Mieux vaut en rire... Je m'inquiète du destin qui sera réservé à ce rapport. Après le choc de compétitivité puis le choc de simplification, les médias ne parlent plus que du choc de moralité. Ou comment tuer un mot... Nous devons faire vivre ce rapport pour qu'il ne sombre pas dans l'oubli. Derrière chaque norme, il y a un chien de garde. Pas facile, pour un gouvernement un peu fragile, de refuser d'écouter les experts, comme ces nutritionnistes qui sont montés en ligne sur l'aberrant décret saucisses ! Substituer la responsabilité à la règle n'est pas dans la culture française. Autre exemple : la question de la qualité de l'air - y compris dans les centres aérés - a donné lieu à un décret qui recommande... d'ouvrir les fenêtres ! Comme le dit la chanson, « Ouvre la fenêtre, qu'on respire un peu ! »
Un État qui n'a plus d'argent se paye de mots et produit du droit. Il faut bien occuper les assemblées, et ces amendements littéraires permettent d'exister. Il paraît que la terre a tremblé au Mans il y a 150 ans, dit la ministre de l'Environnement. Cela n'a laissé aucune trace, aucun souvenir, mais qu'importe, la messe est dite et les contraintes sismiques au Mans sont maintenues.
Dans les deux jours qui ont suivi la publication du rapport a été signée l'instruction ministérielle la plus laconique de l'histoire : la circulaire du 2 avril 2013. « À l'exception des normes touchant à la sécurité, il vous est demandé désormais de veiller personnellement à ce que vos services utilisent toutes les marges de manoeuvre autorisées par les textes et en délivrent une interprétation facilitatrice pour simplifier et accélérer la mise en oeuvre des projets publics ou privés ». Il en va des normes comme des textes bibliques : il y a les interprétations intégristes et les interprétations souples. Les intégristes du droit sont puissants et écoutés ; le principe de précaution les a consolidés. Assouplissons l'interprétation des 400 000 normes, dont on sait que peu seront abrogées. Mieux vaut être souple que perclus de rhumatismes ! Il faudrait organiser des rencontres autour de cette instruction facilitatrice, notamment pour alerter sur le monstre administratif qu'est la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Il existe même une circulaire qui traite de la gouvernance de la DREAL... Cette dernière annonce désormais que, faute de moyens, elle nous répondra plus tard. Quand l'État n'a plus de moyens, il faut que le silence de l'administration vaille assentiment. On peut parfaitement avancer, au moins sur le stock, en faisant une interprétation intelligente de la loi.
De ce rapport, il ne restera sans doute que le dessin de Plantu. Ce fut un bonheur de travailler avec Alain Lambert ; merci aussi à M. Doligé, les travaux du Sénat nous ont été précieux. Nous devons surmonter notre culture administrative. Pour moi, ce n'est pas un fonctionnaire sur deux qu'il faudrait supprimer, mais tous ceux qui produisent des circulaires à la chaîne, dans le quatorzième bureau du troisième couloir du premier sous-sol ! C'est une machine à emboliser l'ensemble de l'espace juridique. Nous avons besoin de fonctionnaires de territoire, proches des élus. Réhabilitons la fonction interprétative du préfet de département : la dernière culture de complicité avec les élus date du temps où les préfets étaient les exécutifs des départements.
Je lance un appel à l'aide : aidez-nous à avancer, à populariser ce sujet. Le Sénat est le lieu où l'on peut mobiliser et mettre en valeur nos travaux. Quand il n'y a plus d'argent, la seule façon de rétablir des marges de compétitivité est d'alléger ! Si la jeune génération ne desserre pas les contraintes, si elle ne revendique pas le droit à la responsabilité et au risque, je doute que notre société sache créer de richesse.