Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a souhaité organiser au Parlement un débat préparatoire à une future loi relative à l’immigration. Par d’heureuses vicissitudes du calendrier parlementaire, ce débat a lieu en premier devant la Haute Assemblée. Nous sommes donc ravis d’avoir la primeur des annonces du Gouvernement.
Nous traitons ce soir de l’immigration légale et, plus encore, de l’immigration professionnelle et étudiante. On pourrait soutenir qu’il s’agit des immigrations qui suscitent le moins de passions, mais nous le vérifierons à l’issue du débat.
Il est en effet consensuel de veiller à la venue d’étudiants étrangers pour étudier dans nos universités et dans nos écoles. Reste encore à convenir des modalités, du contrôle et des flux. Sur ce point, il y a eu débat, un débat que vous nous invitez à dépasser, madame, monsieur les ministres, ce dont je me félicite.
Pour ce qui concerne l’immigration professionnelle, on peut l’aborder sous l’angle de l’évidence : nous ne devons pas empêcher une entreprise française de recruter un salarié étranger qualifié qui possède les compétences recherchées par cette entreprise pour développer son activité.
Mais ces deux sujets peuvent en eux-mêmes susciter des interrogations sur l’ensemble de la politique migratoire. Il faut donc les aborder avec prudence, et on ne peut le faire sans partir de la politique migratoire.
En organisant ce débat parlementaire, vous souhaitez traiter la question de l’immigration de façon apaisée. Dans ce contexte de crise économique et en ces temps troublés pour nos concitoyens, nous approuvons cette volonté de dépassionner le débat. Les questions d’immigration, du droit au séjour et de l’asile entraînent malheureusement trop souvent dans le débat public des affrontements idéologiques et démagogiques, qui peuvent empêcher d’aborder réellement ces sujets.
Sur cette question de l’immigration, il peut y avoir une grande variété d’approches. Par simplification, j’en retiendrai deux : une approche idéologique, non dénuée d’angélisme, qui voudrait que notre pays accueille tout étranger se présentant à ses frontières, et, à l’opposé, la fermeture totale de nos frontières, avec l’immigration zéro, qui ne peut être qu’un slogan.
Pour notre part, nous défendons une approche réaliste. Oui, la France se caractérise par une tradition humaniste d’accueil ! Mais cela ne veut pas dire que nous devons être favorables à l’entrée et au séjour irréguliers d’immigrés, ni à des régularisations massives. La lutte contre l’immigration clandestine est non seulement indispensable, mais aussi légitime. Si nous voulons que notre pays reste un pays d’intégration et conserve sa tradition d’accueil, il faut rester ferme dans la lutte contre l’immigration illégale.
Par ailleurs, il faut également s’interroger sur les conditions d’accueil que nous pouvons offrir et, je veux le dire posément, sur la constitution de ghettos qui, peu à peu, parfois presque inexorablement, se développent.
Ce non-dit, souvent commode, nous devons l’aborder avec franchise, car il conduit, à terme, à isoler les populations en difficulté et a pour effet de jouer contre la volonté d’intégration. Il faut vivre dans ces territoires pour le mesurer, cette situation est très mal vécue par nos concitoyens. Ce non-dit porte aussi en lui-même les risques d’une explosion sociale dans certains quartiers.
Il nous faut donc trouver un équilibre entre une politique migratoire respectueuse de la dignité humaine et le refus de tout angélisme en matière d’immigration clandestine. Comme vous aimez à le citer, monsieur le ministre, Michel Rocard avait rappelé que notre pays ne pouvait plus accueillir toute la misère du monde, même s’il devait y prendre toute sa part.
Nous devons aussi nous interroger sur une forme de territorialisation de fait de l’accueil des populations étrangères. Je le dis avec prudence et mesure, il faudra bien, un jour, se pencher sur les effets de la territorialisation de fait de l’accueil des étrangers. Aujourd'hui, ce sujet est éludé.
Monsieur le ministre, depuis votre arrivée place Beauvau, votre politique en matière d’immigration se veut réaliste et responsable et, dites-vous, sans naïveté et ferme. Ce discours et cette politique peuvent recevoir notre assentiment, mais nous jugerons bien sûr aux actes. Il est vrai que vous faites preuve de fermeté en démantelant les camps illicites de Roms notamment. Cette fermeté, nous l’approuvons, mais nous savons aussi que vous faites preuve de beaucoup d’humanisme.
Dans mon département de la Seine-Saint-Denis, nous avons compté plus d’une centaine de camps en lisière des habitations, où vivaient près de 8 000 personnes. Outre la misère de ces populations, que nous reconnaissons, bien sûr – comment pourrait-il en être autrement ? –, nous constatons bien souvent de multiples trafics et un développement d’une forme de délinquance de proximité. Ces situations ne sont pas tolérables, et je salue votre lucidité.
Mon groupe soutient votre approche réaliste et conforme au droit. J’ai cru entendre qu’elle était fortement critiquée par une partie de votre majorité...
Cette approche réaliste se traduit par plusieurs principes affichés. Vous avez ainsi affirmé qu’il n’y aurait pas de régularisations massives comme celles qui ont été opérées par les gouvernements de gauche en 1981 et en 1997. C’est heureux, car la situation économique et sociale nous l’interdit. Il ne saurait être question de procéder ainsi aujourd’hui.
Vous vous êtes également engagé – c’est important pour nous – à ne pas régulariser plus d’immigrés que lors du précédent quinquennat. La régularisation d’un immigré clandestin par l’administration doit en effet rester une exception. Ces régularisations se feront, dites-vous, sur la base de critères définis, clairs et objectifs prenant en compte notamment la réalité de l’intégration à la société française. Nous sommes tous pour des critères clairs et transparents, mais encore faut-il les définir. Nous savons aussi que cela n’évitera pas l’examen des situations individuelles, au cas par cas, dans les préfectures.
Enfin, il faut poursuivre la lutte contre l’immigration clandestine, en menant un combat déterminé contre les filières d’immigration clandestine qui exploitent la misère humaine et en tirent profit.
Ces préalables étant posés, venons-en à l’immigration professionnelle et étudiante.
Certes, la nécessaire maîtrise des flux migratoires ne doit se faire au détriment ni de l’attractivité de l’enseignement supérieur ni des besoins de nos entreprises en compétences spécifiques de haut niveau. Toutefois, nous savons que ce sujet est particulièrement sensible en période de crise économique. D’ailleurs, l’immigration professionnelle ne se limite pas aux compétences de haut niveau.
Je tiens à le dire en préambule, compte tenu de la situation actuelle du marché de l’emploi et du niveau de chômage dans notre pays, il serait dangereux de modifier l’équilibre général de la réglementation actuelle en matière d’autorisation du travail. La protection du marché du travail impose en effet de conserver une procédure administrative claire et opposable.
Il faut l’affirmer clairement, le régime d’autorisation du travail existant doit être maintenu, car il permet de réguler efficacement l’entrée de salariés étrangers pour occuper des emplois dans des secteurs qui ne sont pas en tension.
N’oublions pas que des étrangers présents au titre de l’immigration familiale ou de l’immigration étudiante occupent des emplois sans passer par la procédure de l’autorisation de travail. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas simplifier les procédures lorsqu’elles sont trop complexes, pour permettre aux employeurs de recruter des travailleurs étrangers qualifiés répondant aux profils des postes recherchés ou pour remplir des missions spécifiques et temporaires. C’est une demande légitime des entreprises, notamment celles qui sont ouvertes à l’international et qui éprouvent des difficultés à recruter des salariés étrangers, alors que seuls ces salariés permettent de conquérir des marchés, notamment dans leur pays d’origine. Le document préparatoire suggère d’ailleurs, avec beaucoup de précautions, de promouvoir, dans le cadre de l’immigration professionnelle, une politique d’attractivité favorisant l’immigration de travailleurs hautement qualifiés, une sorte « d’immigration choisie » qui ne dirait pas son nom en quelque sorte.
De même, dans une perspective d’attractivité du territoire, on peut réfléchir à simplifier et à faciliter les procédures pour les secteurs d’activité et les emplois pour lesquels notre pays connaît une pénurie de main-d’œuvre. C’est une nécessité pour notre économie et pour nos entreprises qui recherchent, par exemple, des informaticiens ou des techniciens supérieurs. Nous ne pouvons nier cette réalité, qui existe déjà dans des secteurs en tension où les entreprises sont exonérées de la procédure d’autorisation de travail pour recruter plus facilement.
Le document préparatoire à ce débat nous invite à anticiper les pénuries de main-d’œuvre et de compétences qui se feront jour à l’avenir dans certains secteurs professionnels.
Une vision prospective du marché du travail serait sans doute un élément utile, mais veillons à ne pas ouvrir les vannes. L’immigration professionnelle doit rester principalement un moyen de répondre aux difficultés structurelles du marché du travail et, sous certaines conditions strictes, aux réalités conjoncturelles. Revoir régulièrement la liste des métiers ouverts aux étrangers sans opposition de la situation économique pour tenir compte des évolutions du marché du travail peut être une voie à explorer.
Vous nous invitez à réfléchir à des adaptations de la législation pour faciliter l’immigration de salariés étrangers qualifiés. Cela nécessite d’abord une plus grande efficacité et une plus grande fermeté dans la lutte contre le travail illégal et les fraudes. C’est l’une des conditions de l’acceptabilité de l’assouplissement des règles existantes en matière d’immigration professionnelle. Cela pose aussi la question des conditions d’accueil que nous pouvons offrir aux personnes immigrantes pour motifs professionnels.
Abordons maintenant l’immigration étudiante, qui fait l’objet d’un large accord parmi nous. En ce domaine, des mesures ont été récemment annoncées par le Gouvernement. J’y vois là une relation de cause à effet, ces sujets étant plus consensuels.
L’internationalisation des études est un phénomène établi aujourd’hui. Les pays émergents fondent de plus en plus leur développement sur l’élévation de leur niveau de qualification. L’accueil des étudiants étrangers est aujourd’hui un instrument d’influence majeur. Il existe d’ailleurs une concurrence entre les pays développés pour attirer les meilleurs étudiants, en développant des stratégies de recrutement, notamment des étudiants en master et en doctorat, issus des pays cibles, principalement les pays émergents, les BRICS, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Bien entendu, il faut veiller à ce que cela ne s’apparente pas à une fuite des cerveaux des pays en développement.
Tout le monde admet qu’il faut mener une politique ambitieuse pour attirer les meilleurs étudiants, en privilégiant les niveaux master et doctorat et en favorisant les mobilités au travers d’accords entre les établissements d’enseignement supérieur.
Avec près de 290 000 étudiants étrangers dans ses universités et ses grandes écoles, principalement d’ailleurs à un niveau master et doctorat, la France occupe une place honorable, même si elle a perdu du terrain au cours de ces dernières années. Ce serait une erreur pour notre pays de se tenir à l’écart des échanges internationaux d’étudiants, car cela fait partie de la politique d’attractivité d’un pays.
Je pense que cette question fait consensus entre nous : l’accueil des étudiants étrangers bénéficie non seulement au rayonnement de notre culture, mais aussi à la compétitivité de nos entreprises.
Le document préparatoire pointe un certain nombre de questions, notamment les freins posés à l’accueil des étudiants étrangers dans notre pays, malgré le rôle utile joué par Campus France, alors que nous sommes en concurrence avec nos voisins.
Vous avez fait conjointement des annonces la semaine dernière pour renforcer l’attractivité de notre pays, en proposant d’améliorer les conditions d’accueil des étudiants étrangers, notamment en matière de logement, de guichet unique et de formalités administratives. En revanche, reste encore à traiter, semble-t-il, la question des frais de scolarité.
La principale mesure que vous proposez est un titre de séjour pluriannuel, afin d’éviter les complications inutiles et l’accueil déplorable des étudiants étrangers dans les préfectures. Ces annonces ne nous posent pas de difficultés, et elles sont attendues, nous le savons, par la communauté universitaire. Certes ces mesures sont utiles, mais il faut veiller à faire en sorte que l’administration puisse continuer à contrôler la réalité et le sérieux des études entreprises.
Vous le voyez, madame, monsieur les ministres, en matière d’immigration, nous sommes réalistes : nous sommes prêts à discuter des modalités de simplification et d’assouplissement des procédures dans les champs de l’immigration professionnelle et étudiante si, en parallèle, vous poursuivez votre politique de maîtrise des flux migratoires et si vous faites preuve de fermeté dans la lutte contre l’immigration illégale.