Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président de la commission sénatoriale pour l’application des lois, mes chers collègues, en juillet 2012, Nicole Borvo Cohen-Seat et moi-même présentions un rapport d’information sur l’application de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
Écrit à quatre mains, ce rapport nous engage l’un comme l’autre de la même manière, ce qui lui donne sans doute une autorité renforcée. N’est-ce pas un atout supplémentaire du Sénat, assez ancré me semble-t-il dans la culture de la Haute Assemblée, que de parvenir à des propositions consensuelles dont nous nous étions d’ailleurs entretenus avec vous, madame la ministre, peu de temps après votre arrivée à la Chancellerie ?
Dans ce contrôle de l’application de la loi pénitentiaire près de trois ans après la promulgation de ce texte, dans l’exercice de cet indispensable « service après vote », nous regrettions, c’est vrai, les retards dans la prise d’un certain nombre de textes d’application.
Apparemment, rien n’a changé, madame la ministre, mais j’espère que vous aurez de bonnes nouvelles à nous apporter !
Nous attendions un décret sur les règlements intérieurs types par catégorie d’établissement pénitentiaire. En effet, d’une prison à l’autre, les régimes de détention peuvent beaucoup varier selon la personnalité du chef d’établissement, l’histoire ou la culture locale. Il en résulte des différences de traitement ressenties, notamment à l’occasion d’un transfert, comme une forme d’arbitraire. Nous attendons toujours !
De même, le législateur avait souhaité la mise en place d’une évaluation indépendante des taux de récidive par établissement pour peine. Nous attendons encore ! Il ne s’agissait pas d’instaurer je ne sais quel hit-parade des meilleures prisons. Ce que nous voulions, c’est tout simplement disposer d’éléments d’appréciation des conditions de détention et de leurs effets sur la récidive et sur la réinsertion. Cela nous permettrait, par exemple, de formuler des jugements plus objectifs sur des initiatives particulièrement intéressantes comme la prison ouverte de Casabianda et de savoir s’il convient ou non de développer ce type d’innovation.
Timidement, la loi pénitentiaire instaurait, en outre, une consultation des détenus sur les activités qui leur sont proposées. Je sais que ce thème vous intéresse, madame la ministre, mais, sur ce point aussi, l’attente continue.
En outre, d’autres dispositions font l’objet d’une application que l’on peut qualifier de trop mesurée, pour ne pas dire d’évanescente.
Il en va ainsi de l’obligation d’activité. Difficilement imposée par le Sénat, elle fait aujourd’hui l’objet d’un vaste consensus, mais sa généralisation exige une volonté politique sans faille. Dans l’esprit du législateur, elle consiste essentiellement dans un travail carcéral ou une formation professionnelle garante des meilleures chances de réinsertion.
Des initiatives innovantes ont été prises – mise en place, ici, d’une plate-forme de tri sélectif des déchets, là, d’un centre d’appel, ou encore d’une liaison avec le monde de l’entreprise et de l’artisanat –, mais bien des efforts restent à accomplir.
Nicole Borvo Cohen-Seat et moi-même avions suggéré, par exemple, que, même dans les établissements privés, les chefs d’établissement s’impliquent dans la prospection d’entreprises concessionnaires auprès des chambres de commerce et d’industrie, des chambres de métiers et du patronat local, car leur rôle est irremplaçable.
Nous demandions que l’on soit très vigilant, dans les nouveaux établissements, aux locaux et aux ateliers adaptés au développement d’activités. C’est souvent le cas, mais pas toujours.
Nous demandions aussi que l’on concrétise enfin la promesse faite par vos prédécesseurs, madame le ministre, d’instaurer une priorité pour les productions des établissements pénitentiaires dans le cadre des marchés publics, ce qui impose, on le sait, une innovation en matière règlementaire.
S’agissant de la formation professionnelle des personnes détenues, nous pensons que celle-ci gagnerait à être confiée aux régions. Or l’expérimentation souhaitée au travers de la loi pénitentiaire s’est heurtée à un obstacle imprévu : la nécessité d’indemniser les partenaires privés des établissements en gestion déléguée compétents en matière de formation. Il importe de modifier les cahiers des charges à cet égard.
Je voudrais maintenant aborder un point très sensible, encore exacerbé par l’évasion récente de la maison d’arrêt de Lille-Sequedin : le régime des fouilles, qui représente un sujet de crispation majeure avec les personnels de surveillance.
S’il a interdit les fouilles corporelles internes, sauf autorisation d’un magistrat et réalisation par un médecin extérieur à l’établissement, le législateur n’a pas interdit les fouilles intégrales, mais seulement leur caractère systématique.
Ces fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre.
Ces dispositions de nature à protéger la dignité de chacun et à limiter le risque suicidaire, si préoccupant dans notre pays, doivent être maintenues et appliquée. Vos co-rapporteurs estimaient que l’indispensable conciliation des principes de sécurité et de respect de la dignité imposait le recours à des portiques à ondes millimétriques permettant de visualiser les contenus des corps et de repérer la présence à la fois d’objets dangereux et de substances illicites, sans que la personne détenue ait besoin de se dévêtir, à l’instar de ce qui existe dans nombre d’aéroports.
Que l’on arrête, madame le ministre, de nous dire que ces scanners corporels coûtent trop cher ! Le prix de 150 000 euros, dont le montant serait revu à la baisse si l’administration pénitentiaire en acquérait le nombre nécessaire, ne correspond qu’à peine au prix d’une place de prison supplémentaire.
En outre, on sait bien que c’est par les projections qu’atterrit dans les cours de promenade l’essentiel des objets les plus dangereux. Il faut à la fois multiplier et élever des filets de protection, et donner des consignes strictes aux forces de l’ordre, police et gendarmerie, pour opérer aux heures de promenade les surveillances nécessaires et les arrestations indispensables.
Enfin, à lire certains journaux, on pourrait croire que l’on s’évade avec une extrême facilité des prisons de la République, alors qu’elles sont, sur ce point, parmi les plus sûres de la planète. Je suis, pour ma part, toujours étonné, au sens ancien du terme, de la disproportion des réactions médiatiques que suscitent, d’un côté, cent suicides, de l’autre, une seule évasion.
Pour lutter contre la surpopulation carcérale et permettre d’aller vers l’encellulement individuel qui, seul, limitera le caïdat, l’exploitation des plus faibles et la présence trop fréquente, dans les prisons, de lieux de non-droit, la loi pénitentiaire a posé deux principes fondamentaux.
En matière correctionnelle, et en dehors des condamnations en récidive légale, une peine d’emprisonnement ferme ne peut être prononcée qu’en dernier recours. Lorsqu’une telle peine est prononcée, elle doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, faire l’objet d’un aménagement de peine.
L’étude d’impact annexée à la loi pénitentiaire estimait cependant nécessaire de réduire de 80 à 60 le nombre de dossiers suivis par chaque conseiller d’insertion et de probation, ce qui supposait la création de 1 000 postes supplémentaires.
Nous en sommes bien loin. Dans ces conditions, la nécessaire diversification des aménagements de peines n’a pu s’opérer.
Si le placement sous surveillance électronique s’est développé dans des proportions considérables, ce ne fut le cas ni du placement à l’extérieur, ni de la semi-liberté, ni de la libération conditionnelle, qui constituent pourtant les mesures à la fois les plus adaptées aux personnes les plus vulnérables et les plus efficaces pour lutter contre la récidive.
Permettez-moi de rappeler avec force que, de la même manière qu’une politique pénitentiaire ne saurait se réduire à l’évolution des capacités de détention, la politique d’aménagement de peine ne se résume pas à l’augmentation du nombre de bracelets électroniques.
Pardonnez-moi aussi de ne pas recenser tout ce qui donne largement satisfaction parmi les innovations de la loi pénitentiaire : la présence des assesseurs extérieurs à l’administration, auxquels nous souhaiterions conférer une voix délibérative dans le cadre de la procédure disciplinaire ; l’attention renouvelée aux liens familiaux, avec la multiplication des unités de vie familiale et des parloirs familiaux...
Notre rôle n’est-il pas davantage d’insister sur ce qui pose problème ?