Puis, devant l’impossibilité de faire diminuer l’immigration familiale, qui obéit à des principes enchâssés dans la Convention européenne des droits de l’homme – j’y reviendrai dans un instant –, on a expliqué que l’urgence était – quel non-sens ! – de faire fuir les étudiants étrangers très diplômés souhaitant travailler dans nos entreprises. On a également estimé que le problème, c’était que la France naturalisait trop…
Ensuite, on nous expliqua qu’il y avait, de toute façon, trop d’immigrés, qu’il fallait diviser les flux migratoires par deux. Mais, pour diviser les flux migratoires par deux – en partant des vrais chiffres, pas des chiffres fantasmés –, il faudrait réduire drastiquement les mobilités étudiantes. Est-ce bien ce que nous voulons pour notre pays ? De telles approximations ne peuvent pas faire une bonne politique.
J’ai demandé au secrétariat général à l’immigration et à l’intégration de préparer notre débat en entendant l’ensemble des acteurs concernés par l’immigration professionnelle et étudiante, puis de vous soumettre, dans un rapport, l’ensemble de ces contributions et des données à ce jour disponibles. Ce rapport a été élaboré en lien avec tous les ministères concernés : les ministères des affaires étrangères, du travail et de l’emploi, de l’économie et des finances, du redressement productif, du commerce extérieur et, bien sûr, chère Geneviève Fioraso, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans un partenariat étroit. C’est comme cela que nous pourrons, ensemble, définir des priorités d’action ; c’est comme cela que nous pourrons regarder nos flux migratoires les yeux ouverts.
Ces flux, quels sont-ils ? Pour une part – un peu plus de la moitié, soit environ 100 000 personnes par an –, ils obéissent à une logique de droits, protégés par la Constitution et les conventions internationales. Parce que vous épousez une Française ou un Français, parce que vous êtes persécuté dans votre pays d’origine, parce que vous êtes gravement malade, vous avez un droit au séjour en France. Ces flux migratoires ne sont pas subis ; ils sont la traduction de ce que nous sommes, un État de droit, et des valeurs que nous défendons.
Concernant ces flux migratoires, nous devons viser deux objectifs.
Le premier est de lutter efficacement contre les détournements de procédure, bref contre la fraude. Or, disons-le simplement, notre organisation administrative fabrique aussi de la fraude.
En effet, les préfectures, confrontées à un flux incessant de demandeurs, renouvellent les titres de séjour sans pouvoir exercer de contrôle : 99 % des titres de séjour « vie privée et familiale » sont renouvelés chaque année. Demain, le titre de séjour pluriannuel nous permettra de passer d’une logique de suspicion à une logique d’intégration, d’une logique de guichet à une logique de contrôle.
De même, le droit d’asile – faut-il le rappeler ? – est un droit fondamental, qui doit être protégé. Toutefois, notre procédure d’asile, trop longue, trop complexe, peut conduire, si nous n’y prenons garde – c’est le cas déjà, je vous dois cette franchise –, à des détournements. Il nous faudra également la réformer en profondeur pour raccourcir les délais de manière drastique, comme s’y était engagé le chef de l’État, dans l’intérêt des demandeurs d’abord, qui ont le droit à une réponse rapide, et dans l’intérêt de la société ensuite, pour permettre l’éloignement – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – de ceux à qui le statut de réfugié aura été refusé.
Le second objectif consiste à mieux accueillir ceux qui ont vocation à rester en France.
L’instauration du titre de séjour pluriannuel répond à cet objectif. Surtout, le contrat d’accueil et d’intégration – dont je ne conteste pas le principe ni la finalité – mérite d’être revu. Pour 75 % de ses signataires, son contenu se limite à quelques heures de formation sur le « vivre en France » et à un bilan de compétences. Cela n’est pas à la hauteur de la République ni des besoins de ceux qui arrivent dans notre pays. Une réforme d’ampleur sera là aussi nécessaire. Nous devons faire vivre le principe, cher à Jean-Pierre Chevènement, des droits et des devoirs.
Le rapport qui vous a été remis décrit plus finement les autres flux migratoires, ceux sur lesquels les pouvoirs publics ont la plus grande maîtrise et qui font l’objet de notre débat : l’immigration professionnelle et étudiante.
Regardons, en premier lieu, l’immigration de travail. Contrairement à ce que l’on entend parfois dire, la France se caractérise par une immigration de travail très réduite depuis 1974 : environ 20 000 cartes sont délivrées à ce titre chaque année. Nous sommes donc loin, très loin des chiffes fantasmés que certains – et certaine – mettent en avant !
Cette immigration est strictement encadrée par un système très dissuasif : aucun étranger ne peut venir travailler en France sans autorisation de travail. Cette dernière est délivrée après prise en compte de toute une série de paramètres, parmi lesquels la situation de l’emploi dans la profession considérée, le niveau de rémunération ou encore la formation de l’étranger.
Malheureusement, notre droit, devenu bien bavard, fait coexister pas moins d’une quinzaine de titres de séjour différents à destination des étrangers désirant travailler dans notre pays : à chacun son régime, ses modalités d’obtention, sa durée, sa procédure. Certains titres ne concernent que quelques dizaines de personnes chaque année.
En outre, la règle d’opposabilité de la situation de l’emploi a été contournée par le biais de tant d’exceptions qu’elle est devenue illisible. Je ne vais pas vous la décrire par le menu, mais sachez, par exemple, qu’il existe une liste des métiers dits « en tension », c’est-à-dire pour lesquels on a du mal à trouver des postulants aux offres d’emploi, élaborée en 2008 selon une nomenclature datant de 2003, et que ces métiers « en tension » ne sont pas les mêmes suivant que vous êtes Sénégalais, Gabonais ou Tunisien ! Bref, plus personne ne s’y retrouve. Nous avons, là aussi, besoin de lisibilité et de stabilité.
À cette complexité pointilliste, coûteuse et inutile, j’ai l’ambition d’opposer des principes simples.
Le premier est contenu dans le pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi : certains étrangers, par leurs talents, constituent non pas un risque pour l’emploi, mais une chance pour notre croissance. Il existe aujourd’hui, à l’échelle du monde, une concurrence acharnée pour attirer ces étrangers, ces chercheurs, ces créateurs, ces investisseurs. Dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, la compétence est une richesse à part entière : l’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, les pays scandinaves, le Canada modifient leur législation pour attirer et retenir ces talents. Si nous n’y prenons garde, si nous conservons notre droit complexe, alors nous courons le risque d’être, demain, marginalisés, dépassés. Je propose donc de simplifier notre droit en rapprochant, autant que nous le pourrons, tous ces dispositifs afin de rendre nos règles plus lisibles, plus stables, plus claires.
Le droit au séjour pour les talents étrangers devra reposer sur un titre pluriannuel. Il devra offrir des garanties de renouvellement à l’étranger et à son conjoint. Les conditions d’accueil des talents étrangers dans nos préfectures et nos consulats seront spécifiquement adaptées. Ces étrangers devront aussi savoir qu’ils pourront bénéficier d’un accès privilégié à un visa de circulation, même après l’expiration de leur titre de séjour.
La France, mesdames, messieurs les sénateurs, doit changer de discours : les talents étrangers doivent savoir qu’ils sont et seront toujours bien accueillis dans notre pays. À la suspicion généralisée, il faut préférer la confiance liée au mérite. C’est d’ailleurs cette confiance méritée, cette confiance sélective qui a guidé mon action lorsque j’ai signé, le 22 mars dernier, avec le ministre des affaires étrangères, une instruction aux postes consulaires visant à faciliter la délivrance des visas de circulation pour les talents étrangers. Soyons attentifs à la mise en œuvre de ces préconisations.
Le second principe, c’est que nous devons, particulièrement dans le contexte économique que nous connaissons, protéger notre marché de l’emploi. Ainsi, face à un besoin en main-d’œuvre, comme il s’en manifeste dans certains secteurs, il faut d’abord penser à former des chômeurs. Tel est le sens de l’action menée par le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Toutefois, il peut exister, dans une région ou un bassin d’emploi, des besoins précis et ponctuels tels que notre formation professionnelle ne pourra y répondre. Je propose donc la mise en place, dans chaque région, d’un dispositif souple pour actualiser en continu, avec les partenaires sociaux, ces besoins exceptionnels. Mes services travailleront avec ceux de Michel Sapin à la définition de ce dispositif.
Nous devons donc attirer les talents étrangers et identifier, au plus près des besoins et dans le dialogue social, les quelques métiers ou secteurs pour lesquels des tensions exceptionnelles justifient le recours à la main-d’œuvre étrangère. Je ne sous-estime pas les obstacles techniques – je pense notamment aux accords de gestion concertée des flux migratoires –, mais voilà notre feuille de route.
La mobilité étudiante constitue, quant à elle, une des mutations les plus profondes de notre monde contemporain. Le nombre d’étudiants dans le monde a doublé en quinze ans ; il doublera encore d’ici à 2020. En Chine, en Inde, au Brésil, dans toute l’Amérique latine ou l’Asie du Sud-Est, en Russie, des jeunes qualifiés aspirent à donner une dimension internationale à leur carrière. Les accueillir n’est pas faire preuve de générosité : c’est jouer sur un levier stratégique pour assurer la place de la France dans le monde d’ici à vingt ou trente ans, c’est agir avec réalisme au regard de la concurrence actuelle entre les pays et les continents. Réussir à attirer ces chercheurs, ces scientifiques, ces étudiants, c’est assurer à la France une place centrale dans la circulation des savoirs et de la recherche, c’est favoriser l’ouverture internationale et le rayonnement de nos universités, c’est promouvoir aussi la francophonie ; c’est choisir, tout simplement, de compter dans le monde de demain.
La France, terre de savoir, d’excellence, de culture et d’innovation ne doit pas rester à la traîne. Nous avons des résultats intéressants – 41 % des doctorants, par exemple, sont de nationalité étrangère –, mais nous perdons du terrain. En 2012, nous avons accueilli 10 % d’étudiants en moins, notamment en raison de la circulaire Guéant, alors que les flux mondiaux d’étudiants augmentaient. L’Allemagne est en train de nous dépasser, et nous ne sommes plus le premier pays non anglophone pour l’accueil des étudiants étrangers. Il est de bon ton de mettre en cause l’Allemagne, mais regardons aussi ce qui se passe chez nous !
Pour tenir notre rang, nous avons deux possibilités.
La première consiste à privilégier une approche quantitative : il y a plus d’étudiants dans le monde, nous devons donc en accueillir plus encore. Cette voie, qui a été retenue à la fin des années quatre-vingt-dix, a ses défenseurs. Toutefois, notre situation budgétaire ne nous permet pas aujourd’hui d’accroître indéfiniment le nombre d’étudiants accueillis.
Ce que je crois, c’est que la France a des marges de manœuvre substantielles pour améliorer qualitativement l’accueil des étudiants étrangers. Plusieurs chantiers peuvent être ouverts. Il s’agit, d’abord, de repenser nos dispositifs de sélection en les centrant davantage sur les étudiants de niveau master et doctorat. Il s’agit, ensuite, de tenir un discours clair et transparent à ceux qui choisissent de nous rejoindre : venir en France pour étudier, c’est venir en France pour réussir. Nous devons poser des exigences claires à cet égard : il me semble que prévoir un seul redoublement possible par cycle d’études pour les étudiants étrangers est, sauf cas particulier, suffisant.
Parce que nous voulons attirer les meilleurs, nous devons aussi mieux les accueillir : je proposerai la généralisation du titre de séjour pluriannuel pour les étudiants étrangers, ainsi qu’un rapprochement entre universités et préfectures pour limiter le plus possible les démarches inutiles ou redondantes. Notre stratégie en matière de versement de bourses devra également être repensée pour l’orienter vers les étudiants les plus prometteurs.
Notre capacité à attirer les meilleurs étudiants ne dépend pas que de la réglementation du séjour, mais aussi – Geneviève Fioraso y reviendra – de l’accompagnement que les universités sont en mesure de fournir. Elle dépend également des stratégies internationales de l’enseignement supérieur.
Afin de répondre à cet enjeu, certains interlocuteurs nous ont suggéré de faire contribuer davantage les étudiants étrangers des pays émergents au coût de leur formation universitaire. Cette idée, qui n’appelle pas de réponse simple ni évidente et qui a déjà fait couler un peu d’encre, pourra être débattue entre nous.
Enfin, un mot doit être dit du passage du statut d’étudiant à celui de salarié. Là encore, notre dispositif législatif est mal rédigé, trop complexe, et peut recevoir des interprétations divergentes. Il nous faudra préciser, dans la loi, quels étudiants ont la possibilité de changer de statut, et ce sans que puisse leur être opposée la situation de l’emploi. Étant donné le contexte économique, je pense qu’il faudra centrer le changement de statut sur les étudiants à haut potentiel qui ont accès à un emploi de haut niveau.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en matière de gestion des flux migratoires, la fermeté est nécessaire, indispensable. Mais la fermeté, ce n’est pas la fermeture : si des talents étrangers peuvent, demain, contribuer à notre croissance, à notre rayonnement, notre droit doit savoir les distinguer, nos préfectures et nos consulats les accueillir dans les meilleures conditions.
Il nous faut faire vivre ensemble, dans un cadre partagé, ces deux exigences : maîtriser les flux migratoires et faire de notre pays une destination de choix au titre des mobilités de la connaissance et de l’excellence. Voilà le chemin que nous vous proposons, voilà ce sur quoi il nous appartient de débattre collectivement.