Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 25 avril 2013 à 15h00
Débat sur la politique européenne de la pêche

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Je tiens tout d’abord à remercier Jean-Claude Merceron et son groupe d’avoir proposé ce débat important, qui tombe à point nommé. Nous sommes en effet parvenus au terme d’un processus qui a commencé voilà presque quatre années, avec la parution du Livre vert. Depuis lors, la Commission a exprimé à deux reprises, en juillet et décembre 2011, des propositions qui sont désormais sur la table, sous la forme d’un paquet législatif en trois volets.

Le premier volet, sans doute le plus important, est le règlement de base. Le deuxième volet concerne l’organisation commune des marchés. Enfin, le troisième volet a trait au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, qui remplace le FEP.

Le Sénat, pour sa part, n’est pas resté inactif depuis 2009. En effet, dès la parution du livre vert, nous avions exprimé une position commune, très consensuelle et largement partagée au-delà des clivages partisans, et plaidé pour une position beaucoup plus équilibrée.

Nous avons renouvelé ce souhait d’équilibre voilà un an, une fois connues les propositions de la Commission.

Enfin, le 3 juillet, Jean-Claude Merceron l’a rappelé, nous avons de nouveau voté à l’unanimité une proposition de résolution qui avait pour objectif de conforter la position du Gouvernement dans les négociations européennes.

Depuis lors, le processus de codécision est en route entre le Conseil et le Parlement européen. Ce dernier exprime, au travers des positions qu’il adopte, une vision et des propositions très excessives, souvent même plus radicales que celles de la Commission.

Les discussions, hélas ! traînent à ce point qu’il nous faudra sans doute attendre le mois de juillet prochain pour qu’intervienne, au sein de la Commission, le vote permettant de mettre en place le FEAMP.

Pour ce qui concerne le Conseil, les États membres avaient souhaité, dès juin 2012, atténuer la sévérité des propositions de la Commission, ce à quoi le gouvernement français avait largement contribué.

Puisque nous sommes entrés, avec ce mécanisme européen de la codécision, dans le trilogue entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission, je souhaite, pour compléter les propos de Jean-Claude Merceron, faire le point sur les sujets les plus importants.

Sur le premier volet, qui concerne le règlement de base, les points de désaccord sont nombreux.

Un consensus a cependant été trouvé sur les concessions de pêche transférables : tandis que le Parlement européen souhaitait leur suppression pure et simple, le Conseil a proposé qu’elles soient rendues facultatives à l’égard des États membres. Il semble donc que tout danger soit désormais écarté sur ce point.

Par quel mécanisme cette idée, si excessive, de concessions de pêche a-t-elle pu germer dans un cerveau technocratique ? Une telle mesure aurait en effet conduit à la privatisation de la ressource, à la concentration autour des plus gros armements et aurait eu des conséquences dramatiques sur la pêche qui a la préférence de la France : la pêche artisanale.

Restent deux dangers, l’un mineur, l’autre majeur.

Le danger mineur est lié au rendement maximum durable. L’approche du Conseil, graduelle jusqu’en 2020, nous conviendrait plutôt, alors que celle du Parlement européen est extrêmement rigide et encore plus excessive que celle de la Commission européenne.

Le Parlement propose en effet de fixer des taux de mortalité dès 2015, de dépasser le RMD en 2020 pour tous les stocks et de prendre la biomasse comme base de son raisonnement.

Sur ce sujet, les scientifiques ne sont pas tous d'accord. Se servir du concept de biomasse pour appréhender le RMD signifie que la pêche est appelée à devenir la variable d'ajustement des stocks, quand bien même il s’agirait d’un problème lié, non pas à la pêche elle-même, mais, par exemple, à la pollution ou au dérèglement climatique.

Il s'agit là d'une position extrêmement brutale. Si nous devions la suivre et que, dès 2015, nous soyons contraints d'appliquer le RMD, la France devrait fermer 50 % de ses pêcheries sur son territoire métropolitain et ultramarin. Je rappelle que, au sommet mondial de Johannesburg, il a été précisé que le terme pour atteindre le RMD était non pas 2015, mais 2020. Nous sommes en quelque sorte plus royalistes que le roi !

Monsieur le ministre, certes, des compromis peuvent être trouvés, mais ce sujet reste une source d'inquiétude.

Le danger majeur concerne la question des rejets. Je partage l’analyse de notre collègue Jean-Claude Merceron. La Commission européenne continue de proposer l'obligation de débarquer toutes les captures d'ici à 2015, alors que le Parlement européen a voté une obligation stricte à partir de 2014, avec une souplesse minimale de l'ordre de 5 %. C'est d’autant plus compliqué que ce dernier souhaite appliquer cette règle à l'ensemble des espèces commercialisables et pas seulement à celles qui sont soumises aux taxes, aux quotas ou, en Méditerranée, aux mesures.

Ni nos pêcheurs ni leurs bateaux, en termes de puissance comme de place à bord, ne seront en mesure d’appliquer cette règle d'ici à douze mois ou dix-huit mois. Quant aux ports, j’imagine que ce sera encore une fois aux collectivités territoriales de payer, puisque, vous le savez bien, même s’il peut y avoir des concessions, les départements en sont propriétaires.

Surtout, cette obligation aurait des effets pervers que je souhaite souligner.

D’abord, elle serait un encouragement à la filière minotière et aux farines animales. Est-ce que nous voulons ?

Ensuite, elle favoriserait la création d’un marché parallèle sur les espèces commercialisables. Là aussi, est-ce ce que nous désirons ? Je ne le crois pas. Il faut donc veiller à ce que cela ne se produise pas.

Encore une fois, je pense que le principe du zéro rejet est en soi un bon principe, sous réserve que soient réunies trois conditions qui sont autant de nuances.

Premièrement, il faut une gradualité, c'est-à-dire une sorte de préparation. Nous devons tendre vers cet objectif pour laisser aux marins-pêcheurs le temps d'adapter les bateaux.

Deuxièmement, il faut assortir cette mesure de mesures de sélectivité des techniques de pêche. Ce qui importe, c'est que ne soit pas capturé n'importe quoi, ce dont conviennent les marins.

Troisièmement, il faudra toujours conserver une tolérance, sans doute de l’ordre de 10 %. Je pense que la règle de minimis doit être prise en compte. Puisque c’est le cas pour d'autres règlements sur d'autres sujets, comme vous le savez bien, monsieur le ministre, pourquoi ne pourrait-il pas en être de même en matière de pêche ?

Monsieur le ministre, Jean-Claude Merceron vous a posé de nombreuses questions. Je me contenterai de vous en poser une seule, qui porte sur le vote du Parlement européen et les nombreuses inquiétudes qu’il suscite.

Le Parlement européen a d'abord voté la création de zones de reconstruction de stocks, qui seraient des zones de pêche interdite. Quelle sera la position du gouvernement français sur ce point à propos duquel il ne s'est pas encore exprimé ?

Le Parlement européen souhaite ensuite gérer la capacité de la flotte, en proposant une définition de la capacité qui prendrait en compte tout ce qu'un bateau peut capturer. Ce concept est tellement subjectif que même les scientifiques ne s’y retrouvent pas !

Si cette position était validée, elle pourrait conduire à ce que la France soit condamnée et privée d'aides de façon sans doute définitive. Il s’agit donc là d’un enjeu extrêmement important.

La troisième source d'inquiétude concerne les plans de gestion des espèces, sur lequel le Parlement européen souhaite une compétence partagée, en dépit de l'article 49-3 du Traité. Or il s’agit sans conteste d’une compétence exclusive des États et du Conseil – d’ailleurs, le Conseil des ministres chargés de la pêche se réunit aux mois de juin et de décembre pour évoquer ce sujet. D’ailleurs, si une telle compétence relevait de la codécision, où irions-nous ? Très vite, la pêche pourrait disparaître en France…

S’agissant du FEAMP, on peut, certes, regretter la baisse des crédits d'environ 200 millions d'euros – sur 7, 3 milliards d'euros toutefois –, mais elle est la conséquence de l'accord budgétaire pluriannuel 2014-2020, et le cadre permet encore aux pêcheurs de travailler. Un bateau de dix-huit ans peut présenter des faiblesses sur le plan de la sécurité ; il faut donc que des moyens soient alloués à la modernisation.

Par ailleurs, si l’on veut pouvoir disposer d'une enveloppe dès 2014 – et, 2014, c'est demain ! – et que des dispositions soient rapidement prises, la ligne rouge est presque atteinte. Nous sommes engagés dans une course de vitesse. Le Parlement européen doit impérativement prendre position et le trilogue arriver très vite à une conclusion pour que nous disposions d’un FEAMP opérationnel au second semestre de 2013 et que 2014 ne soit pas une année perdue pour la mise en place des dispositifs.

Certains de ces dispositifs sont d'ailleurs choquants. Je ne prendrai qu’un seul exemple. Le FEAMP prévoit de reconvertir les marins-pêcheurs, alors qu’il existe des fonds de formation professionnelle et de reconversion qui peuvent financer de telles mesures. À mes yeux, il est choquant de vouloir à tout prix proposer des formations aux marins-pêcheurs pour les pousser à quitter un métier, certes, excessivement difficile mais qu'ils aiment, après que tant de bateaux ont été « cassés » pour faire en sorte qu’ils soient de moins en moins nombreux. Or, monsieur le ministre, je peux vous citer des patrons pêcheurs qui, ne trouvant plus de main-d'œuvre française, doivent embaucher des marins étrangers ! Il faut donc au contraire offrir des perspectives à nos jeunes et aux marins-pêcheurs français.

Je conclurai mon propos en formulant deux observations.

Ma première observation porte sur le développement durable, qu’il faut bien sûr avoir en vue.

Le développement durable, c'est, certes, la protection de l'environnement : les stocks doivent être reconstitués et la surpêche est à bannir. Mais le développement durable a aussi une dimension sociale – en a-t-on parlé ? – et une dimension économique, dont nous parlons précisément maintenant.

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