Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, hasard du calendrier parlementaire, notre débat de contrôle sur l’application de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 s’ouvre quelques jours après la spectaculaire évasion de Redoine Faïd de la prison de Sequedin, puis les menaces d’évasion proférées par Christophe Khider dans une interview largement relayée par la presse.
De tels épisodes posent à nouveau plusieurs questions que nous avions soulevées l’an dernier dans l’excellent rapport commun présenté en juillet 2012 par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-René Lecerf, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et de la commission des lois.
Parmi ces questions, je citerai en particulier le nécessaire renforcement des moyens de contrôle pour empêcher que des armes, des explosifs ou de la drogue ne soient introduits dans les prisons.
Mais plutôt que de m’arrêter à ce qui relève du fait divers, je crois préférable de nous pencher, ce matin, sur des difficultés plus structurelles qui affectent notre système pénitentiaire et qui ont été très bien diagnostiquées par nos deux rapporteurs.
Sur un sujet aussi sensible, je tiens à saluer non seulement la qualité de leur travail, mais aussi leur grande impartialité et le caractère consensuel de leurs conclusions. Comme j’ai souvent eu l’occasion de le dire, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois s’est fixée pour principe de confier l’évaluation et le contrôle de l’application des lois à des rapporteurs de sensibilités politiques différentes fonctionnant en binômes. Si M. Jean-René Lecerf sera aujourd’hui le seul à intervenir pour présenter ce rapport, c’est parce que sa corapporteur a démissionné de son mandat sénatorial en septembre dernier.
Compte tenu de la brièveté de mon temps de parole, je laisserai M. Jean-René Lecerf détailler les conclusions et les propositions du rapport, et axerai mon propos sur trois observations liminaires.
La première est un constat de lacune, qui est au cœur de la mission que je préside : la non-publication de plusieurs décrets d’application prévus par cette loi, en particulier le décret relatif à la mise en place d’un système d’évaluation indépendante du taux de récidive par établissement pénitentiaire et le décret concernant les règlements intérieurs types par catégorie d’établissement.
Je ne doute pas que l’élaboration de tels dispositifs soit très complexe, mais comment ne pas s’interroger sur ce délai de plus de trois ans – deux ans sous le précédent gouvernement et un an sous celui-ci ? Au-delà du constat, c’est une question qui est posée.
Devons-nous nous résigner à voir les articles 7 et 86 de la loi pénitentiaire rester lettre morte ? Était-ce là la volonté du législateur en 2009 ?
Ma deuxième observation est, en réalité, une question : où en est la réflexion du Gouvernement sur la possibilité d’installer des bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires, recommandation qui figurait dans notre rapport mais qui ne semble pas avoir été suivie d’effet ?
C’est pourtant bien un problème d’application des lois, car, en supprimant les peines complémentaires automatiques lors de la réforme du code pénal, le législateur de 1994 a souhaité préserver l’exercice du droit de vote aux détenus ayant conservé leurs droits civiques. C’est bien d’eux dont il s’agit.
Encore faut-il que ce soit techniquement possible ! Or, dans l’environnement carcéral, proposer aux prisonniers de voter par procuration est-il vraiment réaliste ? À qui donner la procuration ? À un codétenu ? À un gardien ou à un directeur de la prison ? À une personne de la commune où est située la prison, alors que vous n’y avez ni attache personnelle ni lien familial ? C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles, comme la presse l’avait d’ailleurs relevé, la participation des détenus a été aussi faible lors des élections présidentielle et législatives de 2012 : aux alentours de 5 % seulement.
Ma troisième et dernière observation est une exhortation : nous devons – et nous en sommes tous d’accord – « sortir la prison de son enfermement », si vous me permettez l’expression.
Jusqu’à présent, la vie derrière les barreaux est gérée « en circuit fermé », entre le ministère de la justice et les équipes de chaque établissement, avec seulement, de temps à autre, un coup de projecteur médiatique sur quelques problèmes récurrents comme la surpopulation carcérale, les suicides, l’insuffisante prise en charge des détenus et la récidive qu’elle induit.
Or, à partir du moment où la politique pénitentiaire est un élément structurant de régulation sociale, ces questions relèvent d’une responsabilité collective.
Une bonne mise en œuvre de la loi pénitentiaire dans tous ses objectifs doit mobiliser l’ensemble des acteurs publics et de la société civile, les services publics et les collectivités locales, les personnels de santé, les entreprises, les associations, notamment.
C’est, à mon avis, le seul moyen pour que la privation de liberté ne provoque pas une rupture totale des liens entre la personne en prison et son environnement social et familial, avec les conséquences que nous connaissons et que Jean-René Lecerf va développer. §