Président du Sénat. - Monsieur le Président du CESE, Monsieur le Président de la commission des lois, Messieurs les Présidents des délégations à la prospective du Sénat et du CESE, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, je vous prie d'accepter mes excuses. En effet à peine aurai-je terminé cette brève introduction que je devrai m'éclipser en raison de contraintes liées à ma fonction. Je le ferai néanmoins le coeur plus léger sachant que Monsieur le Premier ministre, mon collègue Vice-Président du Sénat, Jean-Pierre Raffarin, demeurera présent à vos côtés.
C'est avec grand plaisir que le Sénat accueille cette réunion sur les défis du long terme et la nécessité d'une vision stratégique pour guider les décisions politiques, organisée conjointement par les délégations à la prospective du Sénat et du CESE.
Ce sujet s'avère particulièrement d'actualité puisque le Premier ministre a reçu hier, de la part de Madame Yannick Moreau, Présidente de la section sociale du Conseil d'Etat, le rapport de la mission qui lui avait été confiée sur les modalités de la création d'un nouveau commissariat à la stratégie et à la prospective. Il est également d'actualité car il est nécessaire de prendre de la hauteur par rapport au temps médiatique, qui ne favorise pas la prise en compte du long terme, et par rapport aux évolutions de plus en plus rapides de la société. La désindustrialisation de notre pays, le réchauffement climatique, la hausse des prix des matières premières énergétiques et alimentaires permettent de constater les difficultés que nous rencontrons pour anticiper et même pour réagir à temps et avec la force nécessaire à des phénomènes qui semblent nous prendre de vitesse. Dans le cadre de mes réflexions sur l'avenir du bicamérisme et de cette assemblée, j'ai toujours considéré qu'il était de notre responsabilité de donner au Sénat une dimension spécifique, notamment par rapport à l'Assemblée nationale, et d'essayer de nous situer dans une vision plus prospective et de long terme. Cette nécessité me semble d'autant plus impérative que la question de la prospective se pose aujourd'hui pour plusieurs raisons.
Rappelons-nous tout d'abord que la planification française a montré par le passé qu'elle pouvait être « réducteur d'incertitudes », selon les mots du Commissaire au plan Pierre Massé. Elle a permis la réalisation de succès industriels et la création de champions nationaux et européens, par exemple dans les secteurs de l'énergie, de l'aéronautique et du spatial. Les ambitions industrielles d'alors demeurent d'actualité : assurer l'indépendance énergétique de la France, encourager le développement d`industries nouvelles, fournir un cadre approprié à l'évolution des structures et aux réformes indispensables de notre tissu industriel.
Il ne s'agit pas de répéter les propos ou actions engagés hier. Nous vivons aujourd'hui dans une économie globalisée, très ouverte, mais aussi encadrée par des règles européennes et mondiales. Nous avons l'obligation, pas seulement politique ou économique, mais morale, de redresser nos finances publiques. Il ne paraît plus possible de faire porter à l'Etat, comme ce fut le cas durant les années 1960 et 1970 et même plus récemment dans certains pays asiatiques, le lancement de nouvelles filières industrielles nécessitant des investissements de départ considérables et plusieurs années pour atteindre un seuil de rentabilité. Ces efforts ne peuvent s'envisager qu'à l'échelle européenne. J'ajoute que nous devons les favoriser dans ce cadre, particulièrement en cette période de difficultés économiques et tandis que le projet européen doit trouver un nouveau souffle. Pour autant, l'Etat ne saurait demeurer cantonné à un rôle d'observateur ou de régulateur des forces du marché. L'Etat peut arrêter une stratégie, définir des priorités, dégager des moyens et encourager les initiatives. Nous l'avons vu avec les investissements d'avenir, qui ont été un exercice de prospective, et je salue Michel Rocard qui fut l'un des principaux artisans pour en définir les priorités.
Nous avons besoin, dans une période où les événements s'accélèrent, d'élaborer des stratégies à moyen et long termes, qui ne se limitent pas à la prise en compte des contraintes immédiates et ne s'égarent pas dans des considérations purement théoriques. Nous avons besoin qu'une instance de prévision, de réflexion, de concertation puisse également impulser la réalisation de nouveaux projets. La représentation parlementaire et les partenaires sociaux doivent avoir leur place dans ce travail d'évaluation et de prospective qui sert l'intérêt national. Je souhaite que nous puissions, avec les délégations à la prospective du Sénat et du CESE, réfléchir aux outils qui permettront d'insuffler un nouvel état d'esprit et de relever les défis de demain. Mesdames et Messieurs, je vous souhaite de fructueux travaux et vous remercie.
J'aurai le plaisir d'animer les deux tables rondes d'une après-midi très riche à laquelle nous espérons vous associer à travers vos questions et vos commentaires.
Ce colloque est consacré à la planification stratégique et à la réflexion sur les moyens qui peuvent être mis en oeuvre pour inspirer les décideurs publics. Nous aborderons au cours de la première table ronde les améliorations qui peuvent être attendues d'une planification redéfinie. Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre et vice-président du Sénat, sera le grand témoin de cette discussion. Jean-Michel Charpin, ancien Commissaire au plan, évoquera le passé du Commissariat général du plan et ses attentes à l'égard d'un nouvel organe dédié à la stratégie. Hugues de Jouvenel, Président-Délégué général de Futuribles International, interviendra sur les travaux de Futuribles et la distinction entre les court et long termes. Michel Ruffin, chef de service responsable de la prospective, des études, de l'observation territoriale et de l'évaluation de la Datar, rappellera le rôle tenu par cette direction et son évolution possible au sein d'une configuration nouvelle. Enfin, Pierre-Alain Schieb, conseiller et chef des projets du programme de l'OCDE sur l'avenir, présentera des comparaisons avec certains pays ayant abordé efficacement les questions de planification. Joël Bourdin, Président de la délégation à la prospective du Sénat, conclura cette table ronde.
La seconde table ronde s'attachera à discuter des moyens et outils à mettre en oeuvre pour une nouvelle planification stratégique. Elle sera introduite par Jean-Paul Bailly, Président de la délégation à la prospective du CESE. Michel Rocard, ancien Premier ministre, ancien ministre du Plan et de l'aménagement du territoire, tiendra le rôle de grand témoin. Yann Algan, économiste, et Mélanie Gratacos, membre du CESE pour le groupe des associations, seront également présents. Yannick Moreau, Présidente de la section sociale du Conseil d'Etat, auteur du rapport « Pour un commissariat général à la stratégie et à la prospective » remis hier au Premier ministre, participe aussi à cette discussion, ainsi que Jean-Pierre Sueur, Président de la commission des lois du Sénat, et Jean-Paul Delevoye, Président du CESE.
Jean-Michel Charpin, pouvez-vous revenir sur le passé du Commissariat général du Plan (CGP) ? Quelle est la situation présente ? Pensez-vous que les différentes instances qui ont succédé au CGP l'ont efficacement remplacé ?
Je souhaite aujourd'hui que nos regards se tournent vers l'avenir et ne restent pas empreints de nostalgie à l'égard de cette époque. Il est cependant normal qu'en tant qu'ancien Commissaire au Plan, je revienne sur le passé de cet organisme.
Outre la fonction particulière qui consistait à préparer les projets de loi de plan, interrompue au début des années 1990, les fonctions exercées par le Commissariat général du Plan ont été reprises par d'autres organismes, ce qui atteste de leur nécessité. Le Centre d'analyse stratégique (CAS) a notamment repris la fonction de veille, d'étude et de prospective. Le Conseil d'analyse économique (CAE) est en lien avec la recherche économique. Le Commissariat général à l'investissement (CGI) a commencé à reprendre la fonction se rapportant au choix des investissements publics. Pour l'heure, il n'a repris ce rôle que dans le cadre du Grand Emprunt, mais envisage d'étendre ses prérogatives à l'ensemble des investissements publics. La fonction d'évaluation a, quant à elle, été reprise pour partie par la Cour des comptes et pour partie par d'autres organismes administratifs. La fonction de concertation a, pour sa part, été reprise de façon permanente par des organismes tels que le Conseil d'orientation des retraites (COR), le Conseil d'orientation pour l'emploi, le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie, mais aussi par des manifestations ponctuelles telles que le Grenelle de l'Environnement ou la Grande conférence sociale.
Si toutes ces fonctions ont effectivement perduré, est-ce dans des conditions satisfaisantes ? Au sujet des fonctions de veille, d'étude et de prospective assurées par le Centre d'analyse stratégique, le rapport de Yannick Moreau me semble un peu sévère. En tant que lecteur des travaux du CAS, je considère que ces derniers sont intéressants, tout comme ceux du CGI et du CAE. Selon moi, la fonction de concertation s'avère moins efficacement suivie. En tout état de cause, je me réjouis que le rapport de Yannick Moreau en souligne l'importance. De nombreuses concertations ont été menées ces dernières années, mais les méthodes employées, comparées à celles du Commissariat général du Plan, souffraient de défauts relativement importants.
Ces défauts se traduisaient-ils par une médiatisation trop forte ou bien un manque d'expertise par exemple ?
L'organisation de grandes conférences sur une journée unique s'avère nécessairement moins efficace qu'une concertation qui s'inscrit dans une certaine durée et qui permet la discussion, l'ajustement des problématiques et des conceptions de chacun. La consultation est possible sur une journée, pas l'interaction telle qu'elle était menée du temps du CGP.
L'expertise a toujours joué un rôle fondamental au CGP. Au sein de chacune des commissions siégeaient les différents partenaires tandis que l'introduction des séances était réalisée par des experts. Ces derniers précisaient les concepts, donnaient l'état de réflexion des chercheurs et l'ensemble des partenaires réagissaient ensuite. Sur la période récente, les procédures se trouvent différentes, pour des raisons par ailleurs compréhensibles. Par exemple, les experts présents lors du Grenelle de l'environnement se situaient au même niveau que les autres intervenants et pouvaient être contredits par tous. Les sujets abordés par le Grenelle sont certes controversés, mais la méthode du CGP, au moins sur les sujets économiques et sociaux, présentait de nombreux avantages.
Jean-Michel Charpin vient d'évoquer l'histoire du CGP et des organismes qui lui ont succédé. Il considère que la concertation est aujourd'hui trop éloignée des experts et souvent trop rapide. Jean-Pierre Raffarin, fort de votre longue expérience sur ces questions, qu'en pensez-vous ?
Je suis très heureux d'avoir été invité par Joël Bourdin, je le félicite pour sa gestion de la délégation de la prospective du Sénat. La concertation s'avère importante, mais elle doit s'inscrire dans une perspective et pas seulement dans l'urgence et l'immédiateté. Edgar Morin disait : « quand l'immédiat dévore, l'esprit dérive ». Nous devons crier notre besoin de réflexion, de stratégie de moyen terme. Je ne comprends pas pourquoi le CGP a été supprimé ni pourquoi la Datar occupe une place subalterne.
Le moyen terme est un élément majeur du système. Les taux de croissance dans le monde sont liés aux régimes autoritaires. Le XIIème plan chinois révèle une grande intelligence. Bien que premier pays pollueur du monde, la Chine est aussi le premier à parler de croissance inclusive, de croissance verte. Ces pays autoritaires font de la stratégie un facteur majeur de leur développement. J'ai beau rester fondamentalement démocrate, je constate que nos pays se laissent influencer par les médias et que les lieux où l'on pense l'avenir se trouvent fragilisés. L'abandon de cette volonté me paraît tragique dans le cadre de notre confrontation aux régimes autoritaires.
Pourquoi les contrats de plan ont-ils été abandonnés ? J'ai été le premier à signer avec Lionel Jospin le contrat « Université 2000 » lorsque j'étais Président de la région Poitou-Charentes. Le contrat de plan, créé par Michel Rocard, reste le procédé le plus pertinent pour veiller à ce que l'Etat affirme ce qui est cohérent et que le territoire affirme des initiatives et des ambitions. Les territoires expriment des libertés, l'Etat affirme des cohérences, des logiques, telles que la justice sociale. L'essentiel est de remettre le moyen terme dans les décisions publiques, pourtant il ne semble plus intéresser quiconque. L'immédiat domine les pensées, y compris au sein de grands partis politiques.
Vous distinguez moyen et long termes.
Je laisse les professionnels établir ces distinctions. Il me semble clair que les décisions publiques sont trop longues à mettre en oeuvre. En Chine, le moyen terme correspond à une période de trois ans, contre dix ans en France. Nous devons regarder comment procèdent les autres pays. Le Brésil revoit ses comptes publics tous les deux mois tout en appliquant des stratégies, y compris fédérales, de moyen et de long termes. Nous devons, je crois, nous habituer à une gestion complexe, dans laquelle l'immédiat et le long terme sont tout aussi importants pour la démocratie. Le Grenelle de l'environnement est une bonne initiative, mais il ne doit pas conduire à allonger les délais de moyen terme.
Pierre-Alain Schieb, quels sont les critères d'une planification réussie ?
L'OCDE, avec trente-quatre pays membres et une fonction prospective développée depuis 1975, bénéficie d'un regard pointu sur la situation des autres pays. Planification et prospective stratégique ont été abordées de manière indifférenciée, mais elles doivent être distinguées. Cette précision faite, je citerai des solutions intéressantes en termes de mécanismes institutionnels. Le Premier ministre finlandais, lors qu'il prononce son discours de l'Union, doit présenter une vision de la Finlande à quinze ans. Il ne s'agit certes pas d'un engagement, mais ce point révèle la prise en compte, par un homme politique élu de premier plan, de la dimension de moyen terme. Une commission permanente sur l'avenir existe aussi au niveau parlementaire.
Par ailleurs, un retour du besoin d'inscription dans le long terme à travers les politiques de science et de technologie se fait jour. La Cour des comptes américaine exerce aussi une nouvelle prérogative d'appréciation des politiques à long terme. Des mécanismes institutionnels existent donc afin de réintégrer le long terme dans les politiques publiques.
Les réussites plus récentes concernent des domaines plus restreints, les secteurs d'activité notamment. Le Danemark a mis en oeuvre des politiques de sciences et de technologies, la Suisse a déployé des politiques sur le financement et la planification à long terme des infrastructures. Il n'existe pas de formule magique, mais des initiatives intéressantes.
Ce renouveau créatif en matière de prospective se trouve lié par ailleurs à la levée de certains tabous tels que la politique industrielle, l'incitation concrète aux initiatives technologiques. Un certain degré de liberté gagnerait à être rétabli afin que les économies de l'OCDE se trouvent en mesure de retrouver le chemin de la croissance.
L'appréciation préventive que vous évoquez manque-t-elle à la France ? Jean-Pierre Raffarin pourra s'exprimer sur cette question. Avant cela, Pierre-Alain Schieb, pourquoi le Danemark constitue-t-il un bon exemple ?
Le caractère inclusif et participatif des procédures au Danemark mérite d'être cité. Les politiques de sciences et de technologies intègrent l'analyse du long terme, le point de vue des experts et de la population ainsi que l'engagement des ministres. Dans l'expression « contrat de plan » réside le mot contrat, qui implique une coopération. L'ensemble des pays nordiques manifeste cette caractéristique. Pourquoi des petits pays tels que ceux-ci parviennent-ils à créer des mécanismes participatifs et une culture du consensus ?
Vous citez fréquemment l'exemple de Singapour.
Certes, mais Singapour étant une ville-Etat, l'inclusion de tous les décideurs s'avère plus aisée.
La logique du consensus ne me semble pas forcément liée à la taille, mais aux mécanismes. L'existence de lieux où les consensus peuvent se préparer paraît essentielle. Le CESE devrait à ce propos bénéficier d'un rôle plus important. Nous devons travailler, au niveau national comme au niveau régional, sur l'ingénierie du consensus. Or la construction du consensus nécessite des lieux dédiés et des outils tels que les contrats de plan Etat-région. La réflexion sur les méthodes de construction du consensus, notamment par la participation de la société civile, doit être menée.
Je ne pense pas qu'il existe une corrélation entre la taille d'un pays et la réussite de la concertation. Le CGP, qui réunissait différentes catégories de personnes, a permis d'aboutir à des résultats satisfaisants.
Hugues de Jouvenel, comment décririez-vous l'utilité de la prospective ?
Je remercie en premier lieu les délégations à la prospective du Sénat et du CESE d'avoir pris l'initiative de cette réunion en vue de réintroduire la dimension du temps long dans la vie publique.
Je voudrais ensuite faire deux remarques sur l'échange qui vient de s'instaurer. D'abord, je voudrais insister sur le fait que, si nous avons besoin de réhabiliter le temps long dans l'élaboration des politiques publiques, on ne saurait faire l'impasse sur la nécessaire articulation entre le court, le moyen et le long terme. Ce dernier, s'il est indispensable, doit permettre de donner du sens et de la cohérence aux actions à court et moyen termes. Au demeurant, suivant la nature des questions à traiter, la dimension du temps est nécessairement différente.
Ma deuxième remarque est relative aux échelles géographiques. On ne saurait en effet considérer que la prise en compte du long terme relève plus ou moins de la dimension des pays. La réhabilitation du temps long est nécessaire à toutes les échelles géographiques, aussi bien au niveau local que national et global.
J'en viens maintenant à votre question. Je pense qu'il est tout à fait essentiel, lorsque l'on parle de l'avenir, de bien distinguer l'avenir comme territoire à explorer et l'avenir comme territoire à construire. S'agissant de l'avenir comme territoire à explorer, la première question est de savoir comment nous représenter la situation actuelle en faisant le tri entre les faits à caractère purement conjoncturels et ceux que nous estimons révélateurs de tendances plus ou moins lourdes et émergentes. Ceci correspond à ce que nous appelons la veille prospective dont l'objectif est en quelque sorte d'identifier correctement les germes d'avenirs possibles. Partant de là, il convient ensuite de tenter d'explorer ce qui peut advenir. Telle est la vocation de la prospective dite exploratoire qui doit s'efforcer de tenir compte des facteurs éventuels de discontinuité et de rupture. Cette prospective exploratoire n'a évidemment aucune prétention à prédire l'avenir. Son utilité principale est d'essayer de discerner les enjeux à moyen et à long termes auxquels nous risquons d'être confrontés avant qu'il ne soit trop tard et que ceux qui ont vocation à agir en stratèges soient réduits à une fonction de pompier, acculés à la seule gestion des urgences.
Vient ensuite la question de l'avenir comme territoire à construire, donc de la représentation que se forgent les acteurs, et les élus en premier lieu, de l'avenir souhaitable et réalisable, donc du projet qu'ils s'assignent, celle donc des finalités. Vient aussi la question des marges de manoeuvre dont dispose l'Etat, marges de manoeuvre qui seront d'autant plus grandes que ses responsables auront faire preuve de prévoyance et qu'ils auront su souder les acteurs autour d'une vision partagée. Vient enfin la question du compte à rebours, donc des actions à entreprendre, par qui, quand et comment, pour atteindre cet objectif.
Je terminerai par une remarque concernant la différence entre prévision et prospective qui me paraît d'autant plus importante qu'elle me semble négligée dans le rapport de Yannick Moreau. La prévision repose sur l'extrapolation des tendances observées dans le passé. La méthode la plus couramment utilisée est celle des modèles de simulation qui suppose que, toutes choses demeurant égales par ailleurs, le système se reproduit indéfiniment à l'identique sans qu'il y ait de discontinuité et de rupture et les prévisions ainsi établies sont très dépendantes du choix des hypothèses d'entrée. La prospective s'efforce en revanche de prendre en compte ces facteurs de discontinuité et de rupture, y compris ceux résultant des êtres humains et des acteurs sociaux qui, fort heureusement, ne sont pas des robots et ne fonctionnent pas de manière répétitive et rationnelle.
Enfin, je regrette que Yannick Moreau oppose la prospective du présent à la prospective disons « classique » car les deux démarches sont très complémentaires. Elles ont du reste toutes les deux en commun de s'attacher à la construction du futur en tenant compte des forces vives de la société.
Michel Ruffin, confirmez-vous que la Datar est active dans la réflexion prospective, non dans la prévision ? Ce point constitue-t-il une différence avec l'ancien CGP ?
chef du service prospective, études, observation territoriale et évaluation de la Datar. - Un discours classique consiste à avancer que le CGP réalisait de la prévision macroéconomique, de la modélisation, tandis que la Datar réalise de la prospective. A mon sens, la ligne de partage entre les deux institutions repose plutôt sur une double spécificité de la Datar : d'abord, le fait qu'elle croise l'action et la stratégie. De ce point de vue, la prospective n'est pas un exercice purement intellectuel mais un cadre qui doit servir à la mise en oeuvre de politiques publiques portées en direct par l'institution. Cet élément essentiel permet de comprendre la structure de la Datar et sa différence avec le CGP et avec le CAS.
Ensuite, de par son objet, la Datar est dédiée au temps long. Les enjeux de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme s'inscrivent par définition dans le long terme. Dès les années 1960, une forte tradition prospective a imprégné les travaux de la Datar, avec pour ambition d'identifier les futurs possibles. La prospective se distingue en effet de la prévision par l'horizon temporel de référence mais surtout par le fait qu'elle repose sur le postulat que le futur n'est pas écrit mais doit être construit par les acteurs en s'appuyant sur une cartographie du possible. C'est tout l'enjeu de ces scénarios que de construire cette vision commune des futurs possibles.
Pouvez-vous donner un exemple de scénario ?
Le « scénario de l'inacceptable », l'exercice « France 2030 » ou encore le projet en cours « Territoires 2040 » en sont des exemples. J'insiste sur l'ancrage de la Datar dans le temps long. Elle construit des visions de l'avenir et, comme l'indiquait Hugues de Jouvenel, avant de se préoccuper du consensus, elle doit identifier les moteurs des transformations de la société française. C'est seulement sur cette base que pourront être prises les décisions.
Le CAS et la Datar n'ont-ils pas efficacement suppléé le CGP au gré des nombreux projets qui les ont réunis ?
Michel Ruffin a évoqué les petits et les grands moteurs. Je constate aujourd'hui que les métropoles, les départements, les communautés d'agglomération sont beaucoup plus moteur que l'Etat.
Je reviens maintenant sur la distinction entre prospective et prévision, profitant de la présence de Jean-Michel Charpin et de Yannick Moreau qui ont tous deux joué un rôle majeur dans la prospective des retraites. Une démarche de prévision en matière de prospective des retraites consiste en un travail de simulations macroéconomiques reposant sur l'hypothèse que le système se perpétue sans rupture majeure ainsi que sur des hypothèses concernant la croissance économique, la productivité et l'emploi que j'estime très arbitraires et discutables. En témoignent une fois de plus les dernières prévisions du Conseil d'orientation des retraites qui sont fondées sur des hypothèses concernant les gains à venir en termes de productivité et d'emploi qui m'apparaissent empreints d'une grande illusion. S'imaginer ainsi que le taux de chômage reviendra au niveau de 4,5 % ou 7 % à partir de 2022 n'est guère crédible et entretenir un tel leurre ne peut que conduire à des réformes inadaptées. Je crois que nous serons confrontés à des ruptures majeures dont nous devrions davantage tenir compte.
La distinction entre l'exploration et la construction de l'avenir me semble pertinente. La démarche du CGP a toujours consisté en une exploration des avenirs possibles, en l'élaboration de scénarios, mais ce, dans le but d'éclairer des décisions devant être prises dans le présent et de permettre la construction de l'avenir. Sans cette seconde dimension, la première étape semble vaine.
Quant au sujet du long terme, je constate que les problématiques y afférant tendent à devenir plus familières aux financiers, aux entreprises et même aux journalistes, souvent stigmatisés - et à juste titre - pour leur vision immédiate. Je crois qu'il est plus aisé aujourd'hui de faire entendre les problématiques des retraites, du développement durable ou des infrastructures que ce ne l'était quinze à vingt ans en arrière. A cette époque, l'horizon des plans dominait. De plus, le taux d'actualisation recommandé alors par le CGP s'élevait à 8 % en termes réels. Ce chiffre induisait que tout événement susceptible de se produire au-delà de dix ans ne pouvait être pris en compte puisque les taux d'actualisation annuels cumulés réduisaient à zéro les montants envisagés. Aujourd'hui, il semble inconcevable de recourir à un taux d'actualisation aussi élevé, ce qui prouve que l'horizon de temps a bien été allongé.
Peut-être l'opinion a-t-elle bénéficié de la pédagogie mise en oeuvre par les experts, voire par les politiques ?
Comme vient de le rappeler Jean-Michel Charpin, l'exploration des futurs possibles n'a d'intérêt que si elle débouche sur la construction d'un futur souhaitable. Cependant, cette exploration nécessite un périmètre de réflexion étendu au monde alors même que la construction d'un futur souhaitable, dès lors que l'Etat n'est pas maître du monde, doit être menée au niveau de l'Etat en tenant compte de ses marges de manoeuvre particulières.
Par ailleurs, si nos contemporains montrent une plus grande intelligence du futur, tenons compte de cette évolution, donnons-leur des informations justes et non édulcorées. Le rapport de Yannick Moreau souligne à juste titre la crise de confiance, notamment vis-à-vis des instances publiques nationales. Je crois que ce discrédit tient aux discours erronés qu'elles produisent, au manque de visibilité de leurs ambitions et à la diffusion de projets irréalisables. L'Etat doit se placer à l'écoute de la société.
Qui pointez-vous du doigt ? Les politiques portent-ils une part de responsabilité ?
Il ne s'agit pas d'accuser qui que ce soit. Prenons l'exemple de la réforme des retraites, que je considère comme essentielle. Le rapport élaboré par Jean-Michel Charpin était fondé sur l'hypothèse de l'Insee selon laquelle la population active allait commencer à diminuer à partir de 2006 en raison du départ à la retraite des générations nombreuses du baby-boom et de l'arrivée sur le marché du travail des générations creuses du baby krack. Cette vision des choses m'a toujours semblé erronée en raison des indicateurs choisis : celui de l'indice de fécondité plutôt que celui du nombre de naissances par année, celui du taux de chômage au lieu de celui du taux d'emploi. Je n'entends ici mettre en cause ni Jean-Michel Charpin ni l'Insee. Mais j'estime important que l'on travaille davantage sur les indicateurs, les données et leur interprétation car ils jouent un rôle majeur dans la représentation que nous forgeons de la réalité et donc, pour une part, du futur. En outre, reconnaissons que nous avons beaucoup de mal à prendre en considération les variables dites « molles » alors qu'elles jouent un rôle déterminant. Plutôt que d'élaborer des prévisions très précises, inéluctablement fausses, sur une période de quarante ou cinquante ans, j'estime qu'il aurait été plus efficace d'élaborer des scénarios permettant de mieux représenter, certes de manière plus grossière, l'éventail des futurs possibles.
Des difficultés se présentent certes, mais c'est bien le rapport du COR qui a permis d'enclencher la réforme de 2003. En effet, dans les débats du COR, j'ai identifié des positions communes chez les partenaires sociaux. Ce travail d'analyse et d'expression de la volonté politique a permis de définir une voie. Lionel Jospin avait engagé cette démarche, mais le COR a favorisé la construction du chemin à suivre. La réforme passera, j'en suis sûr, par la prospective, tout comme la réforme des retraites a été menée par la prospective. Ces consensus ont été bâtis sur des analyses. La maîtrise des dépenses publiques, par exemple, comprend deux volets principaux : l'éducation nationale et la dépense sociale de santé. Pour traiter cet enjeu, une approche telle que celle suivie par le COR s'avère le seul gage d'efficacité. La réflexion sur le moyen terme et la préparation de plans d'action doivent s'organiser au sein de lieux dédiés. Sans ce travail préalable, aucun consensus ne sera trouvé en aval. Je crois enfin qu'il n'est plus utile de déterminer si les Français sont trop jacobins ou trop girondins. En revanche, il convient maintenant de décider que l'Etat et les territoires assument leurs missions respectives, ainsi que de permettre la création de lieux de discussion.
Monsieur Raffarin, reconnaissez que si votre réforme allait dans le bon sens, elle s'avérait tout à fait insuffisante.
Certes, mais vous conviendrez qu'un sujet d'une telle envergure ne peut être traité qu'en plusieurs étapes. De même, l'éducation nationale et le système de santé seront réformés sur le long terme ; il est dès lors nécessaire d'accorder toute son importance à la prospective, qui donne précisément un sens aux étapes. Le COR a tracé une ligne directrice ; le choix du rythme revient ensuite au gouvernement.
Jean-Michel Charpin a rappelé que le taux d'actualisation utilisé par le CGP était aujourd'hui dépassé ; effectivement, nous ne somme plus dans le même contexte économique. En outre, la prospective est liée à l'évaluation du présent puisqu'elle repose sur des scénarios, eux-mêmes bâtis sur des évolutions récentes. Le CGP effectuait à ce propos non seulement de la prospective, mais de l'évaluation. Réfléchir à des scénarios globaux cohérents constitue déjà un pas dans la planification.
Michel Ruffin, le projet « Territoires 2040 » repose justement sur plusieurs scénarios.
Je me permets tout d'abord de rebondir sur l'intervention précédente. Réaliser la prospective fonctionne dans les deux sens. En effet, l'exploration du futur permet aussi de comprendre le présent. Ce point autorise également la distinction entre prospective et modélisation. L'élaboration de scénarios favorise la lisibilité des tendances structurantes du présent. L'identification de ces variables stratégiques permet ensuite de trouver les leviers d'action adaptés.
J'en viens au projet « Territoires 2040 » engagé début 2010, qui repose sur un raisonnement en termes de territoires au sein de la France. A la différence des exercices de prospective précédents, « Territoires 2040 » n'offre pas d'emblée une vision de la France dans trente ans mais met à jour des dynamiques infra-nationales. En effet, les territoires se différencient de plus en plus et présentent des potentialités diverses. L'anticipation de l'avenir est donc tout autre selon que l'on considère la France ou des territoires en son sein. « Territoires 2040 » identifie les grands types de territoires et produit des scenarios à horizon 2040 sur chacun de ces types de territoires. L'idée était de réfléchir à la façon dont les territoires périurbains, les grandes métropoles ou d'autres territoires sont susceptibles d'évoluer.
La Datar a fixé le cadre pour une réflexion future.
Absolument. Ce cadre fait d'ailleurs réagir les élus locaux qui se reconnaissent dans cette définition des territoires. De plus, la spécificité de « Territoires 2040 » est la façon dont nous représentons en termes cartographiques les évolutions anticipées. Faire de la prospective, c'est chercher à se représenter l'avenir dans tous les sens du terme. Un vrai travail a été mené sur la dimension iconique, non pas seulement comme illustration mais aussi comme support à la réflexion prospective. L'enjeu est désormais que les acteurs s'approprient ce matériau.
Aurez-vous besoin d'un nouveau commissariat à la prospective ?
Je pense qu'une certaine complémentarité peut exister entre la Datar et un futur commissariat à la prospective, sans préjuger des décisions qui seront prises, y compris concernant la Datar. Certains rapprochements plus systématiques pourraient être opérés notamment entre la Datar et le CAS, même si nous utilisons des échelles de temps différentes et même si le CAS travaille davantage sur une vision nationale tandis que la Datar utilise plusieurs échelles à la fois.
Le scénario est un média, il donne des informations. La capacité à saisir les informations est un facteur d'intelligence. En outre, la carte est un lieu de pouvoir. J'ai créé un institut de cartographie car celui qui détient les cartes est souvent celui qui détient le pouvoir. En effet, une idée se cache toujours derrière une carte, au point que certains débats se résument à la visualisation de celle-ci. Quoi qu'il en soit, je me réjouis que la Datar soit redevenue interministérielle car c'est ainsi qu'elle prend toute sa dimension.
A l'interpellation critique d'Hugues de Jouvenel sur les travaux menés au sujet des retraites, je répondrai que les scénarios utilisés étaient effectivement trop optimistes. Le choix a été opéré en vue de favoriser l'action. La réforme devait emporter l'adhésion de la population, des partenaires sociaux et pour cela, il fallait montrer que les techniciens ne peignaient pas un tableau trop noir. Je rappelle que nous avons entrepris - Michel Rocard le premier, moi ensuite, le COR enfin - de réformer un système de retraites qui convenait alors à tous, qui avait réduit la pauvreté des personnes âgées et aplani les écarts de revenus entre populations active et retraitée. Si les scénarios présentés avaient été trop pessimistes, leur force de conviction se serait révélée moins forte. Au final, la réforme a été menée et la France n'est plus en retard sur ce point en comparaison des autres pays développés.
Je crois que nous ne devons pas encourager l'irresponsabilité par des prévisions trop optimistes. Nous devons au contraire faire preuve de courage et relever les défis d'ailleurs fort bien identifiés par Michel Rocard dans son Livre Blanc sur les retraites.
Par ailleurs, le CGP fonctionnait au sein d'un Etat puissant sur un territoire relativement fermé. Aujourd'hui, l'Etat est un acteur parmi d'autres, sur un territoire nettement plus ouvert au grand large, y compris aux jeux d'acteurs fonctionnant selon une logique de réseau. Les méthodes de prévision ne permettent guère de prendre en considération cette complexité nouvelle. Telle est la raison pour laquelle je pense qu'au lieu d'élaborer des prévisions hautement périssables, nous devons débroussailler l'avenir grossièrement avant de penser aux actions à mener.
En outre, je considère l'évaluation des politiques publiques comme un enjeu de première importance. Mais pour évaluer réellement les politiques publiques, il ne faut point nous contenter d'un simple contrôle de gestion certes nécessaire. Encore faudrait-il que leurs finalités soient clairement définies et leurs objectifs clairement fixés.
Enfin, les acteurs me semblent trop négligés dans le débat que nous menons. Où sont les acteurs des territoires, les associations, les entreprises, les corps intermédiaires, la société civile ? L'Etat n'est plus, je le répète, le seul acteur sur le territoire. Il doit en tenir compte dans ses travaux de prospective.
Echanges avec le public
J'ajoute aux propos de Jean-Michel Charpin que si le CGP a effectivement écrit le Livre Blanc, il a aussi grandement contribué à notre inquiétude. Je tiens à rappeler que j'ai mis en place à cette époque toute une stratégie qui passait par l'accord des partenaires sociaux. Nous avions pu ainsi ouvrir le débat, notamment grâce à un diagnostic préparé superbement par le CGP et endossé par le CNPF, la CFDT et FO.
Comme l'a indiqué Hugues de Jouvenel, des prévisions trop fines ne sont pas utiles, mais les partenaires sociaux avaient donné leur accord avant la publication du rapport, qu'ils avaient cosigné. Le Livre Blanc constituait ainsi à la fois le diagnostic et la boîte à outils. Sans annoncer de mesure, il dressait un inventaire de tous les points sur lesquels il était possible d'intervenir. Une mission du dialogue sur les retraites présidée par un syndicaliste a, par la suite, été lancée pour une durée de deux ans afin que le diagnostic soit accepté et reconnu partout en France. Mon successeur a malheureusement interrompu le travail de cette mission malgré sa grande utilité. Il a annulé, de fait, la possibilité que débute la négociation entre l'Etat, les partenaires sociaux et le patronat, qui constituait l'étape suivante. La dernière étape consistait en une loi. Le point important est bien que les partenaires sociaux ont participé au diagnostic préalable.
Le rapport de madame Moreau propose une initiative intéressante dans l'intégration de plusieurs organismes, dont le Conseil national de l'industrie (CNI). En effet, la composante industrielle et productive de la France semble en mauvais état et nécessite une attention particulière. Tout comme Pierre Massé aux premières heures du CGP, nous devons redonner confiance par le biais de perspectives suffisamment attrayantes pour entraîner les énergies d'une part, et assez réalistes pour ne pas créer le phénomène de défiance décrit par Hugues de Jouvenel, d'autre part.
La situation de la France dans l'Europe rend, quant à elle, indispensable l'intégration des stratégies de nos voisins européens. A titre d'exemple, les flux de population du Sud de l'Europe vers l'Allemagne ont des conséquences insoupçonnées et inédites sur la démographie et la compétitivité. Ainsi les scénarios de prospective doivent-ils intégrer les possibilités de ruptures afin d'examiner l'ensemble des situations envisageables.
Enfin, si les modèles et les économistes sont naturellement nécessaires, ils peuvent se révéler très nuisibles. En effet, les bases statistiques utilisées dans les modèles ne reflètent pas nécessairement la réalité actuelle des entreprises. Que ce soit l'interaction entre l'industrie et les services ou les effets des technologies de l'information, les données manquent. Je note que la récente communication du gouvernement sur le commerce extérieur indique que le domaine des services n'a pu être présenté en détail car les statistiques ne fournissent pas assez d'informations. Une réflexion sur les instruments de mesure paraît donc essentielle.
Il n'a pas été question de l'Europe. Je propose pour la réflexion à venir une étude de cas portant sur la création de l'Europe puissance. Celle-ci est plus que jamais nécessaire dans le contexte mondial actuel. La France pourrait être le moteur de cette Europe, l'avant-garde de la renaissance de l'Europe, victime d'un avortement provoqué par l'extérieur et par le fléchissement de l'intérieur.
Vos tables rondes portent sur une planification rénovée. Le rapport de Madame Moreau suggère de constituer un centre de ressources, lieu de concertation et de débat public en observant la qualité des pratiques. Cela suffira-t-il pour associer les partenaires sociaux et la société civile ?
Nous aborderons cette question au cours de la seconde table ronde.
Question de la salle. - Comment réaliser la prospective avec la prolifération de lois que nous connaissons ? Si trop de lois et de réformes sont votées aux niveaux européen, national et même local, l'autorégulation est mise à mal et la planification semble difficile à mettre en oeuvre.
S'il existe trop de lois, c'est que la pensée n'est pas assez présente, que l'immédiat dévore. L'inflation législative contemporaine est liée à une inflation des attitudes de réactivité qui prennent le pas sur la stratégie et la pensée dans l'action publique. Plus la pensée de long terme s'imposera dans l'action publique, moins l'opportunisme dominera car c'est ce dernier qui conduit à légiférer dans l'urgence.
Partenaire social, patronal au nom des petites et moyennes entreprises, j'ai été acteur de cette concertation et je témoigne de son efficacité. Je pense que nous avons su prendre les décisions responsables, raisonnables et financées pour la question des retraites, ce qui n'a pas été le cas dans le domaine de la santé et de la protection sociale. C'est pourquoi la charge de la dette ne peut pas être ignorée, tant à travers la CRDS qu'à travers la difficulté croissante à dégager les sommes nécessaires pour que les entreprises puissent continuer à investir aux côtés de l'Etat. Le défi pour demain consiste à trouver les solutions adaptées à la démographie actuelle, ainsi que les financements pour aller de l'avant.
Le Maréchal Lyautey dit un jour à son jardinier : « J'aimerais beaucoup avoir un cèdre du Liban dans mon jardin ». Comme le jardinier lui répondit qu'un cèdre du Liban nécessite cent ans pour pousser, le Maréchal Lyautey répliqua : « nous devons alors le planter dès cet après-midi ». Messieurs, êtes-vous d'accord pour affirmer que le présent est la conséquence du futur ?
Evidemment.
J'ai rédigé un avis sur les missions et l'organisation de l'Etat dans les territoires, qui abordait notamment la question de la balkanisation des différentes missions auparavant exercées par le CGP. Cet avis s'interroge sur le besoin, non pas de recréer un commissariat au plan, mais sur celui d'un outil pour mettre en oeuvre plus de prospective et de planification. Je soulève trois points.
D'abord, les leviers d'intervention de l'Etat se sont amoindris, du fait notamment de la décentralisation et de la construction européenne.
Ensuite, les échelles de temps étant variables, nous devons savoir quelle place donner à l'évaluation dans la prospective et l'élaboration d'une stratégie. Nous devons déterminer la place des séquences d'évaluation, de réorientation des décisions prises.
Enfin, un commissariat à la stratégie et à la prospective va être créé. Il s'ajoutera au CESE, composé certes d'une délégation mais aussi de sections, lesquelles émettent des avis qui partent du présent avec un diagnostic partagé, discuté, pour aboutir à un consensus avec l'ensemble de la société civile organisée. Quelle articulation existera-t-il entre le CESE, le Parlement et ce futur commissariat ?
Par ailleurs, j'entends bien les experts, mais les discussions d'aujourd'hui montrent que l'expertise peut être contestée, que les indicateurs peuvent être interrogés, dans le but de parvenir à un diagnostic partagé et à un sens à donner aux orientations. Or, en matière de retraites, si le diagnostic était effectivement partagé, ce n'était pas le cas du sens donné à ce diagnostic. A la veille de la Conférence gouvernementale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, je veux dire que l'une des conséquences de la réforme des retraites a été l'explosion du taux de pauvreté chez les retraités. Je souhaite savoir comment ces problématiques peuvent désormais être traitées.
Nous savons depuis une cinquantaine d'années que l'évolution du monde a changé les avenirs possibles. Le PIB est moins corrélé au bien-être et l'OCDE, comme l'Union européenne, ont engagé des travaux pour multiplier les indicateurs. Comment articuler le travail prospectif à une représentation opératoire des valeurs concrètes débattues ? Quels seront les écarts de revenus dans dix ou vingt ans au sein de la communauté nationale ? Comment se définira l'indépendance énergétique ? Quelle sera la capacité à influencer l'Union européenne et le monde ? Quels indicateurs vont-ils pouvoir orienter la construction des politiques publiques et leur évaluation ? Le CESE a une certaine expérience, partagée avec le CNIS et le Commissariat général au développement durable, sur un débat concernant les indicateurs de développement durable. Comment aborde-t-on ces points dans une approche prospective ?
Les valeurs n'ont guère été évoquées. Une vraie définition de nos valeurs ne constitue-t-elle pas le préalable à la recherche de finalités qui orienteraient nos explorations et nos décisions ?
Les indicateurs de bien-être prennent de l'importance et de nombreux experts travaillent sur la notion d'économie du bonheur. Cet élément peut être ajouté au débat.
Je suis d'accord avec Hugues de Jouvenel lorsqu'il affirme que la prospective doit débroussailler grossièrement l'avenir. Cependant, on ne gouverne pas grossièrement. Entre la prospective et la gouvernance, une dialectique existe, qu'il faut animer. C'est ici que les valeurs doivent intervenir. Nous devons accepter qu'il est à la fois nécessaire de dégager des lignes d'avenir avec une certaine netteté et de prendre en compte la société.
Je regrette d'avoir peut être trop insisté sur l'avenir des retraites alors que le vrai problème de la France est le sous-emploi, notamment chez les jeunes et les seniors. La gauche comme la droite, en connivence avec les partenaires sociaux, ont depuis quarante ans, contrairement à nombre de nos partenaires européens, fait du sous-emploi la principale variable d'ajustement sur le marché du travail. Ce sous-emploi endémique constitue certainement un des problèmes majeurs de notre société. Il constitue une menace majeure au regard de l'avenir de notre contrat social et de l'avenir des solidarités entre et au sein des générations. Je pense que nous devons d'urgence nous attaquer à cette question. Je répondrai par ailleurs à François Rachline de planter son cèdre du Liban immédiatement car le futur n'attend pas. A trop attendre, les problèmes s'aggravent. Enfin, je confirme à Grégoire Postel-Vinay que le travail sur les indicateurs et les données est essentiel si nous voulons pouvoir appréhender la situation actuelle et l'avenir autrement qu'avec des concepts et des outils dépassés.
La délégation à la prospective du Sénat et celle du CESE doivent se féliciter d'avoir pris l'initiative d'une rencontre sur ce sujet. C'est la première fois que nos deux délégations organisent un travail conjoint et le thème de la prospective ne pouvait être mieux choisi. En effet, la prospective est dans l'air du temps. Le gouvernement a d'ailleurs chargé Madame Moreau d'établir un rapport sur ce sujet. Le fait est que nous vivons dans la dictature de l'instant. En ma qualité de membre de la commission des finances du Sénat, je note qu'après avoir voté un budget annuel en décembre 2011, nous aurons voté, en cette fin d'année 2012, quatre collectifs budgétaires. La prévision passe ainsi d'une durée d'un an à une durée de trois mois. L'établissement de perspectives cohérentes semble nécessaire.
L'idée de prospective n'est certes pas nouvelle puisque le CGP a contribué à la cohérence des décisions publiques durant de nombreuses années. Même après la suppression du CGP, l'idée de prospective n'a cependant jamais été totalement abandonnée. Le COR, le CAS et la Datar notamment effectuent des travaux de prospective. A ce propos, la délégation à la prospective du Sénat a engagé un rapport sur l'avenir des territoires avec la Datar. Ces initiatives nous conduisent à aller au-delà, pas nécessairement jusqu'à la planification, mais au moins jusqu'à l'intégration d'une perspective plus longue et d'une prospective plus généralisée.
De nombreux lieux sont dédiés à la perspective, mais un lieu commun semble utile pour approfondir la réflexion sur la prospective et réunir les acteurs sociaux. La seconde table ronde vise précisément à aborder la mise en oeuvre de ce dialogue avec les acteurs sociaux.
Je remercie naturellement les participants qui ont fait vivre ce débat ainsi que le Président de la délégation à la prospective du CESE, Jean-Paul Bailly, qui va me succéder à cette place et participer à la suite des échanges sur le thème de la prospective.
Cette seconde table ronde porte sur les outils et les moyens à mettre en oeuvre pour la réflexion prospective. Jean-Paul Bailly, Président de la délégation à la prospective du CESE, va introduire cet échange dont Michel Rocard, ancien Premier ministre et ancien ministre du Plan, sera le grand témoin. Jean-Paul Bailly, vous présidez le groupe La Poste et étiez précédemment à la tête de la RATP. En quoi la prospective intéresse-t-elle le management des entreprises ?
Mon premier contact avec la planification stratégique remonte au début des années 1970 en tant que responsable du Plan au sein de la RATP. Cette tâche stimulante a permis une large concertation des parties prenantes et a été menée par un groupe de jeunes cadres devenus pour la plupart cadres dirigeants de la RATP. Par la suite, dans les années 1980, la RATP s'est lancée dans une véritable démarche prospective en créant un séminaire ouvert à toutes les sciences sociales et dénommé « Crise de l'urbain, futur de la ville ». Le projet « Réseau 2000 », lui aussi assis sur une forte concertation, visait à développer une conception nouvelle de la RATP, qui s'avérait non seulement un transporteur mais également un acteur de la ville. Au travers de cette réflexion se trouvaient déjà en germe les idées concernant l'automatisation du métro, l'organisation différente du réseau d'autobus, le retour du tramway, la décentralisation, le développement des pôles urbains de transport...
Il en est de même à La Poste, au sein de laquelle j'ai lancé, dès mon arrivée en 2002, le projet « La Poste 2020 ». Celui-ci avait pour but de rendre l'entreprise plus compétitive, tout en restant inscrite dans les mouvements de société, dans les nouvelles technologies et surtout, en restant fidèle à sa mission de service public et de service de proximité. Je considère d'ailleurs que la prospective se révèle souvent plus dynamique dans les territoires qu'au niveau national. Dans cette réflexion du groupe La Poste se trouvaient déjà, comme pour la RATP, les germes des évolutions mises en oeuvre par la suite dans l'entreprise : la naissance et le développement de la Banque Postale, la part croissante du e-commerce, la mutation des services rendus par les bureaux de poste ainsi que des évolutions dans l'organisation territoriale de l'entreprise.
J'ai acquis la conviction que l'évolution d'une entreprise passe en premier lieu par la définition du système de valeurs. Ensuite, doivent être élaborés une ambition, une vision et un projet participatif. Ce travail effectué en amont me semble un facteur de confiance facilitant la mise en oeuvre effective. Je pense que la réflexion prospective s'avère d'autant plus utile aujourd'hui que règnent dans notre société l'immédiateté et le manque de visibilité.
Pensez-vous que la concertation essentielle à la réflexion stratégique que vous avez menée à la RATP et à La Poste a pu manquer aux entreprises françaises ?
Je crois que la définition de l'ambition et de la vision d'une entreprise nécessite énormément de temps. Il est essentiel d'élaborer ces idées de la manière la plus participative possible ou, au minimum, de se consacrer pleinement à la pédagogie et à l'explication des changements essentiels nécessaires qui concernent chaque membre de l'entreprise.
Yann Algan, vous avez conduit avec plusieurs confrères des travaux sur la confiance et la défiance dans nos institutions, notamment sur les données et les évaluations que celles-ci produisent.
Je suis heureux de m'exprimer aujourd'hui parmi vous. De nombreux propos concernent la nécessité de renouveler la conception de l'Etat et tentent de définir les nouveaux modes d'action et de gouvernance qui favorisent la transparence ainsi que les méthodes d'évaluation. Réfléchir au sujet de l'Etat suppose de réfléchir à la gouvernance. Il s'agit de trouver le bon niveau d'analyse pour que les interventions de l'Etat, en termes de régulation, ne soient pas sujettes à des problèmes de rupture d'égalité. Par exemple, les aides sectorielles à l'innovation les plus efficaces sont celles qui s'avèrent les plus égalitaires. Au lieu de choisir une entreprise, une aide efficace concerne un secteur entier, ce qui permet notamment de préserver la concurrence au sein de ce secteur.
Par ailleurs, le dialogue social tient une place prépondérante. En effet, les travaux dans le domaine économique montrent que la performance économique et la performance sociale fonctionnent ensemble. De nombreuses études révèlent que les entreprises les plus innovantes reposent souvent sur une organisation horizontale. Elles ont aussi, lors de la mise en oeuvre de réformes, réussi à créer un dialogue social et un consensus au sein des effectifs. Il en est de même pour la puissance publique. Une organisation trop hiérarchique ne peut conduire à la même efficacité.
Enfin, pour une gouvernance transparente et équitable, la culture de l'évaluation doit s'imposer. Or, selon moi, la France manque de cette culture. Très peu de centres d'évaluation existent dans notre pays. Nous n'avons pas d'équivalents français des think tanks britannique (Institute for fiscal studies) et américain (Mathematica Policy Research) qui ont pour mission d'évaluer concrètement les politiques publiques. Dans ces mêmes pays existent, au sein des parlements, des instances qui visent à évaluer ex-ante et ex-post l'ensemble des propositions gouvernementales. Pour une gouvernance transparente, des experts formés de manière pointue sont également nécessaires. Les centres d'évaluation cités sont composés majoritairement d'universitaires nommés pour cinq ans, placés sous la responsabilité d'experts, y compris de la société civile. En France, la Cour des comptes est seule à agir, à la demande notamment de l'exécutif. De nouveaux lieux de rencontre doivent émerger afin de faciliter le consensus et le rôle innovateur de l'Etat. Je crois que la méthode mise en oeuvre par le COR, fondée sur la décentralisation et l'indépendance, a contribué à atteindre l'objectif de la réforme des retraites.
Votre collègue François Bourguignon fait état d'une accumulation des savoir-faire et de la nécessité de savoir si les objectifs ont bien été servis.
Les institutions telles que l'Inspection des finances ou l'Inspection des affaires sociales interviennent uniquement ex-post et avec des moyens limités pour l'évaluation des politiques publiques. De plus, la recherche y est très peu valorisée. A titre d'exemple, la création des pôles de compétitivité a souffert du manque d'écoute des recommandations de nos voisins européens. Ceux-ci nous ont appris que la clef de l'efficacité de ces pôles résidait dans le fait de cibler les financements. Au final, les quelque soixante-dix pôles de compétitivité créés en France ne favorisent guère l'innovation. Ce constat débouche aujourd'hui sur une préconisation de réduction du nombre de pôles. Or cette préconisation figurait déjà dans le rapport de Philippe Martin et Thierry Mayer diffusé il y a quelques années. Une meilleure valorisation de la recherche, on le voit, peut se révéler utile. Un lieu dédié favoriserait l'expression et la prise en considération concrète de la parole des experts.
Michel Rocard, vous avez introduit le principe de l'évaluation en France. Etait-ce sur la base du constat que les pays étrangers réussissaient mieux sur ce plan ?
grand témoin, ancien Premier ministre, ancien ministre du Plan et de l'aménagement du territoire. - Je suis effectivement parti du constat d'un retard de la France. L'absence de toute culture d'évaluation est une faiblesse nationale tragique liée à notre jacobinisme et à l'arrogance des hommes politiques, qui refusent d'être évalués. Cependant, les Etats-Unis, le Japon, les Pays-Bas, l'Allemagne et la Grande-Bretagne pratiquent l'évaluation.
J'ai dû agir prudemment à l'époque car le fait de heurter tant de tabous pouvait s'avérer dangereux. J'ai intégré à la loi sur le RMI la création d'un système autonome d'évaluation. Cette innovation s'est révélée efficace. Le premier rapport d'évaluation sur le RMI a été réalisé un an et demi après et a entraîné la modification de la loi pour en améliorer certains points. Fort de ce succès, j'ai eu l'audace de proposer, en 1990, une loi prévoyant que toute politique publique soit soumise à une évaluation. Aucun de mes successeurs n'a depuis respecté cette loi.
J'ai également créé un comité interministériel de l'évaluation qui avait pour mission de définir les objets de l'évaluation, de choisir l'évaluateur et de prendre les mesures appelées par le résultat de l'évaluation. A ma connaissance, ce comité ne se réunit plus.
Enfin, le dispositif comprenait la création d'un Conseil scientifique de l'évaluation. Mais l'antagonisme entre la culture du contrôle comptable et la culture d'évaluation était trop fort. La loi prévoyait que le Conseil scientifique de l'évaluation pouvait charger des agents membres de la Cour des comptes, de l'Inspection des Finances, du Contrôle général des armées, mais aussi des membres de cabinets d'audit privés, de réaliser l'évaluation. La nécessité de distinguer la culture comptable de la culture d'évaluation imposait celle d'intégrer de nouveaux acteurs dans le procédé. Les corps de contrôle cités n'ont pas apprécié la réforme. Mon départ a causé l'enterrement de ces initiatives. Qui veut réintégrer l'évaluation dans la vie publique doit savoir qu'il devra combattre les blocages de l'Inspection des finances, de la Cour des comptes et du Contrôle général des armées. Je salue par ailleurs la mémoire du professeur Jean Leca qui a présidé le Conseil scientifique de l'évaluation durant cinq ans. L'évaluation de l'immatériel présente de grandes difficultés. C'est dans la construction des outils scientifiques pour l'évaluation de l'immatériel et du non quantifiable que résident la rigueur et l'objectivité de l'évaluation. Je recommande la reprise de ce combat, mais mets en garde contre les difficultés qu'il impliquera.
Le rapport de Yannick Moreau évoque l'évaluation aux côtés de la prospective, de la stratégie, des comparaisons internationales et de la concertation. Yannick Moreau, vous ne semblez pas apprécier le terme planification ?
La planification est une notion connotée par l'histoire et de façon négative. En effet, de nombreux Plans ont été mis en oeuvre en France jusqu'en 1993. L'objectif actuel du Premier ministre n'est pas de restaurer un exercice qui avait du sens en 1945 mais qui n'en a plus aujourd'hui. De plus, le terme planification s'avère, disons-le simplement, ringard, daté, étatiste. Le gouvernement ne veut rien de tout cela.
Vous proposez cependant un commissariat à la stratégie et à la prospective.
D'aucuns peuvent penser que la France est dotée d'un assez grand nombre d'organismes d'études de moyen et long termes. Néanmoins, si de bonnes choses sont nées dans les années 2000, d'autres ont été perdues dans le même temps. Nous devons garder ce qui est né à cette période et revenir sur une décision peu pertinente.
En effet, certaines améliorations peuvent être apportées. En dépit de l'existence d'organismes divers dédiés à la stratégie et à la prospective, et qu'il faut d'ailleurs restructurer et mieux coordonner, la décision a été prise dans les années 2000 de supprimer la dimension de concertation dans le travail sur le moyen terme. L'organisme créé à la suite de cette décision a perdu un fondement de légitimité. Ce point a été évoqué aujourd'hui : la prospective doit se faire dans la coopération avec les partenaires sociaux et les experts. Le Premier ministre souhaite donc revenir sur cette décision, mais de manière réfléchie et organisée. Le rapport intitulé « Pour un commissariat général à la stratégie et à la prospective » vise à établir des propositions. Le terme commissariat comprend la notion d'activité et de liaison avec les décisions. La perte du lien avec les partenaires sociaux a provoqué, je crois, la perte du lien avec la décision. Nous devons retrouver ce lien ainsi que les connexions avec la décision publique.
Vous précisez que ce commissariat ne sera pas dédié au dialogue social.
Le dialogue social s'envisage entre les partenaires sociaux ou entre les partenaires sociaux et l'Etat. Le commissariat produira un travail concerté pour une réflexion située en amont.
En 1997, le gouvernement m'a demandé de faire un rapport sur la politique de la ville. L'équipe constituée n'a pas répondu au sujet. Nous nous sommes interrogés sur le fait que le ministre de la ville ne gère qu'une partie de ce qui concerne la ville. Annoncer que le ministre de la ville va s'occuper des quartiers en difficulté présuppose que la solution aux problèmes de ces quartiers ne se trouve qu'en eux-mêmes et non pas dans l'ensemble de l'idée que l'on peut se faire de la ville. Parmi nos propositions figurait une programmation pour dix ans. Cette idée a été mal reçue. Le ministère de l'économie, notamment, ne peut tolérer que soit mise en avant une durée autre qu'annuelle. Or la politique n'a de sens que si elle s'inscrit dans le moyen et le long termes. Le temps de la ville est long. Nous vivons aujourd'hui les conséquences de ce qui a été décidé il y a cent ans, cinquante ans ou trente ans. Les décisions que nous prenons aujourd'hui auront, de la même façon, des conséquences dans cinquante ans.
Outre la nécessité d'une vision longue apparaît celle de l'évaluation. La France est la spécialiste du zonage. 3 600 zones sont répertoriées en France. Est-ce que le fait de créer une zone réduit, comme il est souhaité, la discrimination ou l'augmente-t-il ? Mon expérience de maire m'a montré que le classement d'un établissement scolaire en ZEP peut avoir des effets néfastes comme la fermeture de classes. Certains parents préfèrent, en effet, éviter que leur enfant fréquente un établissement classé ZEP. J'ai connu de grandes difficultés pour tenter de convaincre qu'un rapport sur cet aspect s'avérait nécessaire. Le ministre de l'éducation nationale proposait fréquemment de réaliser des rapports afin de montrer combien les ZEP étaient favorables. Le principe de donner plus à ceux qui ont moins me semble juste, mais je voulais montrer que le résultat obtenu différait. Je pense que ce zonage mérite une profonde évaluation. Je plaide pour que le nombre de zones soit réduit et que les mécanismes de solidarité ne passent pas par cette multiplication de périmètres.
Michel Rocard, en créant les contrats de Plan Etat-région, a trouvé une idée forte. Ces contrats présentaient un tableau à deux entrées récapitulant les engagements des deux parties sur une période donnée et sous le regard de l'autre. L'idée de planification contractuelle me semble intéressante et devrait probablement être reprise.
Mélanie Gratacos, vous avez remis un rapport sur la crise de légitimité des institutions. Pouvez-vous nous présenter vos travaux ?
Une étude consacrée à la crise de la démocratie, que l'on peut qualifier de crise de la décision politique, a servi de point de départ à ce rapport. Nous avons entrepris de réfléchir à la façon dont notre système démocratique était outillé aujourd'hui pour relever les enjeux de long terme. Par enjeux de long terme, j'entends les objets qui ont déjà une existence à l'heure actuelle, mais dont la totalité des effets induits n'est pas encore perceptible. L'action politique nous a semblé embarrassée par les sujets de long terme, pour plusieurs raisons. Un décideur peut avoir des difficultés à expliquer et justifier des décisions prises en fonction d'un enjeu futur abstrait alors que cette décision peut avoir des conséquences immédiates perçues de manière négative. Nous avons identifié un besoin de pédagogie des enjeux. Le processus de décision politique présente également un problème de temporalité qui ne permet pas de dégager un temps nécessaire à cette pédagogie et à l'appropriation des sujets. Nous vivons par ailleurs dans l'ère de la communication politique qui a pris le pas sur la stratégie politique. Nous pouvons penser que certains responsables de l'Etat sont tentés de reporter des décisions politiques coûteuses électoralement.
Nous avons lancé plusieurs pistes. La première consiste à redonner du sens à la décision. La question du « pourquoi ? » est généralement négligée et, avec elle, la réflexion prospective. Il pourrait être intéressant de systématiser, dans la phase d'élaboration de la loi, une période incontournable consacrée à la définition de ces éléments, intégrée dans l'exposé des motifs ou une déclaration d'intentions. Cette phase de diagnostic semble indispensable. Les évaluations ex-post sont-elles suffisamment traitées et analysées avant que de nouvelles lois soient votées ? Une loi doit-elle s'accompagner d'objectifs concrets ?
L'autre piste de réflexion concerne le CESE. Cet organe, puisqu'il n'est pas soumis à la procédure législative et qu'il représente la société civile, pourrait porter les exigences du temps long. Le CESE pourrait animer le débat citoyen sur les enjeux de long terme dans la mesure où la prospective doit reposer sur une construction collective. L'ensemble des citoyens doit pouvoir s'approprier ces enjeux.
L'enjeu de la prospective et de la décision publique constitue un sujet ancien. Dès 1998, le CESE a diffusé un rapport intitulé « Prospective, débat et décision publique ». Celui-ci partait du constat d'une crise de la décision publique et d'une carence du débat public. Nous avons tenu à affirmer l'importance du débat au niveau même du titre du rapport car la prospective et le débat public sont associés tout au long du processus de décision. Le rapport évoquait également l'idée que le CESE devienne ce lieu de débat avec la société civile. Ma conviction est qu'au-delà de la création d'un commissariat aux prérogatives nouvelles, il faut s'appuyer sur les ressources des différents acteurs existants, afin de construire une intelligence collective.
Comment les prérogatives du CESE ainsi que celles du commissariat à la prospective et à la stratégie seront-elles articulées ?
Depuis 1945 coexistent le Conseil économique et social, devenu en 2008 Conseil économique, social et environnemental, et une institution dédiée à la réflexion sur le moyen et le long termes. Rien ne conduit, selon moi, à remettre en question cette coexistence. Le CESE est la troisième assemblée selon la Constitution. Celle-ci ne fait aucune référence à un commissariat, qui est un organisme placé sous l'autorité du Premier ministre. Je ne vois donc aucun motif d'inquiétude quant au sort du CESE.
De plus, le CESE et le nouveau commissariat n'assurent pas les mêmes fonctions. Le CESE représente la société civile, le commissariat accompagne le gouvernement. Il ne jouit pas de la même liberté et ne suit pas les mêmes procédures. Je plaide pour une pluralité des formes d'évaluation en France. Dans le processus d'évaluation mis en oeuvre par le gouvernement, le commissariat à la stratégie et à la prospective constituera l'un des acteurs possibles. Les sujets se situent certes sur le même plan, mais pas les rôles dévolus à ces deux organismes. La volonté de coopération est exprimée dans le rapport, elle relève de la logique des institutions.
Vous insistez sur le fonctionnement en réseau de l'ensemble des organismes d'étude, mais réclamez quelques simplifications.
En effet, le succès de la démarche du COR a donné lieu à une surenchère de structures équivalentes, qu'il serait bon de simplifier. Cependant, ce processus doit suivre une logique progressive. Certains ajustements nécessiteront plus de temps que d'autres, mais nous recommandons de conserver les structures efficaces en favorisant leur adaptation.
Comment l'Etat peut-il parvenir à assurer ce rôle d'Etat-stratège ?
J'insiste en premier lieu sur la distinction nécessaire entre un commissariat stratégique et un organe de planification. A la suite d'une période de désengagement de l'Etat au profit du marché, le besoin d'un retour mesuré est identifié. L'Etat doit réguler et laisser place aux initiatives locales, tout en favorisant les innovations et ce, afin de compenser les défaillances du marché telles que certaines externalisations l'ont révélé. Par exemple, plus le nombre de personnes fortement éduquées est important, plus le rendement de l'éducation dans sa globalité augmente. L'Etat doit donc investir dans l'éducation supérieure. De la même façon, les entreprises les plus innovantes sont souvent de jeunes entreprises. Or ce sont celles qui connaissent les contraintes les plus fortes en matière de crédit.
En second lieu, si je comprends la nécessité de restructurer les organismes d'évaluation, je pense que le consensus s'obtient mieux par le biais d'organes décentralisés mettant en oeuvre des négociations tripartites (Etat, patronat et salariés). Les Pays-Bas ont réussi à créer des organes indépendants d'évaluation, de contrôle d'évolution des salaires, afin de demander à tous les acteurs de fournir un effort permettant la création de marges et permettant de réinvestir. En France, les chiffres de l'Insee sont au choix cités en référence ou décriés. Une structure indépendante et assise sur une pluralité de représentants favoriserait la confiance et le consensus.
L'Etat stratège est au coeur de la question. Je veux encourager le projet de commissariat à la stratégie et à la prospective car l'Etat est pauvre en pensées longues. Néanmoins, je mets en garde contre les trop grandes responsabilités que l'on pourrait lui donner. Je considère que la fonction d'évaluation ne doit pas être rattachée à cet organe. Je le déconseille formellement. En effet, je rappelle que notre pays refuse l'évaluation dans tous les corps de son système de décision publique. Ce constat exige que la France se dote d'évaluateurs recrutés en dehors des circuits traditionnels. Il exige aussi que chaque évaluation soit réussie, grâce à ces personnes non issues d'un organe de l'Etat existant. Je pense donc que le commissariat doit naturellement demander des évaluations et les étudier, mais en aucun cas les effectuer.
Quant au dialogue social, il n'existe pas en France. C'est ce qui explique les difficultés que notre pays connaît pour réformer les retraites ou l'assurance-maladie. Je pense que la pensée syndicale a évolué depuis la Charte d'Amiens qui prône la non-coopération avec l'Etat. Cette évolution favorable au dialogue social suppose néanmoins d'abandonner les éléments vagues et incertains. Le dialogue doit être précis et organisé en thèmes spécifiques afin de donner lieu à la contractualisation, et non pas à la concertation. Pour le restaurer, le dialogue social doit être préservé, salué et cette appellation ne doit pas servir à définir n'importe quelle rencontre. Pour introduire la dimension du temps long, le commissariat doit faire des recherches afin d'éclairer efficacement l'Etat dans ses décisions exécutives et d'informer pertinemment les partenaires sociaux. Le commissariat doit également reposer à mon sens sur la pluridisciplinarité dans la mesure où le développement durable s'entend pour de nombreux domaines : logement, transports, agriculture, etc.
Je risque une dernière hypothèse. Je continue de penser que le temps de travail va diminuer encore, en lien avec une croissance économique ralentie. La question est : « que faire de ce temps libre ? ». Car le temps libre effraie et il est un certain capitalisme qui souhaite le récupérer à des fins marchandes. La pratique du sport et celle de la culture doivent être revitalisées afin de rendre à nouveau désirable le temps libre.
Je suis d'accord avec Michel Rocard, le commissariat à la stratégie et à la prospective ne traitera pas du dialogue social. Néanmoins, Jean-Michel Charpin a été sévère sur les nouvelles formes de concertation - Grenelle, Journée CO2 -jugées peu efficaces. Or ces nouvelles formes de concertation vont continuer d'être appliquées, j'en suis convaincue. Le futur commissariat ne pourra se situer dans l'appareil de l'Etat, qui lance des concertations de ce type, seulement s'il y joue un rôle actif. Il ne doit pas se situer à côté, mais au coeur de l'action. Le commissariat doit observer ces concertations nouvelles et agir pour une meilleure organisation. Il doit éclairer l'Etat sur la pertinence des nouvelles formes de concertation.
Par ailleurs, le commissariat ne peut s'extraire de l'évaluation. Il doit siéger dans les instances d'évaluation pour en être l'observateur avisé. Il doit aussi être le lieu du lien entre la recherche et les fonctionnaires qui mettent en oeuvre l'évaluation. Le retard de la culture d'évaluation en France est avéré et le commissariat à la stratégie et à la prospective doit y apporter des réponses pertinentes.
Echanges avec le public
Derrière cette idée de prospective se trouve la question des êtres humains. Par exemple, la vision prospective mise en oeuvre à La Poste a eu une grande importance, mais elle a aussi donné lieu à des souffrances chez les agents. La dimension de l'humain a peut-être manqué à cette vision prospective.
En outre, je pense, comme Mélanie Gratacos, que le CESE a un rôle à jouer. Le rapport « Gallois » suscite de nombreuses réactions, mais celui-ci n'est pas le seul à aborder le sujet de la compétitivité. Le CESE a également émis un avis tout aussi riche sur ce thème. Pourquoi valoriser un travail individuel au lieu de valoriser le travail collectif d'une assemblée importante ?
Le rapport de Madame Moreau va-t-il être discuté avec les partenaires sociaux ? Je souhaite aussi connaître la procédure de saisine du commissariat à la stratégie et à la prospective.
A la suite de la décision du Premier ministre prise en juillet 2012 lors de la Grande conférence sociale, la concertation mise en oeuvre dans le cadre de la préparation du rapport a été rapide et intense. Elle visait à identifier les points créant le consensus et ceux amenant des nuances. C'est le Premier ministre qui saisira le commissariat, sur la base des propositions émanant au choix du comité d'orientation, d'une journée de réflexion ou d'un dialogue bilatéral.
Je suis très heureux d'entendre Yannick Moreau annoncer qu'une place importante doit être accordée à la concertation. Cependant, la concertation se doit aussi d'être évaluée car ses méthodes semblent incomplètes. La concertation pourrait se développer en marge du Sénat et de l'Assemblée nationale, avec la coopération du CESE, afin que l'expertise d'usage des citoyens soit entendue très en amont.
Jean-Paul Bailly a évoqué les termes de valeur, de vision et de gouvernance. Yann Algan a rappelé le lien avéré entre la performance économique et la performance sociale. La compétitivité passe par la réduction du management dominant assis sur la méfiance, qui détruit l'intelligence et la créativité. Un consensus se dessine chez les partenaires sociaux pour ne pas aborder le sujet de la compétitivité, afin d'éviter celui de ce management contre-productif. Les dirigeants politiques et patronaux semblent ne pas souhaiter réaliser leur propre autocritique et reconnaître qu'ils dirigent mal.
J'attire l'attention de tous sur l'antinomie qui existe entre les termes stratégie et prospective. Un commissariat censé coordonner ces deux éléments me semble difficile à mettre en place. La stratégie est un terme militaire. Elle n'est pas discutée, mais exécutée. La prospective, quant à elle, est plus ouverte et nécessite de se demander ce qui pourrait advenir. Mener ces deux actions à la fois me paraît impossible.
La demande d'un Etat-stratège est liée à la survenance de la crise. En outre, la France n'est pas dotée d'un schéma national des infrastructures terrestres. Le catalogue existant ne prend pas en compte l'aménagement du territoire, le financement, la cohérence nationale et territoriale ni les questions de transition énergétique et d'environnement. Ces points s'intègrent cependant dans le long terme. Le plan quinquennal sur la pauvreté s'avère lui aussi une forme de planification. Le terme planification a disparu alors qu'il semble correspondre à des exercices existants.
Je salue l'initiative de Joël Bourdin et de Jean-Paul Bailly d'avoir souhaité coordonner la réflexion sur la prospective au travers de leurs délégations. Je salue également Michel Rocard, Jean-Pierre Raffarin, Yannick Moreau ainsi que les nombreux membres de la délégation du CESE ici présents.
Je suis frappé de constater que les mécanismes occupent davantage les esprits que les objectifs. Avons-nous besoin d'une prospective ? Michel Rocard nous a souvent alertés sur le caractère imprévisible du monde. Le premier semestre 2013 sera décisif. Tout peut arriver, y compris une guerre au Moyen-Orient ou des chocs pétroliers redoutables ; le débat budgétaire américain peut plonger les Etats-Unis dans la récession et dans la remise en cause des politiques sociales, susceptible d'entraîner de lourdes fractures au sein de la population ; on peut s'attendre à des investissements gigantesques de certaines provinces chinoises et à l'annonce par le Gouvernement du souhait de voir doubler la consommation par habitant... Cette accélération va causer un passage d'une société de l'abondance à une société de la rareté ainsi que des conflits de détention des matières premières et des problèmes de sécurité des circuits d'approvisionnement. Une nouvelle carte géopolitique va émerger.
La prospective n'a pas, selon moi, vocation à élaborer une stratégie. Elle doit permettre à ceux qui sont chargés de son exécution d'élaborer une stratégie par rapport aux différentes lectures possibles de l'avenir. Plutôt qu'une crise, je crois que nous traversons une période de métamorphose. Le débat politique sur la dette ne tient pas compte de la rétrospective que l'on peut effectuer en s'interrogeant sur l'origine de cette dette. C'est, en effet, la libéralisation du second marché qui a fait exploser la capacité des banques à créer de la masse monétaire de façon désordonnée. La croissance a été financée par des capacités financières non maîtrisées. Il ne faut pas en oublier les causes. L'évaluation s'avère nécessaire car, on le voit avec l'application de la directive « Solvency II », les assurances sont en train d'assécher les financements aux entreprises au moment où celles-ci en auraient besoin afin de soutenir la croissance. La prospective doit donc se rappeler le passé avant de penser au moyen et long termes.
En outre, les sujets abordés doivent se révéler impertinents. Les solutions efficaces doivent être appliquées, même si l'Etat se trouve en désaccord. C'est pourquoi l'évaluation doit être indépendante pour se montrer impertinente. Les problématiques liées à la croissance et à l'énergie constituent notamment des sujets politiques complexes. Si la véritable question du prix de l'énergie n'est pas posée, c'est la question de l'avenir de l'industrie chimique qui se posera. Il en est de même dans la filière automobile. Le sujet d'actualité est le site PSA d'Aulnay-sous-Bois, mais la véritable question est celle de savoir quel avenir est possible pour l'industrie automobile en Europe dans un contexte de suréquipement.
Le phénomène de crise suppose la destruction de l'ancien pour que puisse naître le nouveau. Empêcher la destruction de l'ancien nuit à la naissance du nouveau. J'évoquerai ici l'économie par le numérique et non du numérique, qui a créé plus d'emplois qu'elle n'en a détruits. Le système craint cette nouvelle économie. L'Etat se demande où il pourra prélever les impôts et les cotisations sociales tandis que les partenaires sociaux s'interrogent sur les nouveaux contrats liés au travail à domicile. Cette formidable perturbation exige une meilleure lisibilité et un réenchantement de l'avenir.
Les deux délégations à la prospective ont connu des difficultés à voir le jour. Les rapports impertinents d'une délégation à la prospective sont souvent mal perçus car il est attendu que la prospective demeure dans des chemins balisés. Or la prospective nécessite précisément d'aller en dehors de ces chemins. Si le futur est la remise en cause du présent, nous devons être interpellés. Les frontières du temps et de l'espace vont disparaître. Tous nos schémas de pensée doivent se trouver remis en cause par cette métamorphose. Par exemple, la situation américaine révèle que le réflexe keynésien ne fonctionne plus. Les raisonnements politiques et administratifs doivent être réinventés. Les délégations de prospective doivent donc interpeller.
Si les réflexes de décision politique sont inscrits dans un temps de retour électoral, nous entrons dans la stratégie politique et non dans la stratégie de l'Etat. La prospective doit répondre à cette phrase de Winston Churchill : « l'homme politique pense à la prochaine élection, l'homme d'Etat pense à la prochaine génération ». Je formule le voeu que chaque homme politique ait la dimension d'un homme d'Etat.