Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 25 avril 2013 à 9h30
Débat sur la loi pénitentiaire

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, s’il pouvait subsister un doute quant à l’intérêt de ce débat, ce que je viens d’entendre de la part de l’ancien responsable de l’administration pénitentiaire, qui nous a fait part de l’expérience enrichissante qu’il a acquise, l’aurait dissipé.

Jacques Mézard a exposé les raisons qui ont conduit notre groupe à demander au Sénat de débattre aujourd’hui de la politique pénitentiaire. Je ne peux que partager son analyse de l’état de nos prisons, des causes qui ont conduit aux dérives que nous connaissons et des solutions qui pourraient être apportées.

La publication en 2000 du livre du docteur Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, avait livré à l’opinion publique le constat cruel, mais sans concession, de l’état de délabrement avancé de notre système carcéral. La situation n’avait guère évolué depuis des décennies. Cet électrochoc a sans doute permis de réveiller les consciences et a abouti à une véritable prise en compte du problème des conditions de détention dans notre système pénitentiaire, qui sont d’autant moins acceptables que la République se veut un phare en matière de droits de l’homme.

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dont un premier bilan a été établi par notre collègue Jean-René Lecerf dans son rapport, auquel je tiens à rendre hommage – j’ai également à l’esprit l’hommage que lui avait rendu Robert Badinter lors de sa publication –, avait en son temps suscité beaucoup d’espoirs, tant du côté des détenus, de leurs familles et des associations leur venant en aide, que de celui des professionnels du droit, des personnels pénitentiaires, des avocats et des magistrats. Il s’agissait pour la garde des sceaux de l’époque, Mme Dati, de poser « les fondations d’une nouvelle vision de la prison, une vision apaisée du monde pénitentiaire ». Le moins que l’on puisse dire est que son ambition n’a pas encore été traduite dans les faits ; on peut le regretter.

Quelle est la réalité de la prison aujourd’hui ? Un problème de surpopulation ; il a déjà été évoqué. Des conditions de détention très souvent indignes : le respect des règles élémentaires d’hygiène demeure théorique. Des détenus à 50 % illettrés, livrés à eux-mêmes dans une oisiveté mortifère sur laquelle se greffent des pathologies mentales qui rendent illusoire toute idée de réinsertion. La prison est encore et toujours un élément favorisant la récidive. Ce constat a déjà été fait, mais la situation est telle que la répétition est inévitable.

Est-il normal que des primo-délinquants soient si facilement mis en contact avec des délinquants avérés, qui vont nécessairement les influencer ? Est-il acceptable que l’incarcération fasse partie du parcours « normal » des petits caïds, qui en ressortent avec une réputation accrue ? Est-il acceptable que le prosélytisme des intégristes religieux trouve en prison le moyen de s’exprimer ?

Nous continuons d’acquitter la facture du credo de la tolérance zéro, qui avait conduit l’ancienne majorité à durcir toujours davantage sa politique pénale, par exemple en prévoyant la détention des mineurs dès l’âge de treize ans. Je regrette d'ailleurs que la discussion budgétaire ait été arrêtée et que le débat sur la délinquance de la jeunesse n’ait pu avoir lieu à ce moment, parce que cela aurait pu enrichir notre réflexion. Ce programme absurde de tolérance zéro, totalement impropre à résoudre le problème de la délinquance juvénile, faisait des jeunes délinquants des boucs émissaires.

Madame la garde des sceaux, bien qu’il doive naturellement être soumis à des sujétions particulières en raison de sa nature, l’univers carcéral n’en appartient pas moins à notre société démocratique et doit à ce titre être encadré par des règles dignes d’un État de droit. Pour les membres de notre groupe, la prison doit remplir une double fonction : elle est à la fois la sanction infligée par la société à ceux qui en violent les règles et qui doivent s’amender et un outil de prévention de la récidive et de réinsertion des détenus, ce qui implique de donner un sens à la sanction.

Ce constat nous conduit à déplorer, avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont je dois saluer la liberté de ton et les nombreuses recommandations, que les établissements pénitentiaires restent encore trop souvent soumis à l’arbitraire, malgré les avancées prévues par la loi pénitentiaire. La réinsertion passe par l’accès à des droits sanitaires et sociaux dont l’effectivité n’est pas encore satisfaisante en dépit des principes posés par la loi pénitentiaire.

Dans son rapport de 2011, Jean-Marie Delarue relevait que, comme notre collègue vient de le rappeler, les détenus exerçant une activité rémunérée pour le « service général » ou pour des entreprises extérieures étaient traités et payés de manière injuste, voire dérisoire. La loi impose des minimas de 45 % du SMIC pour la production et de 33 % pour le service général, mais les payes sont souvent inférieures ; à rebours de l’esprit de la loi de 2009, les minimas deviennent en réalité des plafonds. Nous savons d’ailleurs – ce point a également été rappelé – que la Cour de cassation a transmis au début du mois d’avril au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur le droit du travail applicable aux détenus. Nous attendons avec intérêt la réponse.

Il faut également souligner que les détenus travaillent dans des conditions bien éloignées des règles d’hygiène et de sécurité : espaces pas ou peu aérés, fréquemment exigus, machines ayant quelquefois plus de trente ans d’âge ou étant d’un maniement dangereux. L’ensemble de ces éléments nous conduit à nous interroger sur la réalité de la dimension sociale de la prison, un volet que les pouvoirs publics ont longtemps ignoré, fabriquant ainsi des délinquants qui nourrissent des sentiments de révolte à l’égard de la société.

Il est temps de mettre fin à la frénésie législative qui a conduit le législateur, pendant si longtemps, à faciliter l’incarcération tout en déplorant le nombre croissant de détenus.

Il est tout simplement absurde de vouloir enfermer pour punir, puis de libérer au plus vite pour faire de la place aux suivants, dans un cycle sans fin. L’affirmation du caractère subsidiaire de l’emprisonnement ferme et de la nécessité de prévoir son aménagement, mise en exergue par la loi pénitentiaire, doit devenir une réalité L’inscription au niveau législatif des principes du régime disciplinaire a permis le retour à la voie de droit, sans toutefois nous remettre au niveau des standards européens.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les membres de mon groupe, dans toute leur diversité, ne souhaitent ni verser dans l’angélisme ni céder aux sirènes du « tout sécuritaire ». Notre ligne directrice consiste à concilier la protection de la société et l’application d’une sanction pour des actes délictueux ou criminels avec l’impératif de réaliser un travail de réinsertion sociale et de garantir des conditions d’exercice professionnel satisfaisantes pour les personnels. Tel devrait être l’objectif de toute politique pénitentiaire équilibrée.

Madame la garde des sceaux, nous souhaitons que vous partagiez cet objectif et que, ensemble, loin de toute considération réductrice, nous allions au-delà de la logique de la loi de novembre 2009 pour refonder un régime carcéral digne de la République.

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