Intervention de Maurice Antiste

Réunion du 25 avril 2013 à 9h30
Débat sur la loi pénitentiaire

Photo de Maurice AntisteMaurice Antiste :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la prison est un lieu qui véhicule beaucoup de fantasmes : le morbide, le sécuritaire et l’arbitraire. C’est ce qui explique que le fonctionnement des établissements pénitentiaires soit entouré de tant de précautions, de tant de normes, provoquant d’ailleurs bien souvent de nombreuses polémiques.

Cependant, il est un phénomène qui trouble toutes les approches progressistes en la matière : la surpopulation carcérale. Elle est un cancer qui ronge le système de l’intérieur et met à mal tous les efforts engagés depuis plusieurs années.

Au 1er mars 2013, la France comptait 66 995 personnes incarcérées, soit une hausse de 0, 8 % par rapport au mois de mars 2012, où l’on comptait 66 455 détenus. À la Martinique, le centre pénitentiaire de Ducos compte près de 1 050 détenus pour 569 places !

En janvier dernier, un rapport d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale a d’ailleurs été déposé par notre collègue député Dominique Raimbourg, dans lequel ce dernier analyse les causes et les conséquences du phénomène, tout en indiquant des pistes d’amélioration : éviter les incarcérations, trop nombreuses, en utilisant les mesures alternatives connues ; faire de l’emprisonnement une sanction utile pour les condamnés dans la perspective de leur réinsertion ; garantir aux personnes condamnées un véritable accompagnement pour éviter la récidive.

Si le rapport présente un dispositif de résorption et de prévention de ce phénomène de surencombrement carcéral, l’ensemble des propositions qu’il contient n’apportent pas de réponses immédiates pour mettre un terme au surpeuplement des établissements.

À la suite de cette réflexion, le 20 février 2013, le jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, présidé par Mme Françoise Tulkens, a remis un rapport au Premier ministre censé ouvrir des pistes pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive.

Parmi les mesures préconisées, notons la nécessité d’instaurer une relation de confiance et de respect mutuel entre les services judiciaires et le service public pénitentiaire, de mieux organiser le fonctionnement des services d’insertion et de probation dans les prisons et de travailler à l’ancrage du public condamné dans les territoires.

Certes, si les travaux cités manifestent la volonté forte du Gouvernement d’avancer sur les questions épineuses de la récidive et de l’incarcération, il n’en demeure pas moins qu’ils reprennent les travers habituels des autres chantiers de réforme engagés ces dernières années.

Les avancées dues aux règles pénitentiaires européennes et à la loi pénitentiaire sont indéniables, mais insuffisantes. C’est pourquoi il convient d’agir avec mesure, discernement et pragmatisme. Un chef d’établissement d’une maison d’arrêt déclarait l’autre jour : « Lorsque l’on érige le vertige en vertu, on a assurément les idées à l’envers. »

Oui, je l’affirme : les traitements contre la surpopulation carcérale n’ont pas été la panacée. On a construit de nouvelles prisons, puis on a multiplié les réformes, tout cela pour aboutir aujourd’hui à une réflexion sur une politique plus forte en faveur de l’aménagement des peines.

Si l’idée est séduisante et digne de votre engagement bien connu, madame la garde des sceaux, nous continuons inexorablement à jeter les bases de nos futures réformes sur du sable.

Nous nous dirigeons vers un mur dont les briques sont le manque de moyens financiers et humains, le non-changement de culture entre les acteurs judiciaires et pénitentiaires, la sédimentation des dispositifs pour lutter contre la récidive, la multiplication de ces derniers ayant abouti à des réponses de moins en moins efficientes.

Le 25 mars 2013, à la prison de Lille-Annœullin, une centaine de surveillants pénitentiaires ont bloqué pendant des heures l’établissement. En cause, la recrudescence des phénomènes de violence. On l’oublie trop souvent, le quotidien des personnels de surveillance, de l’insertion et de la probation, de la direction et des intervenants, ce sont l’insulte et les menaces ! Pourtant, l’établissement lillois est moderne et bénéficie de conditions plutôt satisfaisantes.

À partir de ce simple exemple, on peut mesurer que, quel que soit le niveau de modernisation de la structure, on ne peut enrayer que très difficilement le problème des violences quotidiennes envers les personnels.

Pendant que certains imaginent un dispositif de numerus clausus pour juguler la surpopulation carcérale ou que d’autres constatent, à travers un rapport, que, dans les outre-mer, l’ensemble du parc pénitentiaire souffre d’une surpopulation chronique, au centre pénitentiaire de Ducos, le nombre de matelas posés à même le sol est passé très rapidement de 60 à 130 !

Avec son millier de détenus hébergés pour 569 places théoriques, l’heure est non plus aux discours, mais à la réactivité face à cette brutale réalité : ce sont 5 ou 6 détenus dans 8 à 9 mètres carrés et 130 matelas au sol la nuit dans les couloirs !

La situation risque de perdurer, vous le savez bien, madame la garde des sceaux, puisque la construction de la seconde extension de 160 places supplémentaires, dont la livraison était prévue au premier semestre de 2014, a pris beaucoup de retard. On parle désormais d’une livraison en 2016.

De la même manière, les juridictions administratives condamnent de plus en plus les fouilles intégrales des détenus à la sortie des parloirs. C’est une noble préoccupation, mais tous les établissements pénitentiaires sont-ils équipés de portiques à rayons X et de détecteurs ? En avons-nous d’ailleurs les moyens ? Sans cela, comment endiguer le passage d’objets ou de substances illicites ? On met en avant un principe louable, mais sans donner les moyens aux fonctionnaires chargés de garder les détenus de travailler dans une sécurité optimale.

En parallèle, une volonté se fait jour d’améliorer le suivi des personnes incarcérées, d’aménager les peines et de préparer l’insertion sociale des détenus à leur sortie. Là encore, je pose la même question : comment faire ? Comment doit agir un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation lorsqu’il a la charge de plus d’une centaine de dossiers ?

Fort de ce constat, et en saluant le volontarisme gouvernemental, j’en appelle à la raison et au pragmatisme. La politique publique de prévention de la récidive et, plus largement, la politique pénale et pénitentiaire doivent être complétées d’un travail approfondi sur l’ensemble du fonctionnement de la chaîne pénale.

Il faut remettre cette analyse au centre du débat, en refusant toute pression. On doit pouvoir rassembler autour d’une table, de façon égalitaire, tous les acteurs de cette chaîne pénale, afin que soient redéfinis, facilités et allégés les fonctionnements, les relations et les procédures.

Il me semble essentiel d’assainir la situation pour que les futures réformes s’ancrent de manière pérenne et efficace. Il faut en finir avec les « millefeuilles », avec ce mal très français qui voit les dispositifs et les normes se juxtaposer sans que jamais ils se remplacent.

En rationalisant et en simplifiant la chaîne pénale, on optimise le travail des policiers, des magistrats et des personnels pénitentiaires. Gardons les dispositifs et les expériences qui fonctionnent, en évitant les redondances et les effets de mode.

En tout état de cause, il est urgent de se mettre à l’écoute de tous les professionnels concernés et de réfléchir ensemble à une réponse pénale adéquate, qui devra passer, encore une fois, par la mise en œuvre, sans précipitation, de réformes d’envergure sûres.

Construire un socle solide et une nouvelle approche pragmatique de la situation est la première réponse à la lutte contre les conséquences néfastes et inadmissibles de ce surpeuplement carcéral français.

Permettez-moi de citer un exemple d’implication. La région Martinique a décidé d’investir dans la formation des détenus, afin de tenter de désamorcer la bombe. À cette fin, elle a investi 171 000 euros pour la formation de 1 000 détenus et 98 000 euros pour l’équipement des ateliers. Par ailleurs, la région prend intégralement en charge l’accompagnement au développement personnel de 200 détenus âgés de 18 à 30 ans.

Madame la garde des sceaux, j’ai eu l’occasion de vous interpeller oralement et par écrit sur la situation explosive des établissements pénitentiaires. J’ai noté avec satisfaction la constitution d’une mission sur le sujet.

Je vous invite à mettre en place au plus vite un groupe de travail sur la question de la chaîne pénale. Pour en assurer la bonne marche et garantir une prise en compte égalitaire des multiples situations professionnelles concernées, son animation pourrait être confiée à des parlementaires.

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