Intervention de Alain Anziani

Réunion du 16 mai 2013 à 9h00
Préjudice écologique — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani, rapporteur :

Cinq questions restent selon moi en chantier.

Premièrement, à la suite de Bruno Retailleau, je m’interroge : tout cela était-il nécessaire ? Pourquoi faut-il modifier le code civil ? Ne disposons-nous pas d'un arsenal juridique suffisant ?

Ainsi, depuis 2004, la Charte de l'environnement est intégrée dans le bloc de constitutionnalité et, depuis la révision constitutionnelle de 2005, l'article 34 de la Constitution dispose que « la loi détermine les principes fondamentaux […] de la préservation de l'environnement ».

En outre, la directive européenne de 2004 sur la responsabilité environnementale a été transposée par la loi du 1er août 2008. Cependant, même si ce texte est excellent, à l'instar de tous ceux qui composent notre droit, il est inappliqué parce qu'inapplicable. En effet, il présente un défaut majeur, celui de dresser la liste des dommages, ce qui revient à exclure ceux qui ne sont pas énumérés. Par conséquent, les préfets, chargés de l'application de ce texte, ne l'ont pas mis en œuvre, faute d'avoir pu le faire.

On nous rétorquera que les articles 1382, 1383 et 1384 du code civil suffisent et que nous n’avons besoin de rien d’autre. Il est vrai qu’ils offrent une réponse très classique.

Par ailleurs, l'arrêt Erika de 2012 indique que le droit actuel n'est pas suffisant. La Cour de cassation pointe la nécessité de consolider les décisions qu’il contient dans le code civil, ce que les spécialistes du droit confirment, même si nous savons qu’il s’agit d’une jurisprudence sur laquelle chacun doit s'aligner.

Il revient donc à la Chancellerie de participer à l’élaboration définitive de cette architecture.

Deuxièmement, où faut-il inscrire ces nouvelles dispositions ?

Une discussion a eu lieu. La proposition de loi s'est voulue révolutionnaire en adjoignant un article 1382-1 à l'article 1382. C'était faire preuve de rationalité que d’agir ainsi, en précisant que celui qui cause un dommage à la nature doit réparation, à l’instar de celui qui cause un dommage à autrui.

Disons-le franchement : cela a fait peur ! Nos éminents juristes ont considéré qu'il y avait là peut-être trop d'audace et qu'il ne fallait toucher à l’article 1382 que d'une main tremblante, pour reprendre une expression parfois critiquée. Peut-être la main avait-elle été ici un peu trop ferme...

Dans leur sagesse, les auteurs de la proposition de loi ont donc fait évoluer cette dernière et retenu l’idée d’adjoindre à la responsabilité délictuelle, à la responsabilité quasi-délictuelle et à la responsabilité du fait des produits défectueux un autre type de responsabilité, la responsabilité environnementale, consacrée à travers un titre spécifique du code civil, le titre IV ter, dans lequel serait notamment inséré un article 1386-19. Tel est aujourd’hui l’objet de notre discussion.

Troisièmement, faut-il restreindre cette responsabilité à la faute ? Cette question est extrêmement délicate, et je me plais à le souligner même si la commission a adopté sur mon initiative un amendement supprimant la référence à la faute, s’agissant de la responsabilité.

Nous savons aujourd’hui que l’activité humaine est par elle-même génératrice d’un certain nombre de dommages qui peuvent être importants. Dès lors, exclure cette activité du champ de la loi n’irait pas dans le sens de l’objectivation croissante du droit de la responsabilité, dont la mise en œuvre ne réclame plus nécessairement une faute, puisque l’on essaie plutôt de réparer le dommage à chaque fois qu’il se produit.

Je reconnais néanmoins que plusieurs questions restent pendantes, notamment celle, extrêmement délicate, de savoir si cette responsabilité peut faire l’objet d’une assurance. Il faudra sans doute s’interroger à l’avenir sur ce qui peut être pris en charge par les assurances, dans quelles conditions et à quel coût.

Si vous me le permettez, mes chers collègues, je dirai que nous devons nous aussi faire preuve, dans ce domaine, de beaucoup de responsabilité !

Pour illustrer cette tendance du droit de la responsabilité à évoluer vers la responsabilité sans faute, je prendrai l’exemple de l’article 4 de la Charte de l’environnement, qui dispose que « toute personne doit contribuer à la réparation du dommage qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi ». Je pense que c’est dans cette direction que nous allons.

Nous devrons bien entendu nous adosser à la jurisprudence existante, en posant la condition du caractère réel et certain du dommage et en excluant les dommages mineurs. Il nous faudra aussi réaffirmer notre souci de ne pas empêcher tout développement économique et industriel, comme l’avait d’ailleurs fait avec beaucoup de force M. le président de la commission des lois à l’occasion de nos travaux.

Quatrièmement, quelle réparation faut-il privilégier ? C’est un vaste problème. Initialement, Bruno Retailleau avait envisagé une réparation exclusivement en nature, dont on comprend aisément le sens. Nous avons ajouté subsidiairement une compensation financière de l’État dans la mesure où, parfois, il ne s’agit pas simplement de dépolluer une plage. Si, par exemple, une espèce vient à disparaître, la réparation en nature semble impossible. Dans ce cas, il faut prévoir une compensation financière au moyen de dommages et intérêts dont le montant sera défini par les tribunaux et affecté à un fonds de l’État ou à un organisme désigné par lui.

Enfin, cinquièmement, se posent toutes les questions de procédure. Elles sont liées à mes développements précédents et ne relèvent en principe pas de la loi. Qui aura intérêt à agir ? Qui exercera l’action ? Ces questions sont extrêmement délicates, d’autant que nous savons qu’il y aura, dans nombre de cas, une pluralité d’actions, et que des actions groupées pourront aussi sans doute se manifester. En outre, quel sera le délai de la prescription ? À cet égard, j’avais proposé un amendement, avant de le retirer. Aujourd’hui, l’article L. 152-1 du code de l’environnement prévoit une prescription de trente ans à compter du fait générateur. Or de nombreux spécialistes nous ont alertés sur le fait que, en la matière, le dommage pouvait n’apparaître que des années plus tard. Ainsi, les conséquences de la pollution d’une source peuvent survenir plus de trente ans après la contamination, et la question se pose alors d’une prescription qui courrait seulement à compter de l’apparition du dommage et non pas du fait générateur.

Au-delà de ces interrogations, je voudrais encore une fois me féliciter de l’existence de cette proposition de loi.

Je voudrais dire aussi à Mme la garde des sceaux que le débat n’est pas terminé. J’ai noté la constitution d’un groupe de travail qui devrait rendre ses conclusions à l’automne. Il aura fort à faire car, au fond, le préjudice écologique ressemble à un gisement de droits qui devra être précisé, encadré, enrichi.

Il faudra sans doute, à un moment ou à un autre, débattre à nouveau de ces questions, mais l’impulsion a été donnée par cette proposition de loi, qui constitue assurément une initiative majeure.

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