Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous occupe soulève des enjeux considérables, tant sur le plan social que sur le plan environnemental.
Cela explique sans doute qu’il s’apparente, si vous me permettez cette expression, à un véritable serpent de mer. La réforme de la PCP est en effet attendue depuis de nombreuses années, mais ce n’est que cette année qu’elle est entrée dans ce qui devrait être la phase ultime de sa discussion.
Le Parlement européen s’est prononcé sur l’essentiel des propositions de la Commission, qui font désormais l’objet de discussions entre cette dernière et le Conseil des ministres ; je pense notamment au règlement qui constitue l’armature de la réforme et au texte visant à réorganiser le marché commun de la pêche.
Les nouvelles dispositions concernant le Fonds européen pour la pêche et son financement seront quant à elles étudiées ultérieurement.
La position des écologistes sur ce dossier est connue de tous, quoiqu’elle soit peut-être moins caricaturale que certains l’ont laissé entendre. Notre position s’explique par un chiffre, que nous nous accordons tous et toutes à trouver alarmant : en Europe, 88 % des stocks de poisson sont surexploités. Autrement dit, c’est bien à un pillage des océans que nous assistons.
L’ancienne PCP a échoué. Elle n’a pas permis de gérer correctement les ressources halieutiques, ce qui met en péril la biodiversité marine et la bonne alimentation mondiale, mais aussi les pêcheurs eux-mêmes. Ce secteur est aujourd’hui en déclin en raison de la baisse du nombre des emplois comme des rémunérations. Toutes ces dimensions sont liées, et la situation nous invite à changer radicalement de cap.
Les règles doivent donc évoluer. Elles devront naturellement être déterminées avec tous les pêcheurs – les gros comme les plus petits – pour aller dans le sens d’une gestion durable de la ressource. Cela suppose plusieurs changements structurels qui ne vont pas de soi.
Tout d'abord, les critères d’accès au droit de pêche doivent se fonder sur une économie de la ressource et donner lieu à une contrepartie, à savoir le renouvellement assuré des stocks.
Ensuite, nous devons mettre en place des plans de gestion à long terme basés sur une approche écosystémique, ce qui implique évidemment de collecter des données scientifiques pour établir les fondements d’une gestion durable.
C’est à une pêche de qualité, et donc à une petite pêche, à une pêche artisanale, que la priorité doit désormais être donnée. Les capacités de flotte doivent être proportionnées aux ressources disponibles, et les flottilles doivent être adaptées techniquement à ces nouvelles contraintes.
Nous devons également réfléchir à la mise en place d’une gestion décentralisée et régionalisée de la PCP et de ses moyens, tout en renforçant les mesures de lutte contre la pêche illégale.
À ce stade, je veux rappeler les points centraux défendus par les écologistes.
Les concessions de pêche transférables, CPT, que la Commission européenne souhaitait imposer constituaient notre principal point d’achoppement avec ses propositions initiales. Il s’agissait de pouvoir échanger des droits de pêche sur un marché, dans une logique proche de celle qui prévaut sur le marché du carbone, dont on voit, hélas ! les limites aujourd’hui. Ce système aurait été nuisible à l’exploitation durable des ressources halieutiques, en conduisant à concentrer les droits de pêche au profit de quelques-uns, au détriment de la pêche artisanale. Nous nous félicitons donc que le Parlement européen l’ait rejeté, en renvoyant aux États le soin d’attribuer les droits de pêche selon les modalités qu’ils choisiront.
Monsieur le ministre, j’espère que la France veillera à ce que cette avancée ne soit pas remise en cause lors des ultimes négociations. Je rappelle d’ailleurs que le Sénat, anticipant la réforme, avait adopté dès le 16 juillet 2010 une résolution critiquant les positions prises, en particulier sur ce point précis, par la Commission dans le Livre vert de 2009.
Certaines propositions formulées par les États constituent un autre point d’achoppement pour les écologistes. Je pense notamment à la question de l’interdiction des rejets en mer, qui est un élément central de la réforme initiée par la Commission européenne et que le Parlement européen a soutenue et même renforcée.
Cette mesure reviendrait à interdire purement et simplement les rejets, obligeant les navires de pêche à ramener à terre toutes les quantités pêchées, y compris les poissons aujourd'hui rejetés à l’eau faute de correspondre aux critères de taille et d’espèce – poissons qui, de manière générale, ne survivent de toute façon pas.
Plusieurs gouvernements se montrent opposés à cette interdiction. Les parlementaires écologistes français et européens sont en désaccord avec la position du gouvernement français. À dire vrai, nous souhaiterions même aller plus loin que la proposition actuelle, en couplant cette interdiction des rejets en mer avec l’obligation de déduire des quotas tous les poissons débarqués.
Nous sommes conscients que cette approche suppose que les pêcheurs soient incités à ne pas pêcher les espèces marines indésirables et protégées, par exemple en utilisant des engins plus sélectifs, mais aussi que soient adoptées des mesures propres à éviter la création d’un marché parallèle pour les prises dites accessoires et la pêche illégale.
La mise en œuvre de nos préconisations nécessiterait évidemment des moyens importants, afin d’attribuer des aides à la modernisation des flottilles et même à la mise en place de dispositifs de recherche et de développement renforcés.
Dans la conjoncture actuelle, c’est un des arguments avancés pour repousser cette proposition essentielle. Le manque de moyens n’est pourtant pas nouveau, et il ne doit rien à la conjoncture. Le Fonds européen pour la pêche n’était doté que de 4, 3 milliards d’euros pour la période 2007-2013. Cette somme n’est certes pas anodine, mais elle paraît bien insuffisante au regard des enjeux.
Si nous voulons aider les pêcheurs à protéger la ressource, nous devons consentir à renforcer le Fonds européen pour la pêche dans le nouveau cadre financier pluriannuel, en insistant sur les dimensions de modernisation, de réduction et de capacité sélective des flottes européennes.
À ce titre, monsieur le ministre, il serait bon que vous nous éclairiez sur l’avancée des discussions budgétaires entre le Conseil et le Parlement européens, ainsi que sur les montants envisagés à ce stade pour financer la prochaine PCP.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’évoquais en introduction un serpent de mer que nous avions bien du mal à attraper, et c’est avec lui que je conclurai.
Une politique adaptée aux enjeux telle que celle que je viens de mettre en avant appartient à une espèce précieuse. Nous ne pouvons partir à sa recherche sans outils adaptés, car nous nous condamnerions à manquer notre cible, à constater qu’elle ne fait pas la maille, à devoir y renoncer alors que les enjeux sont considérables. Faisons en sorte que l’Europe, ses pêcheurs et ses citoyens ne reviennent pas bredouilles d’une quête qui n’a que trop duré. §