Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 25 avril 2013 à 9h30
Débat sur la loi pénitentiaire

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Il me paraît donc important de poursuivre ces échanges, auxquels le Gouvernement doit être associé, même s’il est plutôt désagréable d’entendre répéter à la tribune, parce que le temps de parole des orateurs est limité, qu’il reste beaucoup de travail à faire et de nombreux points à améliorer. Vous me faites rarement l’élégance d’insister un peu plus lourdement sur les avancées qu’il est d'ores et déjà possible de constater.

Il n’empêche qu’un tel rapport à la loi est important. Rousseau écrivait ainsi dans Le Contrat social : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. » Vous accomplissez donc, mesdames, messieurs les sénateurs, un acte de liberté en veillant à l’application de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui est incontestablement une belle loi, à la fois consolidée et contredite par la politique pénale menée depuis lors. Vous le disiez vous-même, monsieur le rapporteur, il y a eu des injonctions contradictoires ces dernières années, qui ont compliqué la vie des magistrats, des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, de tous ceux qui sont chargés d’examiner les dossiers pour les applications des peines et des personnels de surveillance, et brouillé la lisibilité de la politique pénale.

Vous avez choisi d’aborder le sujet dans sa globalité, c’est la grande qualité du rapport que vous avez conduit avec Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vous remercie d'ailleurs encore d’avoir accepté de venir à la chancellerie dès le mois de juillet dernier, pour m’en présenter le contenu, ce qui nous a ensuite permis de travailler ensemble.

Votre approche, qu’il convient à mon avis de retenir, a été globale. En effet, le détenu n’est pas considéré simplement en tant qu’individu exécutant sa peine, dans une cellule de huit mètres carrés, individuelle ou partagée avec deux ou trois autres détenus. Il est appréhendé dans sa globalité, c'est-à-dire dans son rapport à l’activité et à la formation professionnelle, ainsi que sous l’angle du respect de ses droits civiques, jusqu’à son droit de vote, qui est parfois oublié. Nos concitoyens pensent d’ailleurs souvent que la détention prive du droit de vote. Il faut faire savoir que, si la déchéance des droits civiques n’a pas été prononcée par le magistrat, ces droits sont maintenus.

Vous avez également choisi la cohérence, en vous interrogeant sur la détention, mais pas seulement du point de vue du détenu ou des personnels – à cet égard, je remercie particulièrement les sénatrices et les sénateurs qui ont eu quelques mots à l’adresse de ces derniers. Vous avez en effet abordé les questions relatives à l’immobilier, à l’activité, aux soins et à la formation professionnelle, qui doivent être pensées ensemble.

Pour ma part, j’ai également retenu une telle approche dans le cadre du travail que je mène à la chancellerie. La meilleure illustration est la mise en place en deux étapes, par un comité d’organisation puis un jury de consensus, de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’y avoir participé, tout comme certains sénateurs ou certaines sénatrices de la majorité – je pense à Catherine Tasca et Jean-Pierre Sueur – et de l’opposition, qui ont accepté d’apporter leurs connaissances et leurs expériences à ce processus.

Ainsi des préconisations de très grande qualité ont-elles été adoptées à l’unanimité par le jury du consensus, sur la base desquelles j’ai ouvert un cycle de consultations, qui a déjà donné lieu à vingt-quatre séances, qui m’ont permis de recevoir tous les syndicats de magistrats, les syndicats de toutes les catégories des personnels pénitentiaires, y compris des conseillers d’insertion et de probation, tous les syndicats de police, ainsi que toutes les associations d’aide aux victimes et le Conseil national de l’aide aux victimes. Je poursuis bien entendu ces consultations.

Par ailleurs, un débat a eu lieu à l’Assemblée nationale le 19 mars dernier, sur la base du rapport de M. Dominique Raimbourg, vice-président de la commission des lois, au cours duquel ont été évoquées des recommandations croisées, issues des préconisations de la conférence de consensus et du rapport Raimbourg.

Je tiens à cette méthode de rigueur, qui va au-delà des idées reçues et même de certaines convictions. La première étape consiste en effet à s’entendre sur les connaissances, en élaborant un diagnostic partagé. Il s’agit ensuite d’examiner et d’évaluer les politiques conduites ailleurs, tout en jetant les bases de celles que nous pourrions conduire ici. Je rappelle simplement qu’il faut associer les compétences et croiser les réflexions, parce qu’il n’y a pas d’évidence en la matière. Des choix explicités et assumés doivent être faits.

Pour ce qui concerne la méthode, nous travaillons en comité interministériel. Sur des questions importantes, par exemple celle du logement, nous avons fait en sorte qu’un certain nombre de logements, sur les 5 000 logements d’urgence prévus par le ministère concerné, soient réservés aux personnes placées sous main de justice. Notre idée est de faire en sorte que les personnes placées sous main de justice soient prises en considération dans tous les dispositifs de droit commun.

Nous avons retenu des dispositions similaires en matière de santé, notamment dans le cadre de la circulaire sur la révision de la politique sanitaire prise en décembre 2012 par la ministre de la santé. En matière d’emploi, le dispositif des emplois d’avenir, dont l’expérimentation est prévue dans une dizaine de départements, possède également un volet consacré aux établissements pénitentiaires. Par ailleurs, les services d’insertion et de probation sont mobilisés au sein, notamment, du comité de pilotage des services d’information et d’orientation.

Nous occupons également une place importante dans les comités interministériels, notamment sur la jeunesse et le handicap, puisque nous avons aussi à réfléchir à la situation des personnes handicapées dans les établissements pénitentiaires. Pour ce qui concerne la prévention de la délinquance, nous participons au comité interministériel de la ville.

Cela fait aujourd’hui onze mois que nous sommes aux responsabilités. Je souhaite donc tracer devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, le bilan de notre politique pénitentiaire, qui est liée à notre politique pénale. Or c’est bien parce que cette dernière s’est réduite, à la fin du quinquennat précédent, à des injonctions contradictoires que nous avons assisté, vous avez eu raison de le souligner, monsieur Bockel, à de nombreux aménagements de peines.

La consigne, dans un premier temps discrète, a ensuite été assumée, notamment dans le cadre de la loi pénitentiaire. En même temps, ont été adoptées des lois pénales qui ont augmenté le nombre de procédures accélérées, de procédures débouchant sur des prononcés d’incarcération, de dispositifs automatiques faisant tomber les sursis de mise à l’épreuve et provoquant assez systématiquement, sur réitération et récidive, la mise à exécution de peines courtes, dans des délais qui leur faisaient perdre tout sens et provoquaient surtout une désocialisation.

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a donc permis de changer d’approche. Il est important de dire une fois de plus aux personnels pénitentiaires que cette loi n’est pas tournée contre eux. Nous entendons leurs préoccupations, s’agissant des fouilles ou des miradors, un sujet que j’ai arbitré voilà quelques semaines. Nous entendons leur demande d’une réflexion sur l’évolution de leur métier, compte tenu, justement, d’une succession de lois, qui ont créé, à l’intérieur des établissements pénitentiaires, des conditions de surveillance différentes.

Vous le savez, entre le « programme 13 200 » et le « programme 4 000 », les effectifs des personnels dans les coursives ont changé, puisqu’ils ont été divisés par deux. Une telle situation suscite des inquiétudes et crée un certain mal-être, que vous évoquez d’ailleurs dans votre rapport, monsieur le rapporteur.

Néanmoins, nous devons également rappeler aux personnels de nos établissements que l’amélioration des conditions de détention contribue à l’amélioration des conditions de travail et, surtout, à la lutte contre la récidive, ce qui permet de diminuer le nombre de victimes et de contribuer à la sécurité de notre société.

Au cours de ces onze derniers mois, nous avons donc travaillé sur un certain nombre de principes. Le premier d’entre eux, c’est la reconnaissance du détenu en tant que sujet de droit. Cette idée traverse très clairement votre rapport, monsieur le sénateur, et se traduit de façon très concrète. Nous savons que le détenu peut se faire domicilier dans les établissements pénitentiaires.

Nous avons pris des dispositions pour rendre une telle mesure possible et pratique. Nous avons alors constaté qu’un certain nombre de détenus n’avaient pas de pièces d’identité. En octobre 2012, j’ai donc diffusé une circulaire, afin que nos personnels procèdent à un repérage de ces détenus et les accompagnent dans l’acquisition de leurs papiers d’identité.

Par ailleurs, nous savons également que les détenus sont privés de la possibilité de témoigner – c’est une pratique ancienne, qui n’a rien de fantaisiste – dans certaines circonstances, afin de protéger leur image. D'ailleurs, considérer qu’un détenu vu à la télévision sera fragilisé lorsqu’il quittera l’établissement pénitentiaire et mis en difficulté dans sa recherche d’emploi et ses relations sociales n’est ni absurde ni extravagant.

Il n’empêche que le détenu, en tant que sujet de droit, a la capacité d’évaluer les risques liés à son image. En vertu de ce principe, j’ai décidé d’autoriser plus facilement, mais pas systématiquement, le tournage de reportages dans nos établissements, lorsqu’un projet sérieux et solide est présenté. Surtout, je soumettrai très prochainement au Parlement, dans le cadre du projet de loi sur le secret des sources des journalistes, une disposition visant à permettre aux journalistes d’accompagner les parlementaires, lorsque ces derniers se rendent librement dans nos établissements pénitentiaires, conformément à la loi du 15 juin 2000.

Le détenu est donc un sujet de droit et doit pouvoir conserver des relations avec sa famille. Les liens familiaux sont importants, parce qu’ils permettent de faciliter l’insertion, la préparation à la sortie, d’éviter l’angoisse, l’isolement ou la tentation du suicide. Cette question renvoie, bien évidemment, à celle de l’immobilier pénitentiaire, et en particulier de son emplacement.

En effet, si nous continuons à construire des établissements complètement en dehors des agglomérations, nous compliquons la vie de ces familles. Le problème du maintien des liens familiaux débouche ainsi sur une réflexion importante, qui concerne également l’architecture pénitentiaire.

Au demeurant, nous avons accompli des efforts considérables, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, s’agissant des parloirs et des unités de vie familiale, qui existent dans 19 établissements. D’ici à 2014, 135 unités seront installées dans une soixantaine d’établissements, et, en 2015, nous atteindrons 232 unités, qui couvriront 131 établissements.

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