Avec vous, c'est Noël toute l'année, surtout pour ceux qui recherchent de bons placements !
A Pâques 2003, déjà, le Gouvernement avait concocté un projet de loi permettant à l'Etat majoritaire de devenir minoritaire au sein du capital d'Air France, et vous voulez réduire cette part à moins de 20 % en février 2005.
En plein mois d'août, M. Sarkozy s'attelait au changement de statut d'EDF et de GDF ; aujourd'hui, vous annoncez que le capital doit être ouvert avant septembre 2005.
La privatisation est bien en marche comme nous l'avions annoncé. Les promesses faites aux syndicats sur l'enclenchement d'une réelle concertation avec l'ensemble des parties - élus, salariés, usagers - s'agissant de la gouvernance d'entreprise ont été complètement oubliées.
L'an dernier, c'était France Télécom. Les conséquences sur l'emploi sont lourdes : 13 500 emplois ont été supprimés en 2004 pour l'ensemble du groupe.
Au mépris de toute démocratie, c'est par la presse que les salariés, leurs représentants et leurs administrateurs, ainsi que les élus que nous sommes, ont appris le 1er septembre dernier que le Gouvernement allait vendre 9, 5 % du capital de France Télécom et permettre aux actionnaires privés de devenir majoritaires à 50, 4 %.
Avec cette privatisation totale, le Gouvernement accélère la destruction d'un service public crucial pour la promotion de l'égal accès de tous aux télécommunications.
Le mois dernier, le Gouvernement a engagé la privatisation d'Aéroports de Paris.
Cerise sur le gâteau : vous proposez aujourd'hui que l'entreprise DCN ne soit détenue que majoritairement par l'Etat, et non exclusivement par l'Etat. Vous avez de la constance, puisque c'est ce que proposait, vous l'avez rappelé tout à l'heure, madame la ministre, un amendement de la commission des affaires étrangères du Sénat en 2001.
D'ailleurs, vous réalisez cette ouverture au moment où DCN dégage un résultat positif, c'est-à-dire bien plus tôt que ce qui avait été envisagé. Nul doute que cela intéressera des actionnaires ; c'est sûrement, à la veille de Noël, un cadeau qu'ils apprécieront !
Le Gouvernement l'a déclaré, vous n'allez pas en rester là et vous voulez aller vite. Vos amis du MEDEF piaffent d'impatience, ils vous le font sentir en permanence. Vous allez mettre sur le marché environ 30 % du capital du groupe nucléaire français Areva, entreprise hautement stratégique. Cette ouverture se fera vraisemblablement aux dépens du Commissariat à l'énergie atomique, qui verrait passer ses parts de 79 % à moins de 60 %.
Comme pour le groupe Alstom, comme pour DCN, ce seront les profits pour le capital privé et les investissements à long terme et les charges lourdes pour la nation.
Pour la construction navale, vous auriez souhaité aller plus vite encore en réalisant cette transformation par la voie d'un amendement glissé subrepticement, mais le Conseil d'Etat vous a rappelé que, s'agissant d'une modification aussi substantielle, un projet de loi était nécessaire.
Vous nous proposez donc d'examiner un projet de loi qui conduirait à très court terme à la privatisation totale de la DCN.
Certes, vous ne présentez pas les choses ainsi, mais comment pourrait-il en être autrement ? La méthode, fût-elle quelque peu différente d'une fois sur l'autre, engendre systématiquement les mêmes effets.
Lorsqu'on vous dit que la privatisation est source de danger pour notre indépendance et notre souveraineté nationales, dans la mesure où les fonds de pension américains risquent de pénétrer ce secteur très sensible, comme ils le font déjà en Grande-Bretagne, vous affirmez, madame la ministre : « Pensez-vous que, attachée comme je le suis à la souveraineté nationale en matière de défense, je n'y aie pas pris garde ?»
Eh bien, je vous dirai que, pour avoir observé des gouvernements qui s'étaient engagés à ne pas aller plus loin dans le cycle des privatisations et qui se voient aujourd'hui contredits par vos décisions, nous n'avons pas la naïveté de penser que d'autres ne pourraient franchir de nouvelles étapes.
Pour vous, l'article qui modifiait le statut de DCN en décembre 2001, et auquel nous nous étions opposés, et votre projet de loi seraient en cohérence. Celui-ci constituerait en quelque sorte une deuxième étape. La troisième ne serait-elle pas la privatisation programmée de DCN ? Nous attendons de votre part une explication claire sur ce sujet.
Le processus enclenché en 2001 a ouvert une brèche dans laquelle vous vous êtes engouffrée. Et, aujourd'hui, vous nous proposez un texte qui, par sa brièveté, porte en lui le sceau du transitoire. D'ailleurs, on l'a bien senti lors de la discussion en commission des finances : si vous n'allez pas plus loin, c'est que la situation des personnels et leur réaction vous incitent à la prudence !
Vous nous rappelez votre attachement à la souveraineté nationale ; nous voulons bien en prendre acte, mais reconnaissez qu'il n'est pas toujours partagé par tous vos amis politiques. Je m'en inquiète d'autant plus que le projet de Constitution européenne affirme son penchant atlantiste en matière de défense européenne. Vous affirmez « ne jamais accepter de dépouiller notre peuple d'éléments aussi fondamentaux pour sa souveraineté ». Mais, madame la ministre, quels moyens seront à la disposition de l'Etat, dans la durée, pour tenir cet engagement ?
La proposition d'élargir le capital nous est présentée comme nécessaire pour faire face à l'évolution de la construction navale et prendre en compte les modifications en Europe.
Il est faux de dire, avez-vous déclaré lors du débat à l'Assemblée nationale, que les chantiers navals espagnols appartiennent à l'Etat, comme l'avait affirmé mon collègue Patrick Braouezec. Or, aujourd'hui, il semble bien que les négociations engagées par les syndicats avec le gouvernement espagnol se traduisent par un détachement du secteur civil ; vous venez de le rappeler. L'entreprise publique gérera les chantiers navals militaires. Cet accord a été signé le 17 décembre ; la presse s'en est d'ailleurs fait l'écho ces jours-ci. Cela est donc possible et rien ne vous l'interdit, si ce n'est l'obsession du Gouvernement à considérer que tout ce qui relève du secteur public est prisonnier de structures dépassées !
Madame la ministre, vous avancez que la privatisation s'impose pour mieux résister à la concurrence internationale. Mais l'armement n'est pas une marchandise ordinaire, je pense que vous ne le contesterez pas. Cette production très spécifique est la cible de nombreuses sociétés américaines, financières ou industrielles, qui ont su, par la « stratégie du contournement », s'emparer de nombreuses entreprises européennes comme HDW, en Allemagne, acquise par la banque américaine OEP.
On remarque ainsi que l'offensive américaine se porte sur les productions classiques, telles que la construction navale. Le rapprochement envisagé entre HDW et DCN supposerait que la banque OEP donne son accord pour la cession de ses parts. Ce n'est pas acquis, dans la mesure où la banque américaine ne semble pas très favorable au processus d'européanisation.
Le secteur de la construction navale britannique est dominé aujourd'hui par BAE Systems, détenu à 47 % par des capitaux américains.
Vous comprendrez que nous doutions de la possibilité d'assurer notre souveraineté nationale lorsque des financiers américains peuvent imposer leur diktat !
L'appel à une politique de l'armement ambitieuse suppose-t-elle que le privé s'approprie nos entreprises nationales ? C'est faire fi de notre histoire que de vouloir s'aligner systématiquement sur les principes qui sont développés outre-Atlantique et qui devraient nous servir de modèle. Cela ne sert en aucune sorte les intérêts de la nation, et encore moins ceux de notre peuple, qui en subit les conséquences depuis votre arrivée au pouvoir !
Aujourd'hui, à travers la mondialisation et les concentrations monopolistiques autour du commerce et de la production des armes, la tentation américaine s'accommode des concentrations européennes et réussit, comme en Grande-Bretagne et en Allemagne, à s'emparer de ces industries stratégiques.
La solution est donc bien dans le renforcement du contrôle de ces entreprises par la puissance publique. Un projet industriel sur un secteur sensible comme celui-ci ne peut se construire avec les seuls industriels ; il doit être soumis au contrôle de notre peuple.
Vous avancez que « le contexte international est aujourd'hui marqué par des marchés de plus en plus concurrentiels, une recherche constante de compétitivité, la course à l'innovation. » Pensez-vous que DCN, ses salariés, ses ingénieurs, ses techniciens, ses cadres, ses chercheurs, ne seraient pas à la hauteur ? N'ont-ils pas su, dans une entreprise détenue par l'Etat, se développer de façon compétitive ? Vous-même reconnaissez que l'entreprise « dispose d'atouts essentiels : son savoir-faire, son expérience, un personnel motivé, une situation financière redressée... ».
DCN a dégagé un résultat d'exploitation et un résultat nets positifs, proches des objectifs finaux de 2008 qui étaient prévus. Pourquoi changer une équipe qui gagne ?
L'entreprise DCN revendique une position de maître d'oeuvre de navires armés et elle est très présente sur le marché du MCO, maintien en condition opérationnelle, qui représente 30 % de son chiffre d'affaires. En quoi gagnerait-elle plus de compétitivité et d'innovation en étant sous capital privé ?
Vous ne proposez aucune visée industrielle dans ce texte. Tout votre projet n'est sous-tendu que par des considérations financières, celles qui sont mises en avant dans le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe et qui n'envisagent l'Europe que comme un grand marché.
Vous parlez en termes très vagues : « pour saisir toutes les opportunités il faut lever les contraintes qui la pénalisent en termes d'alliances ». Pourriez-vous nommer une seule de ces contraintes qui serait liée à son statut d'entreprise appartenant à l'Etat ? De quelles opportunités voulez-vous parler qui ne pourraient être saisies dans les conditions d'aujourd'hui ? Pourquoi DCN, en l'état, ne pourrait-elle pas nouer des alliances avec d'autres entreprises en Europe ?
Madame la ministre, les arguments que vous invoquez ne sont guère convaincants ; ils ne convainquent en tout cas ni les salariés - ils vous l'ont dit dans la rue la semaine dernière -, ni les élus de notre groupe.
L'excellente situation économique de DCN aurait-elle aiguisé de nouveaux appétits et y aurait-il urgence à agir pour exaucer la demande de M. Rauque, le PDG de Thales, « afin que tout soit réglé pour le premier semestre 2005 » ? Selon un journal régional du 8 décembre dernier, la nouvelle entité ainsi créée serait partagée entre DCN, à 65 %, et Thales, à 35 %.
La question qui se pose est la réalité de la faisabilité de cette alliance. Est-ce seulement une hypothèse d'école ?
Vous prétendez vouloir renforcer la DCN en ouvrant son capital jusqu'à 49 %, alors que le plan de charge est assuré à 80 % par l'Etat et se trouve donc hors champ de la concurrence. Quel intérêt industriel y a-t-il à vouloir privatiser une telle structure ? La soumission à des critères de rentabilité que les actionnaires n'oublieront pas de rappeler est-elle compatible avec l'intérêt d'une entreprise essentielle sur le plan stratégique ?
L'intérêt stratégique est un intérêt à caractère général ; il est supérieur à tout intérêt privé. Il ne peut donc être soumis à un quelconque intérêt privé ; c'est un principe essentiel à la sauvegarde de notre indépendance nationale, et il est difficilement concevable d'y déroger.
Un syndicaliste disait que votre projet répondait à la logique du gouvernement Raffarin de « jeter en pâture les entreprises publiques aux appétits boulimiques de la finance. »
Je pense, pour ma part, que la question des services publics et des entreprises publiques n'est pas seulement d'ordre économique. Ils représentent une conception de la société ; ils permettent de répondre aux droits que la Constitution reconnaît aux citoyens de notre pays. Toutes les activités humaines ne peuvent être soumises à la loi du marché.
Ces entités publiques représentent aujourd'hui, non seulement sur le plan national, mais aussi sur le plan européen, un obstacle à la mondialisation libérale.
Défendre le statut des salariés de DCN, ce n'est pas un combat corporatiste ; c'est avant tout défendre une autre conception de la société, délivrée des seuls appétits financiers. Votre politique a pour but de mettre à bas tout ce qui concerne l'intérêt général, le bien commun, la protection sociale, la notion de droit pour chacune et chacun, tout ce qui concerne le lien social, la solidarité.
Avec DCN, vous franchissez un pas supplémentaire en livrant une partie de notre industrie de défense aux intérêts du privé.
L'exemple du statut du personnel des arsenaux, vous ne l'acceptez pas, pas plus que celui des agents d'EDF. Vous considérez que les statuts sont des privilèges et vous voulez ainsi tirer vers le bas les conditions de travail de ces salariés.
Pour mener à bien leur tâche, les salariés, qu'ils soient du secteur public ou privé, ont besoin de plus de dignité fondée sur la citoyenneté dans l'entreprise, corollaire de la citoyenneté dans la société. La recherche permanente de la baisse des coûts salariaux, que vous traduisez par la remise en cause des statuts des personnels des services publics, ne peut y contribuer.
Vous considérez que vous maintenez les statuts, mais les ouvriers d'Etat mis à disposition, pour l'essentiel, sont arrivés ou arriveront très prochainement au terme de leur carrière. Vous ne dites rien sur ceux qui sont embauchés sous statut de droit privé.
Les salariés savent ce que signifient les restructurations. Elles ont toutes le même objectif : réduire la voilure et détruire les statuts, le plus souvent de façon pernicieuse, en les laissant disparaître progressivement, en précarisant les nouvelles embauches.
La filialisation que vous proposez ressemble à toutes les filialisations qui ont été développées dans les autres entreprises que vous avez mises à mal ; elles ne se solderont que par des privatisations supplémentaires.
Madame la ministre, vous portez une lourde responsabilité en laissant filer vers le privé ce fleuron de la défense française. L'entreprise avait repris son envol et vous lui coupez les ailes ! Vous créez les conditions de son démantèlement.
Nous pensons qu'il faut, au contraire, profiter de cette bonne santé recouvrée pour renforcer la position de DCN, en l'intégrant dans un pôle public de l'armement, garant d'une politique de défense indépendante. Rien n'interdirait en effet de nouveaux partenariats avec d'autres entreprises nationales, en dehors de tout critère essentiellement financier, mais fondés sur la coopération au niveau européen.