Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juillet 2011, la Commission européenne a engagé le processus de réforme de la politique européenne de la pêche.
Elle a établi, à cette occasion, un bilan sévère mais juste de la politique menée par l’Europe, qui n’a pas su répondre aux enjeux sociaux, environnementaux et économiques du secteur.
La surpêche, la surcapacité, la mauvaise situation économique de nombreuses entreprises du secteur, les problèmes sociaux imputables au déclin des pêcheries dans de nombreuses régions côtières, les conditions de travail dégradées, le vieillissement de la flotte : tout pousse en effet à construire une autre politique.
Cette construction impose selon nous, au-delà de l’approche purement économique d’hier et de son « verdissement » aujourd’hui, une prise en compte des enjeux sociaux.
Le secteur de la pêche, comme bien d’autres secteurs d’activité, montre à quel point il est urgent d’harmoniser par le haut la protection sociale, le statut et la rémunération des travailleurs.
En ce qui concerne la politique européenne de la pêche, telle qu’elle nous est imposée ou proposée – à chacun de trancher selon ses convictions –, on peut constater que, si un consensus se dégage sur l’objectif d’une pêche durable, des divergences se sont cristallisées au fil des mois sur la méthode.
Les analyses divergent, d’une part, sur l’ampleur des problèmes – je pense ici à la question du rendement maximum durable, et c’est dans ce sens que le Sénat avait insisté sur l’importance d’améliorer la connaissance de l’état des stocks halieutiques – et, d’autre part, sur le calendrier et le champ d’application des mesures avancées. Il en va ainsi de nos engagements pris aux sommets de Johannesburg et de Nagoya comme sur la question des rejets ou encore sur l’instauration des zones d’interdiction de pêche.
Dès juillet 2012, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de résolution exposant la position des sénateurs sur le contenu du projet de la Commission européenne. Nous nous félicitons que notre assemblée ait, en temps et en heure, porté ses remarques.
La procédure de codécision a avancé. Le Parlement a émis ses propositions de modifications du texte de la Commission. Face aux désaccords persistants entre les institutions européennes, le comité de conciliation a été chargé d’aboutir à un accord sur un projet commun.
C’est dans ce contexte que M. Cuvillier a participé, voilà trois jours, au Conseil des ministres de la pêche de l’Union européenne, dont l’objet principal était d’organiser un nouveau tour de table sur la réforme de la politique commune de la pêche.
Au regard du calendrier, le débat que nous avons aujourd’hui, à la demande du groupe centriste, prend donc tout son intérêt pour notre information en temps réel sur la réforme européenne. Nous ne manquerons donc pas de vous poser quelques questions, monsieur le ministre. En revanche, nous sommes conscients que les négociations à huis clos qui vont s’engager ne laisseront que peu de place aux positions de principe que nous allons maintenant réaffirmer ici.
Comme nous avons déjà eu l’occasion de le signaler, y compris en votant, la réforme de la politique de la pêche suscite plusieurs inquiétudes.
D’une part, nous sommes farouchement opposés, et en cela nous suivons la position du Parlement européen, à la proposition de la Commission, qui préconisait de mettre en œuvre, au plus tard le 31 décembre 2013, pour la majorité des stocks gérés dans le cadre de la politique commune de la pêche, un système de concessions de pêche transférables applicable à tous les navires d’une longueur de douze mètres ou plus et à tous les autres navires utilisant des engins remorqués.
À travers cette mesure, c’est l’appropriation privée de ressources collectives qui est actée.
De plus, ce système présente le risque d’encourager la concentration du secteur de la pêche. Nous pensons qu’il faut donc soutenir l’interdiction totale de cette marchandisation des capacités de pêche et ne pas la soumettre à la volonté de chaque État.
D’autre part, l’approche de la Commission européenne et du Parlement consistant à exiger que le RMD soit atteint en 2015 pour tous les stocks est trop brutale. Elle pourrait conduire la France à fermer 50 % de ses pêcheries, avec des conséquences économiques et sociales irréversibles. Pour notre part, nous soutenons l’orientation générale dégagée par le Conseil Agriculture et Pêche, qui prévoyait un report en 2020 et qui distinguait selon les stocks.
Ensuite, nous estimons que le principe du « zéro rejet », qui n’a pas fait l’objet d’évaluations quantitatives ou qualitatives sur la viabilité des entreprises et l’emploi salarié et non salarié, fait courir un risque considérable à la filière en France. Il paraît injustifié de voir l’interdiction s’appliquer aux espèces qui ne sont pas sous quotas.
Lors de l’adoption de la proposition de résolution sur la réforme de la politique européenne de la pêche par l’Assemblée nationale, en janvier dernier, les députés ont à juste titre souligné les problèmes que poserait de surcroît le contrôle de l’application de cette mesure en termes de libertés publiques. Ils ont également dénoncé le coût des équipements de vidéosurveillance qui devraient être installés sur les bateaux.
Au regard des méthodes de pêche que nous utilisons en France, il est vital d’obtenir une phase de transition afin de réduire les volumes de captures non désirées et d’éliminer graduellement les rejets. Il faut également réfléchir aux exemptions sanitaires à l’obligation de débarquement et procéder à un état des lieux, flotte par flotte.
Il nous semble plus pertinent d’aider la filière à mettre en place des instruments de pêche plus sélectifs et à valoriser les rejets. C’est dans ce sens que notre collègue Gérard Le Cam avait déposé un amendement, adopté par la commission, visant à proposer que « l’organisation commune des marchés permette de mieux réguler les prix au débarquement en criée, et offre des débouchés à l’ensemble des produits pêchés, le cas échéant, par l’activation d’un mécanisme d’intervention et de stockage ».
En ce qui concerne la valorisation des produits non rejetés, un amendement du Parlement européen prévoit que « chaque État membre devrait pouvoir décider d’autoriser ou non la distribution gratuite des poissons débarqués à des œuvres de bienfaisance ou caritatives ». Il nous semble que c’est un minimum et que, là encore, un soutien financier devrait être accordé aux associations concernées.
Enfin, je regrette que la réforme de la PCP ne comporte pas de volet social. La pêche est un secteur qui présente un nombre très élevé d’accidents du travail, par exemple. Il est urgent de procéder à une harmonisation et à une amélioration des règles de travail, de protection sociale et de sécurité à bord. Il est essentiel que cesse la concurrence déloyale qui se fait au détriment des marins-pêcheurs.
Les syndicats de pêcheurs avancent des propositions simples, comme la redéfinition des critères de calcul des jauges pour améliorer la sécurité et préserver l’espace de vie des marins, l’instauration de règles d’hygiène et de sécurité pour la pêche artisanale, ou encore la conditionnalité de l’accès aux soutiens publics à l’application des réglementations.
Pour conclure, je voudrais aborder la question du financement de la politique européenne de la pêche.
Cette question est très importante alors que le nombre de pêcheurs a été divisé par deux en France en trente ans et que plus de 40 % de la disparition des emplois concerne la pêche artisanale côtière. Si l’Europe impose des contraintes aux pêcheurs pour remplir l’objectif, par ailleurs louable, de préservation des ressources halieutiques, elle ne peut pas faire porter sa politique par la filière. Il est absolument nécessaire d’apporter un soutien financier à l’installation des jeunes, à la modernisation des navires et aux plans de sortie de flotte.
Les moyens alloués au Fonds européen pour les affaires maritimes devraient ainsi être renforcés et la France devrait en recevoir une part plus importante en raison de son poids réel dans la pêche européenne.
Nous aimerions en outre savoir quelles vont être les conséquences sur cet instrument financier des décisions prises à l’aune de l’austérité dans le cadre financier de l’Union européenne.
Nous aimerions également avoir des indications sur la part du Fonds européen pour les affaires maritimes qui sera attribuée à la France.
En effet, si les discussions sur le sujet interviennent en juillet prochain, il nous semble difficile, aujourd’hui, d’acter une réforme de la politique européenne de la pêche dès 2014, alors même que le financement ne sera pas déterminé !