Intervention de Hugues de Jouvenel

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 5 décembre 2012 : 1ère réunion
Réunion commune avec le cese : affronter les défis du long terme inventer une nouvelle planification

Hugues de Jouvenel, président-délégué général de Futuribles International :

Je remercie en premier lieu les délégations à la prospective du Sénat et du CESE d'avoir pris l'initiative de cette réunion en vue de réintroduire la dimension du temps long dans la vie publique.

Je voudrais ensuite faire deux remarques sur l'échange qui vient de s'instaurer. D'abord, je voudrais insister sur le fait que, si nous avons besoin de réhabiliter le temps long dans l'élaboration des politiques publiques, on ne saurait faire l'impasse sur la nécessaire articulation entre le court, le moyen et le long terme. Ce dernier, s'il est indispensable, doit permettre de donner du sens et de la cohérence aux actions à court et moyen termes. Au demeurant, suivant la nature des questions à traiter, la dimension du temps est nécessairement différente.

Ma deuxième remarque est relative aux échelles géographiques. On ne saurait en effet considérer que la prise en compte du long terme relève plus ou moins de la dimension des pays. La réhabilitation du temps long est nécessaire à toutes les échelles géographiques, aussi bien au niveau local que national et global.

J'en viens maintenant à votre question. Je pense qu'il est tout à fait essentiel, lorsque l'on parle de l'avenir, de bien distinguer l'avenir comme territoire à explorer et l'avenir comme territoire à construire. S'agissant de l'avenir comme territoire à explorer, la première question est de savoir comment nous représenter la situation actuelle en faisant le tri entre les faits à caractère purement conjoncturels et ceux que nous estimons révélateurs de tendances plus ou moins lourdes et émergentes. Ceci correspond à ce que nous appelons la veille prospective dont l'objectif est en quelque sorte d'identifier correctement les germes d'avenirs possibles. Partant de là, il convient ensuite de tenter d'explorer ce qui peut advenir. Telle est la vocation de la prospective dite exploratoire qui doit s'efforcer de tenir compte des facteurs éventuels de discontinuité et de rupture. Cette prospective exploratoire n'a évidemment aucune prétention à prédire l'avenir. Son utilité principale est d'essayer de discerner les enjeux à moyen et à long termes auxquels nous risquons d'être confrontés avant qu'il ne soit trop tard et que ceux qui ont vocation à agir en stratèges soient réduits à une fonction de pompier, acculés à la seule gestion des urgences.

Vient ensuite la question de l'avenir comme territoire à construire, donc de la représentation que se forgent les acteurs, et les élus en premier lieu, de l'avenir souhaitable et réalisable, donc du projet qu'ils s'assignent, celle donc des finalités. Vient aussi la question des marges de manoeuvre dont dispose l'Etat, marges de manoeuvre qui seront d'autant plus grandes que ses responsables auront faire preuve de prévoyance et qu'ils auront su souder les acteurs autour d'une vision partagée. Vient enfin la question du compte à rebours, donc des actions à entreprendre, par qui, quand et comment, pour atteindre cet objectif.

Je terminerai par une remarque concernant la différence entre prévision et prospective qui me paraît d'autant plus importante qu'elle me semble négligée dans le rapport de Yannick Moreau. La prévision repose sur l'extrapolation des tendances observées dans le passé. La méthode la plus couramment utilisée est celle des modèles de simulation qui suppose que, toutes choses demeurant égales par ailleurs, le système se reproduit indéfiniment à l'identique sans qu'il y ait de discontinuité et de rupture et les prévisions ainsi établies sont très dépendantes du choix des hypothèses d'entrée. La prospective s'efforce en revanche de prendre en compte ces facteurs de discontinuité et de rupture, y compris ceux résultant des êtres humains et des acteurs sociaux qui, fort heureusement, ne sont pas des robots et ne fonctionnent pas de manière répétitive et rationnelle.

Enfin, je regrette que Yannick Moreau oppose la prospective du présent à la prospective disons « classique » car les deux démarches sont très complémentaires. Elles ont du reste toutes les deux en commun de s'attacher à la construction du futur en tenant compte des forces vives de la société.

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