Intervention de Marcel-Pierre Cléach

Réunion du 25 avril 2013 à 15h00
Débat sur la politique européenne de la pêche

Photo de Marcel-Pierre CléachMarcel-Pierre Cléach :

La pêche est une activité essentielle, un acte fondamental de subsistance, aux côtés de l’agriculture et de la chasse. Elle est aussi ancienne que l’humanité. Elle représente 20 % de l’apport en protéines animales de la population mondiale et en est la principale source pour un milliard d’êtres humains, essentiellement dans l’hémisphère Sud.

La pêche constitue également un prélèvement considérable sur la production vivante de notre planète. Le prélèvement sur les stocks sauvages pose directement la question de la durabilité. Or, sur une planète couverte à 70 % d’océans, l’homme est arrivé à la limite de son exploitation. Nous sommes donc contraints d’organiser la gestion des océans, richesse de l’humanité dont on commence à percevoir, bien tardivement, le caractère précieux et irremplaçable.

Nous sommes d’autant plus contraints de nous intéresser à ces enjeux que les pêcheries maritimes sont globalement en crise.

Les questions posées par la gestion des pêches n’ont pas qu’une dimension mondiale. Elles se posent bien évidemment aux niveaux français et européen. La PCP a été créée en 1983, à l’issue d’une négociation entre la Commission européenne et les États membres.

Cette politique s’appuie sur les rapports des scientifiques spécialisés, la pêche étant l’un des secteurs les plus gouvernés par la science. En effet, sur quoi fonder une décision de gestion, sinon sur des données scientifiques ? Et qui peut prendre une décision publique, sinon les représentants élus en charge de l’intérêt général ?

La pêche est la dernière activité de chasse-cueillette dans la nature sauvage. Ce fut longtemps une activité sans frein, les hommes prélevant autant que possible dans la mesure où la ressource paraissait infinie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Dans plusieurs régions, les stocks semblent avoir été exploités au-delà du raisonnable, ce qui met en danger certaines espèces et même la biodiversité marine, ainsi que l’ont récemment rappelé, dans un livre intitulé Mange tes méduses !, Philippe Cury et Daniel Pauly, deux des plus grands chercheurs français en la matière.

En effet, petits poissons et méduses se mangent mutuellement à l’état de larves. En temps normal, cela permet la régulation de la population des méduses. Cependant, en cas de surpêche, la disparition des espèces pélagiques entraîne une augmentation du nombre de petits poissons et de méduses. Leur prolifération empêche le renouvellement des réserves halieutiques, menaçant ainsi la pêche. C’est le cas dans la mer du Japon, dans la mer Noire et dans la Méditerranée, où 92 % des espèces sont surexploitées, la survie du thon rouge ne tenant qu’à l’application rigoureuse des mesures de limitation des captures édictées par la Commission européenne.

Cette situation gravissime de l’état des stocks halieutiques n’est pas discutée. Les rapports annuels du CIEM, le Conseil international pour l’exploration de la mer, les rapports de la FAO, le dernier rapport de la Cour des comptes européenne soulignent que la politique commune de la pêche, non seulement n’a pas donné les résultats escomptés, mais s’est même traduite par un échec, malgré certaines améliorations constatées sur plusieurs stocks, à savoir là où les limitations de captures ont été observées et où la pêche a été organisée et appliquée par les pêcheurs eux-mêmes, pour la langoustine par exemple.

Ainsi la Cour européenne regrette-t-elle les faiblesses affectant la fixation des objectifs pour l’Espagne, la Pologne, le Portugal et le Royaume-Uni, ainsi que le financement européen de certains équipements des navires, qui aboutissent en fait à faciliter et à augmenter les captures.

En outre, elle déplore les faiblesses affectant la conception et la mise en œuvre des programmes de déclassement des navires ainsi que les insuffisances, voire les omissions, des rapports annuels des États membres qui ne permettent pas aux organisations européennes d’instaurer un équilibre amélioré entre la capacité de pêche et les possibilités offertes par l’état des stocks.

La Cour souligne à plusieurs reprises que la surcapacité de la flotte de pêche européenne reste une des causes principales de l’échec de la PCP en ce qui concerne la viabilité des activités de pêche. De plus, elle émet une série de recommandations tendant à la mise en place de mesures plus fermes pour rechercher un meilleur équilibre entre capacités et possibilités.

Le rapport Poséidon, document incontestable établi par le secrétariat général de la mer, concluait déjà en 2006 que seul le passage à la gestion durable permettrait la rentabilité et induirait un climat européen rasséréné. À cet égard était pointée la nécessité « d’équilibrer la flotte par rapport aux ressources exploitées, de la faire évoluer techniquement vers l’utilisation d’engins plus sélectifs, vers plus de sécurité, et d’améliorer l’encadrement de l’accès aux pêcheries ».

Les difficultés de la pêche française sont connues : elle fournit à peine 15 % de la consommation nationale, perd des navires et des emplois chaque année, et, du fait de sa spécialisation chalutière, elle est beaucoup plus vulnérable face à la hausse du coût de l’énergie et à la volonté d’accroître la sélectivité.

En situation de crise, les pêcheurs, qui ont constaté le retour du cabillaud dans l’Atlantique Nord-Est, sont de moins en moins enclins à comprendre et à accepter les dernières dispositions de la PCP, notamment en ce qui concerne l’interdiction des rejets, le cap de 2015 pour atteindre le rendement maximum durable et l’expérimentation, abandonnée depuis, des quotas transférables.

Ils y sont d’autant moins disposés qu’ils ont, en outre, l’impression que tous les pays européens ne sont pas aussi respectueux que la France des règles en vigueur. En effet, ils se trouvent souvent concurrencés sur les lieux de pêche par des « navires fantômes ».

Il n’en reste pas moins que la pérennité de leurs activités dépend de la durabilité des stocks halieutiques et que ceux-ci sont en grand danger. Ils le savent bien, d’ailleurs, car ils le constatent à chaque campagne de pêche. Mais ils ont aussi observé que les mesures de restriction ou de fermeture de certaines pêcheries ont permis, dans certaines zones, la reconstitution de stocks.

Les représentants des pêcheurs participent à toutes les concertations et discussions européennes et nationales. Ils ont appris à travailler avec les scientifiques de l’IRD, l’Institut de recherche pour le développement, et de l’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, pressentant qu’il n’y a guère d’autres choix que d’accepter la plupart des mesures préconisées par les scientifiques spécialisés et mises en œuvre par les autorités européennes et nationales.

Il leur appartient, ainsi qu’aux autorités nationales, de faire envers eux œuvre de pédagogie et de définir ensemble les mesures applicables aux différentes pêcheries, les spécificités à prendre en compte, les délais à retenir et les financements à mettre en place pour sauver l’un des plus beaux métiers du monde. Il s’agit d’une tâche difficile, mais rien ne serait pire qu’une attitude de contestation systématique et qu’une politique de l’autruche ou d’atermoiements.

Les pêcheurs doivent être considérés et leur expérience prise en compte ; les scientifiques doivent être entendus et les représentants professionnels écoutés, mais le politique, en charge de l’intérêt général, lequel dépasse ici notre seul territoire pour rejoindre une donnée essentielle du système terre, devra prendre les décisions courageuses mais nécessaires à la survie de nos pêcheries et donc des populations qui en vivent.

Comme vous le savez, le Parlement européen a adopté, le 6 février dernier, par 502 voix pour, 137 voix contre et 27 abstentions, les fondements d’une politique commune de la pêche à même de lutter contre la surpêche et de réguler les stocks halieutiques.

Les députés européens ont posé en principe qu’il ne fallait plus outrepasser les quotas au-delà desquels les stocks de poissons ne peuvent se reconstituer, mais qu’il fallait, au contraire, respecter les rendements maximum durables. Ils ont voté l’interdiction des rejets et donc revu à la baisse les quotas de pêche à partir de 2015, afin d’atteindre un niveau de renouvellement au-delà du RMD dès 2020.

Les eurodéputés français socialistes et UMP ont voté contre ces dispositions, conformément d’ailleurs à la position du Gouvernement et aux souhaits de plusieurs de mes éminents collègues qui connaissent bien les problèmes de la pêche française et qui ont fait partager au Sénat leurs convictions, exprimées dans une résolution adoptée le 3 juillet 2012.

Cette dernière tend à souligner l’insuffisance des connaissances scientifiques, moins de la moitié des stocks européens ayant fait l’objet d’une étude et d’un diagnostic, pour s’opposer à l’interdiction des rejets et à la mise en place, même à titre expérimental, des concessions de pêche transférables. Cependant, la légitimité de la démarche tendant à atteindre les RMD y est reconnue, sous réserve que plus de temps soit laissé aux opérateurs. Par ailleurs, la prise en compte de l’aquaculture dans la PCP est à juste titre saluée.

Enfin, la résolution préconise, concernant la connaissance des stocks halieutiques, une co-expertise entre scientifiques et professionnels, proposition qui figurait d’ailleurs dans le rapport que j’avais fait en 2008 pour le compte l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et que j’avais intitulé Marée amère – déjà !

L’ensemble de ces propositions figurent également dans l’avis de notre excellent collègue Gérard Le Cam, rendu au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, le 22 novembre 2012, dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2013. Il y évoque la brutalité des mesures européennes, la concurrence déloyale qui sévit sur les mers et la variabilité annuelle des quotas, qui empêche toute prévision.

Il y a donc une position française constante qui rassemble les professionnels, les parlementaires et les ministres successifs. C’est un peu, malgré quelques évolutions, le front du refus !

Sans doute cela part-il de louables intentions – préserver l’industrie de la pêche, le travail des pêcheurs et, partant, l’économie de nos zones côtières, ainsi que le savoir-faire français en la matière –, mais est-ce vraiment rendre service au monde de la pêche que de vouloir ignorer la réalité pour gagner du temps ? Pour ma part, je ne le crois pas, car ce sont les arguments des scientifiques, regroupés au sein de l’Association française d’halieutique et, surtout, du CIEM, qui ont servi de base aux propositions de la commissaire chargée de la pêche adoptées par le Parlement.

Ces scientifiques, tout en soulignant l’indispensable poursuite de la maîtrise des prélèvements, constatent d’ailleurs les quelques progrès enregistrés et saluent les efforts réalisés. Ainsi, ils rappellent que la pression de la pêche a diminué de manière significative pour plusieurs grands stocks européens. Dans l’Atlantique, l’objectif d’un effort de pêche conforme au RMD est désormais atteint pour 50 % des stocks ayant fait l’objet d’une évaluation complète, preuve qu’une gestion rigoureuse permet d’atteindre les objectifs fixés.

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