Séance en hémicycle du 24 avril 2013 à 21h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Didier Guillaume.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L’ordre du jour appelle le débat sur l’immigration étudiante et professionnelle, organisé à la demande du groupe socialiste.

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, parce qu’elle est une part constitutive de notre nation, de son histoire, de son présent et, surtout, de son avenir, l’immigration doit intéresser au premier chef la représentation nationale. Que celle-ci puisse se saisir pleinement de cette question, tel était l’engagement du Président de la République, telle est la raison du débat que nous allons avoir.

Il s’agit de débattre non pas de l’existence en soi des phénomènes migratoires – c’est un fait majeur et incontestable, dont le développement s’accélère à l’échelle de notre planète –, mais des priorités que nous voulons instaurer pour notre immigration, en particulier pour les mobilités professionnelles et étudiantes : une immigration qui répond aux besoins de notre économie et permet le rayonnement de notre pays dans le monde.

La France est belle de ses paysages, de la diversité de ses reliefs, de la variété de ses plaines, du contraste de ses littoraux. La France est belle, car elle est plurielle. Elle a mille visages, mais elle n’a en tête qu’un seul et même idéal : la République. Cet idéal républicain de liberté, d’égalité, de fraternité, de solidarité et, bien sûr, de laïcité est, comme notre langue, notre culture, le garant non négociable de notre unité.

Dans notre monde globalisé, un monde d’échanges qui a considérablement réduit les distances, la France doit être sûre d’elle-même, de ses atouts. La France s’est en partie construite et renforcée au fur et à mesure des vagues d’immigration venues d’abord d’Europe, puis d’Afrique du Nord, d’Amérique latine, de Chine, ou encore de l’Afrique de l’Ouest. Sait-on que 19 % de celles et de ceux qui vivent en France sont immigrés ou fils d’immigrés ? La France a été un grand pays d’immigration. Elle ne peut le demeurer qu’à la condition de définir un cadre réfléchi, organisé, régulé.

Ce débat est l’occasion d’éclairer la représentation nationale pour que nous puissions aborder sereinement, dans un esprit de responsabilité et d’apaisement, cette question de l’immigration, loin des clichés, des raccourcis – des outrances, aussi – qui l’entourent depuis longtemps.

Nous devons engager ce débat dans un esprit de responsabilité, d’abord, parce que, nous le savons, l’immigration, pour être acceptée, doit être maîtrisée, contrôlée. Ne faisons pas semblant d’ignorer les inquiétudes, les peurs, les pulsions qui peuvent se manifester sur ce sujet et dont témoignent les enquêtes d’opinion. Comment pourrions-nous être faibles lorsque des filières exploitent la misère humaine, lorsque des marchands de sommeil ou des employeurs, en toute illégalité, profitent de la détresse de ceux qui n’ont rien ? Il nous faut aussi être fermes lorsque des étrangers sans titre se maintiennent, en toute connaissance de cause, illégalement sur notre territoire.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

La République implique des règles, qui doivent être appliquées avec fermeté : c’est cela, l’esprit de responsabilité.

Nous devons engager ce débat dans un esprit d’apaisement, ensuite, car comment bâtir notre société, qui est ouverte sur le monde, si l’étranger y est vu avec méfiance, si nous confondons la maîtrise – indispensable – des flux migratoires et la stigmatisation – inacceptable – de l’autre ?

Depuis onze mois, c’est une nouvelle politique en matière d’immigration qui a été mise en place, et je ne laisserai pas caricaturer ce qui a été fait. Nous avons agi et nous continuerons à agir avec beaucoup de réalisme et de pragmatisme, avec humanité, bien sûr, mais sans naïveté, avec fermeté, mais sans arbitraire ni outrance.

La circulaire Guéant sur les étudiants étrangers a été abrogée. Ma collègue Geneviève Fioraso et moi avons défini des critères de régularisation exigeants, clairs et uniformément appliqués.

Nous avons mis un terme, sauf circonstances exceptionnelles – je pense au cas difficile de Mayotte –, à la rétention des familles avec enfants. Nous avons – enfin ! – abrogé le délit de solidarité qui pesait sur les personnes de bonne foi apportant aide et assistance. Nous avons, à la suite de la décision de la Cour de cassation de juillet 2012, confirmant celles de la Cour de justice de l’Union européenne de juin et de décembre 2011, créé une retenue de seize heures permettant aux services de police et de gendarmerie, ainsi qu’aux préfectures, de vérifier, dans de bonnes conditions, le droit au séjour de personnes étrangères se trouvant sur le territoire ; nous en avons débattu ici même.

Enfin, dans quelques semaines, en fonction de l’avancée des travaux législatifs, nous vous proposerons de généraliser le titre de séjour pluriannuel, en nous appuyant, pour ce faire, sur le rapport qui sera remis par le député Matthias Fekl.

Aujourd’hui, nous débattons de l’immigration professionnelle et étudiante. Cette volonté de débattre, je le sais, a pu surprendre, notamment parmi ceux qui pensent que l’on parle déjà suffisamment d’immigration. Mais la vérité, c’est que nous ne parlons jamais de nos flux migratoires. Lorsque nous débattons de l’immigration, nous mélangeons tout : des personnes d’origine étrangère, mais nées françaises, sont confondues avec des naturalisés ; des immigrés sont confondus avec des étrangers ; des enfants de Français sont, du fait de leur couleur de peau ou de leur religion, assimilés à des immigrés. Jamais, dans notre pays, nous n’acceptons de regarder sereinement nos flux migratoires, puis de nous poser ces questions simples : au regard de nos flux actuels, de nos valeurs et de nos besoins, quelle politique est la mieux adaptée ? Quels étrangers pouvons-nous ou devons-nous accueillir ? Dans la circulation mondiale des personnes que j’évoquais il y a un instant, comment se situe la France ? Que souhaite la représentation nationale ? Ces questions simples – je reconnais que les réponses le sont sans doute moins –, je propose que nous nous les posions ensemble.

Au préalable, il m’apparaît cependant nécessaire d’établir précisément ce qu’a été la politique menée, au cours des dernières années, par le précédent gouvernement. Une formule la résume, même si je ne sous-estime pas les problèmes : empressement dans les réformes, emportement dans les discours, mais, en vérité, des flux migratoires inchangés.

D’abord, on a expliqué qu’il fallait faire baisser l’immigration dite subie, et donc qu’à l’immigration familiale, indésirable, il fallait préférer une immigration triée sur le volet – à un point tel, d’ailleurs, que l’on a créé un titre de séjour spécifique, la carte « compétences et talents », qui a été attribuée à moins de 300 personnes par an.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Ce n’est pas vraiment ce que l’on peut appeler une politique d’attractivité…

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Puis, devant l’impossibilité de faire diminuer l’immigration familiale, qui obéit à des principes enchâssés dans la Convention européenne des droits de l’homme – j’y reviendrai dans un instant –, on a expliqué que l’urgence était – quel non-sens ! – de faire fuir les étudiants étrangers très diplômés souhaitant travailler dans nos entreprises. On a également estimé que le problème, c’était que la France naturalisait trop…

Ensuite, on nous expliqua qu’il y avait, de toute façon, trop d’immigrés, qu’il fallait diviser les flux migratoires par deux. Mais, pour diviser les flux migratoires par deux – en partant des vrais chiffres, pas des chiffres fantasmés –, il faudrait réduire drastiquement les mobilités étudiantes. Est-ce bien ce que nous voulons pour notre pays ? De telles approximations ne peuvent pas faire une bonne politique.

J’ai demandé au secrétariat général à l’immigration et à l’intégration de préparer notre débat en entendant l’ensemble des acteurs concernés par l’immigration professionnelle et étudiante, puis de vous soumettre, dans un rapport, l’ensemble de ces contributions et des données à ce jour disponibles. Ce rapport a été élaboré en lien avec tous les ministères concernés : les ministères des affaires étrangères, du travail et de l’emploi, de l’économie et des finances, du redressement productif, du commerce extérieur et, bien sûr, chère Geneviève Fioraso, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans un partenariat étroit. C’est comme cela que nous pourrons, ensemble, définir des priorités d’action ; c’est comme cela que nous pourrons regarder nos flux migratoires les yeux ouverts.

Ces flux, quels sont-ils ? Pour une part – un peu plus de la moitié, soit environ 100 000 personnes par an –, ils obéissent à une logique de droits, protégés par la Constitution et les conventions internationales. Parce que vous épousez une Française ou un Français, parce que vous êtes persécuté dans votre pays d’origine, parce que vous êtes gravement malade, vous avez un droit au séjour en France. Ces flux migratoires ne sont pas subis ; ils sont la traduction de ce que nous sommes, un État de droit, et des valeurs que nous défendons.

Concernant ces flux migratoires, nous devons viser deux objectifs.

Le premier est de lutter efficacement contre les détournements de procédure, bref contre la fraude. Or, disons-le simplement, notre organisation administrative fabrique aussi de la fraude.

En effet, les préfectures, confrontées à un flux incessant de demandeurs, renouvellent les titres de séjour sans pouvoir exercer de contrôle : 99 % des titres de séjour « vie privée et familiale » sont renouvelés chaque année. Demain, le titre de séjour pluriannuel nous permettra de passer d’une logique de suspicion à une logique d’intégration, d’une logique de guichet à une logique de contrôle.

De même, le droit d’asile – faut-il le rappeler ? – est un droit fondamental, qui doit être protégé. Toutefois, notre procédure d’asile, trop longue, trop complexe, peut conduire, si nous n’y prenons garde – c’est le cas déjà, je vous dois cette franchise –, à des détournements. Il nous faudra également la réformer en profondeur pour raccourcir les délais de manière drastique, comme s’y était engagé le chef de l’État, dans l’intérêt des demandeurs d’abord, qui ont le droit à une réponse rapide, et dans l’intérêt de la société ensuite, pour permettre l’éloignement – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – de ceux à qui le statut de réfugié aura été refusé.

Le second objectif consiste à mieux accueillir ceux qui ont vocation à rester en France.

L’instauration du titre de séjour pluriannuel répond à cet objectif. Surtout, le contrat d’accueil et d’intégration – dont je ne conteste pas le principe ni la finalité – mérite d’être revu. Pour 75 % de ses signataires, son contenu se limite à quelques heures de formation sur le « vivre en France » et à un bilan de compétences. Cela n’est pas à la hauteur de la République ni des besoins de ceux qui arrivent dans notre pays. Une réforme d’ampleur sera là aussi nécessaire. Nous devons faire vivre le principe, cher à Jean-Pierre Chevènement, des droits et des devoirs.

Le rapport qui vous a été remis décrit plus finement les autres flux migratoires, ceux sur lesquels les pouvoirs publics ont la plus grande maîtrise et qui font l’objet de notre débat : l’immigration professionnelle et étudiante.

Regardons, en premier lieu, l’immigration de travail. Contrairement à ce que l’on entend parfois dire, la France se caractérise par une immigration de travail très réduite depuis 1974 : environ 20 000 cartes sont délivrées à ce titre chaque année. Nous sommes donc loin, très loin des chiffes fantasmés que certains – et certaine – mettent en avant !

Cette immigration est strictement encadrée par un système très dissuasif : aucun étranger ne peut venir travailler en France sans autorisation de travail. Cette dernière est délivrée après prise en compte de toute une série de paramètres, parmi lesquels la situation de l’emploi dans la profession considérée, le niveau de rémunération ou encore la formation de l’étranger.

Malheureusement, notre droit, devenu bien bavard, fait coexister pas moins d’une quinzaine de titres de séjour différents à destination des étrangers désirant travailler dans notre pays : à chacun son régime, ses modalités d’obtention, sa durée, sa procédure. Certains titres ne concernent que quelques dizaines de personnes chaque année.

En outre, la règle d’opposabilité de la situation de l’emploi a été contournée par le biais de tant d’exceptions qu’elle est devenue illisible. Je ne vais pas vous la décrire par le menu, mais sachez, par exemple, qu’il existe une liste des métiers dits « en tension », c’est-à-dire pour lesquels on a du mal à trouver des postulants aux offres d’emploi, élaborée en 2008 selon une nomenclature datant de 2003, et que ces métiers « en tension » ne sont pas les mêmes suivant que vous êtes Sénégalais, Gabonais ou Tunisien ! Bref, plus personne ne s’y retrouve. Nous avons, là aussi, besoin de lisibilité et de stabilité.

À cette complexité pointilliste, coûteuse et inutile, j’ai l’ambition d’opposer des principes simples.

Le premier est contenu dans le pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi : certains étrangers, par leurs talents, constituent non pas un risque pour l’emploi, mais une chance pour notre croissance. Il existe aujourd’hui, à l’échelle du monde, une concurrence acharnée pour attirer ces étrangers, ces chercheurs, ces créateurs, ces investisseurs. Dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, la compétence est une richesse à part entière : l’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, les pays scandinaves, le Canada modifient leur législation pour attirer et retenir ces talents. Si nous n’y prenons garde, si nous conservons notre droit complexe, alors nous courons le risque d’être, demain, marginalisés, dépassés. Je propose donc de simplifier notre droit en rapprochant, autant que nous le pourrons, tous ces dispositifs afin de rendre nos règles plus lisibles, plus stables, plus claires.

Le droit au séjour pour les talents étrangers devra reposer sur un titre pluriannuel. Il devra offrir des garanties de renouvellement à l’étranger et à son conjoint. Les conditions d’accueil des talents étrangers dans nos préfectures et nos consulats seront spécifiquement adaptées. Ces étrangers devront aussi savoir qu’ils pourront bénéficier d’un accès privilégié à un visa de circulation, même après l’expiration de leur titre de séjour.

La France, mesdames, messieurs les sénateurs, doit changer de discours : les talents étrangers doivent savoir qu’ils sont et seront toujours bien accueillis dans notre pays. À la suspicion généralisée, il faut préférer la confiance liée au mérite. C’est d’ailleurs cette confiance méritée, cette confiance sélective qui a guidé mon action lorsque j’ai signé, le 22 mars dernier, avec le ministre des affaires étrangères, une instruction aux postes consulaires visant à faciliter la délivrance des visas de circulation pour les talents étrangers. Soyons attentifs à la mise en œuvre de ces préconisations.

Le second principe, c’est que nous devons, particulièrement dans le contexte économique que nous connaissons, protéger notre marché de l’emploi. Ainsi, face à un besoin en main-d’œuvre, comme il s’en manifeste dans certains secteurs, il faut d’abord penser à former des chômeurs. Tel est le sens de l’action menée par le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Toutefois, il peut exister, dans une région ou un bassin d’emploi, des besoins précis et ponctuels tels que notre formation professionnelle ne pourra y répondre. Je propose donc la mise en place, dans chaque région, d’un dispositif souple pour actualiser en continu, avec les partenaires sociaux, ces besoins exceptionnels. Mes services travailleront avec ceux de Michel Sapin à la définition de ce dispositif.

Nous devons donc attirer les talents étrangers et identifier, au plus près des besoins et dans le dialogue social, les quelques métiers ou secteurs pour lesquels des tensions exceptionnelles justifient le recours à la main-d’œuvre étrangère. Je ne sous-estime pas les obstacles techniques – je pense notamment aux accords de gestion concertée des flux migratoires –, mais voilà notre feuille de route.

La mobilité étudiante constitue, quant à elle, une des mutations les plus profondes de notre monde contemporain. Le nombre d’étudiants dans le monde a doublé en quinze ans ; il doublera encore d’ici à 2020. En Chine, en Inde, au Brésil, dans toute l’Amérique latine ou l’Asie du Sud-Est, en Russie, des jeunes qualifiés aspirent à donner une dimension internationale à leur carrière. Les accueillir n’est pas faire preuve de générosité : c’est jouer sur un levier stratégique pour assurer la place de la France dans le monde d’ici à vingt ou trente ans, c’est agir avec réalisme au regard de la concurrence actuelle entre les pays et les continents. Réussir à attirer ces chercheurs, ces scientifiques, ces étudiants, c’est assurer à la France une place centrale dans la circulation des savoirs et de la recherche, c’est favoriser l’ouverture internationale et le rayonnement de nos universités, c’est promouvoir aussi la francophonie ; c’est choisir, tout simplement, de compter dans le monde de demain.

La France, terre de savoir, d’excellence, de culture et d’innovation ne doit pas rester à la traîne. Nous avons des résultats intéressants – 41 % des doctorants, par exemple, sont de nationalité étrangère –, mais nous perdons du terrain. En 2012, nous avons accueilli 10 % d’étudiants en moins, notamment en raison de la circulaire Guéant, alors que les flux mondiaux d’étudiants augmentaient. L’Allemagne est en train de nous dépasser, et nous ne sommes plus le premier pays non anglophone pour l’accueil des étudiants étrangers. Il est de bon ton de mettre en cause l’Allemagne, mais regardons aussi ce qui se passe chez nous !

Pour tenir notre rang, nous avons deux possibilités.

La première consiste à privilégier une approche quantitative : il y a plus d’étudiants dans le monde, nous devons donc en accueillir plus encore. Cette voie, qui a été retenue à la fin des années quatre-vingt-dix, a ses défenseurs. Toutefois, notre situation budgétaire ne nous permet pas aujourd’hui d’accroître indéfiniment le nombre d’étudiants accueillis.

Ce que je crois, c’est que la France a des marges de manœuvre substantielles pour améliorer qualitativement l’accueil des étudiants étrangers. Plusieurs chantiers peuvent être ouverts. Il s’agit, d’abord, de repenser nos dispositifs de sélection en les centrant davantage sur les étudiants de niveau master et doctorat. Il s’agit, ensuite, de tenir un discours clair et transparent à ceux qui choisissent de nous rejoindre : venir en France pour étudier, c’est venir en France pour réussir. Nous devons poser des exigences claires à cet égard : il me semble que prévoir un seul redoublement possible par cycle d’études pour les étudiants étrangers est, sauf cas particulier, suffisant.

Parce que nous voulons attirer les meilleurs, nous devons aussi mieux les accueillir : je proposerai la généralisation du titre de séjour pluriannuel pour les étudiants étrangers, ainsi qu’un rapprochement entre universités et préfectures pour limiter le plus possible les démarches inutiles ou redondantes. Notre stratégie en matière de versement de bourses devra également être repensée pour l’orienter vers les étudiants les plus prometteurs.

Notre capacité à attirer les meilleurs étudiants ne dépend pas que de la réglementation du séjour, mais aussi – Geneviève Fioraso y reviendra – de l’accompagnement que les universités sont en mesure de fournir. Elle dépend également des stratégies internationales de l’enseignement supérieur.

Afin de répondre à cet enjeu, certains interlocuteurs nous ont suggéré de faire contribuer davantage les étudiants étrangers des pays émergents au coût de leur formation universitaire. Cette idée, qui n’appelle pas de réponse simple ni évidente et qui a déjà fait couler un peu d’encre, pourra être débattue entre nous.

Enfin, un mot doit être dit du passage du statut d’étudiant à celui de salarié. Là encore, notre dispositif législatif est mal rédigé, trop complexe, et peut recevoir des interprétations divergentes. Il nous faudra préciser, dans la loi, quels étudiants ont la possibilité de changer de statut, et ce sans que puisse leur être opposée la situation de l’emploi. Étant donné le contexte économique, je pense qu’il faudra centrer le changement de statut sur les étudiants à haut potentiel qui ont accès à un emploi de haut niveau.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en matière de gestion des flux migratoires, la fermeté est nécessaire, indispensable. Mais la fermeté, ce n’est pas la fermeture : si des talents étrangers peuvent, demain, contribuer à notre croissance, à notre rayonnement, notre droit doit savoir les distinguer, nos préfectures et nos consulats les accueillir dans les meilleures conditions.

Il nous faut faire vivre ensemble, dans un cadre partagé, ces deux exigences : maîtriser les flux migratoires et faire de notre pays une destination de choix au titre des mobilités de la connaissance et de l’excellence. Voilà le chemin que nous vous proposons, voilà ce sur quoi il nous appartient de débattre collectivement.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Geneviève Fioraso

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà près d’un an, confirmant ainsi les engagements du Président de la République, le Gouvernement abrogeait la circulaire du 31 mai 2011, dite circulaire Guéant, texte de fermeture, de repli sur soi, marquant une rupture avec la longue tradition d’accueil et de rayonnement scientifique de notre pays. En interdisant aux meilleurs chercheurs et étudiants étrangers un accès au marché du travail, cette circulaire les dissuadait de fait de choisir la France et nous privait de l’apport culturel, scientifique, affectif et économique de ces échanges.

Nous avons pris, Manuel Valls et moi, un engagement devant les Français : la nouvelle politique d’attractivité universitaire et scientifique de la France ne s’arrêterait pas à ce geste aussi nécessaire que symbolique. Il fallait aller plus loin et redonner à notre pays toute sa place dans la compétition scientifique mondiale pour attirer les talents, en premier lieu les étudiants et les chercheurs.

Cette priorité du Gouvernement recouvre un enjeu stratégique. Nous assistons en effet, à l’échelle internationale, à un double mouvement : d’un côté, la diversification des pays d’origine des étudiants internationaux ; de l’autre, un renforcement de la compétition entre les pays d’accueil pour les attirer.

Les pays émergents fondent leur développement sur l’élévation du niveau de qualification et sur la recherche. L’exemple de la Corée du Sud, qui compte 3, 3 millions d’étudiants pour 59 millions d’habitants et consacre 4, 34 % de son PIB à la recherche et au développement, illustre ce fait de manière frappante. La France, quant à elle, compte 2, 4 millions d’étudiants et la part de son PIB allouée à la recherche et au développement plafonne depuis dix ans à 2, 2 %, bien loin de l’objectif de 3 % arrêté à Lisbonne.

La France n’est que le huitième pays d’accueil des étudiants coréens : alors que 154 000 d’entre eux partent chaque année à l’étranger, seulement 5 500 sont inscrits dans nos établissements, dont 3 % en ingénierie et en sciences. Ces étudiants coréens s’inscrivent principalement dans des filières artistiques ou littéraires, pour étudier les humanités, parce qu’ils ne perçoivent absolument pas la France comme une puissance scientifique et technologique. Par ailleurs, le fait qu’aucun cours ne soit dispensé en anglais les amène assez systématiquement à se diriger vers les universités anglo-saxonnes. Or nous manquons d’étudiants en sciences et technologies, et notre industrie en souffre.

L’Inde veut doubler le nombre de ses étudiants, mais ceux-ci ne sont que 3 000 en France, tandis que seulement 1 000 étudiants français sont en mobilité dans ce pays de près de 1 milliard d’habitants. La mondialisation des connaissances est une réalité en marche. Dans le monde, le nombre d’étudiants en mobilité internationale a doublé depuis 2005. Il doublera à nouveau d’ici à 2020.

Face à ces flux croissants, les pays d’accueil s’organisent. Alors que l’accueil des étudiants internationaux était concentré, jusqu’à une période assez récente, au sein de quelques grandes institutions disposant de traditions universitaires anciennes, il fait désormais l’objet de politiques nationales ambitieuses. Le président Barack Obama, par exemple, vient de lancer une politique d’attractivité scientifique pour attirer les talents du monde entier. Les grands pays, en particulier anglophones, prennent des positions offensives dans les échanges internationaux : je pense notamment au Canada ou à l’Australie. Plus près de nous, l’Allemagne et les pays scandinaves ont développé une stratégie d’accueil qui a déjà prouvé son efficacité.

La France ne doit pas rester à l’écart de ces dynamiques. Nous sommes le premier pays d’accueil non anglophone des étudiants internationaux, au coude à coude avec l’Allemagne, qui vient de nous dépasser, alors qu’elle était loin derrière nous il y a seulement cinq ans.

Chaque année, 290 000 jeunes étrangers font le choix d’étudier dans notre pays ; 41 % des thèses soutenues en France le sont par des étudiants étrangers ; 60 000 titres de séjour de longue durée sont accordés annuellement à des étudiants, contre 17 000 à des salariés et 90 000 au titre du regroupement familial. Notre pays peut s’honorer de ce rayonnement international, qui témoigne à lui seul de la qualité scientifique et pédagogique de nos universités et de nos établissements d’enseignement supérieur.

Mais cette position est fragile. La France a perdu du terrain, passant en dix ans de la troisième à la cinquième place dans le classement des pays les plus attractifs en matière d’études supérieures. L’impact n’a pas seulement été quantitatif ; il a aussi, et surtout, été qualitatif, les meilleurs étudiants, surtout en sciences, se détournant de notre pays pour trouver des destinations plus propices à leur épanouissement.

La politique migratoire mise en œuvre par le précédent gouvernement a fait des ravages en termes d’attractivité universitaire et scientifique. La complexité et la lenteur des démarches administratives, la défiance manifestée à l’égard des étrangers, les mesures dissuasives que j’ai évoquées : tout était réuni pour décourager les candidats à la mobilité. À force de considérer les chercheurs et les étudiants étrangers comme une menace migratoire dont il convient de se protéger, on a durablement entaché la réputation d’accueil de notre pays. Il fallait inverser la tendance.

À l’occasion de ce débat, nous souhaitons rappeler notre philosophie en matière de mobilités étudiantes et scientifiques. Je voudrais le redire ici, ce gouvernement considère que les étudiants et les chercheurs étrangers sont une richesse, une chance, et certainement pas un problème.

Nous constatons chaque jour le rôle primordial joué par les chercheurs étrangers dans nos écosystèmes scientifiques : nombreux sont ceux que l’on retrouve coordonnant de remarquables projets de recherche fondamentale ou technologique. Mais il s’agit également d’un enjeu pour notre compétitivité et notre politique d’influence, reposant sur la diffusion à travers le monde de notre langue, de notre culture et de nos valeurs. Les étudiants étrangers que nous accueillons sont les cadres de demain. Quel que soit leur parcours professionnel, qu’ils retournent dans leur pays d’origine, mènent une carrière à l’international ou restent en France, ils connaîtront et aimeront toute leur vie notre pays et notre langue. Ces mobilités créent les conditions de partenariats professionnels ultérieurs, bien utiles pour notre balance commerciale extérieure, dont nous voulons combler le déficit abyssal, qui n’a cessé de se creuser depuis dix ans.

Pour être de nouveau compétitive, la France doit non seulement continuer à attirer les meilleurs étudiants internationaux, mais aussi diversifier leur origine géographique. J’identifie deux priorités : nous devons nous tourner vers les pays émergents – les « BRICS » –, mais nous devons également être accueillants à l’égard de l’Afrique, car c’est aussi au travers des échanges avec ce continent, où la Chine est déjà très présente, notamment en Afrique subsaharienne, que se joue une partie du rebond économique de l’Europe.

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, nous devons agir dans trois directions : l’intensification de l’internationalisation et des partenariats entre universités, l’amélioration des conditions d’accueil et de séjour des étrangers et la sécurisation des premières expériences professionnelles.

Je souhaite tout d’abord renforcer les politiques d’internationalisation des universités et développer des partenariats diversifiés et équilibrés. La France n’est pas seulement une terre d’accueil, elle doit aussi savoir envoyer ses étudiants dans les universités des pays émergents, notamment en Asie. Nous devons parallèlement développer l’implantation d’établissements d’enseignement supérieur français dans les pays d’Afrique, du Maghreb, mais aussi dans les pays émergents, pour les aider à satisfaire leurs besoins croissants en matière de formation d’étudiants à tous les niveaux.

L’université scientifique et technologique d’Hanoï, l’École centrale de Pékin, celle de Casablanca ou l’université de Galatasaray sont des exemples de ce dynamisme. Le développement de diplômes conjoints entre la France et l’étranger me paraît tout aussi intéressant pour intensifier ces coopérations internationales.

Pour attirer les étudiants internationaux, nous devons aussi améliorer la lisibilité de notre enseignement supérieur à l’étranger et des formations que nous dispensons. La simplification de l’offre de formation que j’ai engagée le permettra. Personne, en France, ne s’y retrouve parmi les quelque 10 000 spécialités et mentions de master et les plus de 3 000 intitulés de licence. Imaginez ce que cela donne, vu de Séoul ou de São Paulo ! Le regroupement des établissements sur chaque territoire permettra de coordonner et de simplifier la carte des formations.

Pour attirer les étudiants internationaux, je souhaite également faciliter l’organisation d’enseignements en langues étrangères dans nos universités. Je sais que cette question suscite un débat, qu’il nous faut mener sans tabou.

L’un des obstacles à la venue des étudiants des BRICS dans les filières scientifiques et technologiques françaises, c’est la maîtrise de la langue. Je souhaite que les étudiants étrangers puissent suivre des enseignements en langues étrangères tout au long de leur cursus, mais obligatoirement accompagnés de cours en français, afin qu’ils puissent valider leur formation en langue française. La langue de l’enseignement dans notre pays demeurera le français, contrairement à ce que l’on peut entendre ou lire ici ou là, mais nous élargirons le socle de la culture francophone en accueillant des étudiants qui, aujourd’hui, se dirigent massivement vers les universités anglo-saxonnes. C’est ce que prévoit, de façon très encadrée, sur la base de protocoles et de conventions, l’article 2 du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui sera débattu à l’Assemblée nationale à partir du 22 mai prochain.

Il est également indispensable d’améliorer les conditions d’accueil des étudiants étrangers dans notre pays. C’est toute la chaîne de l’accueil qui doit être simplifiée et rendue plus cohérente. Ne fermons pas les yeux sur le parcours du combattant que représente trop souvent l’obtention d’un visa ou le renouvellement, chaque année, d’un titre de séjour. Il n’est pas possible d’étudier ou de mener sereinement ses activités de recherche sous la menace d’une interruption, d’une année sur l’autre, de son droit au séjour ou d’une reconduite à la frontière.

Nous allons aussi encourager la dématérialisation et la simplification des procédures d’inscription universitaire et de délivrance des visas. Les rôles seront clarifiés : les consulats et les préfectures devront rendre un avis administratif, en s’appuyant sur l’avis pédagogique et scientifique des universités.

Nous souhaitons améliorer le positionnement et le fonctionnement de Campus France, dont la mission essentielle consiste à faire la promotion de nos formations à l’international. À l’issue de l’évaluation en cours, nous examinerons avec Laurent Fabius comment favoriser une meilleure articulation des acteurs, notamment avec le réseau des œuvres universitaires.

Nous devons surtout attribuer des titres de séjour « étudiant » valables pour tout un cycle d’études. Le renouvellement annuel de leur titre de séjour angoisse les étudiants et encombre les administrations. Le prix Nobel de physique Serge Haroche m’a présenté un jeune chercheur ukrainien de grand talent, très convoité par les États-Unis, qui a choisi de travailler à ses côtés, compte tenu de l’excellence des travaux menés dans son laboratoire. Ce dernier est régulièrement contraint de se rendre en famille à la préfecture et de se joindre à une interminable file d’attente pour régulariser sa situation administrative.

Debut de section - Permalien
Geneviève Fioraso, ministre

Je remercie de tout cœur Manuel Valls d’avoir répondu favorablement aux demandes des chercheurs et des étudiants, en annonçant la généralisation du titre de séjour pluriannuel. Il est aujourd’hui l’exception, il doit devenir la règle. La circulaire permettant de l’appliquer aux étudiants de master et aux doctorants sera signée très prochainement. Et nous irons plus loin, puisque je souhaite également la mise en place d’un titre pluriannuel pour les cours de licence, ce qui nécessiterait une évolution législative.

Il faut enfin faciliter les démarches en ouvrant au plus près des lieux de formation et de recherche un véritable guichet unique, regroupant les services de la préfecture, de la caisse d’allocations familiales, des œuvres universitaires, des collectivités, où les étudiants et les chercheurs pourront accomplir en un seul lieu toutes les démarches liées à une installation : dépôt de dossier concernant le titre de séjour, demande de bourse ou de logement, accès aux soins, obtention de titres de transport…

Debut de section - Permalien
Geneviève Fioraso, ministre

Cela doit se faire, naturellement, en lien avec les administrations et les collectivités territoriales compétentes.

Quant à l’effort historique conduit par le Gouvernement en faveur du logement étudiant, avec la construction programmée de 40 000 logements étudiants supplémentaires d’ici à 2017 – c’est la feuille de route que m’a fixée le Président de la République –, il contribuera à l’amélioration de l’accueil de tous les étudiants, notamment ceux en mobilité. Le déblocage des « opérations campus », grâce à la diversification des procédures que j’ai mise en place, permet d’ores et déjà de programmer la réalisation de 13 000 logements, dont une partie sera réservée aux étudiants et aux chercheurs étrangers. Manuel Valls et moi avons en outre relancé, voilà une dizaine de jours, la réhabilitation de logements de la Cité internationale universitaire.

Alors qu’un tiers des nouveaux titres de séjour attribués aux salariés concernent des jeunes diplômés étrangers, je crois nécessaire de sécuriser les premières expériences professionnelles des meilleurs diplômés étrangers.

Je me réjouis de la relance des travaux sur ce sujet, en concertation avec Manuel Valls et Michel Sapin. L’orientation choisie est claire : renforcer notre compétitivité passe par une ouverture plus large et plus simple non seulement aux meilleurs étudiants, mais aussi aux jeunes professionnels qualifiés.

Concrètement, il nous faut favoriser la transition du statut d’étudiant à celui de salarié, en allongeant la durée de l’autorisation provisoire de séjour. Comme Dominique Gillot l’avait proposé dans son excellente proposition de loi, un allongement de cette durée à un an permettrait de donner aux intéressés une chance réelle de s’insérer professionnellement.

Debut de section - Permalien
Geneviève Fioraso, ministre

Je souhaite également que nous puissions proposer aux étrangers ayant soutenu un doctorat en France une forme de visa permanent leur permettant de se rendre de nouveau dans notre pays, chaque fois que de besoin.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les orientations retenues par le Gouvernement. Les mobilités étudiantes et scientifiques ne relèvent pas de la politique migratoire de droit commun. Elles sont une chance formidable pour notre pays et supposent un effort permanent d’adaptation à une compétition universitaire toujours plus vive sur le plan international.

Je vous sais déterminés à rechercher les voies d’un renforcement du dynamisme de la France. Notre pays doit être tourné vers le monde et le progrès. Je salue à cet égard l’action qu’avait menée Jean-Pierre Chevènement en son temps. La France repliée sur elle-même, c’est une France qui dépérit ; la France qui s’ouvre, c’est une France qui se renforce. §

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

La parole est à Mme Bariza Khiari, orateur du groupe ayant demandé ce débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le Président de la République s’était engagé à ce que la question de l’immigration professionnelle fasse l’objet d’un débat annuel au Parlement. Cet exercice, auquel certains pays européens à fort taux d’immigration professionnelle sont habitués, représente pour nous une nouveauté. Ce débat nous est proposé aujourd’hui déconnecté d’enjeux électoraux, ce qui est une très bonne chose.

Nous devons, mes chers collègues, être capables de débattre de ce sujet de manière apaisée et, pourquoi pas, consensuelle. Les conditions d’un tel débat reposent en premier lieu sur la méthode mise en œuvre, à savoir une concertation étayée par des données indiscutables, en vue de dessiner, au fur et à mesure de la progression de nos échanges, les arêtes d’un discours qui fasse sens.

Permettez-moi de vous faire part de l’analyse établie par le conseiller d’État Thierry Thuot dans son rapport sur la refondation des politiques d’intégration :

« En ce qui concerne les enjeux de l’immigration, n’importe qui peut s’affranchir de toute rigueur scientifique, soutenir à peu près n’importe quoi quant aux flux migratoires. Pourtant, des statistiques scientifiquement élaborées et assorties de commentaires impartiaux et objectifs permettraient de mettre fin à de nombreuses illusions et aux propos démagogiques qui les exploitent. »

Monsieur le ministre, le rapport que vous avez fourni à la représentation nationale contribuera à faire éviter cet écueil. C’est un premier pas vers l’apaisement, car une discussion sereine s’appuie avant tout sur la transparence.

La méthode choisie doit être saluée : vos services ont, après concertation avec des organisations syndicales et des représentants de l’enseignement supérieur, présenté des données, pour certaines inédites.

Nous avons reçu ce rapport suffisamment tôt pour que nous ayons le temps de l’étudier et de faire en sorte que notre débat de ce soir échappe aux « figures imposées », souvent périlleuses, qu’il contribue à éclairer la direction que nous souhaitons prendre pour notre pays et qu’il fasse honneur à la dignité, à la sagesse et à la clairvoyance de la Haute Assemblée.

À la faveur d’un changement de calendrier, il revient aux sénateurs de s’exprimer les premiers. Au regard de la sensibilité particulière de ce sujet, je m’en réjouis. Nous sommes, dans cette enceinte, et sur toutes les travées, assez peu amateurs de polémiques stériles, de postures et de caricatures.

Je n’oublie pas que, en 2007, la droite républicaine du Sénat avait dénoncé avec vigueur l’introduction du recours aux tests ADN dans le cadre de la procédure du regroupement familial et avait fait en sorte de vider de sa portée cette mesure inique.

En 2009, la proposition de loi, que j’ai portée, relative à la suppression de la condition de nationalité pour l’accès à certaines professions règlementées a été adoptée dans cette assemblée à l’unanimité. Il en a été de même pour plusieurs textes visant à lutter contre les discriminations dont font l’objet généralement les étrangers, qu’il s’agisse des vieux travailleurs migrants ou des jeunes, avec la mise en place du curriculum vitae anonyme.

L’an passé, lorsque j’ai défendu la proposition de résolution demandant l’abrogation de la circulaire Guéant, mes collègues de droite, s’exprimant à cette tribune, étaient bien en peine de justifier leur vote, tant leur intervention allait dans le sens de mon propos. Vous trouverez donc dans cette enceinte, madame, monsieur les ministres, des interlocuteurs soucieux de faire avancer le débat et de le mener sereinement.

Puisque nous parlons d’immigration étudiante, il me semble nécessaire de revenir sur cet épisode. Voilà un an, les étudiants étrangers avaient alerté tous les acteurs de la société sur le mauvais sort qui leur était fait. À la faveur de l’aberrante circulaire du 31 mai, votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait sacrifié l’attractivité de notre système d’enseignement supérieur sur l’autel de la fameuse politique du chiffre.

Cet épisode a laissé des traces : le rayonnement de la France a été écorné, certains étrangers diplômés sont partis vers des cieux plus hospitaliers. Bref, l’ensemble des éléments qui fondent l’attractivité de notre politique d’accueil des étudiants étrangers ont été rudement secoués.

Le débat d’aujourd’hui ne vise pas à décider si la France doit augmenter ou réduire son immigration professionnelle. Il ne vise pas non plus à fixer un volume des besoins de main-d’œuvre. Peut-être, à l’avenir, cet exercice devra-t-il être mené, mais, pour cette première édition, notre débat a pour objet d’éclairer les Français sur le visage de l’immigration professionnelle et étudiante, ainsi que d’évaluer la performance des outils de régulation dont nous disposons de manière à les améliorer, en vue aussi de contribuer à notre redressement économique.

Tout d’abord, les données du rapport soulignent que l’immigration professionnelle, hors étudiants, est, en France, un phénomène limité, en léger recul depuis 2008. Elle concerne, en termes d’admission au séjour, 16 921 personnes, ce à quoi il faut ajouter 7 485 passages du statut d’étudiant à celui de salarié. L’immigration professionnelle est souvent l’aboutissement d’un parcours commencé par l’immigration étudiante. Cela signifie que les personnes autorisées à travailler dans notre pays sont issues de notre système d’enseignement supérieur, maîtrisent parfaitement le français et sont familières de nos valeurs.

Dernier élément, l’immigration professionnelle, moins pérenne que l’immigration familiale, s’inscrit dans des stratégies de mobilité internationale.

Notre débat d’aujourd’hui porte donc sur un sujet dont le périmètre est limité : l’immigration étudiante, dont le flux représente 60 000 entrées par an pour un stock de moins de 285 000 personnes, et l’immigration professionnelle, qui représente, en termes d’admissions au séjour avec titre de travail, toutes catégories confondues, moins de 24 000 personnes par an ; en stock, cette immigration concernait moins de 105 000 personnes en 2012, comme indiqué, à la page 24 du rapport, dans un tableau recensant les titres valides de l’année 2012.

Au regard de ces premiers chiffres, il me paraît justifié de souligner que la France n’est plus un pays à forte immigration ; or, nous le savons, la mobilité internationale des étudiants va rapidement doubler.

Le monde se dispute les étudiants étrangers et de nombreux pays redoublent d’efforts pour les attirer. Le nombre d’étudiants étrangers accueillis en France constitue en soi un indicateur de l’attrait de notre système d’enseignement supérieur. Les efforts opérés par nos universités et nos écoles pour les attirer sont également des vecteurs d’excellence. La politique d’attraction de l’immigration étudiante participe ainsi d’un cercle vertueux, en créant une émulation interuniversitaire et internationale. Mais si la plupart de ces étudiants reconnaissent la qualité de l’enseignement français – mes collègues du groupe socialiste présenteront des pistes pour améliorer son attractivité –, ils sont légion à dénoncer le traitement administratif qui leur est réservé.

En effet, les étrangers résidant en France, qu’ils soient étudiants ou salariés, vivent dans l’inquiétude en raison de la précarité de leur situation administrative. Ils doivent, tous les ans, consacrer des heures, des journées entières à préparer leur demande de renouvellement de titre de séjour, avec toujours l’angoisse qu’on leur réclame un document supplémentaire. Leurs vies sont suspendues à des démarches administratives aussi humiliantes pour eux qu’éprouvantes pour les agents préfectoraux, que d’aucuns considéreraient comme relevant d’un harcèlement, l’indignité du traitement administratif tenant lieu de politique de fermeté.

Vous venez d’annoncer, monsieur le ministre, que les étudiants étrangers allaient pouvoir bénéficier d’un titre de séjour pluriannuel valide pour la durée de leurs études. Cette simple mesure de rationalisation administrative porte en elle des avancées considérables. Elle permettra, d’une part, de renforcer l’attractivité de nos filières de formation, et, d’autre part, de soulager considérablement les services des préfectures et de réorienter le travail de leurs agents, notamment vers les contrôles.

Je suis d’avis que l’humanisation des conditions d’accueil des étrangers doit se traduire avant tout par la suppression de ces files d’attente interminables qui serpentent à l’extérieur de certaines préfectures. Est-il admissible, dans notre République, que des hommes et des femmes passent des journées et des nuits entières à se battre pour une place dans une file d’attente, parfois en la monnayant, posent des jours de congé ou manquent des cours importants pour obtenir un document qui, la plupart du temps, relève d’un simple renouvellement ?

Monsieur le ministre, essayons de conjuguer ensemble rationalisation administrative et humanisation des rapports sociaux.

Dans cette perspective, envisagez-vous de généraliser le caractère pluriannuel du titre de séjour « étudiant » à d’autres titres de séjour ?

Par ailleurs, pourquoi ne pas faire profiter les étrangers des vertus de la dématérialisation, en mettant en place un système de prise de rendez-vous par voie électronique ?

Il existe onze titres de séjour différents. Cette fragmentation ne repose sur aucune logique professionnelle. Il faudrait, en plus d’une harmonisation de leur durée de validité sur une base pluriannuelle, regrouper les titres « salarié », « commerçant, industriel et artisan » et « travailleur indépendant », fusionner les cartes « scientifiques », « compétences et talents », « profession artistique et culturelle », et même la carte bleue européenne, en une seule catégorie et conserver un titre pour les travailleurs temporaires, afin de parvenir à trois, voire quatre, titres de séjour.

Au-delà de la rationalisation administrative, je plaide aussi pour la performance statistique. Nous sommes nombreux à être convaincus que, en matière d’immigration plus encore que dans d’autres domaines, la sincérité des chiffres est de nature à apaiser les esprits. Force est de constater que nous disposons d’une marge importante de progrès sur ce plan.

Par exemple, le rapport annuel au Parlement sur les chiffres de la politique d’immigration et d’intégration est d’une précision d’apothicaire en ce qui concerne le nombre de visas délivrés par catégorie. Si ce rapport recense l’intégralité des entrées légales sur le territoire, il est en revanche silencieux sur les sorties, accréditant ainsi l’idée que les flux annuels s’additionnent. Ce rapport devrait également intégrer les flux sortants et présenter les soldes migratoires.

Troisième question, monsieur le ministre, envisagez-vous l’amélioration de notre outil statistique, dont nous mesurons les limites ?

Ces données, assorties d’études prospectives sur nos besoins de main-d’œuvre, doivent nous permettre d’élaborer un discours cohérent et de présenter une vision d’avenir à moyen terme qui répondent tant aux préoccupations des Français et des entreprises qu’à celles des candidats à l’immigration étudiante ou professionnelle, afin d’éclairer leur décision.

Beaucoup ignorent que, depuis 1974, la règle qui régit l’immigration professionnelle est celle de l’opposabilité de la situation de l’emploi, qui oblige les entreprises à recruter en priorité sur le marché national de l’emploi. Cette règle s’applique à l’aide de plusieurs outils, de natures très diverses, mais qui présentent un point commun : la lourdeur bureaucratique. L’octroi de l’autorisation de travail repose sur une procédure longue et complexe, inadaptée à la réactivité économique à laquelle nos entreprises sont astreintes.

Cette démarche peut être, dans certains cas, assouplie, quand l’emploi visé relève de la liste des métiers en tension. Pour ces métiers connaissant une pénurie de main-d’œuvre, la situation de l’emploi n’est pas opposable.

En soi, la liste des métiers sous tension pourrait être un outil pertinent pour répondre aux besoins des entreprises et guider l’administration dans son instruction des dossiers. Mais il suffit de la parcourir pour mesurer les difficultés de mise en œuvre par l’administration et, au-delà, le manque de lisibilité pour les employeurs et les postulants. Il existe une liste nationale de trente emplois, puis des listes régionales, et enfin neuf autres listes établies dans le cadre des accords de gestion concertée des flux migratoires, sans parler des différents accords bilatéraux.

Le tableau 14 du rapport que vous nous avez remis, qui occupe tout de même quatre pages, reprend une liste de plus de cent métiers pouvant ou non donner accès, en fonction des nationalités et en vertu d’accords bilatéraux, à un titre de travail, sans que la situation de l’emploi soit opposable. C’est ainsi, si l’on s’en tient à ce tableau qui donne véritablement le tournis, qu’un Mauricien peut être chaudronnier-tôlier, mais pas ouvrier du béton, tandis qu’une Béninoise peut être chef de cuisine, mais pas sage-femme…

L’interpénétration de ces listes, dont certaines répondent à des considérations diplomatiques, parfois de codéveloppement, et d’autres à des considérations économiques, est facteur de confusion et amène à s’interroger sur leur adéquation avec l’objectif visé, à savoir répondre aux besoins de main-d’œuvre des entreprises, d’une part, et protéger notre marché de l’emploi en évitant le dumping social, d’autre part.

Finalement, tous ces outils lourds, complexes, n’ont-ils pas pour effet pervers d’encourager les entreprises à utiliser des voies de contournement ? Il suffit d’observer l’augmentation très importante du recours aux salariés européens détachés et de considérer les estimations non officielles du nombre des salariés détachés et non déclarés pour se convaincre que le dumping social est une réalité intra-européenne. Michel Sapin, ministre du travail, s’est saisi de cette question ; monsieur le ministre, disposez-vous d’informations sur ce sujet ?

Concernant l’immigration étudiante, ne faudrait-il pas envisager que le titre de séjour pluriannuel délivré aux étudiants intègre la possibilité, à l’issue du diplôme, de travailler, de droit, une année, afin de compléter la formation initiale reçue par une expérience professionnelle significative ? Une mesure en ce sens, l’autorisation provisoire de séjour, avait été introduite dans la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration : c’était l’une des rares dispositions de ce texte que nous avions soutenues. Cependant, les étudiants étrangers n’ont pas souhaité s’approprier cet outil, bien trop contraignant en termes de mise en œuvre administrative. Aujourd’hui, 75 % des étudiants diplômés qui demandent un changement de statut l’obtiennent. L’ouverture de cette possibilité, qui fait actuellement l’objet d’un projet de directive européenne, serait, si la France l’adoptait rapidement, un facteur d’attractivité puissant. Si, au terme d’une année, le diplômé étranger a trouvé un poste en adéquation avec sa formation, il pourra, en vertu de conditions qui seront à définir, obtenir son changement de statut ; dans le cas contraire, le séjour lui sera naturellement refusé.

Je suis d’avis que plus les règles sont lisibles et cohérentes pour tous et plus elles sont connues tôt en amont, plus la fermeté, quand elle doit s’appliquer, devient légitime. Or je pense, monsieur le ministre, que, dans l’exercice de leur devoir, les forces de l’ordre chargées d’appliquer la loi ont besoin de cette légitimité, en plus de la légalité.

Les Français sont très sensibles à cette notion de légitimité. C’est notamment à partir de cette problématique que, en 2008, le Sénat, à l’unanimité, avait approuvé la suppression de la condition de nationalité pour l’accès aux professions réglementées, telles que celles de médecin, de géomètre, d’architecte, d’expert-comptable. La discussion de cette proposition de loi, bien que le processus législatif ne soit pas allé jusqu’à son terme, a porté ses fruits : la plupart de ces professions libérales, organisées de façon ordinale, ont supprimé la condition de nationalité tout en maintenant la condition de détention d’un diplôme français, à l’exception, je crois, de celle de vétérinaire.

J’avais, à l’époque, exclu du champ de cette initiative parlementaire les emplois de la fonction publique, qui représentent près de 30 % de l’ensemble des emplois : ils restent inaccessibles aux étrangers non communautaires, à l’exception des emplois d’enseignant-chercheur de l’enseignement supérieur, pour lesquels la condition de nationalité a été supprimée en vertu d’un décret de 1983. Pourquoi ce qui a été fait pour l’enseignement supérieur ne serait-il pas envisageable pour l’enseignement secondaire, si les besoins de notre système scolaire le justifiaient ?

La France manque d’enseignants du secondaire, notamment de professeurs dans les matières scientifiques. Ce débat devrait nous donner l’occasion de réfléchir à l’opportunité de poursuivre cette réduction du périmètre des emplois fermés. Ces emplois, en maintenant une discrimination légale dans l’accès au marché de l’emploi, engendrent, par effet de système, des discriminations illégales.

J’aimerais terminer mon intervention en évoquant brièvement, quitte à sortir du cadre strict de ce débat, l’immigration familiale, qui répond à des règles conventionnelles.

Cette immigration, que le précédent gouvernement avait qualifiée de « subie », est celle à qui nous confions le soin de s’occuper de nos enfants et de nos vieux, à qui nous donnons les clés de nos maisons.

Une étude récente menée par trois économistes a mis en évidence que le travail des femmes immigrées a un effet « positif et significatif » sur le produit intérieur brut. Pour expliquer les ressorts de cet effet, les économistes avancent une explication dans laquelle de nombreuses familles se retrouveront : parce que ces femmes immigrées sont très présentes dans les métiers de garde d’enfants et de personnes en perte d’autonomie, elles permettent aux parents, aux familles de libérer du temps au profit d’emplois qualifiés. Ils concluent en soulignant que le travail de ces femmes « a un effet multiplicateur puisqu’elles contribuent, pour ainsi dire, deux fois ».

À cet égard, je me suis longuement interrogée sur l’absence troublante des métiers liés aux services à la personne dans les listes de métiers sous tension.

Le rapport de cadrage que vous nous avez remis présente un graphique, en page 34, établissant la liste des métiers qui offriraient le plus de postes à pourvoir à l’horizon de 2020. L’économie française a un besoin grandissant de services à la personne. Ces besoins reposent sur un triptyque : premièrement, une natalité qui ne faiblit pas, et c’est tant mieux ; deuxièmement, un allongement de l’espérance de vie, tant mieux également ; troisièmement – ce qui est moins réjouissant –, un fractionnement des cellules familiales.

Ces métiers sont aujourd’hui en grande partie occupés par des femmes ayant bénéficié du regroupement familial ou des Français issus de l’immigration. Ceux-là mêmes qui s’occupent de nos enfants, de nos vieux, de l’entretien de nos villes, qu’on ne vienne pas me dire qu’on les subit !

Le taux d’activité des femmes issues de l’immigration familiale, qui s’établit à 54 %, est de 10 points inférieur au taux d’activité des femmes. À nous de faire en sorte que cet indicateur augmente à la faveur d’actions d’inclusion, de formation professionnelle, qui, au besoin, s’appuieraient sur les métiers ici recensés.

Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’ai pas évoqué dans cette intervention l’histoire et l’apport de l’immigration, ou son rôle aussi bien économique que culturel. Croyez bien que j’y pense ! Les étrangers et les Français issus de l’immigration, nouvelle ou ancienne, après avoir été stigmatisés, instrumentalisés à des fins politiques, aspirent à de la dignité. Ce débat, ainsi que le prochain projet de loi relatif à l’immigration doivent impérativement s’attaquer à ce mal récurrent de la société française qu’est cette extrême sensibilité à l’égard du migrant, à l’égard de l’autre.

Pour que les migrants du monde ne se détournent pas de la France et nous privent ainsi de leurs talents, il convient non seulement de modifier leurs conditions de séjour et d’améliorer l’attractivité de la destination France auprès des étudiants du monde, mais aussi, je le crois, de faire de l’immigration une politique, un discours, une réalité qui gagne en légitimité. Ainsi, ensemble, nous démentirons Milan Kundera, pour qui l’immigré reste et restera ce « grand souffrant ».

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Voilà de très bonnes orientations, conformes à celles que le Président de la République a fixées et parfaitement cohérentes avec les priorités définies dans le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, en application du rapport Gallois !

J’ai apprécié, monsieur le ministre de l’intérieur, votre expression réaliste, solide, conforme à l’intérêt national, de même, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, que votre vision à long terme, qui s’inscrit dans la meilleure tradition du rayonnement scientifique de la France.

Je tiens à vous féliciter tous les deux, ainsi que le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration du ministère de l’intérieur pour l’excellent rapport que vous nous avez fourni sur l’immigration professionnelle et étudiante. Ce document permet d’en finir, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre de l’intérieur, avec l’ère des approximations. C’est du beau travail !

Le rapport nous rappelle excellemment que les flux très importants d’immigration sont régis dans des domaines essentiels par des règles qui s’imposent à la France : réfugiés et malades, immigration familiale, immigration en provenance de l’Union européenne. En chiffres absolus, les flux d’immigration – c’est-à-dire, madame Khiari, les entrées auxquelles on a soustrait les sorties – sont plus faibles en France que dans tous les autres grands pays d’Europe occidentale : 110 000 personnes, contre 200 000 en Grande-Bretagne et 300 000 en Allemagne.

L’immigration en France, il faut le dire, reflète un moindre niveau de qualification. Si les flux sur lesquels nous pouvons agir sont importants s’agissant des étudiants – environ 60 000 admissions –, il y va différemment de l’immigration de travail, particulièrement faible, comme vous l’avez remarqué, puisqu’elle est inférieure à 20 000 admissions.

Les efforts que nous devons nécessairement faire s’articulent autour de deux axes.

Le premier consiste à accroître encore l’attractivité universitaire de la France, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre.

Nous occupons le cinquième rang mondial pour l’accueil des étudiants étrangers. Certes, nous avons perdu un peu de terrain, notamment par rapport à l’Allemagne, mais l’étonnant est d’en avoir perdu si peu après la politique menée sous le quinquennat de M. Sarkozy !

Nous accueillons près de 290 000 étudiants, représentant plus de 15 % des inscrits, ce ratio s’élevant à 41, 3 % en doctorat. Cette dernière proportion est un signe de l’excellence : nous le devons à la qualité de la recherche française. Cette performance, j’hésite à le dire, est le résultat d’une politique lancée dans les années 1998 et 1999, de concert entre les trois ministres de l’éducation nationale, de l’intérieur et des affaires étrangères de l’époque. Ce n’est pas M. Guéant qui était à la manœuvre ! Près de la moitié de ces étudiants étrangers sont originaires de pays d’Afrique, 21 % de pays d’Asie et 18 % de l’Union européenne.

Je tiens à appeler votre attention sur un point essentiel : si les étudiants chinois représentent 10 % du total – c’est une bonne chose –, ce ratio tombe à 1, 7 % pour les étudiants russes, qui sont à peine plus de 4 000, à 0, 7 % pour les Indiens et à 1, 6 % pour les Brésiliens. Or ce sont là les grandes puissances du XXIe siècle, et nous avons intérêt à attirer leurs étudiants.

Permettez-moi également, madame la ministre, de nuancer légèrement mon approbation précédente : je ne pense pas que la promotion de l’anglais comme langue d’enseignement dans les universités – mais vous avez employé une autre expression, quelque peu atténuée – soit le meilleur moyen de promouvoir l’attractivité globale de la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

En effet, comme le disait Fernand Braudel, la langue française, c’est 80 % de son identité. On peut envisager des cours de mise à niveau en français...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Mais nous trouverons certainement un terrain d’entente, j’en suis persuadé.

Je tiens à ouvrir une parenthèse concernant la Russie. Alors qu’on dénombre 7 millions d’étudiants dans ce pays et 800 000 apprenants de français maîtrisant souvent remarquablement notre langue, il n’y a qu’un peu plus de 4 000 étudiants russes en France. Ils sont quatre fois plus nombreux en Allemagne !

Le taux de refus de visas étudiants était de 17 % en 2011. Voilà que, en 2012, il est passé à 34 %. Il y a du retard à l’allumage, monsieur le ministre de l’intérieur ! Mais il est vrai que cela ne dépend pas de vous… Cela dépend des services de Campus France, qui sont d’ailleurs livrés à des recrutés locaux croyant utile de manifester leur supériorité.

Il faut aussi évoquer, dans ce cadre, l’attitude frileuse des bureaux parisiens qui refusent une procédure simplifiée d’inscription dans des établissements supérieurs dont la liste aurait été arrêtée de concert avec la partie russe. Pourtant, rien n’est plus facile ! Une présélection au niveau des établissements supérieurs est la manière la plus efficace d’attirer en France les meilleurs étudiants. II faut partir des besoins – ceux de la France et ceux du pays source –, qui bien souvent se rejoignent. Ainsi, la Russie aimerait orienter ses étudiants, en particulier ses boursiers, vers nos écoles d’ingénieurs. N’est-il pas possible de définir des quotas par école ? Si notre réglementation s’oppose à ces mesures simples et pratiques, alors il faut en changer !

Je me réjouis des dispositions que le Gouvernement a arrêtées ou s’apprête à arrêter s’agissant des visas pluriannuels ou de la prolongation de ces visas d’un an pour permettre aux étudiants qui le souhaitent de réaliser une première expérience professionnelle en France après l’obtention de leur diplôme. Il est bon également que les doctorants étrangers puissent bénéficier d’un visa permanent.

L’ouverture d’un guichet unique, madame la ministre, est une excellente initiative, que je salue. Mais un accompagnement personnalisé manque encore. Ne pourrait-on pas, par exemple, recruter des emplois-jeunes…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

… pour aller accueillir à l’aéroport les étudiants qui arrivent souvent de fort loin ?

La question d’une modulation des droits d’inscription se pose. Je ne suis pas favorable à cette modulation, je tiens à le dire. Elle irait à l’encontre de l’objectif fixé, car il faut renverser la vapeur et hisser la France, à nouveau, à la troisième place mondiale pour l’accueil des étudiants étrangers.

Le deuxième axe a trait à l’immigration professionnelle.

Celle-ci représente 12 % des nouvelles admissions au séjour de ressortissants étrangers. La France accueille aujourd’hui deux fois moins d’immigrés qualifiés que le Royaume-Uni, trois fois moins que l’Allemagne.

La délivrance de l’autorisation de travail conditionne dans notre pays l’admission au séjour, en fonction notamment, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre de l’intérieur, de la situation de l’emploi. La France comptant plus de trois millions de chômeurs, il est inenvisageable de supprimer ce système d’autorisation. Il vaut mieux former les chômeurs dans le secteur des métiers dits « sous tension ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Mais il est devenu nécessaire d’assouplir et d’alléger le système de l’autorisation de travail pour attirer la main-d’œuvre qualifiée.

N’hésitons pas à multiplier les dispenses pour les travailleurs très qualifiés ! Accordons plus largement des dérogations dans le cadre d’accords bilatéraux ! Si je prends l’exemple de la Russie, c’est parce que le Président de la République, lors de son dernier voyage à Moscou, a déclaré qu’il était indispensable d’encourager les hommes d’affaires, les investisseurs, les artistes, les chercheurs, les étudiants à se rendre en France sans difficulté. J’ajoute à cette liste les touristes, qui ne demandent que ça ! Maintenant, si je puis m’inspirer du général de Gaulle, l’intendance doit suivre !

En matière d’immigration professionnelle, la carte de séjour « compétences et talents », comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, est demeurée un titre marginal. S’agissant de l’immigration de travail qualifié, les préfectures ont été sensibilisées, mais dans le mauvais sens. Il faut, là aussi, renverser la vapeur et former les personnels à une meilleure prise en compte de l’intérêt national, tel que nous le percevons à travers la nouvelle politique de l’immigration, à la fois ferme et humaine, que vous avez évoquée.

N’hésitez pas à simplifier les titres de séjour existants, à en modifier les critères de délivrance, à diminuer le nombre des pièces justificatives et à créer de nouveaux outils à destination de l’immigration professionnelle qualifiée. Le système de pré-validation des dossiers pour les grandes entreprises, comme les préinscriptions dans les universités, est ce qui permet le mieux de « coller aux besoins ». L’immigration de travail est un terrain excellent pour le « choc de simplification » annoncé par le Président de la République.

Trop souvent et à tort, l’immigration professionnelle, et même étudiante, apparaît comme un danger pour certains de nos concitoyens. Il nous revient à tous de démontrer combien celle-ci peut constituer un atout pour la France, notamment pour ce qui concerne le redressement nécessaire de notre commerce extérieur. Nous vous faisons confiance, madame, monsieur les ministres, pour aller de l’avant audacieusement, au service de la France !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, si vous me le permettez, j’interviendrai dans ce débat à la fois comme parlementaire et comme professeur d’université, focalisant ainsi mon attention sur l’immigration étudiante, laquelle représente tout de même la moitié environ de l’immigration légale annuelle issue des pays non membres de l’Union européenne.

Je me réjouis d’avoir retrouvé nombre de mes préoccupations d’enseignante dans les interventions de nos ministres, et j’attends la réalisation de leurs promesses sans laquelle la France, qui, en raison de la crise, perd actuellement ses cerveaux, attirés par la Silicon Valley, risque de prendre encore plus de retard dans les domaines des sciences, des humanités, des arts, de la recherche ou de l’innovation.

Comme vous le savez, entre 2007 et 2011, le nombre d’étudiants étrangers admis au séjour en France a augmenté de 40 %, passant de 46 663 à 64 558. L’année 2012 a en revanche été marquée par un important reflux de presque 10 %, avec seulement 59 000 entrées sur le territoire.

En 2011, 288 500 étudiants étrangers étaient inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur français. Parmi eux, 81, 4 % étaient extracommunautaires. Ils représentaient 11 % des inscriptions en licence, 19 % en master et 41, 3 % en doctorat, lequel est une porte d’entrée vers le monde de la recherche. Ce dernier taux, élevé, témoigne, dans certains secteurs, du dynamisme de la recherche française, qui reste compétitive par rapport aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, mais dont l’attractivité, ne nous leurrons pas, est aussi liée au coût très bas des frais de scolarité en France comparativement à ceux qui sont pratiqués dans ces deux pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

En France, mes étudiants en doctorat paient, me semble-t-il, quelque 300 euros, alors qu’une inscription à Harvard coûte 45 000 dollars ; cette différence très importante a des incidences dans le choix des étudiants, car le coût de l’inscription à l’université reste très attractif.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

De fait, plus des trois quarts des étudiants étrangers en France sont inscrits à l’université. Viennent seulement ensuite les écoles de commerce et d’ingénieurs.

Si 18, 6 % de ces étudiants sont issus de l’Union européenne, la majorité vient de pays attachés historiquement et linguistiquement à la France, à savoir du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Il apparaît plus difficile d’attirer les élites des pays émergents, même si la Chine fournit 10, 3 % du contingent. Les femmes sont majoritaires, puisqu’elles représentent 52, 9 % des étudiants étrangers venant de tous les continents, à l’exception de l’Afrique, où leur proportion n’est que de 42, 8 %.

Ce constat, nuancé, doit l’être encore d’une autre façon. Qui dit immigration dit aussi fuite des cerveaux. On sait par exemple que la moitié des migrants hautement qualifiés se concentrent aux États-Unis, ce qui explique qu’ils obtiennent tant de prix Nobel. L’émigration qualifiée n’induit cependant un préjudice pour le pays source que lorsqu’elle se transforme en émigration durable. Pour volontariste qu’elle doit être, notre politique ne saurait, en la matière, faire fi de cet aspect des choses.

Cela étant dit, la France doit indéniablement se donner les moyens de devenir une destination de premier choix pour l’immigration de haut potentiel en augmentant les moyens alloués à la coopération universitaire et en créant des antennes des établissements d’enseignement supérieur à l’étranger.

De nombreux pays ont développé des stratégies de recrutement d’étudiants internationaux avec des objectifs ambitieux. Certains sont même entrés en compétition pour attirer des étudiants au niveau de masters et doctorats. Ce n’est pas encore notre cas. Chaque établissement d’enseignement supérieur doit pouvoir définir sa propre politique internationale dans le cadre des grandes orientations définies par l’État, Campus France pouvant ensuite aider ces établissements à atteindre leurs objectifs.

Notre pays doit aussi impérativement améliorer les conditions d’accueil – vous l’avez dit, madame la ministre –, souvent déplorables, réservées aussi bien aux étudiants qu’à la main-d’œuvre hautement qualifiée. La généralisation du titre de séjour pluriannuel pourrait être un élément important de cette amélioration, de même que la création d’un titre de séjour permanent pour les doctorants.

Pour que l’immigration estudiantine donne tous les résultats qu’on est en droit d’en attendre, il serait tout aussi indiqué d’améliorer le processus de sélection et d’orientation de ces étudiants, afin de limiter leur taux d’échec, plus élevé que celui des étudiants français. Il n’est sans doute pas tout à fait normal qu’un étudiant recalé à l’entrée de l’université de Rabat puisse venir poursuivre ses études, sans autre forme de procès, à l’université Paris-Sorbonne, où j’enseigne, laquelle, de son côté, ne pratique pas la sélection.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

De même, pourquoi ne pas s’assurer que les étudiants étrangers participent aux coûts réels de la formation, en proportion bien sûr de leurs ressources et des bourses françaises ou étrangères dont ils bénéficient, comme cela se fait aux États-Unis ?

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Mme Esther Benbassa. Compte tenu de la prédominance de l’anglais dans le monde – je sens que M. Chevènement ne va pas être d’accord avec moi –, nos universités pourraient dispenser des enseignements dans cette langue, tout en faisant de la maîtrise du français une condition non négociable à l’obtention du diplôme – Mme la ministre l’a dit à peu près dans les mêmes termes.

M. André Reichardt s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Pour que ces étudiants puissent, une fois diplômés, exercer leurs compétences dans notre pays et les importer ensuite efficacement dans leur pays d’origine lorsqu’ils décident d’y retourner, il paraît urgent d’élaborer une législation claire et stable relative au changement de statut d’étudiant en salarié. Malgré l’assouplissement de l’interprétation du droit en la matière, certaines situations injustes et injustifiables perdurent.

La France, son économie, son industrie, sa recherche, ont besoin de compétences et de talents dans tous les domaines. Elles ont plus que jamais besoin de jeunes et de moins jeunes habités par un projet, ayant le goût des défis, capables d’enthousiasme et de courage. L’immigration étudiante et l’immigration professionnelle, qui ne représentent malheureusement qu’une faible part de l’immigration globale, peuvent leur en fournir. À nous d’accueillir ces immigrants, de les former et de les accompagner, qu’ils décident de rester sur notre sol et de partager nos destinées ou de rentrer dans leur pays, contribuant à notre rayonnement, attestant, à leur façon, de la grandeur du nôtre.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’immigration étudiante et professionnelle est une bonne occasion pour le groupe UMP d’exposer avec clarté et sincérité sa position. En effet, les débats entourant les questions migratoires sont devenus, à la faveur de passions exacerbées, d’une stérilité des plus dommageables pour le débat public et pour notre démocratie. Aussi, que la représentation nationale puisse s’emparer de ce débat et que nous puissions, chacun dans cet hémicycle, exprimer la complexité de nos positions est une excellente chose. Espérons simplement que les frappes préventives d’anathèmes qui précèdent généralement ce genre de débat nous soient épargnées.

Sans plus attendre, il me faut préciser la doctrine qui a guidé notre formation politique et qui continuera de la guider, pour appréhender les problématiques migratoires.

L’immigration est une constante de l’histoire, l’expression tantôt de la liberté, tantôt de l’asservissement de certains hommes et de certains peuples à changer de terre.

L’immigration peut aussi être le fruit de circonstances malheureuses, comme le montre le cas des réfugiés politiques et climatiques.

Or notre époque n’échappe pas à cette dualité. Nous assistons toujours à la coexistence de ces deux formes d’immigration. La question est donc de savoir quelle réponse nous souhaitons apporter à ces phénomènes migratoires, à l’aune de ces deux critères.

Il apparaît certain que la France peut et doit rester une terre d’accueil, et que les migrants d’aujourd’hui feront la richesse de demain. C’est dans cet esprit que nous souhaitons appréhender l’immigration étudiante et professionnelle.

En ce qui concerne l’immigration étudiante – je crois, madame Khiari, qu’un large consensus peut se dégager à cet égard –, la formation universitaire des forces vives d’autres nations est de nature à favoriser les intérêts de notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Par cette immigration, nous participons au rayonnement de la France et réalisons de formidables opérations de soft power – pardonnez-moi cet anglicisme, mais j’ai cru comprendre que certains voudraient même que nos universités dispensent des cours en anglais...

Pour cette raison, contrairement aux idées reçues, l’immigration étudiante en France a atteint 65 000 personnes en 2010, c’est-à-dire une augmentation de 30 % par rapport à l’année 2009. Aujourd’hui, l’immigration étudiante reste stationnaire.

Notre formation politique n’a jamais été hostile, quoi qu’on en dise, à l’immigration étudiante ; au contraire, nous l’avons privilégiée, car elle répond autant à nos propres intérêts qu’à ceux des pays d’origine, qui n’ont pas toujours la possibilité de former leur jeunesse à certaines activités professionnelles. Nous sommes donc favorables à l’immigration étudiante en tant que telle, c’est-à-dire en tant que projet d’étude construit. À l’instar de ce qui se fait dans beaucoup de pays, il est normal qu’une distinction entre titre de séjour étudiant et titre de séjour professionnel perdure, car ces immigrations ne sont pas de même nature et ne concernent pas le même public.

Nous avons donc noté avec intérêt la récente annonce gouvernementale visant à accorder aux étudiants étrangers des visas de la durée de leurs études, plus une année pour leur permettre d’avoir une première expérience professionnelle en France. Nous souhaiterions toutefois en savoir plus à cet égard. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je vous remercie par avance de toute information complémentaire que vous voudrez bien nous donner concernant notamment l’entrée en vigueur et les modalités d’application de cette mesure.

Dans le même ordre d’esprit, nous formulons à l’inverse plus de réserves sur la délivrance d’un visa permanent pour les doctorants, d’autant plus que certaines affaires ont, par le passé, égratigné l’enseignement supérieur français en raison, dit-on, de la délivrance de diplômes de complaisance pour des étudiants étrangers.

Enfin, il n’est évidemment pas possible, cela a été dit, de faire abstraction du coût réel de l’immigration étudiante. Celui-ci est en effet estimé à près de 3 milliards d’euros. Or la France pratique des tarifs étonnamment bas, voire quasiment nuls – notamment à l’endroit des étudiants extracommunautaires –, en comparaison de ses voisins européens, qui proposent leurs formations à des coûts beaucoup plus élevés.

S’agissant de l’immigration de travail, sans convoquer de formules alambiquées, je dirai simplement que celle-ci est non seulement une chance, mais aussi un facteur de prospérité qui doit s’intégrer à une politique migratoire clairement définie.

Avant de parler plus précisément de l’immigration professionnelle, je tenais néanmoins à ce que nous nous entendions sur la réalité de l’immigration de travail, telle qu’elle existe en France en 2013. En effet, il ne faut pas circonscrire ce débat à la simple évocation des 25 000 étrangers admis au séjour sur un motif économique. J’entends par là que notre volonté de rationaliser l’immigration de travail doit prendre acte du fait que 75 % des migrants familiaux accèdent aussi au marché du travail. Or nul ne peut ignorer que les migrants familiaux représentent environ la moitié de l’immigration totale. Aussi le nombre de migrants familiaux qui accèdent au marché du travail avoisine-t-il les 75 000 personnes. Il ne s’agit pas ici de faire peur, mais je veux vous transmettre les informations figurant sur le document préparatoire à ce débat relatif à l’immigration professionnelle et étudiante fourni par le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.

En conséquence, indépendamment de toute réflexion sur notre immigration de travail, nous devons admettre le postulat selon lequel la France est déjà très accueillante en termes d’immigration de travail, particulièrement pour ce qui est des emplois à faible valeur ajoutée, et cela alors même que nous sommes en phase d’explosion du chômage – ce n’est malheureusement un scoop pour personne – et donc, mécaniquement, d’augmentation du nombre de travailleurs pauvres.

Si l’on se réfère au nombre total d’autorisations de travail délivrées en 2012, à savoir 42 234, près de 30 000 d’entre elles se font en faveur d’employés qualifiés ou très qualifiés, pour 10 443 travailleurs non qualifiés.

En conséquence, une question se pose : quelle est cette immigration de travail destinée à des emplois à faible valeur ajoutée, qui, de fait, viendra concurrencer les travailleurs étrangers issus de l’immigration familiale, que je viens d’évoquer ? Monsieur le ministre, n’observe-t-on pas ici une redondance ? Je vous remercie de bien vouloir nous éclairer sur ce point.

Quoi qu’il en soit, l’immigration de travail est ainsi structurée en France. Il s’agit de salariés destinés non seulement à des emplois à faible valeur ajoutée, pour lesquels notre pays présente un déficit de demandeurs d’emplois, notamment en raison de la faiblesse des salaires, mais aussi à des emplois à forte valeur ajoutée de secteurs en expansion économique ou à des emplois pour lesquels nous connaissons des déficits d’effectifs chroniques. L’immigration contribue donc directement à l’accroissement de nos richesses, puisqu’elle vient répondre à cette demande.

Encore convient-il de ne pas occulter une autre question de fond que pose l’immigration de travail : celle-ci peut-elle rendre nos entreprises plus compétitives ? Même si l’immigration permet de recruter des personnels adaptés aux besoins de nos entreprises, n’est-elle pas précisément le symptôme d’un manque de compétitivité de ces entreprises et d’une inadaptation de nos demandeurs d’emplois ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

À cet égard, prenons garde à ce que l’immigration de travail ne devienne pas, à terme, pour certaines entreprises, une étape sur le chemin de la délocalisation.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Si la France ne connaissait pas les problèmes que l’on sait en termes de formation professionnelle, d’adaptation des diplômes, d’inflation des diplômes et de sur-tertiarisation de nos étudiants, peut-être le problème ne se poserait-il pas de la même manière.

Dès lors, même si, à court terme, cette immigration est indispensable dans notre pays, à long terme, parce qu’elle témoigne de dysfonctionnements structuraux de notre économie, elle doit être mieux appréhendée. Bref, la question migratoire doit également nous informer sur la conduite à tenir dans les prochaines années sur les politiques de l’emploi, eu égard aux besoins de nos entreprises.

Notre formation politique a soutenu une position équilibrée consistant à stabiliser les effectifs de l’immigration de travail en France, en moyenne, sur la dernière législature, légèrement au-dessus de 30 000 personnes par an. Nous ne sommes donc pas pour l’immigration zéro ; nous sommes – faut-il le rappeler ? – pour l’immigration maîtrisée, c'est-à-dire celle qui est utile à la France. C’est dans cet esprit que notre formation politique et le précédent gouvernement ont agi.

Mme Marie-Thérèse Bruguière acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Je souhaite m’arrêter un instant pour analyser minutieusement les dispositions qui ont été adoptées durant la précédente législature, car on a trop dit et trop médit à cet égard. Ces précisions permettront de mettre en valeur la position équilibrée que je viens d’évoquer et que nous continuerons de défendre.

Parmi ces dispositions, il nous faut rappeler l’étendue des problématiques auxquelles s’est confrontée la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. Cette loi n’était ni injuste ni laxiste. Elle était tout autant accommodante avec les immigrés qui le méritaient bien que stricte, en ce sens qu’elle ne faisait ni plus ni moins que faciliter l’éventuel travail de la justice, s’il y avait lieu.

Ainsi, ce texte a permis de mettre en place une procédure d’accès accélérée à la nationalité française pour les ressortissants étrangers qui satisfaisaient déjà à la condition d’assimilation prévue par le code civil. Cet accès à la nationalité française pour les naturalisés était ensuite conditionné à la signature d’une charte des droits et devoirs du citoyen.

Enfin, il a été rendu possible aux jeunes majeurs étrangers confiés à l’aide sociale à l’enfance entre seize et dix-huit ans, sous certaines conditions il est vrai, de se voir délivrer une carte de séjour temporaire dans l’année suivant leur dix-huitième anniversaire.

Dès lors, qui peut croire que ce texte n’était que la traduction d’un repli sur soi, d’une peur de l’étranger ou d’une politique migratoire inspirée par des théories nauséabondes, comme tant de responsables politiques de l’époque se sont plu à la qualifier ? La simple lecture de ce texte indique qu’aucune disposition n’était de nature à contrevenir aux principes les plus élémentaires de notre République. Au contraire, ces valeurs ont été depuis réaffirmées.

En effet, qui considère ici que le respect des frontières est secondaire et saurait être bafoué dans l’intérêt de quelques-uns ? Personne, assurément ! Qui peut décemment penser qu’il ne faut pas aider la justice à faire appliquer ses décisions ?

Mes chers collègues, quelles pouvaient être ces dispositions qui ont soulevé, chez certains, une indignation parfois si peu maîtrisée ?

Il s’agit sans doute de l’introduction de nouvelles procédures pour le renouvellement des cartes de séjour et la délivrance des cartes de résident, visant à prendre en compte le respect des exigences du contrat d’accueil et d’intégration et à préciser les critères permettant de l’apprécier, à savoir l’assiduité, le sérieux du suivi des formations civiques et linguistiques, la réalisation du bilan de compétences professionnelles et, le cas échéant, la participation à la session d’information sur la vie en France, ainsi que le respect des principes et valeurs essentiels de la République. Monsieur le ministre, j’en conviens, ces dispositions étaient certainement insuffisantes.

Peut-être s’agissait-il de la volonté de faire exécuter les obligations de quitter le territoire français et les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière ? Cette volonté s’est traduite, d’un côté, par l’allongement de la durée maximale de rétention administrative à trente-deux jours, alors que nos voisins s’accordent plusieurs mois et parfois une durée de détention illimitée, et, de l’autre, par la réorganisation de l’intervention des deux juges compétents en matière de contentieux de l’éloignement des étrangers.

Toutes ces dispositions relèvent à mes yeux du bon sens. Elles ont pourtant soulevé des critiques, naturellement infondées, mais surtout injustifiées.

Cette loi que nous avons fait adopter sous notre majorité a permis, on l’oublie souvent, de transposer trois directives européennes. La première visait à promouvoir l’immigration professionnelle, la deuxième était dédiée à la lutte contre l’immigration irrégulière et la troisième donnait de nouveaux outils pour la répression des employeurs d’étrangers sans titre.

Or, dans le cadre de ce débat relatif à l’immigration étudiante et professionnelle, il convient de rappeler solennellement que la France est le premier État de l’Union européenne à avoir mis en œuvre la directive Travailleurs hautement qualifiés, dite « carte bleue européenne ». Outre la rapidité de transposition de cette directive dans notre droit, la France a retenu les options les plus avantageuses en faveur de ces travailleurs hautement qualifiés. Tout d’abord, il leur a été accordé une carte de séjour temporaire de trois ans. Ensuite, la possibilité a été offerte à leur conjoint de bénéficier sans délai d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » les autorisant à travailler pendant trois ans sur le territoire national. Enfin, cette dernière possibilité a été étendue aux conjoints de salariés en mission, dans le cas d’une mission supérieure à six mois.

Les dispositions choisies pour l’introduction de la carte bleue européenne mettent ainsi parfaitement en valeur l’a priori positif qui doit prévaloir à l’égard de ces travailleurs venant soutenir l’économie nationale.

Dans le même temps, la circulaire du 31 mai 2011, vilipendée, mais que nous assumons volontiers, …

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Kerdraon

Il était temps ! Après dix minutes de discours !

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

… fixait des limites claires et justes à ce que nous pouvions tolérer. Chers collègues, vous l’aurez compris, nous ne renions pas l’édifice normatif passé.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Nous assumons ce que nous croyons être une œuvre équilibrée et qui n’aura pas vu un mauvais sentimentalisme conduire notre action au mépris de la réalité des phénomènes migratoires contemporains.

Avec la même force, nous tenterons de promouvoir notre vision d’une politique migratoire généreuse et pleinement consciente des nouveaux enjeux économiques que soulève l’immigration, particulièrement dans ces circonstances économiques et sociales difficiles.

Fondamentalement, malgré le caractère polarisant des décisions politiques relatives à l’immigration, nous visons le même but : faire de l’immigration, notamment de l’immigration étudiante et professionnelle à laquelle le présent débat est consacré, une réussite, une source de richesses et non un handicap pour la France, les immigrés et leur pays d’origine.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, depuis très longtemps les puissances du monde ont mesuré l’enjeu de la formation des élites des pays étrangers. La mondialisation est aujourd’hui un élément moteur de la mobilité étudiante et étend les logiques concurrentielles à l’université.

Les meilleures universités ont essaimé. Comme les précédents orateurs l’ont déjà évoqué, l’Amérique du Nord et l’Europe rivalisent désormais avec les pays émergents où rayonnent des établissements réputés pour l’excellence de leurs formations. Pour exister, les universités doivent attirer les meilleurs étudiants et les meilleurs chercheurs.

Au-delà de l’attractivité et de la compétitivité, l’enjeu est bien stratégique : l’enseignement supérieur contribue au soft power des États, à leur politique d’influence, à la diffusion de leur culture, de leur langue et de leurs valeurs à travers le monde.

Dans cette évolution du paysage universitaire mondial, la France a perpétué une longue tradition d’accueil des étudiants étrangers, et ce avec raison puisque notre enseignement supérieur a bénéficié des apports de brillants esprits venus d’ailleurs, sans oublier les prix Nobel ou médailles Fields d’origine étrangère dont la France s’enorgueillit.

Prenant conscience du risque d’érosion du rayonnement de nos universités dans un contexte de concurrence mondiale, le gouvernement Jospin a affirmé une nouvelle ambition pour notre pays. Entre 1998 et 2002, le nombre de visas étudiants est ainsi passé de 29 000 à 65 000. Le rapport de Patrick Weil sur la politique d’immigration a entraîné un travail de simplification des démarches administratives. La politique de bourses d’études, déjà généreuse, a été renforcée. Un Conseil national pour l’accueil des étudiants étrangers en France a été mis en place. Enfin, Claude Allègre et Hubert Védrine ont créé l’agence EduFrance pour promouvoir l’enseignement supérieur français à l’étranger.

Les gouvernements ultérieurs ont poursuivi cette action, jusqu’à la création d’un opérateur unique, Campus France, destiné à faire connaître les formations françaises à l’étranger et à gérer l’ensemble de la chaîne de l’accueil des étudiants, dont l’efficacité et la fiabilité restent à construire. Madame la ministre, je sais que vous en êtes convaincue.

Notre pays a donc mené, sur le long terme, une politique constante mais non moins entachée d’incohérences et de brutalités, nuisibles à sa lisibilité au-delà de nos frontières. Les dommages à l’attractivité de notre système universitaire sont évidents, tant celle-ci est autant déterminée par les conditions de vie et d’accueil que par la qualité de la formation et de la recherche.

Malgré des évolutions plutôt positives des échanges intellectuels et l’augmentation du nombre d’étudiants étrangers accueillis – environ 290 000 actuellement –, notre pays accuse un retard par rapport à ses concurrents directs : la France est désormais reléguée au cinquième rang mondial des pays d’accueil des étudiants étrangers, derrière l’Australie et l’Allemagne.

En la matière, le retard français a plusieurs causes.

Il s’explique par l’hésitation entre l’intérêt d’accueillir les meilleurs éléments et l’obsession du « risque migratoire », revenant à considérer l’étudiant étranger comme un clandestin potentiel.

À cela s’ajoute une autre ambiguïté : la volonté de tirer immédiatement parti des compétences des meilleurs au service de l’influence française et l’affirmation récurrente que l’étudiant étranger a vocation à rentrer dans son pays d’origine sitôt sa formation terminée.

Cette politique brouillonne s’est illustrée par la circulaire Guéant du 31 mai 2011, qui a considérablement abîmé l’image de la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Un décret du 6 septembre 2011, toujours en vigueur, a relevé à 615 euros mensuels le niveau de ressources exigibles pour l’admission au séjour en France, montant bien supérieur aux bourses des gouvernements français ou étrangers, et qui fait barrage à bien des vocations.

Sans tarder, le Gouvernement a abrogé cette circulaire inconséquente et injuste du 31 mai 2011 et l’a remplacée, le 31 mai 2012, par de nouvelles dispositions qui permettent de rétablir l’image de notre pays auprès des étudiants et chercheurs du monde entier. Malgré tout, il reste encore beaucoup à faire pour assurer la considération que l’on doit à ces étrangers qui deviennent, après leurs études, les meilleurs ambassadeurs de notre pays.

C’est ce qui m’a conduite à déposer, le 12 février dernier, une proposition de loi relative à l’attractivité universitaire de la France, …

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

… dans le but de lever des obstacles qui nuisent au rayonnement international de nos universités. Je remercie Mme la ministre d’avoir salué ce texte.

Les difficultés liées aux démarches administratives restent l’obstacle majeur, totalement désastreux pour la France, comme Mme Khiari l’a souligné. Pour venir étudier en France, les étudiants étrangers, coupés de leur environnement culturel et social, doivent en effet s’engager dans un véritable parcours du combattant.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Dans une enquête récente, 53 % d’entre eux dénoncent des processus administratifs kafkaïens. Le renouvellement des titres de séjour constitue notamment « un cauchemar annuel » à cause de démarches inutilement complexes et souvent vexatoires.

Cette situation est nuisible à la renommée de notre pays. « Je ne recommanderais pas à un ami non européen de venir passer son doctorat en France en raison des problèmes de visa », lit-on par exemple sous la plume d’un étudiant brésilien. À l’heure d’internet, un tel constat fait un mal considérable.

Malgré les récentes mesures de simplification mises en œuvre, les complications inutiles perdurent, y compris dans le cadre de mobilités encadrées. Je ne multiplierai pas les exemples à ce propos, car mon temps de parole est compté.

Des progrès importants restent à accomplir, et c’est avant tout dans les pays d’origine qu’il faut améliorer les dispositifs d’accueil, en limitant le nombre de demandes par candidat et en imposant un délai de réponse rapide de l’établissement, en identifiant dans tous les établissements un correspondant chargé du suivi « recrutement international » et en centralisant les dossiers dématérialisés à transmettre à un correspondant désigné de l’établissement.

S’agissant des conditions d’entrée et de séjour, je me réjouis de l’annonce d’un titre de séjour pluriannuel pour la durée des études. Le texte de ma proposition de loi prévoit la délivrance de ce titre pluriannuel après un an seulement de présence sur le territoire.

L’effectivité de l’inscription et le sérieux des études devraient être attestés chaque année afin d’en garantir le bon fonctionnement, l’absence de ces éléments entraînant l’annulation du titre de séjour. Une année supplémentaire devrait être accordée à l’étudiant étranger qui en aurait besoin pour compléter son cycle d’études, comme c’est le cas pour les étudiants boursiers.

De telles mesures soulageraient les étudiants des tracasseries qui les distraient de leurs études et ajoutent du stress à la nécessaire concentration sur ce qui doit être leur objectif final : le diplôme ! Elles simplifieraient aussi le travail des préfectures, qui gagneraient à dématérialiser certaines tâches ou à les déléguer aux universités, comme c’est déjà le cas avec les mairies pour la réalisation des passeports.

L’annonce de la création de guichets uniques sur les sites universitaires, où toute l’information sur les droits et devoirs des étudiants étrangers sera disponible, va assurément dans le bon sens.

Afin d’amplifier les échanges fructueux, j’ai inscrit dans ma proposition de loi un droit illimité au séjour pour tout étranger diplômé d’un doctorat obtenu en France, lui permettant de s’installer et de travailler, le cas échéant avec sa famille, autant que de besoin. Je me réjouis, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, que vous souteniez cette idée.

Je suggère aussi de faciliter la liberté d’aller et venir hors du territoire national, y compris hors de l’espace Schengen, à tout étudiant ou chercheur ayant un titre de séjour, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Les aspirations des étudiants étrangers ne se limitent pas au suivi d’une formation ; une expérience professionnelle dans le pays d’obtention du diplôme est très recherchée. C’est pourquoi je propose d’assouplir les conditions d’insertion professionnelle des étrangers diplômés en France. Quel est en effet l’intérêt, pour les pays d’origine et pour la France, de renvoyer chez eux les étrangers dès la fin de leurs études et l’obtention de leur diplôme ? Ce n’est qu’après une mise à l’œuvre professionnelle que ces diplômés pourront, à leur retour chez eux ou ailleurs, déployer les compétences acquises en France.

Il n’est pas non plus très pertinent que d’autres pays bénéficient de la formation dans laquelle la France a investi : la délivrance automatique, en cas d’embauche, d’un titre de séjour « salarié » de trois ans, par exemple, paraît ainsi indispensable au retour sur investissement en augmentant les chances de maintenir ces talents au service de la France.

La situation administrative des jeunes chercheurs étrangers est indigne de notre pays et de ce qu’ils lui apportent. Il est urgent de résoudre les difficultés de recherche d’emploi et de changements de statut, en clarifiant le régime de la carte de séjour « scientifique-chercheur ». Tout comme le caractère pluriannuel des titres de séjour, les règles régissant ces changements de statut devront être clarifiées par la loi, le cadre législatif et réglementaire assurant une homogénéité de traitement selon le consulat ou la préfecture de rattachement.

La simplification des démarches administratives ne peut cependant résumer une politique d’immigration étudiante. Les choix stratégiques restent en discussion pour enclencher une véritable rupture avec la séquence antérieure. Il me semble que la stratégie de rayonnement et d’attractivité de la France pourrait se déployer selon trois axes.

Le premier concerne les pays en développement. En conciliant les intérêts de la France et ceux des pays d’origine, l’attraction de leurs étudiants ne conduit pas au pillage des cerveaux des pays les plus faibles. La formation des étudiants étrangers relève de l’aide au développement et nécessite l’identification de cibles prioritaires. Peut-on en effet considérer de la même façon étudiants chinois et étudiants togolais, alors que les enjeux sont différents ?

Ainsi, les bourses du gouvernement français pourraient être orientées vers les étudiants originaires des pays dont le système d’enseignement supérieur est encore peu développé ou servir à attirer des publics moteurs de développement, comme les jeunes femmes africaines, par exemple, qui sont très sous-représentées.

Le deuxième axe a trait aux pays émergents, dont les étudiants cherchent à se doter de compétences recherchées dans leurs pays et sont disposés à investir financièrement pour cela, le coût de la formation étant souvent un indicateur de sa qualité. Au-delà de la répétition des principes, il faudra donc examiner objectivement une modulation des droits d’inscription en fonction du pays de résidence des étudiants étrangers et du cadre des conventions bilatérales. Une telle politique pourra être compensée par un renforcement des bourses, corrélé à une meilleure qualité de l’accueil et des services proposés aux étudiants étrangers et, par extension, à l’ensemble de la communauté étudiante.

Cependant, face aux flux croissants d’étudiants étrangers à travers le monde, nos capacités d’accueil ne seront pas extensibles. Poursuivre notre politique d’influence et de rayonnement nécessitera donc d’accompagner les établissements d’enseignement supérieur pour développer des formations à l’étranger, en y implantant des campus délocalisés.

Le troisième axe consiste à attirer des profils scientifiques de très haut niveau. Il faudra les accueillir dans des conditions administratives et matérielles favorables afin de les retenir dans notre pays, en finançant substantiellement, par exemple, leurs études de troisième cycle et leur assurant un débouché à l’issue de leur doctorat.

Madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, les étudiants et chercheurs étrangers contribuent à la construction de nouveaux savoirs, à l’élévation du niveau de compétence de nos universités et de nos entreprises, à l’innovation et aux transferts technologiques utiles au redressement de la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Partie intégrante de la jeunesse de France, ils permettent aux étudiants français d’apprendre l’ouverture à l’autre, la capacité à collaborer comme à échanger et participent à affermir nos relations diplomatiques, culturelles et commerciales. L’accueil des étudiants et chercheurs étrangers est donc bien un investissement d’avenir durable.

Si nous devons assurer respect et dignité à tous les étrangers qui viennent sur notre territoire, dans le cadre d’une politique d’immigration juste, exigeante et bienveillante, les étudiants étrangers doivent recevoir une considération particulière au sein de la masse globale des flux migratoires.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours intéressant que le Parlement prenne le temps de débattre de sujets sensibles dans la société, comme l’est l’immigration.

On se souvient des très fortes mobilisations du monde associatif et de forces politiques de gauche contre des mesures prises par les précédents gouvernements, sous la houlette des ministres de l’intérieur – voire de l’intérieur et de l’immigration –, qui ont plongé des milliers de personnes étrangères dans des situations précaires et ont privé certaines d’entre elles de leurs droits. À ce titre, nous pensons avec de nombreuses associations, dont la CIMADE, qu’il serait peut-être temps de réformer en profondeur le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et de revoir l’ensemble des législations adoptées sous le règne de la droite, qui n’ont cessé de se durcir au fil des années.

On peut donc regretter que le débat qui nous occupe ce soir se limite aux migrants qualifiés et ne soit pas plus large. Or les migrants qualifiés – je parle des hommes comme des femmes – sont déjà très nombreux sur notre territoire et participent au développement économique de notre pays alors même que beaucoup d’entre eux n’ont pas de papiers. Je profite donc de ce débat pour me faire la porte-parole de toutes celles et de tous ceux qui demandent la régularisation de ces sans-papiers selon des critères justes. Sur ces deux questions, peut être pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner ce soir quelques éléments ?

Sur le sujet du débat qui nous occupe, je partirai du rapport du secrétariat général à l’immigration et à l’intégration publié il y a peu, qui précise que la France ne serait plus « un très grand pays d’immigration ». En d’autres termes, elle ne serait plus un pays attractif. Elle connaît en effet moins de flux migratoires que ses voisins européens : 110 000 entrées-sorties en France, contre 200 000 au Royaume-Uni et 400 000 en Espagne et en Italie. Le solde migratoire global apparaît donc modéré, du fait de la relative faiblesse des flux migratoires.

Si l’on compare les sondages d’opinion, les discours de Nicolas Sarkozy et ce rapport récent, on peut aisément conclure à un décalage important entre le sentiment répandu selon lequel il y aurait « trop d’étrangers sur notre territoire » et la réalité chiffrée. Reste que ce n’est pas selon moi le plus important : il faut dépasser les idées reçues et « sortir des fantasmes avec des données chiffrées », pour reprendre vos propres termes, monsieur le ministre. Mais encore faut-il passer aux actes !

Près d’un an après l’élection d’une majorité parlementaire et d’un Président de la République de gauche, où en est-on en matière de politique à l’égard des étrangers ? Certes, nous n’avons pas été abreuvés de promesses sur ce sujet durant la campagne électorale, les attentes n’étaient donc pas très élevées. Malgré cela, le bilan est en deçà de ce que l’on pouvait espérer. On ne perçoit pas réellement de changement en profondeur. En témoignent notamment vos affirmations concernant les régularisations. Elles indiquent clairement que vous n’entendez pas dépasser le chiffre maximum de 30 000 cartes de séjour délivrées par an.

Il est important de peser cet immobilisme gouvernemental. Il s’apparente à un renoncement à améliorer le sort des étrangers et refuse de fait l’ouverture d’une réflexion en vue de poser les bases d’une réforme en profondeur à moyen ou long terme. Ce débat est donc bienvenu ; nous espérons qu’il sera l’occasion de cette réflexion et non une simple façade sans conséquences concrètes.

Voyager et changer de pays sont des libertés individuelles dont jouissent tous les riches, partout dans le monde. Les mesures de limitation de l’immigration ne s’appliquent donc qu’aux pauvres. Certes, on ne peut nier la demande migratoire exercée aux frontières. Elle existe, en particulier au travers de la procédure de demande d’asile, mais ne peut aucunement être assimilée à une invasion, car elle correspond pour l’essentiel à un mouvement régulier en provenance de nos anciennes colonies d’Afrique et d’Asie, où les étudiants sont de plus en plus nombreux.

Cela n’a rien à voir avec les migrations massives que l’Allemagne a accueilli en provenance de l’ex-Union soviétique et de l’ex-Yougoslavie, ni avec les migrations de main-d’œuvre qui affluent vers les pays d’Europe méditerranéenne. L’immigration étudiante et professionnelle est un vrai sujet en soi, dont la droite pensait se débarrasser en prônant le concept d’immigration choisie.

En se limitant volontairement à l’immigration étudiante, ce débat s’attelle à une question spécifique de l’immigration mais ne permet pas de cerner le sujet en totalité dans l’ensemble de ses tenants et aboutissants. Mais puisqu’il faut s’y restreindre et se cantonner à la question de l’immigration étudiante et professionnelle, je tiens à soulever plusieurs points.

Le savoir est la propriété de l’humanité, et son partage se situe au cœur du mouvement d’émancipation des peuples. L’échange, que l’accueil d’étudiants permet, est source d’enrichissement pour les étudiants, et plus largement pour la France. En effet, les connaissances, les savoirs, plutôt que d’être dispersés en multitudes de propriétés nationales et individuelles, sont forgés collectivement dans le partage et dans la confrontation.

Ainsi, l’immigration est une chance fantastique pour le pays d’accueil. C’est la preuve qu’il fait encore rêver, qu’il peut séduire. On ne choisit pas un pays dans lequel on ne voudrait pas vivre. Il ne faut pas croire que les jeunes et les étudiants des pays d’émigration se dirigent n’importe où. Ils vont là où ils ont les meilleures chances de réussir, là où la société est la plus fluide et la plus attentive aux capacités de chacun.

La France que veulent construire ceux qui font de l’immigration le problème clé du XXIe siècle est une France tout juste capable de rêver de son passé, ce n’est pas la nôtre.

Nous assistons aujourd’hui à un double mouvement marqué, d’une part, par la privatisation des savoirs, qui sacrifie leur construction collective, et, d’autre part, par les mesures de restriction du séjour des étudiants étrangers sur le territoire.

Si le nombre d’étudiants admis au séjour en France n’a cessé de croître d’année en année depuis la fin des années 1990, les étudiants sont de plus en plus sélectionnés dès leur pays d’origine par le biais des centres d’études en France, qui conditionnent leur autorisation à venir étudier en France à leurs ressources financières : 7 680 euros sur l’année, soit un revenu de 620 euros par mois.

Plus les ressources de l’étudiant sont limitées, plus la liste des justificatifs à fournir à la préfecture s’allonge. Les étudiants étrangers, précaires, ne pouvant prétendre à aucune aide sociale, sont jetés « tout crus » dans la gueule du patronat, où ils s’épuiseront en heures de travail non déclarées, avant, malheureusement, de tomber sous le coup de l’expulsion.

Nous pourrions avoir l’illusion que la vie est bien plus rose du côté des programmes d’échanges européens. Mais il n’en est rien ! Le processus de Bologne n’a pas seulement conduit à une harmonisation des diplômes, il a également abouti à une harmonisation des exigences patronales à l’échelle européenne.

Aujourd’hui, le programme Erasmus tant vanté, en l’absence quasi totale de cadrage structurel et financier, permet à moins de 2 % des étudiants français de partir étudier à l’étranger. Il s’agit le plus souvent d’ailleurs d’étudiants favorisés par leurs ressources familiales. Il paraît donc important de remettre le savoir au cœur de la solidarité.

Le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration énumère douze leviers d’action pour rationaliser la politique sur cette question, mais on ne peut que déplorer l’absence, dans ce texte, de réflexion sur les immigrés travaillant illégalement. Le document du ministère de l’intérieur n’aborde pas ce sujet, alors même qu’un grand nombre de migrants viennent actuellement en Europe en se contentant de visas de tourisme.

Pour s’assurer que « l’investissement dans la formation d’étudiants étrangers rapporte à la France », puisque tel est le souci du Gouvernement, le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration suggère de s’interroger sur le nombre de redoublements autorisés ou sur le niveau des frais d’inscription. Or il ne nous semble pas que l’augmentation des frais d’inscription contribue à l’amélioration de l’accueil des étudiants étrangers.

Comme cela a été souligné, la France a décroché de la quatrième à la cinquième place des pays les plus accueillants. Pourtant, notre pays dispose de nombreux atouts sur la scène internationale, qu’il s’agisse de la qualité de sa formation et de ses diplômes ou du faible montant des frais d’inscription à l’université, un point sur lequel nous ne devons en aucun cas revenir, car cela constituerait un recul majeur.

Certes, nous devons faciliter les démarches administratives, mais nous devons aussi nous atteler à la mise en place d’une véritable politique de simplification des formalités administratives, qui favorisera l’attractivité de la France et essaiera de faciliter au mieux la vie des étudiants étrangers.

Tels sont, à nos yeux, les axes prioritaires de la politique qui doit être menée.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a souhaité organiser au Parlement un débat préparatoire à une future loi relative à l’immigration. Par d’heureuses vicissitudes du calendrier parlementaire, ce débat a lieu en premier devant la Haute Assemblée. Nous sommes donc ravis d’avoir la primeur des annonces du Gouvernement.

Nous traitons ce soir de l’immigration légale et, plus encore, de l’immigration professionnelle et étudiante. On pourrait soutenir qu’il s’agit des immigrations qui suscitent le moins de passions, mais nous le vérifierons à l’issue du débat.

Il est en effet consensuel de veiller à la venue d’étudiants étrangers pour étudier dans nos universités et dans nos écoles. Reste encore à convenir des modalités, du contrôle et des flux. Sur ce point, il y a eu débat, un débat que vous nous invitez à dépasser, madame, monsieur les ministres, ce dont je me félicite.

Pour ce qui concerne l’immigration professionnelle, on peut l’aborder sous l’angle de l’évidence : nous ne devons pas empêcher une entreprise française de recruter un salarié étranger qualifié qui possède les compétences recherchées par cette entreprise pour développer son activité.

Mais ces deux sujets peuvent en eux-mêmes susciter des interrogations sur l’ensemble de la politique migratoire. Il faut donc les aborder avec prudence, et on ne peut le faire sans partir de la politique migratoire.

En organisant ce débat parlementaire, vous souhaitez traiter la question de l’immigration de façon apaisée. Dans ce contexte de crise économique et en ces temps troublés pour nos concitoyens, nous approuvons cette volonté de dépassionner le débat. Les questions d’immigration, du droit au séjour et de l’asile entraînent malheureusement trop souvent dans le débat public des affrontements idéologiques et démagogiques, qui peuvent empêcher d’aborder réellement ces sujets.

Sur cette question de l’immigration, il peut y avoir une grande variété d’approches. Par simplification, j’en retiendrai deux : une approche idéologique, non dénuée d’angélisme, qui voudrait que notre pays accueille tout étranger se présentant à ses frontières, et, à l’opposé, la fermeture totale de nos frontières, avec l’immigration zéro, qui ne peut être qu’un slogan.

Pour notre part, nous défendons une approche réaliste. Oui, la France se caractérise par une tradition humaniste d’accueil ! Mais cela ne veut pas dire que nous devons être favorables à l’entrée et au séjour irréguliers d’immigrés, ni à des régularisations massives. La lutte contre l’immigration clandestine est non seulement indispensable, mais aussi légitime. Si nous voulons que notre pays reste un pays d’intégration et conserve sa tradition d’accueil, il faut rester ferme dans la lutte contre l’immigration illégale.

Par ailleurs, il faut également s’interroger sur les conditions d’accueil que nous pouvons offrir et, je veux le dire posément, sur la constitution de ghettos qui, peu à peu, parfois presque inexorablement, se développent.

Ce non-dit, souvent commode, nous devons l’aborder avec franchise, car il conduit, à terme, à isoler les populations en difficulté et a pour effet de jouer contre la volonté d’intégration. Il faut vivre dans ces territoires pour le mesurer, cette situation est très mal vécue par nos concitoyens. Ce non-dit porte aussi en lui-même les risques d’une explosion sociale dans certains quartiers.

Il nous faut donc trouver un équilibre entre une politique migratoire respectueuse de la dignité humaine et le refus de tout angélisme en matière d’immigration clandestine. Comme vous aimez à le citer, monsieur le ministre, Michel Rocard avait rappelé que notre pays ne pouvait plus accueillir toute la misère du monde, même s’il devait y prendre toute sa part.

Nous devons aussi nous interroger sur une forme de territorialisation de fait de l’accueil des populations étrangères. Je le dis avec prudence et mesure, il faudra bien, un jour, se pencher sur les effets de la territorialisation de fait de l’accueil des étrangers. Aujourd'hui, ce sujet est éludé.

Monsieur le ministre, depuis votre arrivée place Beauvau, votre politique en matière d’immigration se veut réaliste et responsable et, dites-vous, sans naïveté et ferme. Ce discours et cette politique peuvent recevoir notre assentiment, mais nous jugerons bien sûr aux actes. Il est vrai que vous faites preuve de fermeté en démantelant les camps illicites de Roms notamment. Cette fermeté, nous l’approuvons, mais nous savons aussi que vous faites preuve de beaucoup d’humanisme.

Dans mon département de la Seine-Saint-Denis, nous avons compté plus d’une centaine de camps en lisière des habitations, où vivaient près de 8 000 personnes. Outre la misère de ces populations, que nous reconnaissons, bien sûr – comment pourrait-il en être autrement ? –, nous constatons bien souvent de multiples trafics et un développement d’une forme de délinquance de proximité. Ces situations ne sont pas tolérables, et je salue votre lucidité.

Mon groupe soutient votre approche réaliste et conforme au droit. J’ai cru entendre qu’elle était fortement critiquée par une partie de votre majorité...

Cette approche réaliste se traduit par plusieurs principes affichés. Vous avez ainsi affirmé qu’il n’y aurait pas de régularisations massives comme celles qui ont été opérées par les gouvernements de gauche en 1981 et en 1997. C’est heureux, car la situation économique et sociale nous l’interdit. Il ne saurait être question de procéder ainsi aujourd’hui.

Vous vous êtes également engagé – c’est important pour nous – à ne pas régulariser plus d’immigrés que lors du précédent quinquennat. La régularisation d’un immigré clandestin par l’administration doit en effet rester une exception. Ces régularisations se feront, dites-vous, sur la base de critères définis, clairs et objectifs prenant en compte notamment la réalité de l’intégration à la société française. Nous sommes tous pour des critères clairs et transparents, mais encore faut-il les définir. Nous savons aussi que cela n’évitera pas l’examen des situations individuelles, au cas par cas, dans les préfectures.

Enfin, il faut poursuivre la lutte contre l’immigration clandestine, en menant un combat déterminé contre les filières d’immigration clandestine qui exploitent la misère humaine et en tirent profit.

Ces préalables étant posés, venons-en à l’immigration professionnelle et étudiante.

Certes, la nécessaire maîtrise des flux migratoires ne doit se faire au détriment ni de l’attractivité de l’enseignement supérieur ni des besoins de nos entreprises en compétences spécifiques de haut niveau. Toutefois, nous savons que ce sujet est particulièrement sensible en période de crise économique. D’ailleurs, l’immigration professionnelle ne se limite pas aux compétences de haut niveau.

Je tiens à le dire en préambule, compte tenu de la situation actuelle du marché de l’emploi et du niveau de chômage dans notre pays, il serait dangereux de modifier l’équilibre général de la réglementation actuelle en matière d’autorisation du travail. La protection du marché du travail impose en effet de conserver une procédure administrative claire et opposable.

Il faut l’affirmer clairement, le régime d’autorisation du travail existant doit être maintenu, car il permet de réguler efficacement l’entrée de salariés étrangers pour occuper des emplois dans des secteurs qui ne sont pas en tension.

N’oublions pas que des étrangers présents au titre de l’immigration familiale ou de l’immigration étudiante occupent des emplois sans passer par la procédure de l’autorisation de travail. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas simplifier les procédures lorsqu’elles sont trop complexes, pour permettre aux employeurs de recruter des travailleurs étrangers qualifiés répondant aux profils des postes recherchés ou pour remplir des missions spécifiques et temporaires. C’est une demande légitime des entreprises, notamment celles qui sont ouvertes à l’international et qui éprouvent des difficultés à recruter des salariés étrangers, alors que seuls ces salariés permettent de conquérir des marchés, notamment dans leur pays d’origine. Le document préparatoire suggère d’ailleurs, avec beaucoup de précautions, de promouvoir, dans le cadre de l’immigration professionnelle, une politique d’attractivité favorisant l’immigration de travailleurs hautement qualifiés, une sorte « d’immigration choisie » qui ne dirait pas son nom en quelque sorte.

De même, dans une perspective d’attractivité du territoire, on peut réfléchir à simplifier et à faciliter les procédures pour les secteurs d’activité et les emplois pour lesquels notre pays connaît une pénurie de main-d’œuvre. C’est une nécessité pour notre économie et pour nos entreprises qui recherchent, par exemple, des informaticiens ou des techniciens supérieurs. Nous ne pouvons nier cette réalité, qui existe déjà dans des secteurs en tension où les entreprises sont exonérées de la procédure d’autorisation de travail pour recruter plus facilement.

Le document préparatoire à ce débat nous invite à anticiper les pénuries de main-d’œuvre et de compétences qui se feront jour à l’avenir dans certains secteurs professionnels.

Une vision prospective du marché du travail serait sans doute un élément utile, mais veillons à ne pas ouvrir les vannes. L’immigration professionnelle doit rester principalement un moyen de répondre aux difficultés structurelles du marché du travail et, sous certaines conditions strictes, aux réalités conjoncturelles. Revoir régulièrement la liste des métiers ouverts aux étrangers sans opposition de la situation économique pour tenir compte des évolutions du marché du travail peut être une voie à explorer.

Vous nous invitez à réfléchir à des adaptations de la législation pour faciliter l’immigration de salariés étrangers qualifiés. Cela nécessite d’abord une plus grande efficacité et une plus grande fermeté dans la lutte contre le travail illégal et les fraudes. C’est l’une des conditions de l’acceptabilité de l’assouplissement des règles existantes en matière d’immigration professionnelle. Cela pose aussi la question des conditions d’accueil que nous pouvons offrir aux personnes immigrantes pour motifs professionnels.

Abordons maintenant l’immigration étudiante, qui fait l’objet d’un large accord parmi nous. En ce domaine, des mesures ont été récemment annoncées par le Gouvernement. J’y vois là une relation de cause à effet, ces sujets étant plus consensuels.

L’internationalisation des études est un phénomène établi aujourd’hui. Les pays émergents fondent de plus en plus leur développement sur l’élévation de leur niveau de qualification. L’accueil des étudiants étrangers est aujourd’hui un instrument d’influence majeur. Il existe d’ailleurs une concurrence entre les pays développés pour attirer les meilleurs étudiants, en développant des stratégies de recrutement, notamment des étudiants en master et en doctorat, issus des pays cibles, principalement les pays émergents, les BRICS, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Bien entendu, il faut veiller à ce que cela ne s’apparente pas à une fuite des cerveaux des pays en développement.

Tout le monde admet qu’il faut mener une politique ambitieuse pour attirer les meilleurs étudiants, en privilégiant les niveaux master et doctorat et en favorisant les mobilités au travers d’accords entre les établissements d’enseignement supérieur.

Avec près de 290 000 étudiants étrangers dans ses universités et ses grandes écoles, principalement d’ailleurs à un niveau master et doctorat, la France occupe une place honorable, même si elle a perdu du terrain au cours de ces dernières années. Ce serait une erreur pour notre pays de se tenir à l’écart des échanges internationaux d’étudiants, car cela fait partie de la politique d’attractivité d’un pays.

Je pense que cette question fait consensus entre nous : l’accueil des étudiants étrangers bénéficie non seulement au rayonnement de notre culture, mais aussi à la compétitivité de nos entreprises.

Le document préparatoire pointe un certain nombre de questions, notamment les freins posés à l’accueil des étudiants étrangers dans notre pays, malgré le rôle utile joué par Campus France, alors que nous sommes en concurrence avec nos voisins.

Vous avez fait conjointement des annonces la semaine dernière pour renforcer l’attractivité de notre pays, en proposant d’améliorer les conditions d’accueil des étudiants étrangers, notamment en matière de logement, de guichet unique et de formalités administratives. En revanche, reste encore à traiter, semble-t-il, la question des frais de scolarité.

La principale mesure que vous proposez est un titre de séjour pluriannuel, afin d’éviter les complications inutiles et l’accueil déplorable des étudiants étrangers dans les préfectures. Ces annonces ne nous posent pas de difficultés, et elles sont attendues, nous le savons, par la communauté universitaire. Certes ces mesures sont utiles, mais il faut veiller à faire en sorte que l’administration puisse continuer à contrôler la réalité et le sérieux des études entreprises.

Vous le voyez, madame, monsieur les ministres, en matière d’immigration, nous sommes réalistes : nous sommes prêts à discuter des modalités de simplification et d’assouplissement des procédures dans les champs de l’immigration professionnelle et étudiante si, en parallèle, vous poursuivez votre politique de maîtrise des flux migratoires et si vous faites preuve de fermeté dans la lutte contre l’immigration illégale.

Applaudissements sur les travées de l'UMP . – Mme Bariza Khiari applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est essentiel de débattre de manière apaisée de l’immigration, d’évacuer les fantasmes et d’analyser les réalités auxquelles nous devons faire face. C’était un engagement du Président de la République, que nous commençons aujourd'hui à mettre en œuvre.

Des étudiants étrangers dans nos universités ? Les années étudiantes étant souvent parmi les plus marquantes de la vie, c’est une chance pour notre pays d’accueillir des jeunes à ce moment-là de leur existence. Si l’accueil et le cursus de ces étudiants se déroulent dans de bonnes conditions, ceux-ci iront ensuite exercer leur talent dans le monde et seront, pour la vie, des ambassadeurs de notre pays.

Une immigration professionnelle en adéquation avec les besoins du marché du travail ? C’est une nécessité pour nos entreprises. Si celles-ci ne trouvent pas les compétences dont elles ont besoin en France, elles y répondront en délocalisant, en passant des commandes de biens ou de services hors du pays, ce qui affaiblira notre situation économique. Nous perdrons des talents ainsi que des capacités d’innovation, de création et de développement.

Les grands pays d’immigration, ce que n’est plus la France, savent combien leur dynamisme, leur image et leur influence dépendent de leur ouverture à ces deux types d’immigration.

Par ailleurs, sait-on, par exemple, que moins de la moitié des personnes entrées en 2007 sur notre territoire pour raisons professionnelles y séjournent encore aujourd’hui ?

Une approche humaniste de l’immigration, respectant le droit à la vie en famille, oblige à établir un lien entre, d’une part, l’immigration étudiante et professionnelle et, d’autre part, l’immigration familiale qui peut en découler.

L’idée d’une immigration professionnelle choisie s’opposant à une immigration familiale subie est une caricature de la réalité : lesdits « choisis » sont aussi autorisés à venir avec leur famille et lesdits « subis » sont souvent aussi autorisés à travailler. C’est ainsi que peut s’engager un parcours d’intégration !

S’agissant de l’immigration étudiante, la France est en recul puisqu’elle est récemment passée de la quatrième à la cinquième place parmi les pays qui accueillent des étudiants étrangers.

De nombreux pays qui, traditionnellement, incitaient leurs jeunes à aller étudier en France se tournent aujourd’hui vers d’autres pays. La circulaire Guéant a eu une incidence réelle sur notre attractivité ; remonter la pente ne sera pas facile, car notre réputation est maintenant largement entamée en ce qui concerne notre volonté d’accompagner nos étudiants jusqu’au début de leur vie active et notre capacité à le faire. D’ailleurs, ce constat, loin de concerner seulement le séjour des étudiants étrangers, est un enjeu majeur pour l’ensemble de notre enseignement supérieur.

La simplification des démarches administratives d’arrivée et de séjour en France ne suffira pas à renforcer notre attractivité, qui dépend aussi de deux autres facteurs.

D’une part, elle est liée à la réputation de notre enseignement supérieur, qui ne pourra pas durablement être déconnectée de l’état de notre économie ; c’est sans doute la question la plus importante, bien qu’elle ne soit pas au cœur du débat de ce soir. À cet égard, il convient de souligner qu’accueillir les meilleurs talents du monde participerait à notre redressement.

D’autre part, notre attractivité dépend de notre outil de promotion de l’enseignement supérieur français à l’étranger : je veux parler de Campus France, qui connaît des dysfonctionnements. Cet organisme reçoit, dans les différents pays, les dossiers des étudiants étrangers désireux de poursuivre leurs études en France. Présenté comme un espace de conseil, il est d’abord et avant tout un espace payant de présélection des demandes de visa étudiant, suivant une procédure longue, opaque et coûteuse.

Initialement, Campus France devait jouer le rôle de guichet unique pour l’accès au visa en aidant à la décision des consulats, des universités et des étudiants. En réalité, Campus France émet un avis sur le dossier de l’étudiant au même titre que l’établissement d’accueil potentiel. Ensuite, indépendamment de l’avis dit pédagogique, le consulat décide si l’étudiant a droit ou non à un visa. Les divergences entre Campus France et les consulats sont souvent incompréhensibles et soulèvent la question du rôle effectif de cet organisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

C’est ainsi qu’à Bamako, sur 2 000 demandes enregistrées pour l’année 2011-2012, 1 892 avis ont été rendus par Campus France et 527 dossiers instruits avec un avis favorable, mais seulement 213 visas ont été effectivement accordés. Cet exemple malien n’est pas une exception ; M. Chevènement a signalé la situation russe, qui est également scandaleuse. Mes chers collègues, pensez-vous qu’avec de tels chiffres et les coûts importants que les procédures occasionnent pour l’ensemble des demandeurs, les candidats aux études en France ne vont pas progressivement aller chercher ailleurs ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Sans compter que les espaces de Campus France sont parfois instrumentalisés pour améliorer artificiellement l’autofinancement des Instituts français, à l’intérieur desquels ils sont souvent hébergés.

Plutôt que d’être l’antichambre, pas toujours efficace, des consulats, Campus France doit réorienter son rôle vers l’information et l’orientation des étudiants, dans le respect de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur et de leur processus de sélection. À cet égard, madame la ministre, je me demande pourquoi cet établissement n’est pas placé sous l’égide de votre ministère.

Depuis quelques années, la priorité est donnée à l’accueil des étudiants de second cycle. Est-ce pertinent ? Avec ce système, les étudiants issus d’un pays où l’enseignement supérieur est déficient présentent des carences à leur arrivée en France, ce qui pourrait être évité si nous les accueillions plus tôt. Par ailleurs, avant la fin du premier cycle, certains étudiants se sont déjà orientés définitivement vers d’autres pays.

Certes, l’argument tiré de l’hétérogénéité de niveau des étudiants à leur entrée à l’université est fondé pour certains pays. Reste que nous pourrions profiter de notre réseau d’écoles françaises à l’étranger pour offrir des cours, non seulement aux élèves qui y sont scolarisés, mais aussi à des candidats étudiants, qui seraient ainsi mis à niveau avant leur départ en France. Nous sommes le seul pays au monde à posséder un tel réseau : pourquoi ne pas tirer parti de cet atout ?

Mes chers collègues, nous devons bien mesurer que l’action que nous mènerons au cours des prochaines années dans ce domaine marquera profondément l’avenir de la francophonie et la place de la France en Afrique.

Le prochain boom démographique est en Afrique, continent partiellement francophone et dont plusieurs pays tirent aujourd’hui la croissance mondiale. Dans ces conditions, c’est à la fois notre devoir et notre intérêt culturel, économique et politique d’aider les autres pays africains à accrocher le train de la croissance ; or ce soutien passe d’abord par l’éducation. Aussi, ne faisons pas la fine bouche devant l’appétence pour l’enseignement en France qui se manifeste dans ces pays. Sachons y répondre avant que les étudiants africains ne s’orientent vers les universités d’Asie, qui, elles, ont parfaitement compris l’enjeu.

N’oublions pas que l’image d’un système d’enseignement supérieur forme un tout et que, de ce point de vue, il y a aussi des actions à mener à l’étranger. C’est ainsi que nous devons veiller à l’image et à la pérennité des universités françaises à l’étranger ; ce n’est pas gagné d’avance dans un certain nombre de pays. Nous devons aussi faire un effort pour développer une offre de formation professionnelle à l’étranger. Nous avons des compétences et, d’autre part, des entreprises formulent des demandes qui sont pertinentes au regard des besoins économiques et de leur capacité d’emploi. Il est donc très clair que nous avons un défi à relever dans ce domaine.

La généralisation du titre de séjour pluriannuel serait une excellente nouvelle. Cette disposition est comprise dans la proposition de loi de ma collègue Dominique Gillot relative à l’attractivité universitaire de la France : il s’agit de poser pour principe que le titre pluriannuel est la règle générale et le titre provisoire l’exception, ce qui simplifiera la vie des étrangers en France et allégera la charge pesant sur les préfectures.

Pourquoi aussi ne pas envisager les guichets uniques dont plusieurs orateurs ont déjà parlé pour l’ensemble des formalités administratives sur les campus, quitte à externaliser certaines opérations comme cela se fait dans les consulats pour les demandes de visa ?

Une fois qu’ils sont diplômés, l’accès au travail est, pour les anciens étudiants étrangers, le couronnement logique de leurs études. Nous ne pouvons ni nous en désintéresser ni l’entraver par des complications administratives. À cet égard, les premières mesures annoncées vont dans le bon sens. Je pense notamment à l’allongement de six mois à un an de l’autorisation provisoire de séjour entre l’acquisition du diplôme et le premier contrat de travail. Tous les nouveaux diplômés, quelle que soit leur nationalité, doivent pouvoir en bénéficier.

Les anciens étudiants doivent également pouvoir accéder à un CDI. On ne peut pas vouloir lutter contre le recours abusif aux CDD en général et contraindre les entreprises à n’offrir que ce type de contrat à certains étrangers.

Enfin, il faut mentionner la non-opposabilité de la situation de l’emploi pour les anciens étudiants étrangers diplômés en France. La suppression de la mention du retour au pays d’origine dans les dispositions réglementaires du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est une nécessité. Demander à ceux qui ont terminé leurs études et qui sont prêts à rejoindre le monde du travail de rentrer dans leur pays d’origine est un non-sens ; c’est seulement un prétexte pour se débarrasser d’eux. Au nom de quoi, parce qu’ils sont souvent des étudiants du Sud, devrait-on leur imposer leur destination ? D’ailleurs, si la France ne veut plus d’eux, ils pourront toujours aller ailleurs : en Allemagne, en Australie, aux États-Unis ou au Canada.

À propos du débat sur les frais de scolarité pour les étudiants étrangers, il faut se rendre à cette évidence : accompagner la forte croissance annoncée du nombre d’étudiants faisant leurs études hors de leur pays d’origine est une nécessité pour tenir notre rang. Pouvons-nous y parvenir avec l’actuel modèle économique de notre enseignement supérieur ? Ce serait audacieux de le prétendre dans une période aussi contrainte sur le plan budgétaire.

Mme Bariza Khiari acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Améliorer la qualité de l’offre et assurer l’autofinancement des formations proposées aux étudiants extracommunautaires doivent être des objectifs affichés. Toutefois, disons-le clairement, dans un pays inspiré par les valeurs universalistes, il m’apparaît difficile d’envisager des tarifs différenciés en fonction des nationalités, mise à part la séparation, juridiquement acceptable, entre les ressortissants de l’Union européenne et les autres. Dans ce cadre, il faut que les étudiants non européens aient droit à des bourses spécifiques pour faire face aux nouvelles exigences.

Permettez-moi d’aborder, pour conclure, certains aspects du débat sur l’immigration professionnelle. Je commencerai par formuler deux remarques incidentes.

D’une part, la circulaire du 28 novembre 2012 a permis la régularisation de salariés jusque-là non déclarés selon des critères très précis. Comment concilier sans hypocrisie cette possibilité avec l’obligation de lutter contre le travail illégal ?

D’autre part, en raison de la liberté de prestation de services et de la directive relative au détachement de travailleurs, les marchés du travail dans l’Union européenne ne sont pas indépendants les uns des autres, de sorte que, si nous ne nous ouvrons pas suffisamment aux compétences dont nous avons besoin, nous subirons des délocalisations ou des prestations de services extérieures réalisées en dehors de notre droit du travail.

J’en viens à l’analyse du marché de l’emploi, pour me demander s’il est logique, dans le contexte contraint que nous connaissons aujourd’hui en matière d’emploi public, de concentrer des moyens importants pour le suivi de procédures qui entraînent des délais pour délivrer des autorisations de travail. Ne vaudrait-il pas mieux s’orienter vers des principes plus simples ? Ne serait-il pas préférable de fonctionner sur la base de la confiance puis du contrôle sélectif sur le terrain, plutôt que par une procédure complexe et peu transparente qui nécessite d’importants moyens dans les bureaux au détriment de la présence sur le terrain ?

Enfin, nous devons aussi nous interroger sur l’Office français de l’immigration et de l’intégration, sur la pertinence des taxes affectées qui le financent à 84 % et sur ses actions.

Nous nous étions félicités d’avoir pu baisser, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, le montant des taxes dues par les plus démunis et par les étudiants. Je m’interroge sur la proposition, avancée dans le document de cadrage, de moduler la taxe OFII afin de favoriser des formes déterminées d’immigration, notamment par la suppression du plafond de 2, 5 SMIC pour les hauts niveaux de rémunération. En effet, cette mesure risque de discriminer les profils les plus qualifiés dans l’accès à un emploi. Pourquoi taxer l’employeur qui recrute la personne dont il a besoin lorsqu’elle est étrangère, alors que c’est justement cet emploi qui dynamisera notre économie et financera notre système social ?

Telles sont, monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, les observations que je souhaitais présenter au sujet de l’immigration étudiante et professionnelle.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Kerdraon

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, j’ai entendu avec un grand plaisir les propos de Mme Fioraso et de M Valls sur l’immigration étudiante. Ils tranchent singulièrement avec ceux de leurs prédécesseurs !

La mondialisation des économies et la valorisation du rôle de l’enseignement supérieur dans la croissance font de la mobilité internationale des étudiants un enjeu politique majeur. Les pays occidentaux ont toujours cherché à attirer les étudiants étrangers pour accroître leur influence économique et politique, ainsi que leur rayonnement scientifique et culturel.

Depuis la fin des années 1990, le nombre d’étudiants étrangers dans l’enseignement supérieur français a fortement augmenté ; les étrangers représentent désormais plus d’un étudiant sur dix. En 2011, plus de 289 000 étudiants étrangers se sont inscrits dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur français, soit une augmentation de plus de 77 % depuis 1998.

Les principales raisons pour lesquelles la France est choisie par les étudiants sont la qualité de la formation, pour 45 % d’entre eux, la connaissance de la langue française, pour 37 %, et l’intérêt culturel, pour 31 %. La France est perçue comme un pays ayant un grand rayonnement culturel et artistique par 90 % d’entre eux ; en outre, 87 % considèrent qu’elle a un grand rayonnement intellectuel et scientifique et qu’elle est riche d’une histoire prestigieuse.

Les étudiants étrangers se répartissent en trois grandes catégories : ceux qui relèvent de la coopération internationale de l’État ; ceux qui relèvent de la coopération internationale des universités, qu’ils soient en mobilité dans le cadre du programme Erasmus ou de conventions conclues entre universités ; enfin, les étudiants à titre individuel.

Dans la plupart des cas, à l’exception de quelques établissements qui font des efforts remarquables, les étudiants, pardonnez-moi l’expression, débarquent seuls. Pour certains, la première arrivée en France et dans une université française constitue réellement une entrée dans un autre monde, un véritable choc de cultures. Songez qu’il faut à ces étudiants trouver leur université et leur département, comprendre comment s’inscrire administrativement et pédagogiquement, choisir leurs cours en fonction de leur cursus et prendre connaissance des lieux incontournables de l’université, comme le bureau des étudiants étrangers. Parallèlement, il leur faut trouver un logement, l’équiper, régler leur situation de séjour, ouvrir un compte bancaire et d’autres choses encore. Nous sommes au cœur de la problématique des rites de passage, qui va conditionner irrémédiablement le dépassement de cette étape initiatique après cette phase d’étrangeté.

De ce point de vue, le travail salarié joue aussi un rôle important. Les postes occupés par ces étudiants n’ont généralement aucun lien avec leurs études. Parmi les étudiants étrangers interrogés par l’Observatoire de la vie étudiante, 80 % ont déclaré souffrir de difficultés financières relativement importantes ou très importantes. Plusieurs enquêtes relèvent ces problèmes notables chez les étudiants étrangers, ainsi que leurs conséquences négatives sur le parcours universitaire.

Ces étudiants se plaignent aussi des trop mauvaises conditions d’accueil dans les universités françaises, où rien n’est prévu pour faciliter leur adaptation et où les professeurs, souvent les seuls interlocuteurs visibles, se montrent en général peu disponibles à leur égard.

Permettez-moi de vous décrire, par ordre de fréquence, les difficultés que rencontrent les étudiants étrangers. Il y a d’abord les difficultés liées aux démarches administratives, notamment à la préfecture de police. Viennent ensuite celles liées au logement, même si elles ne sont pas propres aux étudiants étrangers : manque de places dans les cités universitaires, niveau trop élevé des loyers, inconfort général des logements, mais aussi refus discriminatoires opposés aux étudiants étrangers candidats à des locations dans le privé.

Les autres difficultés sont liées aux informations sur les aides financières publiques, aux informations de type universitaire lors des inscriptions et aux informations sur la vie pratique en France.

Mes chers collègues, il est regrettable qu’un étudiant étranger ne puisse pas, au moment où il met en règle ses divers documents d’autorisation de séjour, entreprendre dans un dossier quasi parallèle ses démarches auprès de la préfecture et de l’Office des migrations internationales, puisque les documents demandés sont bien souvent identiques. Ainsi, les services universitaires ne sont pas les seuls à présenter un déficit d’information : les préfectures de police et les organismes d’aide au logement, notamment, semblent également fournir aux nouveaux arrivants des renseignements encore trop confus, parcellaires et offrant donc trop peu de garanties.

Nous devons être bien conscients des véritables difficultés que les étudiants étrangers non francophones, ou théoriquement francophones, rencontrent pour s’orienter dans les labyrinthes de notre administration. Je songe au témoignage d’un jeune étudiant étranger sur ses difficultés lors de son arrivée en France. Il souligne ce paradoxe : l’administration ne veut pas inscrire certains étudiants parce qu’ils n’ont pas la carte de séjour, alors qu’à la préfecture on leur demande d’abord leur inscription ! De même, il explique que, pour ouvrir un compte, la banque demande un titre de séjour, alors qu’il faut un compte bancaire pour avoir le titre de séjour…

Si la situation et les problèmes des étudiants étrangers sont maintenant très bien documentés, comme en témoigne le nombre de rapports qui ont été publiés récemment sur ces sujets, il reste au Gouvernement à prendre des mesures concrètes pour améliorer la situation. Vous avez d’ailleurs annoncé des mesures en ce sens, monsieur le ministre.

Dans leur ensemble, les associations d’étudiants étrangers militent pour un regroupement, une centralisation et une simplification des procédures, ainsi que pour un traitement à part de leur dossier. Elles réclament notamment la création d’un guichet unique.

Faciliter l’accès à l’enseignement supérieur tout en offrant une intégration plus efficace nécessite non seulement une réflexion sur le plan pédagogique, mais aussi l’élaboration d’une politique générale de développement de la dimension internationale de l’enseignement supérieur. Dans cette course à l’excellence, la France doit se donner les moyens de ses ambitions. Néanmoins, d’un point de vue général, il faut souligner que près de 80 % des étudiants étrangers sont satisfaits de leurs études universitaires en France.

Concernant les critères de délivrance d’un titre de séjour à un étudiant étranger, ceux-ci reposent sur la combinaison de son cursus pédagogique et de ses ressources financières. N’oublions pas, mes chers collègues, la très controversée circulaire Guéant en date du 31 mai 2011, qui restreignait la possibilité pour les étudiants étrangers diplômés de travailler en France. Abrogée le jeudi 31 mai 2012 par le Gouvernement, elle a été remplacée par un nouveau texte. Je salue cette initiative. Cette circulaire avait un impact extrêmement préjudiciable et portait atteinte à notre image dans le monde.

Améliorer l’accueil des étudiants étrangers passe, à mon sens, par des autorisations accordées de plein droit, et non plus au cas par cas, au gré des préfectures. Ainsi, des visas et des titres de séjour seraient remis aux étudiants en fonction de la durée de leurs études. Cela leur permettrait, en outre, de prolonger d’une année après l’obtention de leur diplôme leur séjour en France, pour y vivre leur première expérience professionnelle.

Ces mesures sont les bienvenues. Elles referment, je le souhaite ardemment, le chapitre de la politique menée par l’ancien gouvernement.

Je tiens à rappeler l’excellente initiative de Dominique Gillot, qui a déposé, le 12 février 2013, une proposition de loi visant à améliorer l’accueil des étudiants étrangers en France. Cette proposition de loi répond à une revendication forte des associations étudiantes concernant le dispositif des autorisations provisoires de séjour, les APS, notamment, qui était parfois vu comme un piège par les étudiants.

Les syndicats étudiants font d’autres propositions. Ils sollicitent la redéfinition du rôle de chaque organisme dans l’accueil des étudiants étrangers. Jean-Yves Leconte l’a souligné, d’ailleurs, à propos de Campus France.

Ils suggèrent aussi le retrait du décret du 6 septembre 2011 relatif aux conditions de ressources. Un étudiant étranger doit se prévaloir de plus de 7 000 euros de ressources annuelles, ce qui constitue mesure intenable socialement.

Ils demandent enfin l’ouverture du système d’aide sociale aux étudiants étrangers.

On le voit, l’accueil des étrangers en France doit représenter nos valeurs et témoigner de l’intérêt que nous portons à nos voisins, afin de nous permettre d’enrichir notre économie, notre culture et nos connaissances. Le Président de la République s’est engagé à continuer à accueillir 60 000 étudiants étrangers par an. Aussi devons-nous relever le défi et offrir à ces étudiants un accueil de qualité, à la hauteur de leurs attentes, eux qui viennent chercher dans notre pays l’excellence de nos universités. Je sais, madame, monsieur les ministres, que telle est votre ambition.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - Permalien
Geneviève Fioraso

Je tiens à remercier le groupe politique qui a pris l’initiative de la tenue de ce débat, qui en appellera certainement d’autres.

Je tiens également à tous vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, du climat serein dans lequel se sont déroulées nos discussions. En cette période, cela fait du bien à la démocratie, surtout que ce sujet a pu parfois être plus conflictuel. Malgré l’heure tardive, nous sommes donc heureux, Manuel Valls et moi, d’y avoir participé.

Un grand esprit de convergence nous a animés sur la question de l’amélioration des conditions d’accueil et de vie des étudiants étrangers. En effet, ces dernières font partie des conditions de la réussite de ces étudiants et peuvent contribuer à la rendre plus difficile.

J’ai rappelé l’engagement du Gouvernement en faveur du logement, qui bénéficiera également aux étudiants et aux chercheurs étrangers. J’ai déjà donné les chiffres et les indications sur les moyens que nous nous donnons pour y parvenir, je n’y reviendrai donc pas. Sachez toutefois que, avec Cécile Duflot, nous travaillons plus particulièrement sur la question des cautions. Celles-ci répondront à des critères de droit commun qui s’appliqueront également aux étudiants et aux chercheurs étrangers. C’est un sujet très important. Très souvent, en effet, l’absence de caution bloque l’accès à un logement.

Par ailleurs, je voudrais vous convaincre que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche œuvre en faveur de la francophonie. C’est dans cet état d’esprit que nous voulons développer les échanges avec l’Afrique, plus particulièrement avec l’Afrique subsaharienne. Vous le savez, cette zone est aujourd’hui très convoitée par les pays asiatiques, notamment par les universités chinoises. Il s’agit d’un espace que nous avons peut-être un peu négligé. Pourtant, c’est l’un des leviers de notre développement et, plus largement, je suis convaincue que l’Afrique est l’un des leviers de la croissance de l’Europe.

Nous avons développé des relations avec le Maghreb, en particulier le Maroc, et le Sénégal, qui sont des lieux de passage et d’échange entre la France, l’Europe et l’Afrique subsaharienne. Nous avons notamment mis sur pied une coopération qui comprend deux volets : l’accueil d’étudiants, d’une part, les étudiants africains et maghrébins constituant environ 50 % des étudiants accueillis par la France, et, d’autre part, l’établissement de formations dans au Maroc et au Sénégal, qui désirent eux aussi accueillir des préparations ouvertes sur l’Afrique subsaharienne. Nous comptons sur ces coopérations très fortes pour conforter des liens précieux, voire indispensables avec l’Afrique.

Monsieur Chevènement, je vous remercie d’avoir insisté sur la deuxième lettre de l’acronyme BRICS. Nous avons, c’est vrai, des affinités linguistiques avec la Russie, pays dont beaucoup d’habitants connaissent notre langue. C’est d’ailleurs un fait historique : Saint-Pétersbourg était une ville où l’on parlait français.

La culture industrielle, scientifique et technologique est très importante dans ce pays, et le niveau des étudiants dans ces matières est très élevé. Ces métiers, qui requièrent un haut niveau de qualification, sont en tension dans notre pays. Nous avons donc besoin d’accueillir davantage d’étudiants et de chercheurs russes. Je sais que vous vous y employez dans le cadre de votre mission spécifique visant à favoriser les échanges avec la Russie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la défense de la francophonie n’est pas incompatible avec le constat que nous devons tirer de la faiblesse de notre accueil des étudiants des pays émergents, comme la Corée, l’Inde ou le Brésil. Lorsque nous allons dans ces pays, les scientifiques, les universitaires et les politiques nous disent tous que l’obstacle du langage est important. Il l’est certes moins pour les formations artistiques, mais il est considérable pour les formations scientifiques et technologiques. Il faut savoir l’entendre.

C’est pourquoi nous avons proposé d’élargir le champ des dérogations à la loi Toubon, qui ne pourront se faire que dans un cadre extrêmement précis, matérialisé par des conventions. Nous avons donc décidé d’autoriser, sous conditions, les formations en langues étrangères. Cela concernera surtout, bien sûr, les formations en anglais, mais également en d’autres langues. J’ai vu récemment, à Tours, des cours dispensés en allemand et portant sur le droit roman, qui est, vous le savez, différent du droit saxon.

Cette mesure nous permettra d’accueillir des étudiants, qui, sans cela, se rendraient en masse dans les universités anglo-saxonnes. Nous avons imposé la condition expresse d’un accompagnement en français langue étrangère, qui leur permettra de passer et de valider leurs diplômes en français.

Vous le voyez, le dispositif est extrêmement encadré, et ce qui a été dit sur le sujet ne correspond pas toujours à la réalité. Nous nous inscrivons bien dans une logique d’élargissement de la francophonie et de développement de l’influence de la France dans le monde. Il nous semble simplement que nous ne pourrions pas le faire si nous n’accueillions pas ces étudiants.

J’ajoute que cela nous permettra de faciliter nos échanges économiques avec les pays émergents, marchés qui grossissent et qui peuvent accueillir nos produits. Ces pays nous aideront même à faire monter nos produits en gamme, en nous apportant, grâce aux échanges avec notre industrie et ses services, leur qualification en la matière.

Le programme Erasmus a également été évoqué. Je serai moins pessimiste que ce qui a été dit. Ce programme a bénéficié d’un financement en augmentation. En revanche, les actions à destination des pays de voisinage, notamment ceux de la Méditerranée, ont effectivement pâti des dernières décisions européennes. Nous le regrettons !

En revanche, la mobilité des étudiants en Europe – la France, je le rappelle, est le deuxième pays d’accueil d’étudiants dans le cadre du programme Erasmus, juste derrière l’Espagne – a été préservée. Elle s’est même accrue. Je me suis battue, avec mes collègues britanniques, espagnols, italiens et allemands, pour ce faire. Nous avons envoyé un courrier commun aux commissaires européens concernés, afin de développer davantage la mobilité des apprentis, des étudiants des filières professionnelles et technologiques, toujours dans le cadre d’Erasmus. Ces filières concernent en effet des étudiants issus de milieux plus modestes et qui n’ont pas acquis la pratique des voyages et de la mobilité. On le sait, la pratique d’une langue étrangère et les séjours à l’étranger représentent un vrai plus dans un curriculum vitae.

C’est donc une démarche que nous soutenons et qui, je l’espère, aboutira. Un programme a d’ailleurs été lancé par la Commission européenne sur le sujet.

Je ne dirai qu’un mot sur les droits d’inscription. Ce sujet n’est pas tabou. Néanmoins, il ne faut pas penser que les augmenter pour les étudiants étrangers nous permettra de faire entrer des devises. En effet, les ressortissants de l’Union européenne ne peuvent pas être concernés, pas plus que ceux des pays qui bénéficient d’une convention signée avec la France. Cela fait déjà beaucoup d’étudiants en moins !

Parmi les 290 000 étudiants étrangers en France, 50 000 ont passé leur baccalauréat et vivent dans notre pays. De ce fait, ils bénéficient des mêmes conditions que les étudiants français. Au final, il ne reste que peu d’étudiants à qui l’on pourrait appliquer des tarifs différenciés. Historiquement, d’ailleurs, les droits d’inscription dans les universités françaises sont assez bas. Il serait donc difficile de les multiplier par dix et de bénéficier, ainsi, d’un apport important.

Il faut regarder ce sujet de près. Pratiquer la discrimination tarifaire entre étudiants s’avère complexe, tout comme l’appréciation du niveau de ressources. Pour autant, accueillir des étudiants dont les familles ne paient pas d’impôts en France représente une charge supplémentaire pour la France. Ce débat est donc nécessaire. Il devra être serein, et ne pas exagérer l’afflux de devises que cette éventualité pourrait générer. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas faire un avantage de nos droits d’inscription, historiquement peu élevés ? Profitons-en pour accueillir des étudiants asiatiques ou africains, doués mais disposant de peu de ressources familiales, et qui, de fait, seraient susceptibles d’être davantage attirés par notre pays que par d’autres ! J’ai envie de retourner le problème et d’en faire un argument en faveur de l’attractivité de notre pays.

Je terminerai mon propos en évoquant les démarches qu’il nous reste à accomplir.

Félicitons-nous des cartes de séjour pluriannuelles et de l’extension d’un an du visa des étudiants après leurs études. Un peu comme les étudiants boursiers, les étudiants étrangers pourront disposer d’une carte leur permettant de rester en France le nombre d’années nécessaires aux études plus un an. En effet, on peut estimer que, en la matière, les étudiants étrangers ont plus de difficultés que les étudiants français.

Félicitons-nous également des convergences entre le ministère de l’intérieur, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et le ministère des affaires étrangères, malgré les différentes contraintes qu’ils rencontrent tous trois.

L’agence Campus France, quant à elle, fait l’objet d’une évaluation par une inspection conjointe, car elle est placée sous une double tutelle : celle du ministère des affaires étrangères et celle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Un bilan sera fait à l’issue de cette inspection. Rappelons-nous qu’il s’agit, malgré tout, d’une structure assez récente et que les problèmes que nous constatons tous sont peut-être également dus à la phase de démarrage. Pour autant, si Laurent Fabius et moi-même avons décidé de la soumettre à une inspection, c’est que nous estimions que ces dysfonctionnements étaient très importants. Vous serez naturellement tenus au courant des résultats de cette inspection, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous aurons donc l’occasion d’en reparler.

En attendant, je vous remercie de partager l’état d’esprit qui est le nôtre, visant à ouvrir notre pays à la coopération internationale, dont l’impact sur notre économie, mais aussi sur la diffusion de notre culture et sur l’extension de nos réseaux à l’étranger est extrêmement bénéfique. J’insiste sur ce point de progression, car nous savons insuffisamment animer nos réseaux d’alumni, terme un peu barbare pour désigner les anciens étudiants. D’autres pays le font bien plus efficacement que nous. C’est un outil non seulement culturel, qui tend à promouvoir l’universalité, mais également économique, qui peut s’avérer redoutablement efficace. Notre marge de progression en la matière est réelle. Nous avons la volonté de nous améliorer, et cela sera fait au cours de ce quinquennat.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Tout comme ma collègue Geneviève Fioraso, je suis très heureux de la sérénité des débats de ce soir. Ainsi que j’avais déjà eu l’occasion de le constater à propos d’un texte relatif à la retenue de seize heures, la Haute Assemblée a, sur ces questions, un recul et une capacité à s’abstraire des idées reçues qui lui font honneur.

Je partage le point de vue de Mme Cukierman : les migrations internationales et le rapport de l’individu à la frontière seront l’un des grands sujets du XXIe siècle. Comme sur l’ensemble des grands sujets, il faut oser en débattre sans a priori, ni outrance, mais aussi sans angélisme, ni naïveté ; je rejoins le souhait de M. Capo-Canellas à cet égard.

La France a une position doublement singulière en Europe. D’une part, contrairement à la plupart de ses voisins, notre pays a une démographie favorable ; notre situation, sans être exceptionnelle, est enviable, surtout par comparaison avec l’Allemagne, l’Italie ou même les pays d’Europe du Nord. D’autre part, nous faisons face à une crise qui pèse lourdement sur la situation de l’emploi. Dans ce contexte, comme l’a souligné M. Chevènement, je ne pense pas que nous puissions augmenter sensiblement les flux réguliers d’immigration. En revanche, ma collègue Geneviève Fioraso l’a rappelé, nous devons savoir répondre aux besoins de notre économie et à l’impératif de rayonnement de notre pays dans le monde.

Débattre est utile, mais cela ne suffit pas : il faut agir. À cet égard, je vous proposerai trois grands temps.

À court terme, nous nous engageons à mettre en place par voie de circulaire ou de décret certaines des orientations que vous avez souhaitées. Qu’il s’agisse de la pluriannualité du titre de séjour étudiant, à laquelle Mme Bariza Khiari a fait référence, de la sélection des étudiants, de l’autorisation de travail ou de l’accueil en préfecture, tout ce qui pourra être traité par voie réglementaire le sera. Oui, madame Gillot, il faut mettre fin au cauchemar annuel du renouvellement des titres de séjour !

Nous pouvons d’ores et déjà aller vers une plus grande pluriannualité des titres de séjour étudiant ; MM. Kerdraon et Leconte se sont également exprimés en ce sens. Nous pouvons améliorer l’accueil des étrangers en préfecture, en généralisant la prise de rendez-vous par internet, comme le propose Mme Khiari, et en rapprochant les préfectures des campus universitaires. Nous pouvons définir une stratégie d’accueil des étudiants basée sur l’excellence et le rayonnement. Cela impliquera sans doute de responsabiliser les universités dans leurs stratégies de développement international et dans leur recrutement, et de mieux cerner et évaluer l’action de Campus France. Vous avez été nombreux – je pense à M. Chevènement, à M. Leconte ou à Mme Benbassa – à évoquer le caractère parfois inadapté de cet outil.

Toujours à court terme, nous devons aussi réfléchir à l’évolution de nos outils d’immigration professionnelle. Le foisonnement de normes et de dispositifs rend notre système peu lisible. Mes services agiront de concert avec le ministère du travail pour définir un cadre plus efficace et plus réactif, qui protège le marché de l’emploi, comme l’a évoqué M. Chevènement, sans dissuader les arrivées de ceux qui peuvent contribuer à la croissance et au rayonnement de notre pays ; Mme Khiari ou M. Capo-Canellas y ont fait référence.

À moyen terme, il nous faudra faire évoluer notre cadre légal. Les travaux de ce jour, le rapport que M. Matthias Fekl va nous remettre à la demande du Premier ministre et les différentes missions d’inspection que j’ai diligentées serviront de base à un projet de loi que je souhaite pouvoir déposer à l’été. Mes objectifs seront assez simples.

Premièrement, il s’agira de généraliser le titre de séjour pluriannuel non seulement pour faciliter l’intégration de tous les étrangers nouvellement arrivés, et pas uniquement des étudiants, …

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

… mais également pour améliorer l’accueil en préfecture en allégeant leurs tâches et en centrant leurs missions sur la lutte contre la fraude.

Deuxièmement, il conviendra de refondre nos titres de séjour pour rendre notre droit en la matière plus lisible et moins décourageant pour les talents étrangers. Oui, il faut aller vers un moins grand éparpillement de nos titres de séjour !

Troisièmement, il faudra renforcer nos dispositifs de lutte contre l’immigration irrégulière, dans le respect des droits.

Ce projet de loi ne doit pas être l’occasion d’un grand déballage sur toutes les problématiques d’immigration – parfois, nous aimons bien les « cathédrales législatives » –, qui risquerait de susciter des passions inutiles dans le contexte actuel. En revanche, il devra permettre de répondre aux préoccupations concrètes que vous avez évoquées les uns et les autres.

Avec ce texte, nous tirerons un trait définitif sur la circulaire Guéant, en facilitant le changement de statut des étudiants les plus talentueux. Si nous sommes suffisamment sélectifs, nous pourrons considérablement favoriser l’usage de ce droit, en laissant à l’étudiant le temps nécessaire pour trouver un emploi correspondant à ses qualifications et en supprimant certaines conditions restrictives posées par la loi.

Sur ces axes, je pense que nous pourrons travailler ensemble à une réforme d’équilibre, durable et responsable. Pour ma part, je souhaiterais que nous parvenions au consensus le plus large possible sur ces questions. Peut-être faudra-t-il commencer par soumettre le texte au Sénat, qui pourra ainsi montrer l’exemple…

À plus long terme, nous devrons également prolonger la réflexion sur les questions migratoires, en conciliant deux objectifs : la lutte contre l’immigration irrégulière – je serai évidemment ferme à cet égard – et l’attractivité du territoire. Les questions d’immigration sont intimement liées à l’inscription actuelle et future de notre pays dans la mondialisation. Comme je le soulignais voilà un instant, si nous nous fermons aux migrations qualifiées, nous serons demain marginalisés par rapport à tous les grands États ; je pense aux États-Unis, à l’Allemagne, aux pays scandinaves ou au Royaume-Uni. Je le répète, la France ne doit pas être à la traîne.

Dans le même temps, nous devons faire preuve de pédagogie. Avec la crise économique que nous connaissons, il y a des peurs. Parfois, par souci de générosité, nous les oublions, et le message ne passe alors pas. Nos concitoyens nous jugeraient très sévèrement si l’immigration devenait incontrôlée.

Nous avons besoin d’un outil interministériel qui nous permette d’adapter en temps réel le contrôle des flux migratoires, indispensables, et la définition d’une stratégie d’attractivité pour les migrations d’excellence. Nous avons besoin que cet outil, ce nouveau comité interministériel, élabore des statistiques plus stables, plus riches, plus exhaustives pour éclairer la représentation nationale ; c’est ce que vous souhaitez à juste titre, madame Khiari, vous qui connaissez bien ces questions. Nous avons besoin que le comité s’appuie sur des travaux d’experts et de chercheurs – nous consulterons ainsi Mme Benbassa – pour mieux évaluer les effets macroéconomiques de nos flux migratoires. Je proposerai au Premier ministre de refonder rapidement le Comité interministériel de contrôle de l’immigration, pour en faire cet outil qui mette nos flux migratoires au service de notre compétitivité et de notre rayonnement.

Il nous faudra également – c’est essentiel, mais c’est un travail de longue haleine – dynamiser l’accueil des migrants légaux. Comme l’a souligné M. Reichardt, la France se caractérise par une immigration duale sur le marché du travail.

D’un côté, il y a une immigration professionnelle, limitée en nombre. Ce sont des migrants qui ont des compétences rares et prisées sur le marché du travail français et qui sont employés dans le respect de notre droit du travail. De l’autre, il y a une immigration essentiellement familiale, qui a accès au marché du travail.

Il convient donc, me semble-t-il, de densifier notre dispositif d’intégration par un meilleur lien avec la formation professionnelle et l’insertion sociale. Actuellement, 60 % de ces migrants familiaux ont un niveau égal ou inférieur au baccalauréat et 62 % de ceux qui s’inscrivent à Pôle emploi n’ont pas trouvé d’emploi après six mois d’inscription.

Le dispositif ne permet donc pas l’insertion rapide de ces primo-arrivants sur le marché du travail. C’est un élément dommageable, y compris pour l’intégration, notamment dans un certain nombre de quartiers, qui sont devenus de véritables ghettos urbains ou sociaux, voire ethniques. Il nous faudra réfléchir avec Michel Sapin aux moyens à mettre en œuvre pour dynamiser ce processus. Une inspection a été lancée pour faire le bilan de notre politique d’accueil. Nous devrons en tirer rapidement les conséquences.

J’ai noté dans certaines de vos interventions, par exemple dans celle de Mme Khiari, une interrogation sur le sort des emplois réservés aux nationaux. Comme cela a été rappelé, des travaux ont déjà été conduits au sein de la Haute Assemblée. Des questions nouvelles se posent, notamment dans la fonction publique. Elles sont parfois iconoclastes, mais elles méritent sans doute une étude attentive, en concertation avec les différents acteurs qui ont été mentionnés et les partenaires sociaux. Bien entendu, le Sénat devra, compte tenu du travail fourni, y être étroitement associé.

Enfin, il faut le souligner, certains employeurs sans scrupules contournent les règles applicables pour pouvoir utiliser des étrangers sans titre ou des travailleurs communautaires faussement détachés. Face à cela, il faut agir avec fermeté. Un nouveau plan national de lutte contre le travail illégal a été adopté. Il prévoit des contrôles renforcés et des sanctions exemplaires contre ces employeurs. Cela n’exclut d’ailleurs pas des possibilités de régularisation au cas par cas de certains travailleurs étrangers, dans les conditions prévues par la circulaire du 28 novembre dernier ; Mme Cukierman a abordé le sujet. La circulaire prévoit des critères stricts, exigeants, mais aussi uniformes, transparents et pérennes pour les étrangers en situation irrégulière.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le débat d’aujourd'hui n’est qu’une étape indispensable dans une refondation, que je souhaite à la fois ambitieuse et réaliste, de notre politique migratoire. Nous devons regarder les flux migratoires en face et comprendre qu’une immigration maîtrisée, intelligente et contrôlée peut être un vecteur non seulement de rayonnement et de croissance, mais aussi d’apaisement pour notre société.

Aucune politique publique ne peut se résumer aux clivages artificiels et aux postures, on peut en tout cas l’espérer. Le débat a démontré que l’on pouvait discuter des questions d’immigration dans un cadre apaisé ; la Haute Assemblée sait se saisir de telles questions et être à la hauteur des enjeux.

Grâce à la qualité de vos interventions, que je veux saluer, et à l’implication toute particulière de ma collègue Geneviève Fioraso, que je remercie une nouvelle fois, le débat de ce soir constitue un encouragement à refaire de la France ce pôle d’attractivité et de rayonnement qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Nous en avons terminé avec le débat sur l’immigration étudiante et professionnelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 25 avril 2013 :

À neuf heures trente :

1. Débat sur la loi pénitentiaire.

À quinze heures :

2. Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze :

3. Débat sur la politique européenne de la pêche.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le jeudi 25 avril 2013, à zéro heure trente.