Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 25 avril 2013 à 9h30
Débat sur la loi pénitentiaire

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Nous devons faire des efforts, mais, ne nous cachons pas la réalité, le contexte est plus difficile, d’autant que les dispositions actuelles de la loi pénitentiaire permettent aux entreprises et, d’une façon générale, à tous les prestataires, quel que soit leur statut de droit privé, de venir offrir des activités aux détenus et de les rendre attractives.

Nous sommes tous attachés au respect du droit du travail et à la nécessité, comme nous venons de le dire, de garantir les droits civiques du détenu, y compris ceux qui découlent de notre législation du travail. Néanmoins, nous savons bien que c’est un facteur supplémentaire de difficultés pour concrétiser l’offre d’activités dans les établissements pénitentiaires.

La question est relativement complexe, mais nous allons continuer à travailler sur la nécessité de l’activité des détenus, qui est une condition de la réinsertion, de la reprise de confiance en soi et de la réduction des risques de la récidive.

Les soins dispensés aux détenus qui se rendent dans des établissements publics hospitaliers ou dans des unités hospitalières sécurisées interrégionales, les UHSI, soulèvent des difficultés. Il en est de même de l’épineux sujet des soins psychiatriques.

MM. Jean-Jacques Hyest et Jacques Mézard l’ont dit, l’accessibilité aux soins psychiatriques étant déjà délicate pour la population générale, elle est encore plus problématique en milieu carcéral. Je citerai le cas de l’établissement pénitentiaire de Château-Thierry, où la proportion de détenus présentant des troubles psychiatriques est plus forte qu’ailleurs, avec une concentration des personnels médicaux et des personnels pénitentiaires.

Cette situation ne me semble pas satisfaisante ; c’est une sorte de pis-aller, mais il y a incontestablement, dans nos établissements pénitentiaires, des personnes qui n’ont rien à y faire et qui sont pourtant dirigées vers eux, parfois sur la base d’expertises psychiatriques et, bien évidemment, sur décision des magistrats. Il est indiscutable que nous sommes confrontés ici à un enjeu majeur : faire en sorte que les personnes qui ont besoin de soins soient soignées et non pas enfermées.

S’agissant des autres soins, la loi pénitentiaire a prévu le dispositif de la suspension de peine. Néanmoins, celui-ci requiert aujourd’hui, convenons-en, une procédure complexe et longue, à telle enseigne que certains détenus malades sont en phase terminale ou décèdent en prison au cours de la procédure, alors que l’esprit de la loi pénitentiaire est de permettre au détenu dont le pronostic vital est engagé de finir ses jours parmi les siens. Il faudrait vraiment assouplir les règles en la matière. J’espère que vous y consentirez.

Pour l’heure, Marisol Touraine et moi-même avons mis en place deux groupes de travail, l’un sur la suspension de peine, l’autre sur l’addictologie, et instauré des permanences pour lutter contre ces addictions. Nous avons également installé des référents justice au sein des structures médicales et médico-sociales.

Le ministère de la santé et le ministère de la justice œuvrent donc ensemble pour proposer au Parlement une procédure plus souple garante de la sécurité des Français, car il ne s’agit pas, au travers d’une suspension de peine pour raison médicale, de libérer des individus tout en augmentant les risques de récidive. Dans le même temps, la décision devra être prise dans des délais raisonnables.

Par ailleurs, l’accessibilité aux soins est liée à celle du revenu des détenus, notamment des détenus handicapés. Afin d’éviter la discontinuité des soins, et compte tenu de l’indigence constatée dans les établissements pénitentiaires, la ministre de la santé a pris, le 30 juillet 2012, une circulaire destinée à assurer le versement du revenu de solidarité active à certaines catégories de détenus et de l’allocation aux adultes handicapés aux personnes concernées.

Dans nos prisons, l’indigence est un problème important et un facteur de grande vulnérabilité. Par exemple, l’emprise de certains prédicateurs islamistes radicaux dans nos établissements pénitentiaires se révèle plus forte sur des détenus totalement démunis, sans aucun revenu ni aucune ressource – je rejoins ce qu’a dit tout à l’heure Mme Klès sur le pécule. Ces personnes très fragilisées peuvent être endoctrinées et sont parfois prises en charge à la sortie de l’établissement.

Nous devons étudier ce sujet, afin d’envisager toutes les conditions de prise en charge à l’intérieur des établissements pénitentiaires, y compris en matière d’éducation et de formation. Je précise à cet égard que 25 % des détenus en France ne sont pas alphabétisés ou ont un niveau de formation extrêmement sommaire. Ils sont donc très désarmés.

J’évoquerai à présent la sécurité, qui impose que soient prises certaines mesures, puis je dirai un mot de la prison de Sequedin.

Sur la sécurité, les dispositions à prendre doivent évidemment porter sur la conception et l’équipement de nos établissements. Monsieur le rapporteur, je vous remercie d’avoir rappelé que le taux d’évasion en France est l’un des plus faibles d’Europe, et probablement du monde, en dépit de certaines évasions spectaculaires. D'ailleurs, paradoxalement, plus nous sécurisons nos établissements pénitentiaires, plus les évasions réussies seront spectaculaires. Ce paradoxe est très pénible, mais c’est la réalité.

À Sequedin, par exemple, qui est un établissement sécurisé, nous avons décidé le maintien des miradors, des portes blindées, des fouilles, ce qui a suscité des discussions avec le personnel pénitentiaire. J’ai ordonné d’organiser dans les plus brefs délais une fouille générale, qui a eu lieu dans cet établissement sécurisé pour la première fois.

Tout cela n’atténue pas la gravité de la situation, et c’est la raison pour laquelle j’ai diligenté une inspection dès que l’évasion a été connue. À la suite du rapport qui m’a été remis, j’ai demandé une seconde phase d’inspection et, vous le savez, le parquet et le pôle instructeur ont immédiatement été mobilisés. Un mandat d’arrêt européen a été lancé le jour même. Enfin, nous avons envoyé une brigade cynophile pour tenter de repérer l’endroit où les explosifs avaient pu être cachés. Nous avons donc pris toutes les mesures de sécurité nécessaires.

Je ne dirai rien de l’enquête, ne disposant pas d’éléments à ce sujet, mais je peux vous assurer qu’elle se poursuit. Nous devons arriver à savoir comment des armes et des explosifs sont introduits dans les établissements pénitentiaires. Nous émettons des hypothèses, car nous obtenons des renseignements par les personnels. Ceux qui revendiquent le retour aux fouilles systématiques nous ont ainsi expliqué comment certains détenus parvenaient à faire entrer toutes sortes de choses en prison.

Pour ce qui est de la sécurité, les dispositions de la loi sont ce qu’elles sont, mais il nous faut trouver les bonnes combinaisons entre ce que l’on appelle la « sécurité passive », c’est-à-dire tous les dispositifs existants, dont les miradors, les portiques et les portes blindées, et les compensations que l’on pourrait ajouter à l’encadrement strict des fouilles par la loi pénitentiaire.

Nous sommes encore confrontés à des querelles de chiffres sur le coût des équipes cynophiles et des fermetures de miradors. Nous y verrons bientôt clair, me semble-t-il, car, quand on pose les bonnes questions, les chiffres s’affinent.

D’ailleurs, sur les chiffres annoncés et les décrets d’application, vous nous reprochez de ne pas avoir avancé. Ce constat était un peu sévère ! En effet, sur vingt et une mesures réglementaires nécessaires, dix-huit ont été prises.

Il reste à prendre trois décrets d’application, dont l’un porte précisément sur l’observatoire indépendant. Toutefois, l’esprit de la loi pénitentiaire est de se servir de chiffres précis – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, lorsque vous avez demandé l’état des chiffres sur la récidive, établissement par établissement –, de données fiables, qui aient un sens afin d’inspirer la politique publique. Quoi qu'il en soit, je suis prête à entendre les remarques que le Sénat pourra émettre au sujet du nouvel observatoire indépendant, au sujet duquel nous avons travaillé.

Vous le savez, nous avons décidé de confier les données pénales à cet organisme, …

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