animaux d'élevage permettrait une substituabilité plus importante entre les autres matières premières, notamment les coproduits céréaliers.

Ma position initiale eut été d'adopter conforme la proposition de résolution qui nous est transmise après avoir été très substantiellement modifiée par la commission des affaires européennes. A la différence des pays du nord de l'Europe qui ont une conception beaucoup plus utilitariste de leur alimentation, la société française ne semble en effet pas prête à accepter la réintroduction des protéines animales. En conséquence, si nos producteurs venaient à utiliser les PAT, les invendus s'accumuleraient dans les rayons et nous irions tout droit dans le mur. Les évènements récents ne font que conforter cette thèse et il n'est pas étonnant que les filières aquacole et viande se soient, pour l'essentiel, déclarées opposées à l'utilisation de ces protéines animales. Une telle réintroduction affecterait un appareil de production déjà fragilisé, les travaux de la MCI sur la viande révélant par exemple que, dans la filière porcine, le différentiel de coût d'abattage d'une carcasse avec l'Allemagne atteint déjà dix euros du fait de l'emploi de main d'oeuvre étrangère et de plus grandes exploitations. Qu'en serait-il si l'utilisation des farines animales venait s'y ajouter ?

L'idée selon laquelle la France se spécialiserait dans le « sans PAT » est séduisante mais elle ne tient peut-être pas assez compte des réalités, à commencer par la baisse de pouvoir d'achat des ménages.

En tout état de cause, il semble opportun de tenter de retarder la réintroduction des PAT en s'engageant dans la voie du moratoire, même si elle est semée d'embûches juridiques,

Neuf amendements ont étés déposés, co-signés par notre collègue Alain Fauconnier et par le Président Daniel Raoul. Le principal remplace la demande de moratoire de la décision européenne par celle de rapports ou d'études mais, comme je le regrette, cet amendement ne prévoit nulle possibilité d'inviter le gouvernement à demander un réexamen de l'autorisation des PAT.

Comme en témoigne la croissance vertigineuse des ventes de plats transformés, les habitudes alimentaires ont changé et il faut mieux renseigner le consommateur sur l'origine de l'ingrédient principal en insistant sur la lisibilité de l'emballage. Pour sa part, le règlement européen sur l'information du consommateur (Inco) prévoit de porter la taille des caractères de un à 1,2 millimètre.

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