Séance en hémicycle du 25 avril 2013 à 9h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • détenu
  • prison
  • pénitentiaire
  • récidive

La séance

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La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

L’ordre du jour appelle le débat sur la loi pénitentiaire, organisé à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, de la commission des lois et du groupe du RDSE.

La parole est tout d’abord aux orateurs des commissions et du groupe qui ont demandé ce débat, et en premier lieu à M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, hasard du calendrier parlementaire, notre débat de contrôle sur l’application de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 s’ouvre quelques jours après la spectaculaire évasion de Redoine Faïd de la prison de Sequedin, puis les menaces d’évasion proférées par Christophe Khider dans une interview largement relayée par la presse.

De tels épisodes posent à nouveau plusieurs questions que nous avions soulevées l’an dernier dans l’excellent rapport commun présenté en juillet 2012 par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-René Lecerf, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et de la commission des lois.

Parmi ces questions, je citerai en particulier le nécessaire renforcement des moyens de contrôle pour empêcher que des armes, des explosifs ou de la drogue ne soient introduits dans les prisons.

Mais plutôt que de m’arrêter à ce qui relève du fait divers, je crois préférable de nous pencher, ce matin, sur des difficultés plus structurelles qui affectent notre système pénitentiaire et qui ont été très bien diagnostiquées par nos deux rapporteurs.

Sur un sujet aussi sensible, je tiens à saluer non seulement la qualité de leur travail, mais aussi leur grande impartialité et le caractère consensuel de leurs conclusions. Comme j’ai souvent eu l’occasion de le dire, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois s’est fixée pour principe de confier l’évaluation et le contrôle de l’application des lois à des rapporteurs de sensibilités politiques différentes fonctionnant en binômes. Si M. Jean-René Lecerf sera aujourd’hui le seul à intervenir pour présenter ce rapport, c’est parce que sa corapporteur a démissionné de son mandat sénatorial en septembre dernier.

Compte tenu de la brièveté de mon temps de parole, je laisserai M. Jean-René Lecerf détailler les conclusions et les propositions du rapport, et axerai mon propos sur trois observations liminaires.

La première est un constat de lacune, qui est au cœur de la mission que je préside : la non-publication de plusieurs décrets d’application prévus par cette loi, en particulier le décret relatif à la mise en place d’un système d’évaluation indépendante du taux de récidive par établissement pénitentiaire et le décret concernant les règlements intérieurs types par catégorie d’établissement.

Je ne doute pas que l’élaboration de tels dispositifs soit très complexe, mais comment ne pas s’interroger sur ce délai de plus de trois ans – deux ans sous le précédent gouvernement et un an sous celui-ci ? Au-delà du constat, c’est une question qui est posée.

Devons-nous nous résigner à voir les articles 7 et 86 de la loi pénitentiaire rester lettre morte ? Était-ce là la volonté du législateur en 2009 ?

Ma deuxième observation est, en réalité, une question : où en est la réflexion du Gouvernement sur la possibilité d’installer des bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires, recommandation qui figurait dans notre rapport mais qui ne semble pas avoir été suivie d’effet ?

C’est pourtant bien un problème d’application des lois, car, en supprimant les peines complémentaires automatiques lors de la réforme du code pénal, le législateur de 1994 a souhaité préserver l’exercice du droit de vote aux détenus ayant conservé leurs droits civiques. C’est bien d’eux dont il s’agit.

Encore faut-il que ce soit techniquement possible ! Or, dans l’environnement carcéral, proposer aux prisonniers de voter par procuration est-il vraiment réaliste ? À qui donner la procuration ? À un codétenu ? À un gardien ou à un directeur de la prison ? À une personne de la commune où est située la prison, alors que vous n’y avez ni attache personnelle ni lien familial ? C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles, comme la presse l’avait d’ailleurs relevé, la participation des détenus a été aussi faible lors des élections présidentielle et législatives de 2012 : aux alentours de 5 % seulement.

Ma troisième et dernière observation est une exhortation : nous devons – et nous en sommes tous d’accord – « sortir la prison de son enfermement », si vous me permettez l’expression.

Jusqu’à présent, la vie derrière les barreaux est gérée « en circuit fermé », entre le ministère de la justice et les équipes de chaque établissement, avec seulement, de temps à autre, un coup de projecteur médiatique sur quelques problèmes récurrents comme la surpopulation carcérale, les suicides, l’insuffisante prise en charge des détenus et la récidive qu’elle induit.

Or, à partir du moment où la politique pénitentiaire est un élément structurant de régulation sociale, ces questions relèvent d’une responsabilité collective.

Une bonne mise en œuvre de la loi pénitentiaire dans tous ses objectifs doit mobiliser l’ensemble des acteurs publics et de la société civile, les services publics et les collectivités locales, les personnels de santé, les entreprises, les associations, notamment.

C’est, à mon avis, le seul moyen pour que la privation de liberté ne provoque pas une rupture totale des liens entre la personne en prison et son environnement social et familial, avec les conséquences que nous connaissons et que Jean-René Lecerf va développer. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président de la commission sénatoriale pour l’application des lois, mes chers collègues, en juillet 2012, Nicole Borvo Cohen-Seat et moi-même présentions un rapport d’information sur l’application de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.

Écrit à quatre mains, ce rapport nous engage l’un comme l’autre de la même manière, ce qui lui donne sans doute une autorité renforcée. N’est-ce pas un atout supplémentaire du Sénat, assez ancré me semble-t-il dans la culture de la Haute Assemblée, que de parvenir à des propositions consensuelles dont nous nous étions d’ailleurs entretenus avec vous, madame la ministre, peu de temps après votre arrivée à la Chancellerie ?

Dans ce contrôle de l’application de la loi pénitentiaire près de trois ans après la promulgation de ce texte, dans l’exercice de cet indispensable « service après vote », nous regrettions, c’est vrai, les retards dans la prise d’un certain nombre de textes d’application.

Apparemment, rien n’a changé, madame la ministre, mais j’espère que vous aurez de bonnes nouvelles à nous apporter !

Nous attendions un décret sur les règlements intérieurs types par catégorie d’établissement pénitentiaire. En effet, d’une prison à l’autre, les régimes de détention peuvent beaucoup varier selon la personnalité du chef d’établissement, l’histoire ou la culture locale. Il en résulte des différences de traitement ressenties, notamment à l’occasion d’un transfert, comme une forme d’arbitraire. Nous attendons toujours !

De même, le législateur avait souhaité la mise en place d’une évaluation indépendante des taux de récidive par établissement pour peine. Nous attendons encore ! Il ne s’agissait pas d’instaurer je ne sais quel hit-parade des meilleures prisons. Ce que nous voulions, c’est tout simplement disposer d’éléments d’appréciation des conditions de détention et de leurs effets sur la récidive et sur la réinsertion. Cela nous permettrait, par exemple, de formuler des jugements plus objectifs sur des initiatives particulièrement intéressantes comme la prison ouverte de Casabianda et de savoir s’il convient ou non de développer ce type d’innovation.

Timidement, la loi pénitentiaire instaurait, en outre, une consultation des détenus sur les activités qui leur sont proposées. Je sais que ce thème vous intéresse, madame la ministre, mais, sur ce point aussi, l’attente continue.

En outre, d’autres dispositions font l’objet d’une application que l’on peut qualifier de trop mesurée, pour ne pas dire d’évanescente.

Il en va ainsi de l’obligation d’activité. Difficilement imposée par le Sénat, elle fait aujourd’hui l’objet d’un vaste consensus, mais sa généralisation exige une volonté politique sans faille. Dans l’esprit du législateur, elle consiste essentiellement dans un travail carcéral ou une formation professionnelle garante des meilleures chances de réinsertion.

Des initiatives innovantes ont été prises – mise en place, ici, d’une plate-forme de tri sélectif des déchets, là, d’un centre d’appel, ou encore d’une liaison avec le monde de l’entreprise et de l’artisanat –, mais bien des efforts restent à accomplir.

Nicole Borvo Cohen-Seat et moi-même avions suggéré, par exemple, que, même dans les établissements privés, les chefs d’établissement s’impliquent dans la prospection d’entreprises concessionnaires auprès des chambres de commerce et d’industrie, des chambres de métiers et du patronat local, car leur rôle est irremplaçable.

Nous demandions que l’on soit très vigilant, dans les nouveaux établissements, aux locaux et aux ateliers adaptés au développement d’activités. C’est souvent le cas, mais pas toujours.

Nous demandions aussi que l’on concrétise enfin la promesse faite par vos prédécesseurs, madame le ministre, d’instaurer une priorité pour les productions des établissements pénitentiaires dans le cadre des marchés publics, ce qui impose, on le sait, une innovation en matière règlementaire.

S’agissant de la formation professionnelle des personnes détenues, nous pensons que celle-ci gagnerait à être confiée aux régions. Or l’expérimentation souhaitée au travers de la loi pénitentiaire s’est heurtée à un obstacle imprévu : la nécessité d’indemniser les partenaires privés des établissements en gestion déléguée compétents en matière de formation. Il importe de modifier les cahiers des charges à cet égard.

Je voudrais maintenant aborder un point très sensible, encore exacerbé par l’évasion récente de la maison d’arrêt de Lille-Sequedin : le régime des fouilles, qui représente un sujet de crispation majeure avec les personnels de surveillance.

S’il a interdit les fouilles corporelles internes, sauf autorisation d’un magistrat et réalisation par un médecin extérieur à l’établissement, le législateur n’a pas interdit les fouilles intégrales, mais seulement leur caractère systématique.

Ces fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre.

Ces dispositions de nature à protéger la dignité de chacun et à limiter le risque suicidaire, si préoccupant dans notre pays, doivent être maintenues et appliquée. Vos co-rapporteurs estimaient que l’indispensable conciliation des principes de sécurité et de respect de la dignité imposait le recours à des portiques à ondes millimétriques permettant de visualiser les contenus des corps et de repérer la présence à la fois d’objets dangereux et de substances illicites, sans que la personne détenue ait besoin de se dévêtir, à l’instar de ce qui existe dans nombre d’aéroports.

Que l’on arrête, madame le ministre, de nous dire que ces scanners corporels coûtent trop cher ! Le prix de 150 000 euros, dont le montant serait revu à la baisse si l’administration pénitentiaire en acquérait le nombre nécessaire, ne correspond qu’à peine au prix d’une place de prison supplémentaire.

En outre, on sait bien que c’est par les projections qu’atterrit dans les cours de promenade l’essentiel des objets les plus dangereux. Il faut à la fois multiplier et élever des filets de protection, et donner des consignes strictes aux forces de l’ordre, police et gendarmerie, pour opérer aux heures de promenade les surveillances nécessaires et les arrestations indispensables.

Enfin, à lire certains journaux, on pourrait croire que l’on s’évade avec une extrême facilité des prisons de la République, alors qu’elles sont, sur ce point, parmi les plus sûres de la planète. Je suis, pour ma part, toujours étonné, au sens ancien du terme, de la disproportion des réactions médiatiques que suscitent, d’un côté, cent suicides, de l’autre, une seule évasion.

Pour lutter contre la surpopulation carcérale et permettre d’aller vers l’encellulement individuel qui, seul, limitera le caïdat, l’exploitation des plus faibles et la présence trop fréquente, dans les prisons, de lieux de non-droit, la loi pénitentiaire a posé deux principes fondamentaux.

En matière correctionnelle, et en dehors des condamnations en récidive légale, une peine d’emprisonnement ferme ne peut être prononcée qu’en dernier recours. Lorsqu’une telle peine est prononcée, elle doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, faire l’objet d’un aménagement de peine.

L’étude d’impact annexée à la loi pénitentiaire estimait cependant nécessaire de réduire de 80 à 60 le nombre de dossiers suivis par chaque conseiller d’insertion et de probation, ce qui supposait la création de 1 000 postes supplémentaires.

Nous en sommes bien loin. Dans ces conditions, la nécessaire diversification des aménagements de peines n’a pu s’opérer.

Si le placement sous surveillance électronique s’est développé dans des proportions considérables, ce ne fut le cas ni du placement à l’extérieur, ni de la semi-liberté, ni de la libération conditionnelle, qui constituent pourtant les mesures à la fois les plus adaptées aux personnes les plus vulnérables et les plus efficaces pour lutter contre la récidive.

Permettez-moi de rappeler avec force que, de la même manière qu’une politique pénitentiaire ne saurait se réduire à l’évolution des capacités de détention, la politique d’aménagement de peine ne se résume pas à l’augmentation du nombre de bracelets électroniques.

Pardonnez-moi aussi de ne pas recenser tout ce qui donne largement satisfaction parmi les innovations de la loi pénitentiaire : la présence des assesseurs extérieurs à l’administration, auxquels nous souhaiterions conférer une voix délibérative dans le cadre de la procédure disciplinaire ; l’attention renouvelée aux liens familiaux, avec la multiplication des unités de vie familiale et des parloirs familiaux...

Notre rôle n’est-il pas davantage d’insister sur ce qui pose problème ?

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

C’est bien dommage !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Nous souhaitions, encore, une meilleure prise en compte de la maladie mentale en prison, qui pourrait commencer par l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale de la proposition de loi, adoptée par le Sénat à la quasi-unanimité le 25 janvier 2011, contre l’avis du Gouvernement, relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, tout en renforçant leurs obligations de soins.

Enfin, permettez-moi, madame le ministre, de redevenir un instant sénateur du Nord pour vous rappeler que se trouve, dans les deux départements de la région Nord-Pas-de-Calais, le tiers des matelas à terre des prisons de la République. C’est dire le caractère insupportable, dans le Nord, de la surpopulation carcérale, ce qui explique aussi en partie l’affaire de Sequedin.

Si vous pouviez accélérer, madame le ministre, la décision indispensable de reconstruction de la prison de Loos-lez-Lille, votre décision serait unanimement appréciée.

Mes chers collègues, lors de la discussion générale qui ouvrait les débats sur le projet de loi pénitentiaire, j’avais confié que si cette loi était un échec, ce serait la pire déception de mon mandat de sénateur. Notre ancien et illustre collègue Robert Badinter m’avait quelque peu rassuré, en déclarant à la fin de nos travaux sa conviction qu’il s’agissait d’une grande loi marquant le moment où l’état de droit aura cessé d’être seulement une référence pour devenir une réalité dans l’univers carcéral.

Je sais bien que le combat est loin d’être terminé pour que nos prisons cessent à tout jamais d’être cette « humiliation pour la République » que vous dénonciez, cher Jean-Jacques Hyest, voilà treize ans, lorsque nous entrions dans le XXIe siècle. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la privation de liberté ne peut, et ne doit jamais, se traduire par le retrait des droits fondamentaux de la personne humaine.

La question pénitentiaire a toujours constitué une préoccupation forte pour le groupe que j’ai l’honneur de présider, soucieux en toutes circonstances de défendre la dignité de la personne humaine, et ce quels que soient les individus et leur parcours.

Je rappelle à la Haute Assemblée que notre groupe avait pris l’initiative en 2000, sous l’impulsion du président Guy-Pierre Cabanel, de la création de la commission d’enquête sur les prisons. Le sous-titre de son rapport, « Une humiliation pour la République » – je salue, à cet égard, le travail accompli alors par Jean-Jacques Hyest ! –, en disait long sur l’état catastrophique de nos établissements pénitentiaires, laissés pendant des décennies en déshérence par les pouvoirs publics, quelle que soit la sensibilité des gouvernements en place.

Ce choc pour l’opinion publique et les politiques fut-il pour autant salutaire ? Sur la base du constat que nous faisons, nous sommes, hélas ! plutôt pessimistes.

Je tiens à saluer, à ce stade de mon intervention, ceux qui ont accompli ce travail, le président Jean-Jacques Hyest, mais aussi Jean-René Lecerf, qui – je le dis avec beaucoup de conviction – a mis ses qualités intellectuelles et humaines au service d’une grande cause, pour faire une grande loi.

Vous comprendrez donc qu’il était pour nous évident de demander que se tienne aujourd’hui, devant le Sénat, ce débat sur la politique pénitentiaire, à la fois pour que soit dressé un bilan des travaux menés ces dernières années – il serait injuste de dire que rien n’a été fait ! –, en particulier depuis l’adoption de la loi pénitentiaire, et pour que vous nous présentiez, madame le garde des sceaux, les orientations que vous souhaitez mettre en œuvre.

Avec près de 67 000 détenus au 1er mars dernier, la surpopulation carcérale continue d’être la règle. Entre le 1er janvier 2002 et le 1er janvier 2012, le nombre de personnes placées sous écrou est passé de 48 594 à 73 780, soit une hausse de 52 %, et le nombre de personnes détenues de 48 296 à 64 787, soit un accroissement de 34 % : le taux de détention est ainsi passé de 79 pour 100 000 habitants voilà dix ans, à 99 pour 100 000 en 2012. Enfin, le taux moyen d’occupation de nos prisons – vous le savez mieux que quiconque, madame le garde des sceaux – atteint 118, 8 %.

Il est indéniable que le phénomène a pris une ampleur particulièrement inquiétante depuis plusieurs années. La population carcérale est aujourd’hui très largement supérieure aux capacités d’hébergement des 191 établissements pénitentiaires français et de leurs 57 000 places. Les chiffres de la densité carcérale illustrent ce constat : 12 établissements ou quartiers ont une densité supérieure à 200 %, et 31 une densité comprise entre 150 % et 200 %.

Ce phénomène n’est certes pas spécifiquement français. Nos voisins, l’Italie et la Belgique, connaissent des taux d’occupation comparables, mais ce n’est ni une référence ni une satisfaction.

Dès 1999, la recommandation n° 22 du comité des ministres du Conseil de l’Europe constatait déjà que la surpopulation carcérale constituait « un défi majeur pour les administrations pénitentiaires et l’ensemble du système de justice pénale ». Pour autant, la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, lancée depuis quelques années, ne s’est pas traduite par la disparition de la surpopulation carcérale. En effet, construire de nouveaux établissements et augmenter considérablement, dans le même temps, le nombre de peines de prison ferme, c’est une course à la mer qui ne prend, hélas ! jamais fin.

Les maisons d’arrêt en sont les principales victimes, avec un taux moyen d’occupation de 135 %. Ce taux s’élève même, pour l’une d’entre elles, à 306 %. Pour celle de Béthune, il est de 246 % ... je ne multiplierai pas les exemples, car vous connaissez ces chiffres tout comme moi.

Les conséquences de cette situation sont inacceptables, unanimement réprouvées, comme ne manque pas de le répéter le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, auquel je tiens à rendre ici un hommage particulier pour l’immense qualité de son travail et pour son courage. Il serait très important, madame le garde des sceaux, que nous tenions tous compte des conclusions figurant dans son rapport annuel.

Ce qui figure dans ce rapport d’activité est édifiant. Qui peut encore faire comme si cela n’existait pas ?

L’article 1er de la loi pénitentiaire de 2009 résume en quelques mots ce sur quoi nous sommes presque unanimement d’accord : « Le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime » – il ne faut jamais oublier les victimes – « avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue [...] et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». Tout est dit.

Or, après une visite à la prison des Baumettes, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté évoquait de nouveau « une violation grave des droits fondamentaux, notamment au regard de l’obligation, incombant aux autorités publiques, de préserver les personnes détenues, en application des règles de droit applicables, de tout traitement inhumain et dégradant ». Comment parvenir à réinsérer avec des traitements inhumains et dégradants ?

Ces violations, nous les connaissons : la promiscuité et l’absence d’intimité, qui obligent – Jean-René Lecerf vient de le rappeler – des détenus à dormir par terre, l’insalubrité, avec des conditions d’hygiène dignes d’un autre siècle, l’oisiveté forcée, la non-application du droit du travail pénitentiaire, l’utilisation abusive et humiliante des fouilles malgré leur strict encadrement – là encore, Jean-René Lecerf a très clairement réaffirmé ce qu’il convenait de faire, tout en préservant bien évidemment la sécurité des agents de l’administration –, le développement des pathologies, en particulier mentales – la question de la psychiatrie en prison est prégnante.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Il s’agit là d’un problème tout à fait fondamental auquel nous devons nous attaquer pour de bon, car la situation est intenable pour tout le monde.

Tous ces éléments combinés aboutissent à générer de la violence, dont sont victimes à la fois les détenus et les personnels de l’administration pénitentiaire qui accomplissent – là aussi, nous le savons tous – leur travail dans des conditions particulièrement éprouvantes.

Madame la garde des sceaux, il faut passer aux actes, et je sais pouvoir compter sur votre détermination ; nous la connaissons.

Vous avez dévoilé le 9 janvier dernier à Marseille votre vision d’une politique pénitentiaire rénovée, incluant des « projets immobiliers pensés et des peines efficaces, générant de la sécurité ».

Nous en sommes arrivés à cette situation pour des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles : structurelles, car la peine privative de liberté demeure la peine de référence de notre droit pénal, la moitié des condamnations délictuelles comportant encore une peine de prison, ferme ou avec sursis ; conjoncturelles, car nous payons aussi aujourd’hui la facture d’une politique pénale menée ces dernières années qui ne s’est jamais interrogée, ou pas suffisamment, sur le sens profond de l’emprisonnement. La volonté incantatoire de combattre l’insécurité s’est ainsi traduite, à partir de 2002, par la mise en œuvre d’une politique pénale essentiellement répressive, dictée trop souvent par les faits divers – nous l’avons tous souligné ici. Légiférer par l’émotion n’a jamais été une façon d’élaborer de bonnes lois.

De nombreux éléments ont contribué à cette politique hémiplégique, qui a oublié que l’aspect préventif participait de la lutte contre la délinquance : correctionnalisation croissante des infractions, développement de la comparution immédiate, durcissement de la répression de la récidive et des circonstances aggravantes, affaiblissement du volet préventif de la justice des mineurs. Deux mesures sont à cet égard particulièrement symboliques de ce populisme pénal : les peines planchers et la rétention de sûreté.

N’oublions pas non plus les 30 000 places de prison que l’ancien président de la République souhaitait faire construire d’ici à 2017 dans des établissements de 600 à 800 places, alors que ces programmes immobiliers trop importants entraînent, nous le savons tous, des difficultés particulières en matière de gestion.

Sur le plan de la politique pénitentiaire, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 était porteuse de nombreuses promesses, à contre-courant du climat ultra-sécuritaire qui prévalait alors. Le Parlement avait bien travaillé, dans un esprit consensuel. Ce texte est un cadre de référence pour l’ensemble de tous les acteurs de la chaîne pénale.

Nous souhaitons donc aujourd'hui que cette loi, quatre ans après son adoption, atteigne ses objectifs. Y a-t-il eu manque de moyens, manque d’ambition ? Je ne reviendrai pas sur les conclusions de l’excellent rapport d’information de Nicole Borvo Cohen-Seat et de Jean-René Lecerf. Tout y est, madame la garde des sceaux : de la sagesse, des propositions.

Nous savons que cela ne se fera pas en un jour, cela demande du temps. Cela suppose en revanche une volonté et des objectifs et, madame la garde des sceaux, c’est ce que nous attendons de vous.

Je conclurai en vous invitant à réfléchir sur les propos d’un détenu recueillis dans D’une prison, l’autre, documentaire tourné en 2009 : « La prison n’est qu’un reflet démesurément grandi de la société qui produit ceux qu’elle incarcère. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Dans la suite du débat, la parole est à Mme Esther Benbassa.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, « l’institution carcérale a beau être régulièrement l’objet de scandales, les enfermés demeurent transparents », écrivait Philippe Artières en 2006.

Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que la France ait attendu en vain une grande réforme pénitentiaire pendant des décennies. Lionel Jospin l’a promise, puis enterrée. Jacques Chirac l’a oubliée. Nicolas Sarkozy l’a finalement réduite à rien.

La loi pénitentiaire, entrée en vigueur le 24 novembre 2009, n’a en effet manifestement pas rencontré les attentes que l’on aurait pu placer en elle. Elle devait marquer un tournant, répondre à l’urgence d’un état des lieux désastreux pour les prisons françaises et mettre le droit français en conformité avec les règles européennes adoptées en 2006.

La déception était immense au regard des questions cruciales que cette réforme esquivait. Réinsertion, droit du travail en détention, santé, prévention des suicides, libération conditionnelle, maintien des relations familiales, droit à la sexualité, autant de sujets qu’il était urgent d’aborder et qui n’avaient pas trouvé leur place dans cette loi.

S’agissant de la surpopulation, comme en 2002, comme en 2003, un moratoire repoussait à plus tard l’adoption de l’encellulement individuel, et les quelques milliers de détenus en surnombre continuaient à dormir sur des matelas à même le sol. Comme alors, notre conviction est que le meilleur moyen de lutter contre la surpopulation carcérale consiste à ne pas enfermer les personnes qui n’ont rien à faire en prison : les malades mentaux, les sans-papiers, les personnes condamnées à de courtes peines, etc.

Pour éviter cette inflation, ne faut-il pas refuser les peines planchers et cette forme de justice d’abattage que constituent les comparutions immédiates ?

Construire toujours plus de prisons n’est pas une solution. En outre, les moyens affectés à ces nouveaux établissements seraient assurément bien plus utiles s’ils servaient à améliorer le quotidien des détenus, des personnels pénitentiaires ou des travailleurs sociaux qui y exercent.

Les écologistes, doutant de l’efficacité du texte de 2009, se sont félicités que la commission des lois et la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois confient une mission d’évaluation de son application à nos collègues Nicole Borvo Cohen-Seat et Jean-René Lecerf.

Les conclusions de ce rapport d’information, remis au mois de juillet 2012, qui sont à l’origine de ce débat ne sont guère surprenantes. Elles démontrent une fois de plus, si cela était nécessaire, que notre société et, en premier lieu, le législateur doivent sans délai se saisir de la question et envisager enfin une réforme en profondeur.

Les auteurs de ce rapport d’information pointent des retards dans la promulgation de certains décrets d’application, en particulier dans celle du décret sur la mise en place d’une évaluation statistique rigoureuse des taux de récidive par établissement pour peine et de celui sur l’élaboration de « règlements intérieurs types ». Ils soulignent également les problèmes de moyens : pour appliquer la loi, 1 000 conseillers d’insertion et de probation étaient nécessaires. Or moins d’un tiers ont été recrutés, et ce alors même que la population carcérale n’a cessé d’augmenter.

Nos collègues formulent diverses propositions. J’en cite quelques-unes : instaurer un revenu minimum carcéral, rendre possible un recours en référé pour le placement en quartier disciplinaire, installer des bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires, permettre, en l’encadrant, l’expression collective des détenus, élargir le droit de préférence dans le cadre des marchés publics aux entreprises concessionnaires en détention, modifier le code de procédure pénale pour que la libération conditionnelle puisse s’appliquer à toutes les personnes âgées de plus de soixante-dix ans, y compris celles qui relèvent d’une période de sûreté, prévoir un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif médical grave. Je rappelle que l’État français a été condamné à plusieurs reprises pour le traitement infligé à ses détenus les plus âgés.

Selon l’Observatoire international des prisons, la France se classe, s’agissant du traitement réservé aux détenus, loin derrière tous ses voisins européens et même loin derrière bien des pays moins riches et moins démocratiques.

La République peut-elle indéfiniment fermer les yeux sur ce qui se passe « derrière les murs gris de ses prisons indignes » ?

La France, patrie des droits de l’homme, peut-elle indéfiniment repousser le moment de réformer en profondeur un droit et un état des lieux pénitentiaires en contradiction flagrante avec les principes qu’elle prétend incarner ?

Les réformes ne doivent pas se superposer mécaniquement aux dispositions déjà en vigueur. Le gouvernement actuel, marquant une rupture avec ses prédécesseurs, doit renoncer à l’empilement baroque que nous avons connu avec, de 2005 à 2008, pas moins de dix-huit nouvelles lois pénales, souvent conçues sous l’effet de l’émotion produite par un fait divers et ayant principalement pour objectif « la lutte contre la récidive, la criminalité sexuelle et la délinquance des mineurs ».

Cette inflation législative est loin d’avoir fait ses preuves. Le tout-répressif n’a pas fonctionné. Aujourd'hui, il est urgent de donner tous les moyens nécessaires à la réinsertion, qui reste le meilleur outil de lutte contre la récidive.

Pour toutes ces raisons, madame la garde des sceaux, le groupe écologiste attend de vous que vous précisiez le calendrier et le périmètre de votre projet. Vous savez pouvoir compter sur notre soutien... et sur notre force de proposition. §

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en matière de politique pénitentiaire et de droit des détenus, les gouvernements précédents sont restés sourds aux alertes de l’Observatoire international des prisons et à celles de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Nous les avons pourtant relayées tant bien que mal, mais la majorité d’hier, arc-boutée sur ses positions, les a repoussées à chaque fois d’un revers de main.

La frénésie législative en matière de politique pénale visant à réprimer plus et à emprisonner plus masquait en réalité – on le constate aujourd’hui – une incapacité à comprendre et à résoudre les véritables problèmes liés à la délinquance, à la récidive et, plus largement, à la politique pénitentiaire.

Aussi, madame la garde des sceaux, vous vous retrouvez avec un dossier délicat, car malmené durant des années. Vous avez réfléchi à des réformes, notamment lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, et nous aurons bientôt l’occasion d’en débattre dans cette assemblée. Le travail sera long et complexe sur certains points, peut-être plus facile sur d’autres. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, il y a urgence, car il s’agit de vie et de dignité humaines.

Le rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois relatif à la loi pénitentiaire, corédigé par Nicole Borvo Cohen-Seat et Jean-René Lecerf, fait, trois ans après la promulgation de ce texte, le constat que son application « se heurte encore à de nombreux obstacles ». Ses auteurs formulent de nombreuses recommandations pour que la France n’ait plus à rougir de ses prisons.

Je vous en épargnerai l’inventaire exhaustif, mes chers collègues – j’imagine que vous connaissez ces recommandations –, pour me concentrer sur certains points qui méritent le plus grand intérêt, en vous demandant sur chacun d’eux, madame la ministre, quels sont les objectifs du Gouvernement et les échéances éventuelles qui ont été fixées.

Pour chacune de nos interrogations, la question des moyens est évidemment au centre du débat, car, sans un financement approprié, la mise en œuvre d’une véritable politique pénitentiaire tournée vers la réinsertion des détenus sera impossible et toutes les déclarations resteront lettre morte, à l’instar de la plupart des dispositions de la loi pénitentiaire de 2009, qui nous avait pourtant donné l’espoir de voir les choses évoluer rapidement.

Cette loi avait ainsi acté le recrutement de 1 000 conseillers d’insertion et de probation supplémentaires. Aujourd’hui, nous sommes loin du compte !

La question des fouilles intégrales, sujet d’actualité depuis l’évasion récente d’un détenu à Lille-Sequedin, bute aussi sur un problème de moyens.

Le rapport constate que, à rebours des décisions prises en 2009, les pratiques en la matière n’ont pas changé dans les centres pénitentiaires. Il préconise d’investir dans des portiques à ondes millimétriques, lesquels permettent de visualiser les contenus du corps et de repérer la présence de substances illicites ou d’objets dangereux sans que la personne détenue ait besoin de se dévêtir, et donc de se déshumaniser. Cet investissement nous semble nécessaire et devrait permettre de concilier les principes de sécurité et de respect de la dignité de la personne.

Sur la question de l’insalubrité, nous ne pouvons plus nous accommoder des conditions de détention indignes qui ont cours dans de nombreux établissements pénitentiaires. La prison des Baumettes a souvent été citée ces derniers mois, mais, malheureusement, de nombreux établissements pénitentiaires sont dans la même situation. La succession de condamnations de l’État par les juridictions administratives pour avoir imposé des « conditions de détention n’assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » sont là pour nous le rappeler.

Dans certaines prisons, des travaux ont été entrepris, et vous pourriez peut-être, madame la ministre, nous préciser d’ores et déjà quelles sont les prochaines sur la liste. Je rejoins ainsi la demande qui a été formulée par l’Observatoire international des prisons, l’OIP.

Si nous voulons continuer à concevoir la peine comme un temps pour se reconstruire et se réinsérer, il nous faut agir. Il faut aménager la vie en prison de manière aussi proche que possible de la vie en société. L’OIP appelle ainsi à développer une politique de « sécurité dynamique » dans les établissements pénitentiaires, rejoignant ainsi une préconisation du Conseil de l’Europe. Elle consiste à privilégier la prévention et la communication avec les détenus et à ne pas se limiter à la mise en œuvre de mesures de sécurité défensives et de coercition. « Le bon ordre, dans tous ses aspects, a des chances d’être obtenu lorsqu’il existe des voies de communication claires entre toutes les parties », indiquent les règles pénitentiaires européennes.

Cette approche de sécurité dynamique implique un aménagement de la vie en prison « de manière aussi proche que possible des réalités de la vie sociale, une détention dans des conditions matérielles appropriées », la mise en œuvre « d’occasions de développement physique, intellectuel et émotionnel ». Cela a été dit, mais il faut aussi des lieux qui permettent de mettre en œuvre ces mesures.

Dans cette perspective, le droit de communiquer avec l’extérieur ou de recevoir des visites, réaffirmé à de nombreuses reprises, mais soumis à de nombreuses restrictions, doit faire l’objet d’une politique volontariste, car l’on se heurte là aussi au manque de création des unités de vie familiales promises par la loi pénitentiaire et dont seuls dix-sept établissements sont dotés pour l’instant.

Enfin, il nous faut supprimer purement et simplement le « mitard » ou quartier disciplinaire, véritable prison dans la prison, lieu mortifère, déshumanisant et indigne d’un pays qui se prévaut d’être la patrie des droits de l’homme.

Je ne reviens pas ici, faute de temps, sur les nombreux suicides que dénonce le rapport de la direction de l’administration pénitentiaire rendu le 28 mars dernier. Ils sont malheureusement révélateurs des conditions de détention dans notre pays.

Toujours dans une perspective de réinsertion, nous ne pouvons que déplorer le fait que le travail en prison reste soustrait à l’application du droit commun, et s’exerce dans des conditions parfois dignes du XIXe siècle.

La loi pénitentiaire a été une occasion manquée de satisfaire aux exigences de l’Observatoire international du travail, tendant à offrir aux personnes détenues des garanties similaires aux travailleurs libres en matière de rémunération, de protection sociale et de sécurité au travail, ce qui, sans aucun doute, ne peut que contribuer à favoriser la réinsertion nécessaire des détenus.

Deux actualités juridiques pourraient être à l’origine d’une évolution sur ce point. En effet, en février 2013, le Conseil des prud’hommes de Paris a condamné une entreprise pour non-respect des procédures de licenciement à l’égard d’une détenue, alors que les juridictions prud’homales avaient toujours refusé de se prononcer sur le travail en prison.

En mars, une question prioritaire de constitutionnalité a été transmise au Conseil constitutionnel, mettant en cause la légalité de l’absence de contrat de travail en prison. Nous espérons qu’elle aboutira à une décision favorable aux détenus, car l’état de détention ne justifie pas de priver le détenu de contrat de travail et de tous les droits sociaux y afférents, affirmés par le préambule de la constitution de 1946.

Alors que le seul objectif de l’ancien gouvernement était de mener à bien sa politique de l’enfermement, nous avons entendu et approuvons votre volonté de rompre avec cette logique, madame la ministre, et nous l’approuvons. Il faut persévérer dans cet objectif d’évitement de l’emprisonnement, lequel tend à aggraver la situation sociale, psychique et familiale des personnes, à perpétuer les phénomènes de violence et à renforcer les personnes dans un statut de délinquant.

En ce sens, les peines alternatives doivent être privilégiées et l’emprisonnement doit constituer un dernier recours, comme l’affirme la loi pénitentiaire et, plus récemment, les travaux de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, avec comme perspective la suppression des peines planchers et la mise en place du système de « probation »…

Nous devons réussir ensemble, madame la ministre, en nous appuyant aussi sur l’expertise des nombreux organismes et associations présents au quotidien sur le terrain, tels que l’OIP, la Protection judiciaire de la jeunesse, la Ligue des droits de l’homme ou encore la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Nous devons donner à la politique pénitentiaire une orientation qui concilie humanité, respect des droits des détenus et sécurité des citoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en matière pénitentiaire, les gouvernements passent mais les problèmes demeurent !

Sans tomber dans les poncifs habituels, il me semble toutefois que, si l’on accepte de regarder ce qui se passe ailleurs en Europe, la France connaît en la matière des difficultés qui lui sont propres.

Je voudrais donc à travers ma brève intervention esquisser quelques pistes concrètes qui pourraient être suivies dans le cadre budgétaire strict que nous connaissons.

Au préalable, je rappellerai que j’ai été amené, en 2009, à défendre le projet de loi pénitentiaire au nom du Gouvernement. Je me souviens des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale et au Sénat, et je crois qu’ils devraient nous inciter, les uns et les autres, trois ans après, à faire preuve d’une certaine modestie.

Je suis fier d’avoir défendu ce texte, qui avait tout de même pour ambition de présenter un cadre de référence pour le service public pénitentiaire, de clarifier ses missions, d’améliorer la reconnaissance des personnels, de régir la condition juridique de la personne détenue dans l’exercice de ses droits et de prévenir la récidive, notamment au moyen de dispositions relatives aux aménagements de peines.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Des efforts budgétaires ont certes été consentis, hier comme aujourd’hui, dans un contexte strict. Le rapport d’information de M. Lecerf et de Mme Borvo Cohen-Seat présente par ailleurs des recommandations que nous pouvons tous approuver. Pourtant, le problème carcéral reste entier.

Je partage, madame la garde des sceaux, vos propos sur la nécessité de développer encore davantage les alternatives à la prison. Reconnaissons toutefois, au-delà des discours idéologiques, que le précédent gouvernement avait déjà commencé à s’atteler à cette tâche : l’accroissement des alternatives à la prison sous la précédente législature était déjà considérable, du jamais vu ! Vous voulez aller plus loin encore ; c’est formidable ! Toutefois, in fine, le problème carcéral subsistera ; ne nous leurrons pas.

J’aurais pu revenir ce matin sur l’introduction dans la loi pénitentiaire, à l’époque, sur l’initiative du Sénat, de l’obligation d’activité. Il est vrai que l’on n’a pas vraiment su mettre en œuvre cet élément essentiel dans un contexte difficile.

Mais je voudrais surtout concentrer mon propos sur le modèle des prisons ouvertes. Sans être « un remède miracle » – j’en suis conscient –, ce modèle permettrait néanmoins d’apporter des réponses pertinentes et cohérentes à certaines difficultés que je viens de mentionner. Il permettrait aussi de mettre en œuvre certaines avancées esquissées dans la loi pénitentiaire, notamment en termes de travail des détenus, et certaines propositions avancées dans le rapport de M. Jean-René Lecerf et de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Il s’agit là d’un modèle d’établissement dans lequel les mesures préventives contre l’évasion ne résident non pas dans des obstacles matériels tels que des murs, serrures, barreaux ou gardes supplémentaires, mais dans une approche partagée de la détention.

Nous n’en avons pour le moment qu’un seul exemple dans notre parc pénitentiaire, le centre de détention de Casabianda, en Corse, qui faisait figure de pionnier à la fin des années quarante.

Toutefois, depuis 1949, la quasi-totalité des autres pays européens ont développé ce concept de régime ouvert. Dans les pays scandinaves, notamment en Norvège, il constitue presque la norme, avec près de 20 à 30 % de la population carcérale qui se trouve en prison ouverte. J’ai visité des centres de ce type tout près de chez nous, en Suisse, en Autriche ou au Luxembourg. Ces pays, qui ne sont pas toujours très progressistes par ailleurs, ont franchi le pas.

L’exemple du Luxembourg, avec la coexistence de deux prisons, l’une fermée, l’autre ouverte, est intéressant et a contribué à modifier ma vision des choses. Je pensais auparavant que seul un certain type de prisonniers pouvait profiter du régime ouvert, et j’ai découvert au Luxembourg que même des toxicomanes en bénéficiaient. On peut donc aller très loin dans ce concept, à condition d’avoir un régime différencié.

C’est dans cet esprit que, en 2010, secrétaire d’État à la justice, j’avais demandé à un universitaire, M. Paul-Roger Gontard, de rédiger un rapport sur ce que pourrait être le concept de prisons ouvertes dans notre pays.

Sans atteindre le taux de 30 % constaté dans certains pays du nord de l’Europe, je pensais que nous pourrions progressivement aller jusqu’à 8 ou 10 % de nos prisons obéissant à ce modèle, soit un progrès déjà considérable.

À l’époque, en dépit de mes efforts pour promouvoir le modèle de prisons ouvertes, la droite avait jugé cette idée trop libérale. Sans doute n’était-elle pas complètement en phase avec une certaine vision idéologique de la prison – mais je ne veux pas entrer dans ce débat.

Lorsque la gauche est arrivée aux responsabilités, j’ai d’emblée envoyé ce rapport à la Chancellerie et mobilisé votre directeur-adjoint de cabinet, madame la ministre, comptant sur son passé d’adjoint au directeur de l’administration pénitentiaire. On m’a alors fait comprendre que, l’idée venant de la droite, il faudrait au minimum la recycler – vous me permettrez ce petit trait d’humour, madame la ministre, et je confirme que vous n’êtes pas l’auteur de ces propos !

« Recyclez, trouver un autre nom, mais l’idée reste bonne! », ai-je dit. J’en veux d’ailleurs pour preuve son adoption par nombre de nos voisins européens, des pays qui nous ressemblent – je ne parle pas là de la Mongolie extérieure ! §

En quelques mots, le concept repose sur l’idée d’un établissement pénitentiaire où la sanction peut être associée à un lieu où l’on apprend les gestes et les comportements de la vie en société : respect des règles et des horaires de travail, élaboration d’objectifs personnels, reconquête de sa propre dignité de citoyen, participation et responsabilisation au sein d’une communauté de vie.

Les résultats obtenus par les pays qui ayant mis en œuvre cette idée, y compris la France dans la seule prison de Casabianda, laissent entrevoir les nombreux avantages de ce modèle.

C’est d'abord un outil très efficace dans la lutte contre le suicide, puisque celui-ci fait figure d’exception au sein des établissements ouverts. En outre, on l’a constaté sur de longues périodes, le taux de récidive à la sortie est nettement plus faible que pour les établissements fermés, grâce à l’instauration d’un processus de réinsertion animé par des personnels qualifiés au cœur même du dispositif. Ce qui n’est pas consacré à la sécurité passive – garder la prison – peut être consacré à cette démarche, qui est valorisante pour les personnels.

Les prisons ouvertes favorisent la resocialisation, ainsi que l’apprentissage et la pratique d’une activité économique, facteurs d’une réinsertion réussie. Les détenus circulent librement dans l’établissement. Les relations avec l’extérieur – famille, amis, employeurs – sont facilitées. Dans certains pays, les détenus ont même le droit d’avoir un téléphone portable.

Le pari est simple : plus les conditions carcérales sont favorables, c’est-à-dire proches de la vie du « dehors », plus la réintégration des prisonniers se fera facilement, quelle que soit la gravité des actes qu’ils ont commis. Certains détenus incarcérés dans la prison de Casabianda ont été condamnés pour des faits très graves ; d’autres établissements accueillent plutôt des détenus condamnés pour des faits légers. Le passage dans une prison ouverte peut être une étape du parcours carcéral ; les prisons ouvertes sont d'ailleurs souvent couplées avec des prisons fermées, les détenus basculant d’un type d’établissement à l’autre le moment venu.

Le respect de la règle est dans la tête de chacun. Chacun sait que, si la règle n’est pas respectée – je ne parle même pas des évasions, qui sont rarissimes –, c’est le retour à la case prison. C’est le meilleur des arguments pour convaincre les détenus de respecter la règle.

Il n’y a pas d’exemple d’échec global d’une prison ouverte. Le risque d’évasion – il est infime, j’y insiste – est compensé par les bénéfices que retirent la société et les détenus en termes de réinsertion et d’humanisation des prisons. Le risque d’évasion est par ailleurs maîtrisé grâce à une sélection judicieuse des détenus, en fonction non pas, je le répète, des faits commis, mais de la capacité à se prendre en main et à se conformer aux trois piliers du dispositif : absence de moyens passifs de sécurité – pas de barreaux –, acceptation des conditions de l’établissement et travail rémunéré.

J’ajoute que, dans le contexte budgétaire actuel, nous ne pouvons ignorer que, en plus des avantages que je viens d’évoquer, les établissements ouverts coûtent moins cher que les établissements fermés.

Le recours à la prison ouverte est important pour les personnes incarcérées, mais aussi pour les victimes et leurs familles, car la rémunération du travail des détenus peut contribuer à les dédommager. Les détenus effectuent généralement des travaux d’intérêt général, qui sont bien articulés avec le secteur marchand, pour qu’il n’y ait pas de concurrence déloyale. C’est un plus pour la collectivité.

Il est vraiment regrettable que, trois ans après sa publication, on n’ait pas encore commencé à mettre en œuvre les recommandations du rapport de Paul-Roger Gontard, ne serait-ce que de manière expérimentale. Ces recommandations sont pourtant dans l’esprit du rapport de Jean-Marie Delarue sur la diversification du modèle carcéral.

On s’éloigne peut-être quelque peu de certaines propositions très médiatiques formulées par d’anciens prisonniers très médiatisés ; j’ai le plus grand respect pour eux, mais je ne suis pas certain que, dans le contexte actuel, il soit possible de développer rapidement leurs propositions, que je ne rejette cependant pas complètement, car elles pourraient constituer un élément de diversification du modèle carcéral.

Enfin, on avance parfois l’argument selon lequel aucun territoire n’accepterait d’accueillir une prison ouverte. Cet argument ne tient pas : déjà à l’époque de la publication du rapport de Paul-Roger Gontard, un certain nombre d’élus de droite et de gauche – députés, sénateurs, maires, etc. – s’étaient mobilisés, évoquant la vaste France et ses vastes friches et affirmant que les prisons ouvertes conçues sur un modèle agricole ou, pour celles qui sont situées plus près des villes, sur un modèle artisanal, pouvaient les intéresser. Plusieurs d’entre eux s’étaient portés volontaires pour en accueillir. Je sais que c’est possible. Je défends une démarche réaliste, et je souhaiterais qu’elle soit mise en œuvre.

On peut démontrer que les prisons ouvertes sont des réussites sur le plan agricole. Prenons l’exemple de l’établissement de Casabianda, qui est devenu le premier producteur de lait et de viande porcine en Corse, en complément des activités des agriculteurs locaux. La population n’exprime aucun rejet ; en Corse, lorsque la population rejette quelque chose, cela se voit… Cette expérience montre qu’il est possible que l’implantation d’une prison ouverte se passe bien. C’est d'ailleurs le cas dans tous les pays européens que j’ai visités.

Madame la garde des sceaux, je connais votre engagement et votre ouverture d’esprit. Je connais également votre conception de la prison, une conception que je partage à bien des égards. Je vous ai montré un chemin possible. Lors de nos discussions, je vous ai souvent dit qu’il fallait prendre les décisions que vous aviez annoncées en matière carcérale et réaliser les investissements nécessaires. Les prisons ouvertes constituent peut-être une piste à explorer ; ce serait tout à votre honneur de le faire.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Alfonsi

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, s’il pouvait subsister un doute quant à l’intérêt de ce débat, ce que je viens d’entendre de la part de l’ancien responsable de l’administration pénitentiaire, qui nous a fait part de l’expérience enrichissante qu’il a acquise, l’aurait dissipé.

Jacques Mézard a exposé les raisons qui ont conduit notre groupe à demander au Sénat de débattre aujourd’hui de la politique pénitentiaire. Je ne peux que partager son analyse de l’état de nos prisons, des causes qui ont conduit aux dérives que nous connaissons et des solutions qui pourraient être apportées.

La publication en 2000 du livre du docteur Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, avait livré à l’opinion publique le constat cruel, mais sans concession, de l’état de délabrement avancé de notre système carcéral. La situation n’avait guère évolué depuis des décennies. Cet électrochoc a sans doute permis de réveiller les consciences et a abouti à une véritable prise en compte du problème des conditions de détention dans notre système pénitentiaire, qui sont d’autant moins acceptables que la République se veut un phare en matière de droits de l’homme.

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dont un premier bilan a été établi par notre collègue Jean-René Lecerf dans son rapport, auquel je tiens à rendre hommage – j’ai également à l’esprit l’hommage que lui avait rendu Robert Badinter lors de sa publication –, avait en son temps suscité beaucoup d’espoirs, tant du côté des détenus, de leurs familles et des associations leur venant en aide, que de celui des professionnels du droit, des personnels pénitentiaires, des avocats et des magistrats. Il s’agissait pour la garde des sceaux de l’époque, Mme Dati, de poser « les fondations d’une nouvelle vision de la prison, une vision apaisée du monde pénitentiaire ». Le moins que l’on puisse dire est que son ambition n’a pas encore été traduite dans les faits ; on peut le regretter.

Quelle est la réalité de la prison aujourd’hui ? Un problème de surpopulation ; il a déjà été évoqué. Des conditions de détention très souvent indignes : le respect des règles élémentaires d’hygiène demeure théorique. Des détenus à 50 % illettrés, livrés à eux-mêmes dans une oisiveté mortifère sur laquelle se greffent des pathologies mentales qui rendent illusoire toute idée de réinsertion. La prison est encore et toujours un élément favorisant la récidive. Ce constat a déjà été fait, mais la situation est telle que la répétition est inévitable.

Est-il normal que des primo-délinquants soient si facilement mis en contact avec des délinquants avérés, qui vont nécessairement les influencer ? Est-il acceptable que l’incarcération fasse partie du parcours « normal » des petits caïds, qui en ressortent avec une réputation accrue ? Est-il acceptable que le prosélytisme des intégristes religieux trouve en prison le moyen de s’exprimer ?

Nous continuons d’acquitter la facture du credo de la tolérance zéro, qui avait conduit l’ancienne majorité à durcir toujours davantage sa politique pénale, par exemple en prévoyant la détention des mineurs dès l’âge de treize ans. Je regrette d'ailleurs que la discussion budgétaire ait été arrêtée et que le débat sur la délinquance de la jeunesse n’ait pu avoir lieu à ce moment, parce que cela aurait pu enrichir notre réflexion. Ce programme absurde de tolérance zéro, totalement impropre à résoudre le problème de la délinquance juvénile, faisait des jeunes délinquants des boucs émissaires.

Madame la garde des sceaux, bien qu’il doive naturellement être soumis à des sujétions particulières en raison de sa nature, l’univers carcéral n’en appartient pas moins à notre société démocratique et doit à ce titre être encadré par des règles dignes d’un État de droit. Pour les membres de notre groupe, la prison doit remplir une double fonction : elle est à la fois la sanction infligée par la société à ceux qui en violent les règles et qui doivent s’amender et un outil de prévention de la récidive et de réinsertion des détenus, ce qui implique de donner un sens à la sanction.

Ce constat nous conduit à déplorer, avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont je dois saluer la liberté de ton et les nombreuses recommandations, que les établissements pénitentiaires restent encore trop souvent soumis à l’arbitraire, malgré les avancées prévues par la loi pénitentiaire. La réinsertion passe par l’accès à des droits sanitaires et sociaux dont l’effectivité n’est pas encore satisfaisante en dépit des principes posés par la loi pénitentiaire.

Dans son rapport de 2011, Jean-Marie Delarue relevait que, comme notre collègue vient de le rappeler, les détenus exerçant une activité rémunérée pour le « service général » ou pour des entreprises extérieures étaient traités et payés de manière injuste, voire dérisoire. La loi impose des minimas de 45 % du SMIC pour la production et de 33 % pour le service général, mais les payes sont souvent inférieures ; à rebours de l’esprit de la loi de 2009, les minimas deviennent en réalité des plafonds. Nous savons d’ailleurs – ce point a également été rappelé – que la Cour de cassation a transmis au début du mois d’avril au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur le droit du travail applicable aux détenus. Nous attendons avec intérêt la réponse.

Il faut également souligner que les détenus travaillent dans des conditions bien éloignées des règles d’hygiène et de sécurité : espaces pas ou peu aérés, fréquemment exigus, machines ayant quelquefois plus de trente ans d’âge ou étant d’un maniement dangereux. L’ensemble de ces éléments nous conduit à nous interroger sur la réalité de la dimension sociale de la prison, un volet que les pouvoirs publics ont longtemps ignoré, fabriquant ainsi des délinquants qui nourrissent des sentiments de révolte à l’égard de la société.

Il est temps de mettre fin à la frénésie législative qui a conduit le législateur, pendant si longtemps, à faciliter l’incarcération tout en déplorant le nombre croissant de détenus.

Il est tout simplement absurde de vouloir enfermer pour punir, puis de libérer au plus vite pour faire de la place aux suivants, dans un cycle sans fin. L’affirmation du caractère subsidiaire de l’emprisonnement ferme et de la nécessité de prévoir son aménagement, mise en exergue par la loi pénitentiaire, doit devenir une réalité L’inscription au niveau législatif des principes du régime disciplinaire a permis le retour à la voie de droit, sans toutefois nous remettre au niveau des standards européens.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les membres de mon groupe, dans toute leur diversité, ne souhaitent ni verser dans l’angélisme ni céder aux sirènes du « tout sécuritaire ». Notre ligne directrice consiste à concilier la protection de la société et l’application d’une sanction pour des actes délictueux ou criminels avec l’impératif de réaliser un travail de réinsertion sociale et de garantir des conditions d’exercice professionnel satisfaisantes pour les personnels. Tel devrait être l’objectif de toute politique pénitentiaire équilibrée.

Madame la garde des sceaux, nous souhaitons que vous partagiez cet objectif et que, ensemble, loin de toute considération réductrice, nous allions au-delà de la logique de la loi de novembre 2009 pour refonder un régime carcéral digne de la République.

Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – M. François Trucy applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mes chers collègues, le nombre de sénateurs présent ce matin montre que le contrôle et l’évaluation passent davantage par la rédaction de rapports que par l’organisation de débats en séance publique… Une audition réalisée par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois aurait d'ailleurs eu à peu près le même effet que notre débat de ce matin vis-à-vis de l’opinion publique.

Néanmoins, monsieur Assouline, je vous remercie d’avoir perpétué la tradition de la commission des lois. J’avais moi-même instauré la méthode consistant à nommer deux rapporteurs de sensibilité différente. Je crois que cette méthode a donné de bons résultats dans un certain nombre de domaines.

J’en citerai un, qui m’amuse toujours : nous avons rédigé une excellente proposition de loi sur les sondages, qui n’a malheureusement jamais été examinée par l’Assemblée nationale. J’en ignore la raison ; quelques puissants groupes de pression empêcheraient-ils l’examen de notre proposition de loi ?...

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

La commission des lois du Sénat a également beaucoup travaillé sur la santé mentale en prison. C’est d’ailleurs l’un des sujets que je souhaite aborder aujourd'hui.

Les médias et l’opinion publique ont tendance à ne parler des prisons qu’en cas d’évasion. Il est vrai que la dernière en date, à Lille-Sequedin, était très choquante. De tels événements appellent toujours beaucoup de questions. Comment a-t-on pu en arriver là ? Quelles sont les failles ? Une enquête administrative est en cours pour y répondre.

Il est vrai que ce genre d’événements arrive. Souvenez-vous de ce garde des sceaux qui avait rattrapé plus de détenus qu’il n’y avait eu d’évadés ! J’étais député lorsqu’était intervenu cet épisode amusant. C’était une belle époque !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ne soyez pas méchant !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Non, telle n’était pas mon intention, d’autant que M. Arpaillange était quelqu’un de bien.

Madame la garde des sceaux, à mon sens, deux éléments importants ont changé profondément la situation des prisons.

En premier lieu, la loi pénitentiaire a permis d’apporter d’importants changements, consensuels de surcroît. À cet égard, le Sénat a été plus offensif et plus courageux que ne pouvait l’être le garde des sceaux de l’époque.

Certes, il est primordial de penser d’abord aux victimes – on nous le rappelle tous les jours –, mais il nous a paru aussi important de penser à ce que deviendront les détenus, sans faire preuve de trop d’angélisme car, ne nous voilons pas la face, il y a des individus qui commettent des actes particulièrement répréhensibles et parfois extrêmement graves. Il en est aussi pour qui la prison n’est pas forcément adaptée.

À ce sujet, je voudrais évoquer le problème des malades mentaux en prison, car il est toujours d’actualité. Lors de la réforme du code pénal, nous avions réfléchi à la modification de l’article 64 de l’ancien code pénal sur l’aliénation mentale. Nous étions très contents de ce changement, pensant qu’il allait contribuer à atténuer les peines. En fait, tel n’a pas été le cas. Nous nous sommes aperçus qu’il avait plutôt eu pour effet d’aggraver les peines. Or la prison n’est pas la solution ! Toutes les enquêtes que nous avons menées dans des pays étrangers sur ce sujet ont montré que la plupart des pays recourent à d’autres dispositifs. Force est de constater qu’il y a aussi un problème lié à la psychiatrie en France. Celle-ci, pour diverses raisons, a tendance à errer, nous proposant des solutions divergentes. Toujours est-il que, comme il y a très peu de places en établissements fermés, les malades sont gardés en prison. À mon sens, il s’agit d’un problème majeur.

En second lieu, il faut mentionner la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans laquelle le Sénat s’est aussi beaucoup impliqué.

Avant que nous ne nous précipitions pour décider de sa fusion avec une autre institution, je n’ai pas peur de dire qu’il a encore beaucoup de travail à accomplir. Les préconisations qu’il formule au travers de ses rapports sont extrêmement précieuses, et je tiens à saluer la qualité du travail du Contrôleur général et de son équipe de collaborateurs.

Nous avons la même conception de sa mission que M. Delarue lui-même : il s’agit non pas de condamner telle ou telle pratique, mais d’essayer de faire en sorte que les choses s’améliorent progressivement, au travers d’un dialogue avec les établissements et les services pénitentiaires, à l’instar de ce que pratiquent avec succès nos amis britanniques.

Madame la garde des sceaux, sachez que je partage les conclusions du riche rapport de nos collègues Jean-René Lecerf et Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour avoir beaucoup fréquenté des établissements pénitentiaires depuis 2000, et même avant, je connais bien le sujet, mais je me contenterai de parler des aménagements de peines. Je pense en effet qu’il s’agit d’une question fondamentale.

Certes, d’autres problèmes se posent. Par exemple, on peut se demander combien d’heures de travail de surveillants seraient gagnées si l’on installait partout des portiques dans les plus grands établissements. Ne vaudrait-il pas la peine de réaliser un tel investissement ?

Après tout, dans les aéroports, notamment, mais aussi ailleurs, c’est ainsi que cela se passe. À mes yeux, cette question devrait être une priorité, pour permettre de libérer les surveillants de tâches qui ne sont pas forcément faciles pour eux. En même temps, je pense que cela donnerait satisfaction aux détenus, parce qu’il y aurait moins de fouilles à corps. Une telle modernisation devrait faire l’objet d’une évaluation sur une base simple : si l’on installe tant de portiques de plus, combien d’heures travaillées seront économisées ? Je suis convaincu que ce calcul serait bénéficiaire.

J’en viens aux aménagements de peine. Vous le savez, certains en arrivent toujours à la conclusion suivante : il y a trop de gens en prison, donc il ne faut plus condamner.

Votre circulaire du 19 septembre 2012 aux procureurs généraux ne disait pas autre chose, même s’il faut tenir compte du contexte. En effet, vous leur recommandiez de « s’assurer que les modalités d’exécution des peines d’emprisonnement tiennent compte de l’état de surpeuplement des établissements pénitentiaires. » Cela me gêne toujours d’entendre cela. Toutefois, ce n’est pas tout, heureusement, puisque vous préconisiez ensuite une politique dynamique d’aménagement de peines. Là, je suis d'accord, et l’on est en plein dans le sujet !

Selon moi, ce qui importe n’est pas tant le nombre des places, même s’il faut en avoir assez, que l’individualisation des peines.

À cet égard, je rappelle tout de même à ceux qui réclament des changements en la matière que la loi pénitentiaire avait été offensive, puisque les aménagements de peine étaient obligatoirement envisagés jusqu’à deux ans. Durant la discussion, le gouvernement de l’époque avait tenté de revenir à un an, mais nous avions tenu bon.

Quel est le sens de cette durée de deux ans ? Celle-ci part surtout du constat, partagé par beaucoup d’entre nous, que les très courtes peines ont une utilité extrêmement faible, voire, peut-être, plus d’inconvénients que d’avantages, car elles mettent en contact de grands délinquants avec des gens qui vont apprendre d’eux un certain nombre de choses. On le sait tous, certains mineurs deviennent des héros lorsqu’ils sortent de détention ; ils gagnent une respectabilité dans leur quartier. Or je ne pense pas que tel est l’objectif que nous visons.

Les aménagements de peine nous paraissent donc extrêmement importants. À ce sujet, le rapport de nos collègues est tout de même éloquent, puisqu’il tend à constater qu’il n’y a pratiquement plus de semi-liberté. C’est tout de même incroyable ! Certes, des justifications sont avancées, mais elles ne doivent pas nous empêcher de réfléchir à des solutions.

Le placement à l’extérieur est extrêmement réduit. En revanche, je dois reconnaître que la surveillance électronique marche bien. Tout à l’heure, M. Mézard rappelait que notre excellent collègue Cabanel avait dû se battre pour le bracelet électronique, car l’administration n’en voulait pas. Deux lois ont été nécessaires pour finir par l’imposer ! Certes, ce n’est pas la panacée ; du reste, il n’y a pas de solution idéale en la matière.

Par ailleurs, cela a été dit, les procédures simplifiées d’aménagement des peines font l’objet d’une utilisation très prudente. Enfin, et surtout, se pose le problème de la libération conditionnelle.

Sur toutes ces questions, nous pensons, et la loi tendait justement à l’affirmer, que ces aménagements ne doivent pas être systématiques. Mais il est tout de même triste que ce soient les conditions matérielles qui empêchent de mettre en œuvre ces procédures.

Monsieur Assouline, vous avez raison de souligner qu’il est important d’évaluer la récidive par établissement. Certes, il y a des obstacles, éventuellement d’ordre psychologique, car la population des établissements n’est pas toujours homogène. Or, nous le savons bien, les risques de récidive sont plus importants pour certains délits que pour d’autres.

Néanmoins, selon une étude de l’administration pénitentiaire qui date de 2012, me semble-t-il, les risques de récidive des libérés n’ayant bénéficié d’aucun aménagement de peine restent 1, 6 fois plus élevés que ceux des bénéficiaires d’une libération conditionnelle. Il faut donc faciliter ce type d’aménagement pour préparer la sortie des prisonniers. Or il y a encore trop de sorties sèches de détention, ce qui constitue l’un des graves problèmes de notre système.

Madame la garde des sceaux, la crise a rendu plus difficiles un certain nombre de pratiques, que nous souhaitions justement développer. Je pense au travail en prison, qui souffre en outre de la concurrence avec l’activité des entreprises. Il y a donc moins de donneurs d’ordres.

Il en est de même en ce qui concerne la formation et l’éducation. Comment convaincre les régions, qui sont chargées de la formation professionnelle, de s’impliquer davantage – quelques-unes d’entre elles le font, mais pas toutes – dans les établissements pénitentiaires ?

Enfin, si l’on veut des aménagements de peines, il faut des personnels dans les SPIP, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, tout simplement. Comme le rappelait Jean-René Lecerf tout à l’heure, alors que l’on estimait à 1 000 le nombre des agents nécessaires pour aboutir à un taux d’encadrement suffisant, on en a recruté seulement 250 !

S’il y a une priorité, elle est bien dans les SPIP. Et, bien entendu, il faut aussi des juges d’application des peines, car les juridictions de jugement prennent peu de décisions d’aménagement de peines, ce qui est dommage, d’ailleurs. Si les juges d’application des peines ne sont pas en nombre suffisant, s’ils sont surchargés – il faut savoir qu’ils exercent parfois cette fonction à temps partiel et qu’ils ont donc d’autres tâches –, nous ne progresserons pas dans la voie des mesures alternatives à l’incarcération.

Madame la garde des sceaux, je tiens à remercier mes collègues. Il y a bien sûr d’autres sujets sur lesquels j’aurais pu développer quelques arguments, mais je tiens à dire que le Sénat dans son intégralité, me semble-t-il, sera toujours très attentif à l’application de la loi pénitentiaire. Ceux qui ont participé à son élaboration, comme ceux qui ont travaillé au sein des commissions d’enquête ont eu à cœur, en fin de compte, de placer la protection de la société au centre du système.

Certes, si des gens sont en prison, ce n’est pas sans raison. Toutefois, on sait très bien qu’ils en sortiront un jour. Seront-ils alors meilleurs ou pires ? Pour notre part, nous souhaitons qu’ils soient meilleurs.

Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, quand je me suis inscrite sur la liste des orateurs intervenant dans ce débat, je me suis interrogée : en dix minutes, que peut-on dire d’utile pour contribuer au combat que nous menons, sur toutes les travées de cette assemblée, pour que les prisons ne soient plus « la honte de la République », pour qu’elles ne soient plus l’école du crime, pour qu’elles n’engendrent plus la haine ?

Aujourd’hui, nous n’examinons pas un texte de loi. Ce qui est important, c’est donc la parole que nous allons porter et l’information qu’en retiendront nos concitoyens. En effet, madame la garde des sceaux, quelle que soit votre volonté, des choix budgétaires vont intervenir, et il faudra vous soutenir dans votre combat, pour que les arbitrages soient rendus en faveur des prisons. Nous devons donc aussi convaincre nos concitoyens, pour que vous soyez soutenue dans ce combat.

Bien sûr, il faut parler des situations extrêmes, parce qu’elles sont toujours inacceptables, quelles qu’elles soient. Toutefois, ne parler que des extrêmes peut créer une certaine confusion dans l’opinion.

En décembre 2012, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, unanimement reconnu aujourd’hui et abondamment cité, a dénoncé avec justesse la situation intolérable de la prison des Baumettes. À cette époque, même nos concitoyens les plus attachés à l’emprisonnement reconnaissaient qu’il fallait agir, parce que la présence de rats dans les cellules leur paraissait intolérable. Aujourd’hui, parce que Redoine Faïd s’est évadé, nos concitoyens en viennent à penser que l’urgence consiste à mieux fermer les prisons, à mieux empêcher les évasions, et non plus à s’occuper des rats.

Ne nous y trompons pas : la situation intolérable et exceptionnelle des Baumettes n’est pas unique en France, alors que l’évasion de Redoine Faïd, tout aussi intolérable, constitue un événement unique, heureusement ! J’ai été choquée d’entendre une journaliste dire, à la télévision, que des détenus aujourd'hui s’évadaient à coups d’explosifs et que d’autres menaçaient de s’évader. Non, madame la journaliste, un seul détenu s’est évadé à coups d’explosifs et un seul autre a menacé de le faire, alors que de nombreuses prisons, en France, connaissent une situation intolérable, comparable à celle des Baumettes, il faut le dire et le répéter !

En revanche, des détenus vraiment repentis s’en sortent et luttent aujourd’hui pour la prévention de la délinquance. Pourquoi ne parle-t-on jamais de personnes comme Yazid Kherfi, qui a fait de la prison et qui travaille aujourd’hui comme consultant en prévention de la délinquance ? Nous devons donc sortir des caricatures et faire attention au discours que nous tenons aujourd’hui à l’intention de nos concitoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

J’ai décidé de vous parler de mon expérience, car j’ai usé des prérogatives liées à mon mandat parlementaire pour visiter des lieux de privation de liberté et observer ce qui s’y passe.

Par ailleurs, j’y insiste, il convient de lire tous les rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans leur intégralité, sans se limiter aux passages dénonçant des situations intolérables, les plus susceptibles de nourrir l’actualité immédiate. En effet, ces rapports mettent aussi en lumière le quotidien des prisons françaises.

À Rennes, par exemple, j’ai visité une prison pour femmes située en plein centre-ville, très accessible aux familles et aux associations. Ses locaux sont un peu vieillots, certes, mais l’ambiance y est sereine, parce qu’il n’y a pas de bruit. En revanche, j’ai entendu le bruit de la détention dans la prison toute neuve et toute propre de Vezin-le-Coquet. Ce bruit que l’on ne peut imaginer résonne toute la journée dans les têtes des détenus, aussi bien que dans celles des surveillants. Ce bruit rend la vie insupportable : quelque chose ne fonctionne pas !

Pourtant, dans ces deux prisons très différentes en termes de locaux, j’ai pu observer des équipes composées de surveillants et d’autres fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, tous attachés à faire leur métier, à veiller à ce que les choses se passent bien, à réussir la réinsertion des détenus de leur prison.

La prison pour femmes de Rennes est pionnière en matière d’activités offertes aux détenues et la direction de la prison de Vezin-le-Coquet multiplie les efforts pour favoriser l’émergence d’une parole collective au sein de la prison, pour réapprendre aux détenus à parler, à prendre des responsabilités, à négocier, à s’ouvrir aux autres et à ne pas rester refermés sur eux-mêmes, quand ils sont déjà enfermés en prison.

Certains dispositifs fonctionnent donc, pourquoi ne sont-ils pas connus ? À la prison de Vezin-le-Coquet, l’expérience de parole collective que j’ai évoquée faisait partie d’une expérimentation entamée sous l’ancien gouvernement. Malheureusement, cette expérimentation est aujourd’hui devenue lettre morte ; elle n’a pas été reprise ni étendue. Beaucoup reste donc à faire.

J’ai pu aussi constater la présence en prison de malades relevant de la psychiatrie, présence tout à fait anormale, mais qui ne constitue malheureusement pas une exception. Certes, ces malades ne représentent pas la majorité des détenus, mais ils sont encore trop nombreux pour être considérés comme l’exception. Il est donc extrêmement important d’agir en ce domaine.

Enfin, je dois évoquer cet ancien détenu, un jour dans mon bureau. Il est arrivé en me disant : « Madame le maire, je sors de la prison de Rennes et je veux m’en sortir, alors aidez-moi ! Trouvez-moi un endroit où je puisse me doucher, parce que, pour s’en sortir, il faut être propre. Je veux m’en sortir, mais je n’ai plus un sou et j’ai plein de dettes, notamment des amendes de la SNCF. Je vis à Rennes, mais ma tutrice est à Nantes et j’ai dépensé mon pécule en payant un billet de train pour aller la rencontrer, parce que j’avais besoin d’argent. Je n’ai pas eu de chance, elle n’était pas là quand je suis arrivé, parce que je n’avais pas pensé à prendre un rendez-vous par téléphone. J’avais dépensé tout mon argent pour le voyage aller et il ne m’en restait plus, donc je suis revenu sans acheter de billet et j’ai eu une amende. Je suis retourné voir ma tutrice le lendemain, mais elle était encore absente. J’y suis retourné une troisième fois, elle n’était toujours pas là. »

Il m’a montré une épaisse liasse d’amendes de la SNCF et a ajouté : « Maintenant, dites-moi ce que je dois faire ! Ma tutrice doit m’envoyer un mandat, mais ma carte d’identité est périmée et La Poste ne veut pas me verser mon argent. Si je veux une nouvelle carte d’identité, il me faut des sous, parce que j’ai besoin de faire des photos d’identité. » Cette situation peut paraître ubuesque, mais elle est véridique, je vous l’assure.

Aussi, je lui ai donné de l’argent pour qu’il fasse des photos afin d’établir une nouvelle carte d’identité, mais il faut compter un délai de trois semaines pour obtenir ce document. En attendant, la mairie a dû appeler La Poste pour que cette personne puisse exceptionnellement toucher son mandat. Voilà la réalité !

Je ne mets surtout pas en cause, en l’occurrence, les membres de l’équipe qui a entouré la sortie de ce détenu ; ils n’y pouvaient mais, car ils n’étaient pas assez nombreux pour gérer un dossier égaré à la suite des transferts entre prisons, etc. La sortie des détenus mérite donc d’être réellement encadrée, si nous voulons éviter qu’elle ne finisse mal.

Quand on parle de prison et de système pénitentiaire, il faut vraiment entendre tout le monde. J’ai donc entendu aussi des femmes victimes de violences conjugales, ainsi que des enfants également victimes de violences, qui n’osent pas porter plainte, parce qu’ils ne veulent pas envoyer leur père ou leur conjoint en prison, dans cette prison « honte de la République ». Ils préfèrent subir, plutôt que de risquer d’envoyer en prison la personne qu’ils aiment ou ont aimée.

De telles situations doivent être prises en considération : si nous voulons lutter contre la délinquance et contre les violences, il faut aussi que les victimes n’aient pas peur de porter plainte. Il ne faut pas qu’elles aient à redouter les conséquences de leur geste pour la personne contre laquelle elles vont porter plainte, ni qu’elles puissent craindre d’abîmer toute une vie avec une condamnation à quelques mois de prison, provoquant la perte d’un emploi et une véritable rupture sociale pour l’intéressé.

Prenons aussi en compte le personnel pénitentiaire, les surveillants. On rencontre quelques héros parmi eux, mais aussi – pardonnez-moi le terme, mais l’un d’entre eux l’a utilisé récemment devant moi – quelques « brebis galeuses ». Quoi qu’il en soit, l’immense majorité des gardiens font leur boulot comme ils peuvent dans des conditions déplorables, les mêmes que celles dans lesquelles vivent les détenus. Ils travaillent dans des conditions de tension inimaginables : quand un seul surveillant est chargé de 120 détenus, la situation devient infernale et il ne peut pas remplir son rôle comme il le voudrait. N’oublions donc pas tous ces surveillants qui aimeraient pouvoir être fiers de leur métier et qui ne peuvent pas l’être aujourd’hui.

Madame la garde des sceaux, les urgences ont déjà été soulignées par mes collègues et je sais que vous ne manquez pas de volonté sur le long terme. Il est urgent de mettre en place des scanners corporels pour rétablir la sécurité, sans porter atteinte à la dignité des détenus ni des surveillants – l’un d’entre eux faisait remarquer que l’on ne tire aucune fierté d’obliger quelqu’un à se déshabiller pour le fouiller.

La surpopulation et la rénovation des locaux sont une autre priorité, mais vous l’avez compris, puisque vous ne lancerez pas de nouveau plan de construction de prisons, préférant consacrer vos crédits à la rénovation.

Il faut aussi apaiser le climat régnant dans les prisons. Pour cela, des outils comme le scanner corporel ou des caméras sont certes indispensables, car ils permettent d’alléger le travail des surveillants, mais le recours à ces moyens techniques ne doit pas occulter l’importance de l’humanité, de l’autorité et du droit. Une caméra ou un scanner ne font pas le droit. Celui-ci est fait par les hommes et les femmes qui travaillent dans les prisons.

Madame la garde des sceaux, je sais que vous ne manquez pas de volonté. Comptez sur notre soutien pour que ce rapport ne soit pas inutile !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de débuter mon intervention par une anecdote récente – qui ne connaît le goût particulier de nombre d’entre vous pour ce genre de récit, mes chers collègues ?

À la fin de la semaine dernière, je participais à des rencontres dans mon département des Pyrénées-Atlantiques. Au détour d’une réunion, j’ai entamé une discussion conviviale avec quelques personnes. Très vite, nous avons été amenés à parler du vaste sujet de la criminalité. Entre deux phrases, une réflexion m’a marquée, et c’est une des raisons pour lesquelles je suis heureuse d’intervenir devant vous ce matin. Je cite mon interlocuteur : « De toute façon, en taule, on ne les fait pas assez souffrir ! » Telle est la phrase que j’ai eu l’horreur d’entendre. Et ce propos, aussi caricatural soit-il, est bien révélateur d’une réalité.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, comment avons-nous pu en arriver là ? Comment se fait-il que, dans notre société, une partie de la population estime que la prison doit être un lieu de sévices et, plus grave encore, comment se fait-il qu’elle le soit dans les faits ? Il me semble que nous touchons ici le fond du problème et que nous pouvons mesurer l’importance du défi qu’il convient de relever dans le cadre de ce débat : aujourd’hui, certains ont intégré et – ce qui est peut-être plus grave – accepté que la cellule devienne un lieu de maltraitance. Nous voilà presque renvoyés à l’époque où la privation de liberté s’accompagnait forcément de violence psychologique, voire physique.

Dès lors, permettez-moi de vous dire ce que représentent pour moi la prison et la politique pénitentiaire dans son ensemble, dans une société moderne comme la nôtre.

Tout d’abord, ce sont ces milliers de surveillants, ainsi que de personnels médicaux et administratifs, qui œuvrent au jour le jour pour assurer la mission que la société leur a confiée, à savoir la surveillance et l’accompagnement de personnes jugées dangereuses pour le bon fonctionnement de la société. Et comme nombre d’entre vous, je tiens à leur témoigner toute mon admiration et mon respect, notamment en raison des conditions dans lesquelles ils exercent leur métier, qui n’ont cessé de se dégrader ces dix dernières années.

La prison et la politique pénitentiaire, ce sont aussi ces dizaines de milliers de femmes et d’hommes qui, pour des raisons diverses – conduite en état d’ivresse, coups et blessures, injures, meurtre, agression, viol ou, plus simplement, l’attente d’un jugement – se retrouvent privés de liberté. Toutefois, nous en conviendrons tous, cette privation de liberté intervient le plus souvent dans des conditions que nous ne pouvons cautionner et qui portent atteinte au respect impérieux de la dignité humaine.

Certains de mes prédécesseurs ont évoqué cette réalité mieux que moi, mais je souhaiterais la rappeler : dans des cellules d’une dizaine de mètres carrés cohabitent parfois quatre, cinq, voire six personnes ; elles sont soumises à des fouilles corporelles qui représentent une humiliation et un choc ; elles subissent une violence banalisée, ainsi que la perte de leur vie privée, voire de toute intimité.

Que dire de la politique de réinsertion ? Alors que l’article 1er de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose que « le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions », il faut reconnaître que la politique de réinsertion connaît de grandes lacunes, conduisant un nombre trop important d’anciens détenus à entrer dans la spirale de la récidive. De nouvelles solutions doivent être expérimentées, comme le disait Jean-Marie Bockel.

Que dire aussi de ces personnes, trop nombreuses aujourd’hui, souffrant de pathologies mentales et placées en prison faute de places en établissement spécialisé ?

La précédente majorité a tenté, en novembre 2009, de réagir et de répondre à ces dérives et ces limites en adoptant une nouvelle loi pénitentiaire. Pour autant, à la lumière d’une évaluation menée en juillet 2012 par nos collègues Nicole Borvo Cohen-Seat et Jean-René Lecerf, nous ne pouvons que constater que les améliorations n’ont été que très limitées en milieu carcéral.

Madame la garde des sceaux, après avoir œuvré avec courage et détermination pour l’égalité de tous devant le mariage, il vous revient maintenant de relever un autre défi. Vous contribuerez ainsi, j’en suis convaincue, à rapprocher les citoyens de l’institution judiciaire et à mettre un terme définitif à l’une des pires hontes de notre République : la vétusté de nos prisons, la surpopulation qui y règne trop souvent et les atteintes aux droits des prisonniers.

Il nous revient, à nous, de rappeler que la dignité humaine reste inaliénable, même à l’ombre des murs de nos prisons, et que la politique carcérale n’exprime nullement une volonté de briser des femmes et des hommes, mais a pour ambition de permettre à chacun de saisir sa chance de s’intégrer pleinement dans la société. Or peu de détenus y parviennent aujourd’hui.

Enfin, avant de conclure, comme je le rappelais au début de mon intervention, je représente dans cet hémicycle une partie du territoire national qui a connu et connaît encore des revendications culturelles et identitaires. Si les actions non violentes sont aujourd’hui privilégiées, cela n’a pas toujours été le cas par le passé, ce qui a conduit la justice de notre pays à réagir.

J’évoque ce sujet ici sans nulle volonté de provoquer. Pour autant, alors que ces pages difficiles semblent définitivement tournées sur ce territoire, il reste aujourd’hui encore une question à traiter : celle du statut des prisonniers basques et de leur transfert dans des établissements pénitentiaires à proximité de leurs familles et de leurs proches.

Madame la garde des sceaux, je sais que vous avez été sollicitée sur cette question, qui est aujourd’hui source de tension, notamment après le décès, voilà quelques semaines, de l’un de ces détenus dans une prison parisienne. Sa résolution conditionne aussi l’évolution définitive vers une solution pacifique sur ce territoire.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre pays a connu et connaît encore, en plusieurs endroits de métropole et d’outre-mer, des phénomènes similaires, qu’il faut parvenir à résoudre de façon pacifique, dans le respect des principes fondamentaux de la République et de nos valeurs humanistes.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la prison est un lieu qui véhicule beaucoup de fantasmes : le morbide, le sécuritaire et l’arbitraire. C’est ce qui explique que le fonctionnement des établissements pénitentiaires soit entouré de tant de précautions, de tant de normes, provoquant d’ailleurs bien souvent de nombreuses polémiques.

Cependant, il est un phénomène qui trouble toutes les approches progressistes en la matière : la surpopulation carcérale. Elle est un cancer qui ronge le système de l’intérieur et met à mal tous les efforts engagés depuis plusieurs années.

Au 1er mars 2013, la France comptait 66 995 personnes incarcérées, soit une hausse de 0, 8 % par rapport au mois de mars 2012, où l’on comptait 66 455 détenus. À la Martinique, le centre pénitentiaire de Ducos compte près de 1 050 détenus pour 569 places !

En janvier dernier, un rapport d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale a d’ailleurs été déposé par notre collègue député Dominique Raimbourg, dans lequel ce dernier analyse les causes et les conséquences du phénomène, tout en indiquant des pistes d’amélioration : éviter les incarcérations, trop nombreuses, en utilisant les mesures alternatives connues ; faire de l’emprisonnement une sanction utile pour les condamnés dans la perspective de leur réinsertion ; garantir aux personnes condamnées un véritable accompagnement pour éviter la récidive.

Si le rapport présente un dispositif de résorption et de prévention de ce phénomène de surencombrement carcéral, l’ensemble des propositions qu’il contient n’apportent pas de réponses immédiates pour mettre un terme au surpeuplement des établissements.

À la suite de cette réflexion, le 20 février 2013, le jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, présidé par Mme Françoise Tulkens, a remis un rapport au Premier ministre censé ouvrir des pistes pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive.

Parmi les mesures préconisées, notons la nécessité d’instaurer une relation de confiance et de respect mutuel entre les services judiciaires et le service public pénitentiaire, de mieux organiser le fonctionnement des services d’insertion et de probation dans les prisons et de travailler à l’ancrage du public condamné dans les territoires.

Certes, si les travaux cités manifestent la volonté forte du Gouvernement d’avancer sur les questions épineuses de la récidive et de l’incarcération, il n’en demeure pas moins qu’ils reprennent les travers habituels des autres chantiers de réforme engagés ces dernières années.

Les avancées dues aux règles pénitentiaires européennes et à la loi pénitentiaire sont indéniables, mais insuffisantes. C’est pourquoi il convient d’agir avec mesure, discernement et pragmatisme. Un chef d’établissement d’une maison d’arrêt déclarait l’autre jour : « Lorsque l’on érige le vertige en vertu, on a assurément les idées à l’envers. »

Oui, je l’affirme : les traitements contre la surpopulation carcérale n’ont pas été la panacée. On a construit de nouvelles prisons, puis on a multiplié les réformes, tout cela pour aboutir aujourd’hui à une réflexion sur une politique plus forte en faveur de l’aménagement des peines.

Si l’idée est séduisante et digne de votre engagement bien connu, madame la garde des sceaux, nous continuons inexorablement à jeter les bases de nos futures réformes sur du sable.

Nous nous dirigeons vers un mur dont les briques sont le manque de moyens financiers et humains, le non-changement de culture entre les acteurs judiciaires et pénitentiaires, la sédimentation des dispositifs pour lutter contre la récidive, la multiplication de ces derniers ayant abouti à des réponses de moins en moins efficientes.

Le 25 mars 2013, à la prison de Lille-Annœullin, une centaine de surveillants pénitentiaires ont bloqué pendant des heures l’établissement. En cause, la recrudescence des phénomènes de violence. On l’oublie trop souvent, le quotidien des personnels de surveillance, de l’insertion et de la probation, de la direction et des intervenants, ce sont l’insulte et les menaces ! Pourtant, l’établissement lillois est moderne et bénéficie de conditions plutôt satisfaisantes.

À partir de ce simple exemple, on peut mesurer que, quel que soit le niveau de modernisation de la structure, on ne peut enrayer que très difficilement le problème des violences quotidiennes envers les personnels.

Pendant que certains imaginent un dispositif de numerus clausus pour juguler la surpopulation carcérale ou que d’autres constatent, à travers un rapport, que, dans les outre-mer, l’ensemble du parc pénitentiaire souffre d’une surpopulation chronique, au centre pénitentiaire de Ducos, le nombre de matelas posés à même le sol est passé très rapidement de 60 à 130 !

Avec son millier de détenus hébergés pour 569 places théoriques, l’heure est non plus aux discours, mais à la réactivité face à cette brutale réalité : ce sont 5 ou 6 détenus dans 8 à 9 mètres carrés et 130 matelas au sol la nuit dans les couloirs !

La situation risque de perdurer, vous le savez bien, madame la garde des sceaux, puisque la construction de la seconde extension de 160 places supplémentaires, dont la livraison était prévue au premier semestre de 2014, a pris beaucoup de retard. On parle désormais d’une livraison en 2016.

De la même manière, les juridictions administratives condamnent de plus en plus les fouilles intégrales des détenus à la sortie des parloirs. C’est une noble préoccupation, mais tous les établissements pénitentiaires sont-ils équipés de portiques à rayons X et de détecteurs ? En avons-nous d’ailleurs les moyens ? Sans cela, comment endiguer le passage d’objets ou de substances illicites ? On met en avant un principe louable, mais sans donner les moyens aux fonctionnaires chargés de garder les détenus de travailler dans une sécurité optimale.

En parallèle, une volonté se fait jour d’améliorer le suivi des personnes incarcérées, d’aménager les peines et de préparer l’insertion sociale des détenus à leur sortie. Là encore, je pose la même question : comment faire ? Comment doit agir un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation lorsqu’il a la charge de plus d’une centaine de dossiers ?

Fort de ce constat, et en saluant le volontarisme gouvernemental, j’en appelle à la raison et au pragmatisme. La politique publique de prévention de la récidive et, plus largement, la politique pénale et pénitentiaire doivent être complétées d’un travail approfondi sur l’ensemble du fonctionnement de la chaîne pénale.

Il faut remettre cette analyse au centre du débat, en refusant toute pression. On doit pouvoir rassembler autour d’une table, de façon égalitaire, tous les acteurs de cette chaîne pénale, afin que soient redéfinis, facilités et allégés les fonctionnements, les relations et les procédures.

Il me semble essentiel d’assainir la situation pour que les futures réformes s’ancrent de manière pérenne et efficace. Il faut en finir avec les « millefeuilles », avec ce mal très français qui voit les dispositifs et les normes se juxtaposer sans que jamais ils se remplacent.

En rationalisant et en simplifiant la chaîne pénale, on optimise le travail des policiers, des magistrats et des personnels pénitentiaires. Gardons les dispositifs et les expériences qui fonctionnent, en évitant les redondances et les effets de mode.

En tout état de cause, il est urgent de se mettre à l’écoute de tous les professionnels concernés et de réfléchir ensemble à une réponse pénale adéquate, qui devra passer, encore une fois, par la mise en œuvre, sans précipitation, de réformes d’envergure sûres.

Construire un socle solide et une nouvelle approche pragmatique de la situation est la première réponse à la lutte contre les conséquences néfastes et inadmissibles de ce surpeuplement carcéral français.

Permettez-moi de citer un exemple d’implication. La région Martinique a décidé d’investir dans la formation des détenus, afin de tenter de désamorcer la bombe. À cette fin, elle a investi 171 000 euros pour la formation de 1 000 détenus et 98 000 euros pour l’équipement des ateliers. Par ailleurs, la région prend intégralement en charge l’accompagnement au développement personnel de 200 détenus âgés de 18 à 30 ans.

Madame la garde des sceaux, j’ai eu l’occasion de vous interpeller oralement et par écrit sur la situation explosive des établissements pénitentiaires. J’ai noté avec satisfaction la constitution d’une mission sur le sujet.

Je vous invite à mettre en place au plus vite un groupe de travail sur la question de la chaîne pénale. Pour en assurer la bonne marche et garantir une prise en compte égalitaire des multiples situations professionnelles concernées, son animation pourrait être confiée à des parlementaires.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, bien que le sujet ne s'y prête pas particulièrement, c’est avec plaisir que j’ai écouté les différents orateurs qui viennent de s’exprimer, dont je salue la très grande qualité des interventions.

À cet égard, je tiens à le souligner, le Sénat se distingue toujours par la valeur de ses travaux, en particulier sur ces très délicats sujets de société, sur lesquels nous devons veiller à être toujours intelligibles, c'est-à-dire compris par nos concitoyens, dont il nous faut sans cesse emporter la conviction.

La question dont nous débattons aujourd’hui suscite bien des antagonismes. Par exemple, nous livrons bataille pour améliorer les conditions de détention des détenus. S’il est bien entendu que ceux-ci doivent exécuter les peines prononcées par les tribunaux, il n’en demeure pas moins que leurs droits civiques et leur dignité doivent être protégés. Dans le même temps, les personnels pénitentiaires ont parfois le sentiment qu’ils ne sont pas notre priorité et que nous nous soucions davantage des détenus que de leurs conditions de travail.

Comme plusieurs d’entre vous l’ont souligné, il s’agit là d’un faux antagonisme, bien entendu. En effet, l’intérêt porté aux conditions de détention, la volonté de respecter tout simplement notre droit, nos valeurs et les préconisations européennes n’est nullement contradictoire avec l’amélioration des conditions de travail des personnels : la lutte contre la surpopulation carcérale et de meilleures conditions de détention contribuent à faciliter le travail de ces personnels.

Ce débat qui nous réunit aujourd'hui est donc extrêmement important, et je remercie la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois d’en avoir pris l’initiative. Je profite de cette occasion, même s'il ne m’appartient pas de formuler une telle appréciation, pour dire à quel point la création de cette commission fut une excellente idée.

Ces derniers jours, ces dernières semaines, certains, y compris, étonnamment, au sein même de chacun de nos deux assemblées, ont voulu délégitimer le Parlement et ont demandé que celui-ci se dessaisisse d’un sujet de société qui, tout au contraire, relevait très directement et sans aucun conteste de sa compétence. Que le Parlement se saisisse, sur sa propre initiative, d'un sujet aussi important et aussi épineux, dans le cadre de sa fonction de contrôle de l'application des lois, est donc une façon de légitimer de nouveau son rôle.

À mes yeux, la création de cette commission, en novembre 2011, a été bienvenue et pertinente, comme l’est le débat que nous menons aujourd’hui. Certes, nous pouvons adopter quantité de textes de loi. Le Parlement a d’ailleurs pu faire preuve d’un certain stakhanovisme en la matière, élaborant, avec une capacité éblouissante, projet de loi sur projet de loi, pour les oublier presque aussitôt.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Ces dernières années, l’obligation de produire, avec chaque texte, une étude d’impact a constitué un progrès. En outre, dans le cadre de la commission pour le contrôle de l’application des lois, les sénateurs se déplacent désormais sur le terrain, pour savoir ce que deviennent les lois qu’ils ont adoptées. Toutefois, il faudra bien entendu aller plus loin, en instaurant une évaluation systématique des politiques publiques induites par l’application des lois nouvellement mises en œuvre.

Le débat qui nous réunit aujourd’hui constitue donc un grand moment parlementaire, sans pompe ni tapage, dans la mesure où il reflète un changement de méthode et de culture, même si, comme vous le rappeliez tout à l’heure, monsieur Hyest, le Sénat lui-même a enclenché ce changement depuis plusieurs années.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je le sais, monsieur Hyest, mais j’étais tout de même déjà née !

Sourires. – M. Claude Dilain applaudit.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Il me paraît donc important de poursuivre ces échanges, auxquels le Gouvernement doit être associé, même s’il est plutôt désagréable d’entendre répéter à la tribune, parce que le temps de parole des orateurs est limité, qu’il reste beaucoup de travail à faire et de nombreux points à améliorer. Vous me faites rarement l’élégance d’insister un peu plus lourdement sur les avancées qu’il est d'ores et déjà possible de constater.

Il n’empêche qu’un tel rapport à la loi est important. Rousseau écrivait ainsi dans Le Contrat social : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. » Vous accomplissez donc, mesdames, messieurs les sénateurs, un acte de liberté en veillant à l’application de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui est incontestablement une belle loi, à la fois consolidée et contredite par la politique pénale menée depuis lors. Vous le disiez vous-même, monsieur le rapporteur, il y a eu des injonctions contradictoires ces dernières années, qui ont compliqué la vie des magistrats, des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, de tous ceux qui sont chargés d’examiner les dossiers pour les applications des peines et des personnels de surveillance, et brouillé la lisibilité de la politique pénale.

Vous avez choisi d’aborder le sujet dans sa globalité, c’est la grande qualité du rapport que vous avez conduit avec Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vous remercie d'ailleurs encore d’avoir accepté de venir à la chancellerie dès le mois de juillet dernier, pour m’en présenter le contenu, ce qui nous a ensuite permis de travailler ensemble.

Votre approche, qu’il convient à mon avis de retenir, a été globale. En effet, le détenu n’est pas considéré simplement en tant qu’individu exécutant sa peine, dans une cellule de huit mètres carrés, individuelle ou partagée avec deux ou trois autres détenus. Il est appréhendé dans sa globalité, c'est-à-dire dans son rapport à l’activité et à la formation professionnelle, ainsi que sous l’angle du respect de ses droits civiques, jusqu’à son droit de vote, qui est parfois oublié. Nos concitoyens pensent d’ailleurs souvent que la détention prive du droit de vote. Il faut faire savoir que, si la déchéance des droits civiques n’a pas été prononcée par le magistrat, ces droits sont maintenus.

Vous avez également choisi la cohérence, en vous interrogeant sur la détention, mais pas seulement du point de vue du détenu ou des personnels – à cet égard, je remercie particulièrement les sénatrices et les sénateurs qui ont eu quelques mots à l’adresse de ces derniers. Vous avez en effet abordé les questions relatives à l’immobilier, à l’activité, aux soins et à la formation professionnelle, qui doivent être pensées ensemble.

Pour ma part, j’ai également retenu une telle approche dans le cadre du travail que je mène à la chancellerie. La meilleure illustration est la mise en place en deux étapes, par un comité d’organisation puis un jury de consensus, de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’y avoir participé, tout comme certains sénateurs ou certaines sénatrices de la majorité – je pense à Catherine Tasca et Jean-Pierre Sueur – et de l’opposition, qui ont accepté d’apporter leurs connaissances et leurs expériences à ce processus.

Ainsi des préconisations de très grande qualité ont-elles été adoptées à l’unanimité par le jury du consensus, sur la base desquelles j’ai ouvert un cycle de consultations, qui a déjà donné lieu à vingt-quatre séances, qui m’ont permis de recevoir tous les syndicats de magistrats, les syndicats de toutes les catégories des personnels pénitentiaires, y compris des conseillers d’insertion et de probation, tous les syndicats de police, ainsi que toutes les associations d’aide aux victimes et le Conseil national de l’aide aux victimes. Je poursuis bien entendu ces consultations.

Par ailleurs, un débat a eu lieu à l’Assemblée nationale le 19 mars dernier, sur la base du rapport de M. Dominique Raimbourg, vice-président de la commission des lois, au cours duquel ont été évoquées des recommandations croisées, issues des préconisations de la conférence de consensus et du rapport Raimbourg.

Je tiens à cette méthode de rigueur, qui va au-delà des idées reçues et même de certaines convictions. La première étape consiste en effet à s’entendre sur les connaissances, en élaborant un diagnostic partagé. Il s’agit ensuite d’examiner et d’évaluer les politiques conduites ailleurs, tout en jetant les bases de celles que nous pourrions conduire ici. Je rappelle simplement qu’il faut associer les compétences et croiser les réflexions, parce qu’il n’y a pas d’évidence en la matière. Des choix explicités et assumés doivent être faits.

Pour ce qui concerne la méthode, nous travaillons en comité interministériel. Sur des questions importantes, par exemple celle du logement, nous avons fait en sorte qu’un certain nombre de logements, sur les 5 000 logements d’urgence prévus par le ministère concerné, soient réservés aux personnes placées sous main de justice. Notre idée est de faire en sorte que les personnes placées sous main de justice soient prises en considération dans tous les dispositifs de droit commun.

Nous avons retenu des dispositions similaires en matière de santé, notamment dans le cadre de la circulaire sur la révision de la politique sanitaire prise en décembre 2012 par la ministre de la santé. En matière d’emploi, le dispositif des emplois d’avenir, dont l’expérimentation est prévue dans une dizaine de départements, possède également un volet consacré aux établissements pénitentiaires. Par ailleurs, les services d’insertion et de probation sont mobilisés au sein, notamment, du comité de pilotage des services d’information et d’orientation.

Nous occupons également une place importante dans les comités interministériels, notamment sur la jeunesse et le handicap, puisque nous avons aussi à réfléchir à la situation des personnes handicapées dans les établissements pénitentiaires. Pour ce qui concerne la prévention de la délinquance, nous participons au comité interministériel de la ville.

Cela fait aujourd’hui onze mois que nous sommes aux responsabilités. Je souhaite donc tracer devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, le bilan de notre politique pénitentiaire, qui est liée à notre politique pénale. Or c’est bien parce que cette dernière s’est réduite, à la fin du quinquennat précédent, à des injonctions contradictoires que nous avons assisté, vous avez eu raison de le souligner, monsieur Bockel, à de nombreux aménagements de peines.

La consigne, dans un premier temps discrète, a ensuite été assumée, notamment dans le cadre de la loi pénitentiaire. En même temps, ont été adoptées des lois pénales qui ont augmenté le nombre de procédures accélérées, de procédures débouchant sur des prononcés d’incarcération, de dispositifs automatiques faisant tomber les sursis de mise à l’épreuve et provoquant assez systématiquement, sur réitération et récidive, la mise à exécution de peines courtes, dans des délais qui leur faisaient perdre tout sens et provoquaient surtout une désocialisation.

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a donc permis de changer d’approche. Il est important de dire une fois de plus aux personnels pénitentiaires que cette loi n’est pas tournée contre eux. Nous entendons leurs préoccupations, s’agissant des fouilles ou des miradors, un sujet que j’ai arbitré voilà quelques semaines. Nous entendons leur demande d’une réflexion sur l’évolution de leur métier, compte tenu, justement, d’une succession de lois, qui ont créé, à l’intérieur des établissements pénitentiaires, des conditions de surveillance différentes.

Vous le savez, entre le « programme 13 200 » et le « programme 4 000 », les effectifs des personnels dans les coursives ont changé, puisqu’ils ont été divisés par deux. Une telle situation suscite des inquiétudes et crée un certain mal-être, que vous évoquez d’ailleurs dans votre rapport, monsieur le rapporteur.

Néanmoins, nous devons également rappeler aux personnels de nos établissements que l’amélioration des conditions de détention contribue à l’amélioration des conditions de travail et, surtout, à la lutte contre la récidive, ce qui permet de diminuer le nombre de victimes et de contribuer à la sécurité de notre société.

Au cours de ces onze derniers mois, nous avons donc travaillé sur un certain nombre de principes. Le premier d’entre eux, c’est la reconnaissance du détenu en tant que sujet de droit. Cette idée traverse très clairement votre rapport, monsieur le sénateur, et se traduit de façon très concrète. Nous savons que le détenu peut se faire domicilier dans les établissements pénitentiaires.

Nous avons pris des dispositions pour rendre une telle mesure possible et pratique. Nous avons alors constaté qu’un certain nombre de détenus n’avaient pas de pièces d’identité. En octobre 2012, j’ai donc diffusé une circulaire, afin que nos personnels procèdent à un repérage de ces détenus et les accompagnent dans l’acquisition de leurs papiers d’identité.

Par ailleurs, nous savons également que les détenus sont privés de la possibilité de témoigner – c’est une pratique ancienne, qui n’a rien de fantaisiste – dans certaines circonstances, afin de protéger leur image. D'ailleurs, considérer qu’un détenu vu à la télévision sera fragilisé lorsqu’il quittera l’établissement pénitentiaire et mis en difficulté dans sa recherche d’emploi et ses relations sociales n’est ni absurde ni extravagant.

Il n’empêche que le détenu, en tant que sujet de droit, a la capacité d’évaluer les risques liés à son image. En vertu de ce principe, j’ai décidé d’autoriser plus facilement, mais pas systématiquement, le tournage de reportages dans nos établissements, lorsqu’un projet sérieux et solide est présenté. Surtout, je soumettrai très prochainement au Parlement, dans le cadre du projet de loi sur le secret des sources des journalistes, une disposition visant à permettre aux journalistes d’accompagner les parlementaires, lorsque ces derniers se rendent librement dans nos établissements pénitentiaires, conformément à la loi du 15 juin 2000.

Le détenu est donc un sujet de droit et doit pouvoir conserver des relations avec sa famille. Les liens familiaux sont importants, parce qu’ils permettent de faciliter l’insertion, la préparation à la sortie, d’éviter l’angoisse, l’isolement ou la tentation du suicide. Cette question renvoie, bien évidemment, à celle de l’immobilier pénitentiaire, et en particulier de son emplacement.

En effet, si nous continuons à construire des établissements complètement en dehors des agglomérations, nous compliquons la vie de ces familles. Le problème du maintien des liens familiaux débouche ainsi sur une réflexion importante, qui concerne également l’architecture pénitentiaire.

Au demeurant, nous avons accompli des efforts considérables, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, s’agissant des parloirs et des unités de vie familiale, qui existent dans 19 établissements. D’ici à 2014, 135 unités seront installées dans une soixantaine d’établissements, et, en 2015, nous atteindrons 232 unités, qui couvriront 131 établissements.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Il s’agit donc d’un rythme soutenu. Ces parloirs familiaux et ces unités de vie familiale sont en effet une condition du maintien de la vie familiale dans nos établissements. Il faut donc maintenir ces liens familiaux et éviter que nos établissements ne soient aussi excentrés. Cette exigence participe aussi de la réflexion que nous menons sur les projets de budget triennal, mais également sur ceux du prochain plan triennal.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué la prison de Loos. Sachez que j’œuvre pour que ce projet soit inclus dans le prochain budget triennal.

Concernant la construction d’un nouvel établissement pénitentiaire et d’une unité supplémentaire, le terrain ne pose pas de difficultés, puisqu’il appartient à la justice, mais il en va autrement de l’implantation. Je précise que nous disposons d’une armurerie à proximité du terrain et que le site, magnifique, comprend un monument historique.

Je vous transmettrai assez rapidement les éléments sur lesquels nous travaillons, puisque les discussions budgétaires sur le prochain budget triennal ont déjà été engagées. Il me paraît en effet opportun que vous gardiez un œil sur ce que nous envisageons de faire.

Concernant le statut juridique des détenus, la logique et les orientations sur lesquelles nous travaillons depuis onze mois imposent, je le répète, de les considérer comme des sujets de droit à part entière et de maintenir leurs liens familiaux.

J’en viens à une question importante, celle de la formation professionnelle.

L’administration pénitentiaire est en mesure de proposer 700 options de formation professionnelle. Près de 25 000 détenus sur les 67 000 que compte actuellement notre pays en ont profité, c’est-à-dire un peu moins de la moitié. Cette proportion n’est pas suffisante et nous devons progresser, mais nous enregistrons tout de même une augmentation de 9, 6 % par rapport à l’année 2011. C’est appréciable !

À cet égard, nous recherchons de nouvelles pistes, de façon à améliorer l’offre de formation dans les prisons. Nous avons mis en place un dispositif d’accueil, d’information, d’évaluation et d’orientation dès l’arrivée du détenu dans l’établissement, afin de l’informer sur les possibilités de formation qui s’ouvrent à lui et de le sensibiliser au fait que son travail d’insertion ou de réinsertion commence par l’acceptation d’une formation.

Bien entendu, comme vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur, l’expérimentation qui a eu lieu en Aquitaine et dans les Pays de la Loire sera évaluée. Michel Sapin et moi-même nous apprêtons à diligenter une double enquête de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et de l’Inspection générale des services judiciaires, l’IGSJ, de façon à tirer toutes les conséquences de cette expérimentation et à inscrire dans la loi cette décentralisation de la formation qui paraît tout à fait satisfaisante. C’est ainsi que nous pensons progresser.

L’activité des détenus pose en tant que telle une véritable difficulté. Nous avons également amélioré nos résultats sur ce point, de façon sensible mais pas spectaculaire, puisque 37, 7 % des personnes exercent une activité professionnelle dans les établissements pénitentiaires. Les résultats sont assez disparates, la moyenne étant de 28 % dans les maisons d’arrêt et de 58 % dans les établissements pour peine, ce qui touche au total un peu moins de 30 000 individus. La durée de l’activité fluctue elle aussi de façon importante.

Nous devons accomplir d’importants progrès en la matière, mais le sujet n’est pas simple, tout d’abord du point de vue du droit, si l’on se réfère, comme l’a rappelé tout à l’heure Mme Cukierman, à ce jugement selon lequel l’activité doit être considérée, non comme un engagement pris à l’égard de l’administration pénitentiaire, mais comme un contrat de travail. Cette décision de justice modifie le contenu de la loi pénitentiaire.

En outre, il faut citer cette question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, qui va examiner les dispositions de la loi pénitentiaire concernées.

La question n’est pas simple non plus du point de vue pratique, compte tenu du taux de chômage qui est malheureusement important en France. Il est certain qu’offrir de l’activité à nos détenus devient plus difficile dans une période de déprime économique.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Nous devons faire des efforts, mais, ne nous cachons pas la réalité, le contexte est plus difficile, d’autant que les dispositions actuelles de la loi pénitentiaire permettent aux entreprises et, d’une façon générale, à tous les prestataires, quel que soit leur statut de droit privé, de venir offrir des activités aux détenus et de les rendre attractives.

Nous sommes tous attachés au respect du droit du travail et à la nécessité, comme nous venons de le dire, de garantir les droits civiques du détenu, y compris ceux qui découlent de notre législation du travail. Néanmoins, nous savons bien que c’est un facteur supplémentaire de difficultés pour concrétiser l’offre d’activités dans les établissements pénitentiaires.

La question est relativement complexe, mais nous allons continuer à travailler sur la nécessité de l’activité des détenus, qui est une condition de la réinsertion, de la reprise de confiance en soi et de la réduction des risques de la récidive.

Les soins dispensés aux détenus qui se rendent dans des établissements publics hospitaliers ou dans des unités hospitalières sécurisées interrégionales, les UHSI, soulèvent des difficultés. Il en est de même de l’épineux sujet des soins psychiatriques.

MM. Jean-Jacques Hyest et Jacques Mézard l’ont dit, l’accessibilité aux soins psychiatriques étant déjà délicate pour la population générale, elle est encore plus problématique en milieu carcéral. Je citerai le cas de l’établissement pénitentiaire de Château-Thierry, où la proportion de détenus présentant des troubles psychiatriques est plus forte qu’ailleurs, avec une concentration des personnels médicaux et des personnels pénitentiaires.

Cette situation ne me semble pas satisfaisante ; c’est une sorte de pis-aller, mais il y a incontestablement, dans nos établissements pénitentiaires, des personnes qui n’ont rien à y faire et qui sont pourtant dirigées vers eux, parfois sur la base d’expertises psychiatriques et, bien évidemment, sur décision des magistrats. Il est indiscutable que nous sommes confrontés ici à un enjeu majeur : faire en sorte que les personnes qui ont besoin de soins soient soignées et non pas enfermées.

S’agissant des autres soins, la loi pénitentiaire a prévu le dispositif de la suspension de peine. Néanmoins, celui-ci requiert aujourd’hui, convenons-en, une procédure complexe et longue, à telle enseigne que certains détenus malades sont en phase terminale ou décèdent en prison au cours de la procédure, alors que l’esprit de la loi pénitentiaire est de permettre au détenu dont le pronostic vital est engagé de finir ses jours parmi les siens. Il faudrait vraiment assouplir les règles en la matière. J’espère que vous y consentirez.

Pour l’heure, Marisol Touraine et moi-même avons mis en place deux groupes de travail, l’un sur la suspension de peine, l’autre sur l’addictologie, et instauré des permanences pour lutter contre ces addictions. Nous avons également installé des référents justice au sein des structures médicales et médico-sociales.

Le ministère de la santé et le ministère de la justice œuvrent donc ensemble pour proposer au Parlement une procédure plus souple garante de la sécurité des Français, car il ne s’agit pas, au travers d’une suspension de peine pour raison médicale, de libérer des individus tout en augmentant les risques de récidive. Dans le même temps, la décision devra être prise dans des délais raisonnables.

Par ailleurs, l’accessibilité aux soins est liée à celle du revenu des détenus, notamment des détenus handicapés. Afin d’éviter la discontinuité des soins, et compte tenu de l’indigence constatée dans les établissements pénitentiaires, la ministre de la santé a pris, le 30 juillet 2012, une circulaire destinée à assurer le versement du revenu de solidarité active à certaines catégories de détenus et de l’allocation aux adultes handicapés aux personnes concernées.

Dans nos prisons, l’indigence est un problème important et un facteur de grande vulnérabilité. Par exemple, l’emprise de certains prédicateurs islamistes radicaux dans nos établissements pénitentiaires se révèle plus forte sur des détenus totalement démunis, sans aucun revenu ni aucune ressource – je rejoins ce qu’a dit tout à l’heure Mme Klès sur le pécule. Ces personnes très fragilisées peuvent être endoctrinées et sont parfois prises en charge à la sortie de l’établissement.

Nous devons étudier ce sujet, afin d’envisager toutes les conditions de prise en charge à l’intérieur des établissements pénitentiaires, y compris en matière d’éducation et de formation. Je précise à cet égard que 25 % des détenus en France ne sont pas alphabétisés ou ont un niveau de formation extrêmement sommaire. Ils sont donc très désarmés.

J’évoquerai à présent la sécurité, qui impose que soient prises certaines mesures, puis je dirai un mot de la prison de Sequedin.

Sur la sécurité, les dispositions à prendre doivent évidemment porter sur la conception et l’équipement de nos établissements. Monsieur le rapporteur, je vous remercie d’avoir rappelé que le taux d’évasion en France est l’un des plus faibles d’Europe, et probablement du monde, en dépit de certaines évasions spectaculaires. D'ailleurs, paradoxalement, plus nous sécurisons nos établissements pénitentiaires, plus les évasions réussies seront spectaculaires. Ce paradoxe est très pénible, mais c’est la réalité.

À Sequedin, par exemple, qui est un établissement sécurisé, nous avons décidé le maintien des miradors, des portes blindées, des fouilles, ce qui a suscité des discussions avec le personnel pénitentiaire. J’ai ordonné d’organiser dans les plus brefs délais une fouille générale, qui a eu lieu dans cet établissement sécurisé pour la première fois.

Tout cela n’atténue pas la gravité de la situation, et c’est la raison pour laquelle j’ai diligenté une inspection dès que l’évasion a été connue. À la suite du rapport qui m’a été remis, j’ai demandé une seconde phase d’inspection et, vous le savez, le parquet et le pôle instructeur ont immédiatement été mobilisés. Un mandat d’arrêt européen a été lancé le jour même. Enfin, nous avons envoyé une brigade cynophile pour tenter de repérer l’endroit où les explosifs avaient pu être cachés. Nous avons donc pris toutes les mesures de sécurité nécessaires.

Je ne dirai rien de l’enquête, ne disposant pas d’éléments à ce sujet, mais je peux vous assurer qu’elle se poursuit. Nous devons arriver à savoir comment des armes et des explosifs sont introduits dans les établissements pénitentiaires. Nous émettons des hypothèses, car nous obtenons des renseignements par les personnels. Ceux qui revendiquent le retour aux fouilles systématiques nous ont ainsi expliqué comment certains détenus parvenaient à faire entrer toutes sortes de choses en prison.

Pour ce qui est de la sécurité, les dispositions de la loi sont ce qu’elles sont, mais il nous faut trouver les bonnes combinaisons entre ce que l’on appelle la « sécurité passive », c’est-à-dire tous les dispositifs existants, dont les miradors, les portiques et les portes blindées, et les compensations que l’on pourrait ajouter à l’encadrement strict des fouilles par la loi pénitentiaire.

Nous sommes encore confrontés à des querelles de chiffres sur le coût des équipes cynophiles et des fermetures de miradors. Nous y verrons bientôt clair, me semble-t-il, car, quand on pose les bonnes questions, les chiffres s’affinent.

D’ailleurs, sur les chiffres annoncés et les décrets d’application, vous nous reprochez de ne pas avoir avancé. Ce constat était un peu sévère ! En effet, sur vingt et une mesures réglementaires nécessaires, dix-huit ont été prises.

Il reste à prendre trois décrets d’application, dont l’un porte précisément sur l’observatoire indépendant. Toutefois, l’esprit de la loi pénitentiaire est de se servir de chiffres précis – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, lorsque vous avez demandé l’état des chiffres sur la récidive, établissement par établissement –, de données fiables, qui aient un sens afin d’inspirer la politique publique. Quoi qu'il en soit, je suis prête à entendre les remarques que le Sénat pourra émettre au sujet du nouvel observatoire indépendant, au sujet duquel nous avons travaillé.

Vous le savez, nous avons décidé de confier les données pénales à cet organisme, …

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

… et, sur ce sujet, nous poursuivons nos travaux en lien avec le ministère de l’intérieur. Nous avons d'ailleurs déjà adopté le décret mettant en place cet organisme et définissant ses missions.

Comme quelques autres ministères, la Chancellerie dispose de son propre service statistique, ce qui n’est pas le cas du ministère de l’intérieur. C’est donc l’ONDRP, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, qui, au cours des dernières années, a mené les études statistiques commandées par ce ministère.

Vous connaissez toutes les polémiques qu’ont suscitées cet observatoire et ses chiffres. Cette question fait l’objet de querelles et de contestations depuis plusieurs années.

À cet égard, l’alternative est la suivante : ou bien garantir la stabilisation de cette instance, via la redéfinition de ses missions et de son périmètre, en le limitant au ministère de l’intérieur : auquel cas, il n’y a pas de raison que le ministère de la justice ne reprenne pas les statistiques pénales ; ou bien assurer la création d’une structure hors de portée des critiques, et échappant partant à toutes les suspicions – fondées ou non – concernant la mainmise exercée sur ses chiffres par le ministère de l’intérieur.

Dans le second cas, cet observatoire travaillerait également sur les données pénales. Du reste, les ministères de l’intérieur et de la justice organisent déjà l’échange d’informations et de statistiques. Ainsi, les juridictions ont été équipées du logiciel Cassiopée, qui permet de disposer des données pénales produites par les forces de l’ordre. Ce dispositif fonctionne déjà à 100 % avec la gendarmerie. Pour l’heure, l’échange de statistiques reste plus compliqué avec la police nationale, qui a été équipée de ce dispositif plus récemment, mais il tend à se développer.

Puisque nous disposons déjà de cette coopération, mieux vaut la préserver. J’ajoute que nous avons veillé à mettre l’Observatoire à l’abri de toutes les suspicions possibles – pour la plupart infondées – en le confiant à un statisticien issu de l’INSEE a priori incontestable et, à tout le moins, absolument professionnel.

Dans ce cadre, nous envisageons de retravailler le décret relatif à cet organisme, en vue d’atteindre au mieux notre but principal, à savoir la construction de données statistiques !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

À cet égard, je suis prête à entendre toutes les critiques émanant du Sénat.

Je le répète, le ministère de la justice dispose de son propre service statistique, organisé en quatre unités : je suis d’ailleurs en train de coordonner ces dernières afin que les différents indicateurs puissent être comparés et que les chiffres produits soient fiables et cohérents. Parallèlement, il faut assurer la performance de l’Observatoire national. Voilà donc un décret de moins à rédiger !

S'agissant du décret établissant un règlement intérieur type, je tiens à vous indiquer, monsieur le rapporteur, que je viens de signer ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je savais bien que nous apprendrions au moins une bonne nouvelle aujourd'hui !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’y ai veillé !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

C’est l’intérêt de ce genre de débats !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Sur ce sujet, nous nous sommes heurtés à la difficulté suivante : le texte rédigé par nos services prévoyait un règlement intérieur par type d’établissement. Or le Conseil d’État a souhaité, entre autres observations, qu’un seul et même modèle de règlement intérieur soit établi pour l’ensemble des centres pénitentiaires. Quelques semaines supplémentaires ont donc été nécessaires pour retravailler ce décret, qui est désormais signé. Voilà un autre aboutissement de la loi.

Enfin, un dernier décret reste en souffrance. Il est relatif à la consultation des détenus et leur expression collective.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sans doute avez-vous connaissance du rapport Brunet-Ludet, qui porte sur à l’expérimentation de l’expression collective au sein de dix établissements. Ce rapport fait état d’une expérience tout à fait satisfaisante. Certains suggèrent d’aller au-delà des dispositions actuellement en vigueur. Pour ma part, j’estime que ce n’est pas nécessaire. Au reste, d’aucuns contestent cette disposition législative en tant que telle. Nous en resterons donc à la loi.

Les retards qu’a subis la rédaction de ce texte étaient précisément dus à des études destinées à déterminer s’il était possible d’aller plus loin, eu égard à l’intérêt que présente l’expérimentation menée par Mme Brunet-Ludet. J’ai donné les consignes nécessaires pour que ce décret soit prochainement publié.

Dans ce cadre, nous travaillons avec divers partenaires, non seulement à l’échelle interministérielle, mais aussi avec les collectivités territoriales. Il est important de le souligner dans cette maison, qui est précisément celle des collectivités.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Ces collectivités sont étroitement associées à nos travaux en la matière.

Tout d’abord, vous le savez, elles prennent part aux comités de pilotage et aux conseils d’évaluation de nos établissements pénitentiaires.

Ensuite, elles sont un partenaire précieux pour l’exécution d’un certain nombre de mesures permettant d’éviter l’incarcération, notamment les travaux d’intérêt général, dont nous fêtons cette année les trente ans. À ce titre, j’ai lancé, il y a déjà trois mois, la campagne d’anniversaire de ce dispositif : je le répète, les collectivités jouent un rôle très précieux dans ce domaine.

De plus, elles sont nos partenaires au titre des emplois d’avenir.

Enfin, elles jouent un rôle d’innovation, notamment en matière de formation décentralisée. J’ai évoqué ce sujet il y a quelques instants : nous envisageons de systématiser ce dispositif en l’inscrivant dans la législation.

Nous travaillons également avec d’autres partenaires. Je songe aux associations, constituées de citoyens bénévoles qui se dévouent à l’action publique et qui rendent de véritables services d’intérêt général ; je pense également aux services sociaux, qui entrent dans nos établissements pénitentiaires, où ils sont les bienvenus. Dans la logique conduisant à ouvrir tous les dispositifs de droit commun aux personnes placées sous main de justice, il importe que ces services puissent mener ces actions. Nous avons d’ailleurs créé des postes d’assistantes sociales, afin de répondre aux besoins des détenus et même de les prévenir, avant qu’un accompagnement de sortie ne se révèle nécessaire.

À cet égard, je souligne que nous luttons contre les sorties sèches. Monsieur Hyest, vous le soulignez avec raison : aujourd’hui, plus de 80 % des sorties sont sèches. Comme aggravation des facteurs de récidive, on ne peut pas trouver mieux !

Concernant les aménagements de peine, vous avez relevé que le PSE, le placement sous surveillance électronique, c'est-à-dire le bracelet électronique, était généralement retenu comme mesure d’aménagement de la peine. C’est exact, et les chiffres l’attestent. Toutefois, une difficulté se fait jour concernant les autres aménagements de cette nature : les places de semi-liberté sont assez mal réparties sur le territoire. Voilà pourquoi nous allons en créer de nouvelles et étendre la possibilité de recourir au PSE.

Comme vous le soulignez, monsieur Hyest, ce dispositif fonctionne assez bien. Néanmoins, certaines personnes manifestent leur inquiétude à cet égard et demandent en conséquence à revenir à l’incarcération, préférant échapper aux contraintes du bracelet électronique.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Il est important de le souligner. Souvent, les citoyens se figurent que les aménagements de peine constituent une faveur ou une dispense. Or tel n’est pas le cas ! Les individus écroués purgent de véritables peines, avec leurs contraintes et leurs obligations, même s’il s’agit, en l’espèce, d’un écrou en milieu ouvert. Or certaines personnes ne supportent pas les contraintes du bracelet électronique.

En conséquence, nous allons créer 800 nouvelles places de semi-liberté au cours du plan triennal. Cette mesure permettra aux juges d’application des peines de prononcer un peu plus de mises en semi-liberté et limitera ainsi la prédominance du bracelet électronique.

À ces dispositifs s’ajoute le placement extérieur, qui, comme M. le rapporteur l’a souligné avec raison, donne de bons résultats. Voilà pourquoi j’ai tenu à augmenter de 12 % le budget concerné.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

Certes, mais il y a très peu de personnes concernées !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

J’en conviens, monsieur Gournac, et l’augmentation de ces crédits permettra précisément de développer ce dispositif.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà l’essentiel des mesures que nous avons mises en œuvre en application de la loi pénitentiaire. Je sais qu’il reste beaucoup à faire et que de grands défis nous attendent, notamment concernant l’activité ou la formation professionnelle. Nous allons tout faire pour les relever. J’aurai besoin de votre soutien, car, sur ce sujet également, nous devons conquérir l’opinion publique.

Mmes Espagnac et Klès l’ont souligné à juste titre : conquérir l’opinion publique permet de garantir une meilleure acceptabilité des choix budgétaires au sein de notre société. De fait, ces mesures exigent des moyens. Néanmoins, dans un État de droit, dans une République, il faut accorder les moyens nécessaires aux établissements pénitentiaires !

J’ajouterai un mot concernant les centres pénitentiaires de l’outre-mer, qui ont été très fortement négligés et pénalisés au cours des dernières années. Certains d’entre eux sont même dans un état absolument calamiteux.

M. Antiste l’a rappelé, j’ai diligenté une mission pour ce qui concerne l’établissement de Ducos. Celui de Baie-Mahault, en Guadeloupe, subit également de sérieuses difficultés. Celui de Basse-Terre est quant à lui dans un état totalement déplorable, comme le sait bien M. Desplan. Dans tous les outre-mer, nous sommes confrontés à des problèmes de surpopulation carcérale.

À Sequedin, la surpopulation carcérale s’élève à 175 %. Comme le soulignait M. Hyest, ce taux atteint 328 % dans les territoires ultramarins.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pardonnez-moi, monsieur Hyest, il me semblait que vous aviez évoqué l’outre-mer en citant ce chiffre. De fait, sur le territoire national, nous atteignons au maximum 240 %, un pourcentage qui est déjà énorme, j’en conviens tout à fait.

M. Jean-Jacques Hyest acquiesce.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Le taux d’aménagement des peines est extrêmement faible. J’ai donc pris des dispositions en faveur du recrutement des juges d’application des peines, afin d’augmenter leur effectif de près de 10 %. En effet, ces magistrats ont des dizaines de milliers de mesures à examiner.

De plus, j’ai décidé d’augmenter le nombre de conseillers d’insertion et de probation. Je tiens à l’indiquer, même si je sais que cette mesure n’a rien à voir avec le nombre d’agents supplémentaires nécessaires à un bon encadrement, qu’il s’élève à 1 000 ou à 250.

Parallèlement, dans la droite ligne de la conférence du consensus, il convient de travailler sur la peine de probation, et même de la construire : je ne tiens pas à transposer cette peine telle qu’elle a été élaborée dans d’autres sociétés. En effet, je suis convaincue que le succès de telles mesures, et de tout dispositif en général, est lié à la prise en compte de paramètres historiques, culturels et sociologiques. On n’applique pas un dispositif technique et juridique de la même manière dans deux contextes différents ! C’est un véritable enjeu, car il nous faut parvenir à construire, en France, la peine de probation la plus crédible qui soit.

Tout d’abord, il faut que cette mesure soit crédible pour la personne mise en cause : celle-ci doit bien comprendre qu’il s’agit d’une peine à part entière, avec ses contraintes et ses obligations, dont la violation entraîne des sanctions.

Ensuite, il faut qu’elle soit crédible pour les victimes, qui doivent non seulement être indemnisées, mais aussi avoir la conviction que la victime accomplit réellement une peine. C’est un enjeu essentiel pour nos centres pénitentiaires.

Enfin, il faut que ce dispositif soit crédible pour la société, qui doit accepter la peine de probation comme une peine en soi.

Dans cette perspective, nous sommes en train de travailler au contenu de cette mesure. Bien entendu, nous devons nous appuyer, à cette fin, sur les juges d’application des peines et sur les conseillers d’insertion et de probation. À l’heure actuelle, ces personnels, dont je salue la grande mobilisation, sont habitués à étudier pendant des mois chaque cas d’aménagement de peine. La loi pénitentiaire fixe en effet à deux ans le quantum de la peine d’emprisonnement aménageable, mais la décision n’est pas automatique, et heureusement : nous sommes en effet favorables à l’individualisation des peines et à un examen au cas par cas des situations.

Je le répète, magistrats et conseillers d’insertion et de probation se consacrent souvent à un cas pendant des mois, voire toute une année durant, afin de proposer le meilleur aménagement possible.

Si nous abandonnons ce dispositif à plusieurs étages, des personnels dédiés pourront évidemment se charger de l’exécution immédiate de certaines peines, notamment des peines de probation. C’est là le moyen de rendre plus efficace les compétences exceptionnelles que les personnels de la justice mettent à notre disposition.

Je crois avoir répondu à toutes les questions qui m’étaient posées…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Monsieur Assouline, sur ce sujet, je ne vous cache pas que les dispositions pratiques posent un certain nombre de problèmes. Si vous le souhaitez, je peux vous faire parvenir très rapidement une note résumant ces difficultés.

Nous avons déjà travaillé sur cette question à l'échelon interministériel, et une réunion est prochainement prévue dans ce cadre. D’ici à quelques mois, c'est-à-dire avant les prochaines échéances électorales, nous devrions donc être en mesure d’exprimer notre différence dans le respect du droit civique des détenus.

J’espère ne pas avoir omis d’autres sujets…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Pas du tout, madame la garde des sceaux, votre réponse était très complète !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Pour conclure, je souhaite m’adresser à nos surveillants pénitentiaires, que nous associons systématiquement à nos travaux comme à nos réflexions, et que je rencontre régulièrement – hier soir encore, j’ai reçu une délégation de ces personnels, dont dépend la bonne efficacité de nos politiques en la matière.

À cet égard, je le souligne, les contrôles dont les surveillants font l’objet contribuent aussi à les protéger. Ces inspections peuvent être menées par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, que je salue à mon tour à cette tribune pour l’excellente qualité du travail que ses équipes et lui-même réalisent ; par l’Observatoire international des prisons, avec ses exigences et ses procédures judiciaires ; par les tribunaux eux-mêmes, car, malheureusement, l’administration est assez régulièrement condamnée ; par les parlementaires, qui, comme la loi les y autorise, peuvent se rendre dans les établissements pénitentiaires librement, de manière tout à fait impromptue, puis signaler les anomalies ou les dysfonctionnements qu’ils ont pu observer ; ou encore, par les associations.

Quels que soient ces contrôles, je le dis et je le répète à l’attention des personnels pénitentiaires : il s’agit pour eux d’une protection. Nos prisons doivent être républicaines. Nous sommes dans un État de droit, ce qui suppose d’accepter le regard des parlementaires, celui des représentants de l’Union européenne ou des associations, ou encore celui de spécialistes. Parallèlement, nous ne devons pas sous-estimer le dévouement et la compétence de nos surveillants. À l’inverse, nous devons saluer le courage avec lequel ils gèrent les établissements pénitentiaires au quotidien. Aussi, je leur rends un hommage auquel je me permets d’associer le Sénat tout entier.

Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la loi pénitentiaire.

L’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.