Intervention de Alain Lambert

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 25 avril 2013 : 1ère réunion
Audition de Mm. Alain Lambert et jean-claude boulard sur la lutte contre l'inflation normative

Photo de Alain LambertAlain Lambert :

Merci de ces mots d'accueil. Je suis heureux de retrouver d'anciens collègues. Nous nous sommes répartis les tâches : à M. Boulard le stock, à moi le flux, auquel je suis confronté toute l'année à la tête de la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN). Nous n'avons rien inventé, tout avait été dit, notamment dans le rapport du Sénat. Nous avons repris et mis en forme les propositions afin que le gouvernement puisse les utiliser au plus vite, car il y a urgence.

Le sujet des normes est un sujet de droit, mais derrière il y a des enjeux sociétaux, car la société réclame à la fois protection et liberté ; des enjeux politiques, car les administrations se disputent l'autorité ; et des enjeux économiques, car la compétitivité de notre pays et de nos collectivités est gravement menacée, enfermés que nous sommes dans le corpus juridique actuel.

Je suis frappé par le manque de culture juridique des administrations : les jeunes administrateurs, bons techniciens par ailleurs, ignorent la hiérarchie des normes. Pour donner de la solennité, on inscrit dans la loi ce qui relève du règlement. Quand le texte de loi est à ce point détaillé, le pouvoir réglementaire ne peut plus rien ! Cette rigidité excessive de notre corpus alimente la défiance des citoyens envers le droit et ceux qui l'appliquent.

Première recommandation : appliquer le principe de proportionnalité - c'est un sujet que vous avez souvent abordé. On brandit les avis du Conseil d'État, on affirme que le Conseil constitutionnel censurerait. Pardonnez-moi de le dire, mais ce sont des comptines pour endormir les enfants ! Le principe de proportionnalité existe dans de nombreux domaines du droit ; on refuse de l'introduire dans le droit administratif car celui-ci est un droit d'autorité. Je serais très étonné d'une censure constitutionnelle si le pouvoir politique l'instaure. Même chose pour le principe de sécurité juridique : le Conseil constitutionnel estime qu'il est implicite mais personne ne veut l'écrire au motif qu'il faudrait, dès lors, introduire le principe de confiance légitime...

Il faut dépénaliser le domaine des normes. Les dispositions pénales, parfois brutales, sont introduites par des administrations techniciennes qui n'ont jamais appliqué le code pénal ; le tamis parlementaire ne fonctionne pas, les dispositions pénales découlent de la seule volonté des administrations. Il faut se pencher sur le sujet.

Autre préconisation : valoriser la norme contractuelle. Les administrations confondent règle de droit et prescription technique. Cette dernière évolue avec la technologie, or elle se retrouve désormais introduite, par copier-coller, dans les dispositions juridiques. Quelques jours après l'annonce, par le président de la République, d'un « choc de simplification », la CCEN était saisie de deux textes sur la qualité de l'air comportant quatre équations mathématiques incompréhensibles, sur lesquels elle n'a pu qu'émettre un avis défavorable. J'ai immédiatement reçu des appels pressants de services très élevés de l'État demandant que la commission change d'avis. Au tréfonds des administrations, on se moque bien de savoir si l'on bafoue la Constitution ! La norme contractuelle a parfois beaucoup de mérite et permet d'appliquer le droit dans de bonnes conditions.

Nous pensons également qu'il faut cesser d'ajouter des dispositions nationales au droit communautaire ou international. On ne peut accuser Bruxelles de rendre le droit français impraticable quand on transpose en faisant des copier-coller imparfaits, en changeant les vocables, voire les concepts. On ne sait plus quel droit s'applique.

Il existe un excellent guide de légistique pour expliquer aux administrations comment rédiger les textes réglementaires, mais elles en ignorent l'existence...

Nous ne pouvons traiter seuls certains sujets, mais il y a nombre de sujets franco-français dont nous pourrions nous emparer. Le parlement en a le pouvoir. Veillons à ce que la plume de l'État ne soit pas utilisée à l'excès, de manière trop verticale, sans concertation entre services et au mépris de la lisibilité. Je conclurai en citant un chiffre du ministère de l'Intérieur : les administrations centrales adressent 80 000 pages de circulaires par an aux administrations locales, soit 320 pages par jour ouvré !

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