Intervention de Virginie Klès

Réunion du 25 avril 2013 à 9h30
Débat sur la loi pénitentiaire

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

J’ai décidé de vous parler de mon expérience, car j’ai usé des prérogatives liées à mon mandat parlementaire pour visiter des lieux de privation de liberté et observer ce qui s’y passe.

Par ailleurs, j’y insiste, il convient de lire tous les rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans leur intégralité, sans se limiter aux passages dénonçant des situations intolérables, les plus susceptibles de nourrir l’actualité immédiate. En effet, ces rapports mettent aussi en lumière le quotidien des prisons françaises.

À Rennes, par exemple, j’ai visité une prison pour femmes située en plein centre-ville, très accessible aux familles et aux associations. Ses locaux sont un peu vieillots, certes, mais l’ambiance y est sereine, parce qu’il n’y a pas de bruit. En revanche, j’ai entendu le bruit de la détention dans la prison toute neuve et toute propre de Vezin-le-Coquet. Ce bruit que l’on ne peut imaginer résonne toute la journée dans les têtes des détenus, aussi bien que dans celles des surveillants. Ce bruit rend la vie insupportable : quelque chose ne fonctionne pas !

Pourtant, dans ces deux prisons très différentes en termes de locaux, j’ai pu observer des équipes composées de surveillants et d’autres fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, tous attachés à faire leur métier, à veiller à ce que les choses se passent bien, à réussir la réinsertion des détenus de leur prison.

La prison pour femmes de Rennes est pionnière en matière d’activités offertes aux détenues et la direction de la prison de Vezin-le-Coquet multiplie les efforts pour favoriser l’émergence d’une parole collective au sein de la prison, pour réapprendre aux détenus à parler, à prendre des responsabilités, à négocier, à s’ouvrir aux autres et à ne pas rester refermés sur eux-mêmes, quand ils sont déjà enfermés en prison.

Certains dispositifs fonctionnent donc, pourquoi ne sont-ils pas connus ? À la prison de Vezin-le-Coquet, l’expérience de parole collective que j’ai évoquée faisait partie d’une expérimentation entamée sous l’ancien gouvernement. Malheureusement, cette expérimentation est aujourd’hui devenue lettre morte ; elle n’a pas été reprise ni étendue. Beaucoup reste donc à faire.

J’ai pu aussi constater la présence en prison de malades relevant de la psychiatrie, présence tout à fait anormale, mais qui ne constitue malheureusement pas une exception. Certes, ces malades ne représentent pas la majorité des détenus, mais ils sont encore trop nombreux pour être considérés comme l’exception. Il est donc extrêmement important d’agir en ce domaine.

Enfin, je dois évoquer cet ancien détenu, un jour dans mon bureau. Il est arrivé en me disant : « Madame le maire, je sors de la prison de Rennes et je veux m’en sortir, alors aidez-moi ! Trouvez-moi un endroit où je puisse me doucher, parce que, pour s’en sortir, il faut être propre. Je veux m’en sortir, mais je n’ai plus un sou et j’ai plein de dettes, notamment des amendes de la SNCF. Je vis à Rennes, mais ma tutrice est à Nantes et j’ai dépensé mon pécule en payant un billet de train pour aller la rencontrer, parce que j’avais besoin d’argent. Je n’ai pas eu de chance, elle n’était pas là quand je suis arrivé, parce que je n’avais pas pensé à prendre un rendez-vous par téléphone. J’avais dépensé tout mon argent pour le voyage aller et il ne m’en restait plus, donc je suis revenu sans acheter de billet et j’ai eu une amende. Je suis retourné voir ma tutrice le lendemain, mais elle était encore absente. J’y suis retourné une troisième fois, elle n’était toujours pas là. »

Il m’a montré une épaisse liasse d’amendes de la SNCF et a ajouté : « Maintenant, dites-moi ce que je dois faire ! Ma tutrice doit m’envoyer un mandat, mais ma carte d’identité est périmée et La Poste ne veut pas me verser mon argent. Si je veux une nouvelle carte d’identité, il me faut des sous, parce que j’ai besoin de faire des photos d’identité. » Cette situation peut paraître ubuesque, mais elle est véridique, je vous l’assure.

Aussi, je lui ai donné de l’argent pour qu’il fasse des photos afin d’établir une nouvelle carte d’identité, mais il faut compter un délai de trois semaines pour obtenir ce document. En attendant, la mairie a dû appeler La Poste pour que cette personne puisse exceptionnellement toucher son mandat. Voilà la réalité !

Je ne mets surtout pas en cause, en l’occurrence, les membres de l’équipe qui a entouré la sortie de ce détenu ; ils n’y pouvaient mais, car ils n’étaient pas assez nombreux pour gérer un dossier égaré à la suite des transferts entre prisons, etc. La sortie des détenus mérite donc d’être réellement encadrée, si nous voulons éviter qu’elle ne finisse mal.

Quand on parle de prison et de système pénitentiaire, il faut vraiment entendre tout le monde. J’ai donc entendu aussi des femmes victimes de violences conjugales, ainsi que des enfants également victimes de violences, qui n’osent pas porter plainte, parce qu’ils ne veulent pas envoyer leur père ou leur conjoint en prison, dans cette prison « honte de la République ». Ils préfèrent subir, plutôt que de risquer d’envoyer en prison la personne qu’ils aiment ou ont aimée.

De telles situations doivent être prises en considération : si nous voulons lutter contre la délinquance et contre les violences, il faut aussi que les victimes n’aient pas peur de porter plainte. Il ne faut pas qu’elles aient à redouter les conséquences de leur geste pour la personne contre laquelle elles vont porter plainte, ni qu’elles puissent craindre d’abîmer toute une vie avec une condamnation à quelques mois de prison, provoquant la perte d’un emploi et une véritable rupture sociale pour l’intéressé.

Prenons aussi en compte le personnel pénitentiaire, les surveillants. On rencontre quelques héros parmi eux, mais aussi – pardonnez-moi le terme, mais l’un d’entre eux l’a utilisé récemment devant moi – quelques « brebis galeuses ». Quoi qu’il en soit, l’immense majorité des gardiens font leur boulot comme ils peuvent dans des conditions déplorables, les mêmes que celles dans lesquelles vivent les détenus. Ils travaillent dans des conditions de tension inimaginables : quand un seul surveillant est chargé de 120 détenus, la situation devient infernale et il ne peut pas remplir son rôle comme il le voudrait. N’oublions donc pas tous ces surveillants qui aimeraient pouvoir être fiers de leur métier et qui ne peuvent pas l’être aujourd’hui.

Madame la garde des sceaux, les urgences ont déjà été soulignées par mes collègues et je sais que vous ne manquez pas de volonté sur le long terme. Il est urgent de mettre en place des scanners corporels pour rétablir la sécurité, sans porter atteinte à la dignité des détenus ni des surveillants – l’un d’entre eux faisait remarquer que l’on ne tire aucune fierté d’obliger quelqu’un à se déshabiller pour le fouiller.

La surpopulation et la rénovation des locaux sont une autre priorité, mais vous l’avez compris, puisque vous ne lancerez pas de nouveau plan de construction de prisons, préférant consacrer vos crédits à la rénovation.

Il faut aussi apaiser le climat régnant dans les prisons. Pour cela, des outils comme le scanner corporel ou des caméras sont certes indispensables, car ils permettent d’alléger le travail des surveillants, mais le recours à ces moyens techniques ne doit pas occulter l’importance de l’humanité, de l’autorité et du droit. Une caméra ou un scanner ne font pas le droit. Celui-ci est fait par les hommes et les femmes qui travaillent dans les prisons.

Madame la garde des sceaux, je sais que vous ne manquez pas de volonté. Comptez sur notre soutien pour que ce rapport ne soit pas inutile !

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