Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun ici mesure l’importance du programme de stabilité et du programme national de réforme. Tous deux définissent une stratégie appelée à être ensuite évaluée par nos partenaires européens. Nous nous trouvons donc à un moment clé du « semestre européen », justifiant la tenue de ce débat au Parlement.
L’enjeu ne se situe pas seulement au niveau national. En effet, l’interdépendance des économies et des politiques budgétaires invite à porter un regard global sur notre capacité à définir les chemins de sortie de crise.
Les questions qui s’imposent à la France se posent partout dans la zone euro. Elles appellent à consolider la dynamique de résolution de la crise à l’échelle européenne et à mieux coordonner les politiques publiques.
Monsieur le ministre, de ce point de vue, on doit se féliciter de voir aujourd’hui l’Europe se saisir de sujets majeurs qui avaient été laissés en jachère depuis des années, comme l’attention portée à la croissance économique, la création de l’union bancaire, la taxe sur les transactions financières, ou encore l’annonce récente de la mise en place d’une plateforme de lutte contre l’évasion fiscale.
Mes chers collègues, on peut le dire, la volonté régulatrice des autorités européennes s’affirme enfin de manière plus déterminée depuis quelques mois.
Force est de constater que si l’Europe s’anime davantage, c’est non seulement parce que la parole de la France plaide en ce sens – et sans doute est-elle entendue ! –, mais aussi parce que les autorités européennes, comme beaucoup de prescripteurs mondiaux – qu’ils soient au FMI, à l’OCDE ou à la Banque mondiale –, prennent conscience d’une lourde erreur d’analyse économique qui, depuis plusieurs années, a conduit à préconiser une médication « austéritaire » pouvant conduire le malade à mourir guéri.
En effet, force est de constater que les théories néolibérales inspirées de Ricardo ont conduit à sous-estimer l’effet déflagratoire des mesures brutales de réduction des déficits publics. Ces théories sont d’ailleurs aujourd’hui sous le feu des critiques.
A contrario, la théorie keynésienne, que certains avaient bien imprudemment jetée dans les poubelles de l’histoire, a fait, depuis peu, l’objet d’une subite réhabilitation. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les récentes déclarations de Jack Lew, Christine Lagarde, Olli Rehn ou José Manuel Barroso ! Le ministre de l’économie et des finances l’a souligné il y a quelques instants en évoquant un « changement climatique » dans les grandes instances européennes, relativement à cette volonté de réorientation vers la croissance, aujourd’hui exprimée partout.
Désormais, nul ne peut ignorer en France ce contexte général européen et mondial particulièrement exigeant.
Dans ces conditions, le programme de stabilité et le programme national de réforme doivent concilier deux exigences.
Premièrement, il faut assurer le redressement de nos finances publiques et la réduction de notre endettement. C’est un impératif moral, parce qu’il convient de limiter, et demain, de réduire, le poids qui pèse sur les jeunes générations ; de nombreux défis nous attendent, notamment le vieillissement de la population. Y faire face exigera de dégager de plus grandes marges de manœuvre budgétaires, et donc de réduire dès aujourd’hui notre dette publique. Il faut d’ailleurs rappeler, à ce propos, que celle-ci s’est accrue de près de 600 milliards d’euros au cours de la précédente législature, augmentation que la crise est très loin d’expliquer totalement. Il est aujourd’hui indispensable d’inverser cette tendance.
Deuxièmement, il faut éviter que cet ajustement ne conduise, par sa brutalité, à une récession qui nous empêcherait d’inverser une autre courbe, celle du chômage. Une telle situation ne serait pas acceptée par nos concitoyens et nuirait à la conduite des réformes indispensables à notre pays.
Mes chers collègues, il est indispensable de préserver la croissance. Tous nos partenaires, le FMI et, désormais, les institutions européennes en conviennent : un ajustement trop brutal n’est pas souhaitable, et il serait absurde de vouloir suivre une trajectoire prédéfinie à n’importe quel prix, quelle que soit la conjoncture.
Le projet de programme de stabilité du Gouvernement manifeste à cet égard un utile discernement. De fait, il entend repousser à 2014 l’atteinte de l’objectif d’un déficit public inférieur à 3 % du PIB. Ce faisant, le Gouvernement suit un cap parfaitement clair : il avance avec détermination sur la voie du redressement des finances publiques, en se préoccupant de la justice sociale et en préservant les perspectives de croissance.
Le Gouvernement poursuit la consolidation engagée de nos finances publiques, car reporter l’atteinte des 3 % ne signifie certainement pas renoncer aux efforts.
La trajectoire d’ajustement structurel qui nous est proposée est conforme aux engagements européens de la France ; elle est ambitieuse et prévoit des efforts accentués par rapport à la loi de programmation des finances publiques votée à la fin de l’année dernière. Les efforts programmés sont très importants : faut-il le rappeler, M. le ministre l’a dit, un point de PIB en 2014, soit 20 milliards d’euros et, au total, 110 milliards d’euros d’efforts pour la période 2012–2017.
En 2012 et 2013, cet effort a principalement porté sur les recettes, et, parmi les ménages, sur les plus aisés, en fonction de leurs capacités.
Cette stratégie est justifiée économiquement car, à court terme, la concentration de l’effort sur les recettes présente un effet dépressif moindre que celui de la réduction de la dépense publique. En outre, faire peser l’effort sur les ménages les plus aisés permet de limiter l’impact négatif sur la demande.
Un effort important a également été demandé aux entreprises, mais il est déjà pour partie compensé par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, qui, à terme, allégera leurs charges d’environ 20 milliards d’euros.
Ainsi que les deux ministres viennent de nous le préciser, le Gouvernement entend désormais faire porter l’essentiel de l’ajustement sur les dépenses publiques. Dès 2014, elles supporteront 70 % de l’effort, contre 30 % pour les recettes ; sur la période 2013–2017 couverte par le programme de stabilité, l’effort portera pour près des deux tiers sur les dépenses.
Cet effort considérable, pour être durable et intelligent, suppose une préparation, une concertation, une méthode. C’est le sens des démarches engagées par le Gouvernement, en particulier dans le cadre de la modernisation de l’action publique. Il s’agit non pas d’adopter une logique aveugle de réduction des dépenses, mais, au contraire, de préserver l’accès aux services publics, de moderniser notre modèle social pour en garantir les fondements et, bien sûr, de favoriser les politiques au service de la cohésion sociale et de la croissance de demain.
La situation des finances publiques héritée du passé est un lourd fardeau, mais son redressement est une nécessité et il est bien engagé. Si nous ne le faisons pas aujourd’hui, la charge de notre dette exigera demain des ajustements encore plus douloureux. Ce redressement n’empêche pas le Gouvernement de mener sa politique, une politique de gauche ! Le budget pluriannuel adopté l’an dernier marque ainsi des priorités fortes en faveur de l’enseignement, de la cohésion sociale, de la sécurité et de la justice ; des initiatives fortes ont été engagées en faveur de la justice sociale, comme le plan quinquennal de lutte contre la pauvreté ou les dispositions prises en faveur du logement.
Je voudrais enfin insister sur la crédibilité de la trajectoire présentée par le Gouvernement. C’est un capital précieux, mais aussi fragile, notamment parce que notre pays n’a pas toujours respecté ses engagements par le passé.
Le Gouvernement a déjà montré sa détermination à maîtriser les dépenses : en 2012, pour la première fois, les dépenses de l’État ont été inférieures à celles de 2011. Il a également engagé des réformes structurelles d’ampleur, qui permettront de rétablir durablement la compétitivité de notre économie : la poursuite et la réorientation du programme d’investissement d’avenir, la création de la Banque publique d’investissement, le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, ou encore le choc de simplification, notamment en direction des petites et moyennes entreprises.
Cette crédibilité est indispensable pour la mobilisation du pays et de tous ses acteurs, car la fixation d’un cap pour l’ensemble de la législature doit favoriser le retour de la confiance.
Elle est aussi déterminante vis-à-vis de nos partenaires européens, eu égard aux nouvelles règles dont nous avons décidé collectivement. Il faut les appliquer avec discernement, mais nous ne pouvons pas écarter par facilité le « règlement de copropriété de l’euro », une expression que Jean Arthuis utilisait ici même, sans mettre en péril le devenir de l’ensemble de la zone.
Cette crédibilité est enfin importante vis-à-vis des investisseurs, car elle permet de contenir le poids de la dette. Je me plais à souligner ici, mes chers collègues, que les taux très bas auxquels nous émettons nos titres de dette et la réduction de l’écart avec l’Allemagne s’expliquent par de multiples facteurs, mais ils montrent que, contrairement à ce que certains prévoyaient, la politique conduite par ce gouvernement ne suscite pas la défiance des investisseurs, bien au contraire, allais-je dire !
Le projet de programme de stabilité repose sur des hypothèses de croissance que le Haut Conseil des finances publiques a, certes, – certains l’ont déjà mentionné en commission – jugées optimistes, mais pas irréalistes. En la matière, les variables sont nombreuses et leur évolution est incertaine, mais les prévisions du Gouvernement ne sont pas hors de portée. En effet, leurs fondements sont crédibles, qu’il s’agisse de l’augmentation de la demande internationale adressée à la France ou celle de la demande intérieure, portée par une baisse modérée du taux d’épargne des ménages.
Si la croissance n’était pas au rendez-vous à un niveau permettant un retour sous les 3 % dès 2014, la question de la mise en œuvre d’ajustements supplémentaires serait posée. C’est une décision qu’il conviendra de prendre avec nos partenaires européens, mais il faut avant tout inscrire notre trajectoire de redressement dans la durée, ce que fait ce programme de stabilité.
J’ai déjà souligné qu’au niveau de l’Union européenne les progrès accomplis depuis un an sont considérables, à travers notamment l’action de la Banque centrale européenne, les avancées concernant l’union bancaire et le pacte pour la croissance porté par le Président de la République. Ils assurent la crédibilité de la zone euro, qui repose sur sa capacité à la fois à mettre en œuvre une discipline collective et à aller vers plus d’intégration et de solidarité.
Cette crédibilité, acquise à travers les efforts collectivement consentis, doit permettre aujourd’hui de mieux prendre en compte la question de la croissance. C’est le sens de l’action du Président de la République et du Gouvernement depuis bientôt un an. Une prise de conscience semble émerger au niveau européen, si j’en juge par quelques signaux envoyés ces derniers jours. Et chacun sera attentif à toutes les déclarations, dont j’ai déjà fait état, émanant des autorités européennes en la matière. Hier encore, Manuel Barroso nous indiquait à quel point il faut aujourd’hui s’engager dans une réorientation stratégique axée sur la croissance. §