Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 24 avril 2013 à 21h30
Débat sur l'immigration étudiante et professionnelle

Geneviève Fioraso :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà près d’un an, confirmant ainsi les engagements du Président de la République, le Gouvernement abrogeait la circulaire du 31 mai 2011, dite circulaire Guéant, texte de fermeture, de repli sur soi, marquant une rupture avec la longue tradition d’accueil et de rayonnement scientifique de notre pays. En interdisant aux meilleurs chercheurs et étudiants étrangers un accès au marché du travail, cette circulaire les dissuadait de fait de choisir la France et nous privait de l’apport culturel, scientifique, affectif et économique de ces échanges.

Nous avons pris, Manuel Valls et moi, un engagement devant les Français : la nouvelle politique d’attractivité universitaire et scientifique de la France ne s’arrêterait pas à ce geste aussi nécessaire que symbolique. Il fallait aller plus loin et redonner à notre pays toute sa place dans la compétition scientifique mondiale pour attirer les talents, en premier lieu les étudiants et les chercheurs.

Cette priorité du Gouvernement recouvre un enjeu stratégique. Nous assistons en effet, à l’échelle internationale, à un double mouvement : d’un côté, la diversification des pays d’origine des étudiants internationaux ; de l’autre, un renforcement de la compétition entre les pays d’accueil pour les attirer.

Les pays émergents fondent leur développement sur l’élévation du niveau de qualification et sur la recherche. L’exemple de la Corée du Sud, qui compte 3, 3 millions d’étudiants pour 59 millions d’habitants et consacre 4, 34 % de son PIB à la recherche et au développement, illustre ce fait de manière frappante. La France, quant à elle, compte 2, 4 millions d’étudiants et la part de son PIB allouée à la recherche et au développement plafonne depuis dix ans à 2, 2 %, bien loin de l’objectif de 3 % arrêté à Lisbonne.

La France n’est que le huitième pays d’accueil des étudiants coréens : alors que 154 000 d’entre eux partent chaque année à l’étranger, seulement 5 500 sont inscrits dans nos établissements, dont 3 % en ingénierie et en sciences. Ces étudiants coréens s’inscrivent principalement dans des filières artistiques ou littéraires, pour étudier les humanités, parce qu’ils ne perçoivent absolument pas la France comme une puissance scientifique et technologique. Par ailleurs, le fait qu’aucun cours ne soit dispensé en anglais les amène assez systématiquement à se diriger vers les universités anglo-saxonnes. Or nous manquons d’étudiants en sciences et technologies, et notre industrie en souffre.

L’Inde veut doubler le nombre de ses étudiants, mais ceux-ci ne sont que 3 000 en France, tandis que seulement 1 000 étudiants français sont en mobilité dans ce pays de près de 1 milliard d’habitants. La mondialisation des connaissances est une réalité en marche. Dans le monde, le nombre d’étudiants en mobilité internationale a doublé depuis 2005. Il doublera à nouveau d’ici à 2020.

Face à ces flux croissants, les pays d’accueil s’organisent. Alors que l’accueil des étudiants internationaux était concentré, jusqu’à une période assez récente, au sein de quelques grandes institutions disposant de traditions universitaires anciennes, il fait désormais l’objet de politiques nationales ambitieuses. Le président Barack Obama, par exemple, vient de lancer une politique d’attractivité scientifique pour attirer les talents du monde entier. Les grands pays, en particulier anglophones, prennent des positions offensives dans les échanges internationaux : je pense notamment au Canada ou à l’Australie. Plus près de nous, l’Allemagne et les pays scandinaves ont développé une stratégie d’accueil qui a déjà prouvé son efficacité.

La France ne doit pas rester à l’écart de ces dynamiques. Nous sommes le premier pays d’accueil non anglophone des étudiants internationaux, au coude à coude avec l’Allemagne, qui vient de nous dépasser, alors qu’elle était loin derrière nous il y a seulement cinq ans.

Chaque année, 290 000 jeunes étrangers font le choix d’étudier dans notre pays ; 41 % des thèses soutenues en France le sont par des étudiants étrangers ; 60 000 titres de séjour de longue durée sont accordés annuellement à des étudiants, contre 17 000 à des salariés et 90 000 au titre du regroupement familial. Notre pays peut s’honorer de ce rayonnement international, qui témoigne à lui seul de la qualité scientifique et pédagogique de nos universités et de nos établissements d’enseignement supérieur.

Mais cette position est fragile. La France a perdu du terrain, passant en dix ans de la troisième à la cinquième place dans le classement des pays les plus attractifs en matière d’études supérieures. L’impact n’a pas seulement été quantitatif ; il a aussi, et surtout, été qualitatif, les meilleurs étudiants, surtout en sciences, se détournant de notre pays pour trouver des destinations plus propices à leur épanouissement.

La politique migratoire mise en œuvre par le précédent gouvernement a fait des ravages en termes d’attractivité universitaire et scientifique. La complexité et la lenteur des démarches administratives, la défiance manifestée à l’égard des étrangers, les mesures dissuasives que j’ai évoquées : tout était réuni pour décourager les candidats à la mobilité. À force de considérer les chercheurs et les étudiants étrangers comme une menace migratoire dont il convient de se protéger, on a durablement entaché la réputation d’accueil de notre pays. Il fallait inverser la tendance.

À l’occasion de ce débat, nous souhaitons rappeler notre philosophie en matière de mobilités étudiantes et scientifiques. Je voudrais le redire ici, ce gouvernement considère que les étudiants et les chercheurs étrangers sont une richesse, une chance, et certainement pas un problème.

Nous constatons chaque jour le rôle primordial joué par les chercheurs étrangers dans nos écosystèmes scientifiques : nombreux sont ceux que l’on retrouve coordonnant de remarquables projets de recherche fondamentale ou technologique. Mais il s’agit également d’un enjeu pour notre compétitivité et notre politique d’influence, reposant sur la diffusion à travers le monde de notre langue, de notre culture et de nos valeurs. Les étudiants étrangers que nous accueillons sont les cadres de demain. Quel que soit leur parcours professionnel, qu’ils retournent dans leur pays d’origine, mènent une carrière à l’international ou restent en France, ils connaîtront et aimeront toute leur vie notre pays et notre langue. Ces mobilités créent les conditions de partenariats professionnels ultérieurs, bien utiles pour notre balance commerciale extérieure, dont nous voulons combler le déficit abyssal, qui n’a cessé de se creuser depuis dix ans.

Pour être de nouveau compétitive, la France doit non seulement continuer à attirer les meilleurs étudiants internationaux, mais aussi diversifier leur origine géographique. J’identifie deux priorités : nous devons nous tourner vers les pays émergents – les « BRICS » –, mais nous devons également être accueillants à l’égard de l’Afrique, car c’est aussi au travers des échanges avec ce continent, où la Chine est déjà très présente, notamment en Afrique subsaharienne, que se joue une partie du rebond économique de l’Europe.

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, nous devons agir dans trois directions : l’intensification de l’internationalisation et des partenariats entre universités, l’amélioration des conditions d’accueil et de séjour des étrangers et la sécurisation des premières expériences professionnelles.

Je souhaite tout d’abord renforcer les politiques d’internationalisation des universités et développer des partenariats diversifiés et équilibrés. La France n’est pas seulement une terre d’accueil, elle doit aussi savoir envoyer ses étudiants dans les universités des pays émergents, notamment en Asie. Nous devons parallèlement développer l’implantation d’établissements d’enseignement supérieur français dans les pays d’Afrique, du Maghreb, mais aussi dans les pays émergents, pour les aider à satisfaire leurs besoins croissants en matière de formation d’étudiants à tous les niveaux.

L’université scientifique et technologique d’Hanoï, l’École centrale de Pékin, celle de Casablanca ou l’université de Galatasaray sont des exemples de ce dynamisme. Le développement de diplômes conjoints entre la France et l’étranger me paraît tout aussi intéressant pour intensifier ces coopérations internationales.

Pour attirer les étudiants internationaux, nous devons aussi améliorer la lisibilité de notre enseignement supérieur à l’étranger et des formations que nous dispensons. La simplification de l’offre de formation que j’ai engagée le permettra. Personne, en France, ne s’y retrouve parmi les quelque 10 000 spécialités et mentions de master et les plus de 3 000 intitulés de licence. Imaginez ce que cela donne, vu de Séoul ou de São Paulo ! Le regroupement des établissements sur chaque territoire permettra de coordonner et de simplifier la carte des formations.

Pour attirer les étudiants internationaux, je souhaite également faciliter l’organisation d’enseignements en langues étrangères dans nos universités. Je sais que cette question suscite un débat, qu’il nous faut mener sans tabou.

L’un des obstacles à la venue des étudiants des BRICS dans les filières scientifiques et technologiques françaises, c’est la maîtrise de la langue. Je souhaite que les étudiants étrangers puissent suivre des enseignements en langues étrangères tout au long de leur cursus, mais obligatoirement accompagnés de cours en français, afin qu’ils puissent valider leur formation en langue française. La langue de l’enseignement dans notre pays demeurera le français, contrairement à ce que l’on peut entendre ou lire ici ou là, mais nous élargirons le socle de la culture francophone en accueillant des étudiants qui, aujourd’hui, se dirigent massivement vers les universités anglo-saxonnes. C’est ce que prévoit, de façon très encadrée, sur la base de protocoles et de conventions, l’article 2 du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui sera débattu à l’Assemblée nationale à partir du 22 mai prochain.

Il est également indispensable d’améliorer les conditions d’accueil des étudiants étrangers dans notre pays. C’est toute la chaîne de l’accueil qui doit être simplifiée et rendue plus cohérente. Ne fermons pas les yeux sur le parcours du combattant que représente trop souvent l’obtention d’un visa ou le renouvellement, chaque année, d’un titre de séjour. Il n’est pas possible d’étudier ou de mener sereinement ses activités de recherche sous la menace d’une interruption, d’une année sur l’autre, de son droit au séjour ou d’une reconduite à la frontière.

Nous allons aussi encourager la dématérialisation et la simplification des procédures d’inscription universitaire et de délivrance des visas. Les rôles seront clarifiés : les consulats et les préfectures devront rendre un avis administratif, en s’appuyant sur l’avis pédagogique et scientifique des universités.

Nous souhaitons améliorer le positionnement et le fonctionnement de Campus France, dont la mission essentielle consiste à faire la promotion de nos formations à l’international. À l’issue de l’évaluation en cours, nous examinerons avec Laurent Fabius comment favoriser une meilleure articulation des acteurs, notamment avec le réseau des œuvres universitaires.

Nous devons surtout attribuer des titres de séjour « étudiant » valables pour tout un cycle d’études. Le renouvellement annuel de leur titre de séjour angoisse les étudiants et encombre les administrations. Le prix Nobel de physique Serge Haroche m’a présenté un jeune chercheur ukrainien de grand talent, très convoité par les États-Unis, qui a choisi de travailler à ses côtés, compte tenu de l’excellence des travaux menés dans son laboratoire. Ce dernier est régulièrement contraint de se rendre en famille à la préfecture et de se joindre à une interminable file d’attente pour régulariser sa situation administrative.

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