Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 25 avril 2013 à 9h30
Débat sur la loi pénitentiaire

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la privation de liberté ne peut, et ne doit jamais, se traduire par le retrait des droits fondamentaux de la personne humaine.

La question pénitentiaire a toujours constitué une préoccupation forte pour le groupe que j’ai l’honneur de présider, soucieux en toutes circonstances de défendre la dignité de la personne humaine, et ce quels que soient les individus et leur parcours.

Je rappelle à la Haute Assemblée que notre groupe avait pris l’initiative en 2000, sous l’impulsion du président Guy-Pierre Cabanel, de la création de la commission d’enquête sur les prisons. Le sous-titre de son rapport, « Une humiliation pour la République » – je salue, à cet égard, le travail accompli alors par Jean-Jacques Hyest ! –, en disait long sur l’état catastrophique de nos établissements pénitentiaires, laissés pendant des décennies en déshérence par les pouvoirs publics, quelle que soit la sensibilité des gouvernements en place.

Ce choc pour l’opinion publique et les politiques fut-il pour autant salutaire ? Sur la base du constat que nous faisons, nous sommes, hélas ! plutôt pessimistes.

Je tiens à saluer, à ce stade de mon intervention, ceux qui ont accompli ce travail, le président Jean-Jacques Hyest, mais aussi Jean-René Lecerf, qui – je le dis avec beaucoup de conviction – a mis ses qualités intellectuelles et humaines au service d’une grande cause, pour faire une grande loi.

Vous comprendrez donc qu’il était pour nous évident de demander que se tienne aujourd’hui, devant le Sénat, ce débat sur la politique pénitentiaire, à la fois pour que soit dressé un bilan des travaux menés ces dernières années – il serait injuste de dire que rien n’a été fait ! –, en particulier depuis l’adoption de la loi pénitentiaire, et pour que vous nous présentiez, madame le garde des sceaux, les orientations que vous souhaitez mettre en œuvre.

Avec près de 67 000 détenus au 1er mars dernier, la surpopulation carcérale continue d’être la règle. Entre le 1er janvier 2002 et le 1er janvier 2012, le nombre de personnes placées sous écrou est passé de 48 594 à 73 780, soit une hausse de 52 %, et le nombre de personnes détenues de 48 296 à 64 787, soit un accroissement de 34 % : le taux de détention est ainsi passé de 79 pour 100 000 habitants voilà dix ans, à 99 pour 100 000 en 2012. Enfin, le taux moyen d’occupation de nos prisons – vous le savez mieux que quiconque, madame le garde des sceaux – atteint 118, 8 %.

Il est indéniable que le phénomène a pris une ampleur particulièrement inquiétante depuis plusieurs années. La population carcérale est aujourd’hui très largement supérieure aux capacités d’hébergement des 191 établissements pénitentiaires français et de leurs 57 000 places. Les chiffres de la densité carcérale illustrent ce constat : 12 établissements ou quartiers ont une densité supérieure à 200 %, et 31 une densité comprise entre 150 % et 200 %.

Ce phénomène n’est certes pas spécifiquement français. Nos voisins, l’Italie et la Belgique, connaissent des taux d’occupation comparables, mais ce n’est ni une référence ni une satisfaction.

Dès 1999, la recommandation n° 22 du comité des ministres du Conseil de l’Europe constatait déjà que la surpopulation carcérale constituait « un défi majeur pour les administrations pénitentiaires et l’ensemble du système de justice pénale ». Pour autant, la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, lancée depuis quelques années, ne s’est pas traduite par la disparition de la surpopulation carcérale. En effet, construire de nouveaux établissements et augmenter considérablement, dans le même temps, le nombre de peines de prison ferme, c’est une course à la mer qui ne prend, hélas ! jamais fin.

Les maisons d’arrêt en sont les principales victimes, avec un taux moyen d’occupation de 135 %. Ce taux s’élève même, pour l’une d’entre elles, à 306 %. Pour celle de Béthune, il est de 246 % ... je ne multiplierai pas les exemples, car vous connaissez ces chiffres tout comme moi.

Les conséquences de cette situation sont inacceptables, unanimement réprouvées, comme ne manque pas de le répéter le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, auquel je tiens à rendre ici un hommage particulier pour l’immense qualité de son travail et pour son courage. Il serait très important, madame le garde des sceaux, que nous tenions tous compte des conclusions figurant dans son rapport annuel.

Ce qui figure dans ce rapport d’activité est édifiant. Qui peut encore faire comme si cela n’existait pas ?

L’article 1er de la loi pénitentiaire de 2009 résume en quelques mots ce sur quoi nous sommes presque unanimement d’accord : « Le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime » – il ne faut jamais oublier les victimes – « avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue [...] et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». Tout est dit.

Or, après une visite à la prison des Baumettes, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté évoquait de nouveau « une violation grave des droits fondamentaux, notamment au regard de l’obligation, incombant aux autorités publiques, de préserver les personnes détenues, en application des règles de droit applicables, de tout traitement inhumain et dégradant ». Comment parvenir à réinsérer avec des traitements inhumains et dégradants ?

Ces violations, nous les connaissons : la promiscuité et l’absence d’intimité, qui obligent – Jean-René Lecerf vient de le rappeler – des détenus à dormir par terre, l’insalubrité, avec des conditions d’hygiène dignes d’un autre siècle, l’oisiveté forcée, la non-application du droit du travail pénitentiaire, l’utilisation abusive et humiliante des fouilles malgré leur strict encadrement – là encore, Jean-René Lecerf a très clairement réaffirmé ce qu’il convenait de faire, tout en préservant bien évidemment la sécurité des agents de l’administration –, le développement des pathologies, en particulier mentales – la question de la psychiatrie en prison est prégnante.

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